Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

films

Une très belle composition en équilibre entre drame et comédie

Publié le par Michel Monsay

Une très belle composition en équilibre entre drame et comédie

Ce film est un bonheur, grâce tout d’abord à une écriture parfaite qui alterne efficacement entre des ellipses, des scènes tenues à l'essentiel, et d'autres au contraire qui prennent leur temps : autant dans les situations, qui vont là où on ne les attendait pas, que dans les dialogues, justes et piquants, jamais encombrés de mots d’auteur. Grâce, ensuite à une interprétation superbe de tout le casting, dominé par l'excellent Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin que l'on voit de plus en plus ces derniers temps, à juste titre tant sa performance est d'une remarquable justesse, le regard brisé de son personnage, sa résignation mais aussi son univers intérieur sont très puissants. À leur côté, des non professionnels sont mêlés à des acteurs à la réputation avérée, et tous sont plus vrais que vrais. Le souffle qui emporte En fanfare est aussi original qu’il est ancré dans un humanisme authentique, un respect des hommes et des femmes ici racontés. Une fanfare du Nord, ça pourrait générer du folklore, mais le regard d'Emmanuel Courcol fait toute la différence. C’est gai, c’est triste. On rit, on pleure et on reconnaît la fraternité pour ce qu’elle est. Le sel de la vie. Emmanuel Courcol réitère quatre ans après le touchant Un Triomphe, avec Kad Merad en professeur de théâtre dans une prison, dans la comédie dramatique à fond social. Car ici il est bien entendu question de traiter de l’inégalité des chances et de l’espoir d’une connexion entre gens de mondes différents. Le tout dans un contexte du Nord de la France avec comme perspective les délocalisations. Devenu cinéaste sur le tard, Emmanuel Courcol a débuté comme comédien puis scénariste. Il avait déjà 59 ans lors de la sortie de son premier long métrage, Cessez le feu avec Romain Duris en 2017. Sa solide expérience de scénariste, forgée auprès de Philippe Lioret avec lequel il a collaboré sur quatre films dont Welcome, ou auprès d’Édouard Bergeon sur Au nom de la terre, l’a transformé en réalisateur soucieux d’une écriture précise et des problématiques sociales. Ses œuvres projettent souvent un individu dans un univers inconnu. Un procédé narratif efficace permettant au spectateur de découvrir ce nouveau monde en même temps que le protagoniste et de battre en brèche nombre de présupposés et de clichés. Véritable auteur populaire, il assume pleinement de viser un large public sans jamais céder à la facilité. Ce très beau film pourrait bien être le succès de cette fin d'année, il a tous les atouts pour y parvenir.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Un hymne à l’amour au temps le plus insensé de l’inhumanité

Publié le par Michel Monsay

Un hymne à l’amour au temps le plus insensé de l’inhumanité

En adaptant en film d’animation un conte de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazanavicius parvient à raconter une histoire belle, humaniste et universelle sans éluder les horreurs de la Shoah. Et dire que c’est le réalisateur de The Artist, d’OSS 177 et même de l’hilarant délire zombiesque de Coupez ! qui signe ce puissant long-métrage d’animation. Une œuvre sur la Shoah qui réussit l’exploit de s’adresser à tous les publics à partir de 10 ans, sans rien éluder de ce qui a longtemps été indicible. A 57 ans, Michel Hazanavicius signe son premier film d'animation, lui qui a toujours dessiné. Néanmoins, seuls ses proches connaissaient cette partie intime de son travail. Parmi eux se trouvait son vieil ami, l'écrivain Jean-Claude Grumberg, auteur du conte La Plus Précieuse des marchandises. Téméraire, le cinéaste ose affronter la représentation des camps, dans des séquences cauchemardesques, à la fois frontales et pudiques où l'écran se vide de ses couleurs. La Plus Précieuse des marchandises paraît donc très éloigné de ses comédies, mais en s'y penchant, on y retrouve néanmoins sa culture du cinéma muet, auquel il rendait hommage dans The Artist. Passe en effet, à travers ses dessins, la générosité du Chaplin de The Kid ou de La ruée vers l'or. Sous les traits sobres et souples, le metteur en scène déploie un film puissamment sonore. L'écran déborde des bruissements de forêt, crissements de neige, échos des coups de hache… monte aussi le roulis de ce train, qui devient un personnage à part entière : Un concert mécanique terrifiant qui évoque aux oreilles l'industrie de la mort. Outre Les voix de Dominique Blanc, Gregory Gadebois et Denis Podalydès qui incarnent les personnages principaux, très bien tous les trois comme à leur habitude, il y a la très émouvante voix du narrateur : Jean-Louis Trintignant. Disparu il y a deux ans, l'acteur tient là son dernier rôle. L'effet est saisissant tant il paraît nous parler de l'au-delà. Ce timbre si particulier que l'on a tant aimé, reconnaissable entre tous, est revenu de si loin pour nous confier comme un secret : même dans les moments les plus noirs, l'amour reste encore La Plus Précieuse des marchandises, la meilleure façon de nous sauver de notre propre barbarie. Michel Hazanavicius et l’équipe d’artistes d'un studio d’animation français basé à Angoulême évitent tous les écueils, toutes les fausses notes et les indécences, car ils ne cessent de chercher la lumière au cœur des ténèbres. À travers ce très beau film, le cinéaste célèbre les Justes, ces gens de toutes origines, poussés par leur boussole morale à aider les persécutés, y compris au péril de leur vie.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

À la fois violent et sensible, ce film fascine par la justesse de sa mise en scène et de ses comédiens non professionnels

Publié le par Michel Monsay

À la fois violent et sensible, ce film fascine par la justesse de sa mise en scène et de ses comédiens non professionnels

Une force archaïque très puissante traverse ce brillant premier-long métrage et nous tient en haleine, mobilisés, de sa séquence inaugurale à son générique de fin. Julien Colonna, fils d'une légende du banditisme corse, Jean-Jérôme Colonna, nous saisit par la force de son récit autour d’un chef de clan et de sa fille adolescente. De son rythme effréné à l’interprétation farouche de ses comédiens, le Royaume est un très grand film de cavale. Sa puissante originalité consiste à mêler l'histoire intime des rapports père-adolescente à une ample fresque, qui évite les pièges du film à thèse sur le problème corse. Son style allie l'hyperréalisme du portrait de milieu avec l'élégie tragique de certains westerns crépusculaires et pose la question de la masculinité toxique au sein d'un groupe social. Rugueux et bouleversant, le film s’éloigne des clichés et des traditionnels films de gangsters. À hauteur d’adolescente, l’intrigue n’a pas la sacralisation habituelle de ces criminels, le romantisme suranné d’une vie de péchés. Non, ici, ce sont avant tout des individus traqués, terrifiés à l’idée que chaque trajet pourrait être le dernier, obligés de regarder en permanence par-dessus leur épaule. Peu importe les raisons qui les ont emmenés sur cette voie, ils le savent, la sortie a régulièrement lieu les pieds devant. Le chef de clan n’est pas un héros pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est, ce qu’il représente dans les yeux de cette gamine ayant grandi loin d’une figure qu’elle aimerait tant plus côtoyer. Saveriu Santucci, acteur non professionnel qui l'incarne prodigieusement, livre une prestation d’une aura et d’un charisme rares, transformant la fiction en un témoignage naturaliste déchirant. Sa fille dans le film est interprétée par Ghjuvanna Benedetti, également non professionnelle, à la présence intense et magnétique. Par une maîtrise aussi bien formelle que scénaristique, le scénario est coécrit avec Jeanne Herry, réalisatrice des excellents Pupille et Je verrai toujours vos visages, Julien Colonna filme avec élégance les silences, les regards, les visages filmés en gros plan et les corps qui traversent Le Royaume. Avec un refus intransigeant de l'exotisme de pacotille, du sensationnalisme et de l'héroïsation, il accompagne la balade sauvage de ses deux fugitifs qui, le temps de quelques jours et nuits trop brefs, s'inventent un royaume dont ils sont les seuls à connaître les codes. Récit initiatique, héritage, valeurs de la famille, les croyances et la vengeance, la complexité d'un territoire et des personnages puissants, il y a toute la Corse dans ce superbe film. 

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

L’élégance de la mise en scène et la lumineuse présence des trois comédiennes

Publié le par Michel Monsay

L’élégance de la mise en scène et la lumineuse présence des trois comédiennes

Rarement Emmanuel Mouret, dont le propos sur l’amour et les relations humaines est devenu de plus en plus juste au fil du temps, aura été aussi pertinent et drôle qu’avec ce Trois Amies, triple portrait de femmes, liées par une forte amitié, que les usures et les élans de l’amour pourraient cependant mettre en danger. Il est depuis une vingtaine d'années, une des valeurs sûres du cinéma français dont on guette chaque nouveau film avec gourmandise, ce blog peut en témoigner avec Chronique d'une liaison passagère, Caprice, Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait et bien d'autres. Habitué du film choral, mêlant dans ses scénarios à la remarquable finesse d’écriture, les destins amoureux et intimes de multiples personnages, Emmanuel Mouret concocte ici un conte moderne qui évoque la douleur des séparations. Qu’elles aillent ou non jusqu’au bout, le cinéaste fait du pathétique un élément comique et crée un doux décalage autour de la notion d’amitié, qui s’avère ici toujours enracinée et stable, malgré quelques mensonges, secrets et autres trahisons. Avec ce ton léger qui le caractérise, il parvient à nous faire aimer ses personnages, dans leurs excès, leurs contradictions, leurs inquiétudes voire leur générosité. Tous capables de dialoguer de manière quasi sereine, malgré la complexité des situations, ils nous apparaissent dans des interactions des plus naturelles, offrant ainsi de jolies variations sur la conception du couple et de l’amour. Portée par ses trois formidables actrices, Sara Forestier, India Hair et Camille Cottin, sans oublier Vincent Macaigne et Damien Bonnard très touchants,  la magie opère offrant de beaux moments d’émotion, lorsqu’il s’agit d’évoquer la culpabilité, la déception, ou encore le renoncement, voire le sacrifice. Faisant preuve d’un cinéma toujours aussi généreux et cocasse, Emmanuel Mouret, nous offre avec Trois Amies, une nouvelle partition haut de gamme parsemée de nuances mélancoliques.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Fable écologique d'anticipation au très beau graphisme

Publié le par Michel Monsay

Fable écologique d'anticipation au très beau graphisme
Fable écologique d'anticipation au très beau graphisme

Le Robot Sauvage poursuit le réjouissant retour en grâce de Dreamworks aux sommets de l'animation américaine. Pour mémoire, cette société créée par Steven Spielberg pour la production de films d'animation, qui depuis est devenue indépendante, a damé le pion de Disney et Pixar les deux géants américains dès son premier essai avec Fourmiz en 1998, et ce durant de nombreuses années avec Shrek, Madagascar, Kung-fu Panda, ... mais cette réussite s'est essoufflée. Avec Le robot sauvage, Dreamworks retrouve enfin de l’ardeur et pousse dans ses retranchements les techniques d’animation 3D et 2D qu'il mêle astucieusement. Réalisé par Chris Sanders, ancien animateur de Disney, ce long-métrage très touchant suit l'histoire de Rozzum 7134, un robot qui a fait naufrage après un typhon sur une île luxuriante mais déserte d'humains et de technologie. Riche en couleurs vives et en superbes contrastes, le travail sur l'animation tend à faire de chaque image un morceau de bravoure. Alors que les blockbusters d'animation, tels que Disney et Pixar peuvent les concevoir, favorisent aujourd'hui le photo-réalisme et l'accumulation d'effets spectaculaires dans l'espoir de garder le spectateur aux aguets, Le Robot Sauvage semble prôner un retour à un art plus délicat, proche de l'impressionnisme. Il choisit de faire transparaître par l'image les émotions traversées par ses personnages et comment leur expérience de la vie a le pouvoir de transformer le monde dans son ensemble. Au milieu de la cascade de suites et de films dérivés de franchises qui assomment régulièrement le cinéma d'animation, Le Robot Sauvage n'est pas qu'une extraordinaire anomalie, qui mérite d'être chérie et vue par le plus grand nombre, mais aussi un véritable soulagement qui émeut autant qu'il offre à espérer.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Un film sensoriel sur l’apprentissage du collectif face à une catastrophe climatique

Publié le par Michel Monsay

Un film sensoriel sur l’apprentissage du collectif face à une catastrophe climatique

De décors fabuleux (forêts immenses, ville semi-engloutie d’une beauté saisissante, sculptures géantes abandonnées au beau milieu des paysages, montagnes et perspectives vertigineuses) en rencontres fantastiques (entre autres, une inoubliable et étrange baleine à crêtes), Flow offre une ode hypnotique à la nature, dans sa toute-puissance ambiguë, création et destruction. Mais aussi une fable touchante sur le rapport à l’autre, le bonheur et la nécessité d’apprendre à vivre ensemble. Le réalisateur letton Gints Zilbalodis, artiste surdoué d’à peine 30 ans, après un premier film en 2020, Ailleurs, entièrement créé en solitaire, de l’animation à la musique originale devant un simple ordinateur, collabore désormais avec une équipe de jeunes animateurs, entre la France, la Lettonie et la Belgique. On retrouve ici sa passion pour les univers oniriques somptueusement inquiétants et l’influence de l'immense Hayao Miyazaki. Œuvre sans paroles, Flow n’est pas muet pour autant. Voyage bruissant, il est porté par une bande-son à la fois épique et contemplative. Il faut saluer la restitution très réaliste des mouvements des animaux. On admirera aussi le niveau de détail avec lequel sont représentés les feuillages ou les prairies fleuries, chaque brise de vent permettant le mouvement de secteurs entiers, sans parler de l'inexorable montée des eaux qui submerge tout sur son passage. Gints Zilbalodis se place dans une optique diamétralement opposée à celle qui règle normalement les rapports entre animation et animaux, à savoir un anthropomorphisme simplificateur qui s’échine à gommer les différences entre eux et les humains. Il nous fait ressentir la course, les chocs, chutes, sauts, contacts de l’animal à travers des mouvements de caméra avant, arrière, circulaire ou aérienne. Le cinéaste letton signe un film d'animation impressionnant, où mis à part le pelage des bêtes le reste est sublime et, à travers ces animaux, un portrait de notre humanité.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Fascinante comédie romantique intense, folle et imprévisible

Publié le par Michel Monsay

Fascinante comédie romantique intense, folle et imprévisible

Avec Anora, Palme d’or au Festival de Cannes, Sean Baker nous entraîne dans une odyssée sentimentale à travers les marges étincelantes de l’Amérique, où se mêlent l’amour et la fureur, les éclats de rire et les larmes. Sean Baker, cinéaste américain de 53 ans, s’intéresse depuis le début des années 2000 aux marginaux, dépeignant avec tendresse les personnages de la face cachée de l’Amérique. La beauté de ces œuvres réside dans le traitement humaniste de ses protagonistes, qu’ils soient migrants échoués, pauvres en galère, transsexuels, toxicomanes ou prostituées, et ce, loin de tout misérabilisme. En adoptant leur point de vue, Sean Baker aborde avant tout des déceptions sentimentales et des rêves de contes de fées, tout en explorant les enjeux de déclassement social. Visuellement, il équilibre les éléments sordides et scintillants, mettant face à face deux facettes de la société américaine. Dans Anora, il pousse encore plus loin les curseurs. La comédie est hilarante, la romance bouleversante, et le parcours de l'héroïne fascine. Il ne juge personne et favorise immédiatement l’empathie, respectant la complexité des personnages et creusant les clichés pour révéler leur humanité. Cette approche authentique passe par un juste équilibre entre l’humour et le drame, offrant de véritables moments de comédie. Inattendue, émouvante, qui survient par pointillés, cette comédie romantique déconstruit magistralement le rêve américain. Drôle et féroce, et c’est la prouesse du film, Sean Baker n’en oublie pas la violence, la tristesse de ces corps épuisés, sommés de se vendre pour s’acheter une place dans ce monde. Le film est porté par l’énergie d’un casting brillant qui donne tout, avec à sa tête une révélation, Mikey Madison, prodigieuse dans le costume d'Anora, révélant une créativité stupéfiante pour la facétie qui n'a d'égale que l'émotion qu'elle peut dégager dans les scènes les plus dramatiques. Citons aussi Mark Eydelshteyn, sorte de Timothée Chalamet burlesque et Yuri Borisov, droopy hilarant, que l'on avait beaucoup aimé dans Compartiment n°6. Anora donne un coup de projecteur bienvenu sur le cinéma indépendant américain qui connaît actuellement quelques difficultés. Ce conte de fées des temps modernes tout en énergie survoltée, entre Scorsese et les frères Coen, mâtiné de thriller et de comédie, est aussi une satire puissante du capitalisme.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

L’élégance du conte, la précision du film noir et la poésie singulière d'Alain Guiraudie

Publié le par Michel Monsay

L’élégance du conte, la précision du film noir et la poésie singulière d'Alain Guiraudie

Les films d’Alain Guiraudie ont l’élégance, depuis ses débuts, d’être des échappées. Des films qui regardent de travers le monde, les gens, les sentiments. Miséricorde ne déroge pas à la règle mais il prend le cinéma de Guiraudie lui-même de travers. Là où d’ordinaire, le cinéaste filme la campagne verdoyante, le soleil qui écrase les corps, les couleurs qui éclatent, ce nouvel opus est un film d’automne, un vrai. Magnifiée par le travail de l'excellente chef opératrice Claire Mathon, cette nature sur le point de mourir devient le décor à la fois oppressant et doux d’un film comme un conte. En quelques plans, avec un vrai sens du détail, Alain Guiraudie nous donne à voir un monde qui a vieilli, un endroit qui a été mais n’est plus. Il filme aussi une menace invisible, le sentiment que quelque chose se dérègle et va mal finir. Quelque chose de la mort et du désir circule entre tous les personnages et fait monter la tension. Surtout, Alain Guiraudie nous déroute car il ne nous donne pas exactement ce que l’on attend de son cinéma. Il joue avec nous, à la manière d’un Hitchcock, créant un suspense qui tient autant du récit que de ce que nous imaginons des routes qu’il pourrait prendre, et s'ingénie à cultiver l'ambiguïté tant sur le fond que sur la forme. Il nous convie à une sorte de conte forestier irrigué par le désir, la jalousie et les secrets. Un écosystème où le bizarre fait naître le rire et la gravité, parfois en même temps. Un film qui déploie sa richesse entre deux chasses aux champignons, et interroge quelques règles morales établies, notamment sur la question de la culpabilité, du remords, du pardon mais aussi sur jusqu'où peut aller l'amour du prochain. Cinéaste inclassable, Alain Guiraudie (L'inconnu du lac, Rester vertical, Viens je t'emmène) plébiscite les fictions libertaires où il met en scène des protagonistes aux prises avec le tumulte de leurs désirs et de leurs pulsions inavouables. Contrairement à L’Inconnu du lac, qui jouait d’une sexualité explicite, Miséricorde reste au seuil d’une libido qui semble surtout appartenir au passé, endormie sous les habitudes rurales et les structures familiales, mais susceptible quand même de remonter à la surface. Alain Guiraudie opère ici une greffe inouïe entre la tragédie et le burlesque, dans une mise en scène impeccable qui alterne entre la majesté imperturbable des plans larges et la troublante proximité des visages, le tout remarquablement interprété par l’ensemble des comédiens.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Une chronique sociale déchirante

Publié le par Michel Monsay

Une chronique sociale déchirante

C’est un film que l’on suit le souffle coupé, une heure et trente-trois minutes durant. L’Histoire de Souleymane est un thriller urbain haletant aux allures de documentaire, qui résonne très longtemps encore après son générique de fin. Tout, dans l’écriture, la facture visuelle et sonore, comme dans l’interprétation de ce film, est conçu pour mettre notre sens empathique en action et nous faire éprouver, émotionnellement, physiquement, psychologiquement ce qu’endurent les personnes en situation irrégulière et en lutte pour leur survie. Après deux documentaires tournés au Vietnam, Ceux qui restent et Les Âmes errantes, et deux très bons longs-métrages de fiction réalisés sur le sol africain, Hope et Camille, Boris Lojkine, normalien et agrégé de philosophie, creuse son sillon : son cinéma, travaillé par la guerre et les situations extrêmes, est poignant, remuant, mobilisant. Pour écrire le scénario de L’Histoire de Souleymane, qu’il cosigne avec Delphine Agut, il a effectué une copieuse enquête de terrain et rencontré de nombreux livreurs parisiens sans papiers. Il s’est aussi inspiré de la propre vie de son interprète, Abou Sangare, primé au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et dont la situation aujourd’hui n’est toujours pas régularisée. Abou Sangare habite l’écran avec une intensité rare. Sa présence, ses regards, sa photogénie, sa justesse de jeu, ses silences habités sont bouleversants. Derrière la caméra, l’équipe technique image et son, qui a tourné une bonne partie du film à vélo, réussit également un tour de force : faire converger le cinéma et le réel et porter cette émulsion à son point de juste équilibre. Avant de quitter Souleymane, nous assisterons à son dialogue avec une employée de l’administration incarnée par Nina Meurisse, grande actrice que Boris Lojkine avait déjà dirigée dans Camille. On ne dira rien de cette séquence si ce n’est qu’elle est inoubliable. L’Histoire de Souleymane dessille le regard et aide à combattre l’indifférence. Un film important, essentiel en ces temps d'extrême droitisation.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

Émouvant nocturne indien féminin et subtilement féministe

Publié le par Michel Monsay

Émouvant nocturne indien féminin et subtilement féministe

Comme pour tisser un lien avec la forme documentaire de son précédent film, l'indienne Payal Kapadia ouvre All We Imagine as Light, son premier long-métrage de fiction, sur des voix anonymes témoignant de leur expérience de vie citadine. À Mumbai anciennement Bombay, le rythme est intense, chaotique, et le temps semble ne jamais s’arrêter dans une perpétuelle fuite en avant. La cinéaste accompagne ses paroles d’un travelling laissant entrevoir des habitants qui s’activent autour de plusieurs étalages de marché, sans que notre regard puisse réellement se poser sur ces visages inconnus. Si le film s’embarque ensuite dans une véritable fiction, le récit n’en demeure pas moins en prise constante avec le réel. Mumbai nous est présentée comme un endroit où le désir et l’amour affleurent, mais sont sans cesse empêchés. Cette société aux règles intransigeantes n’est jamais personnifiée. Aucune figure d’autorité qui viendrait nous rappeler l’ordre et la morale n’a sa place à l’écran. Cela étant, la cinéaste n’a pas besoin de les faire intervenir et les femmes entre elles se chargent de veiller à ce que quiconque ne sorte du droit chemin. All We Imagine as Light impose sa force politique en évitant tout bruit et fracas. Au contraire, c'est avec une lente détermination qu'il affirme sa foi en une société où les sentiments sont les seules boussoles. Si le film a l’ampleur d’un grand roman réaliste, à sa manière de s’attacher à des destins avalés par la ville et ses forces sociales, il n’avance que par succession de touches subtiles et impressionnistes, faisant monter l’émotion par gradation ascensionnelle. Le bonheur est-il ne serait-ce qu’envisageable, pour les trois femmes au centre de All We Imagine as Light, aux existences contraintes par les forces économiques, le qu’en-dira-t-on, la tradition. Ne faire qu’entrevoir cette liberté, la désirer, ébaucher sa mise en place, est déjà d’une audace folle face aux injonctions sociales, religieuses et familiales. Payal Kapadia ne fait pas qu’extraire ces trois anonymes de la foule très dense de Mumbai. Elle les dote d’une sensorialité poussée dans ses retranchements, qui donne à sa chronique pleine d’espoir cette saveur si particulière et charmante, notamment grâce à la plus jeune des trois femmes. Grand Prix du Festival de Cannes, All We Imagine as Light est également d'une vraie beauté visuelle, dessinant en sous-texte et à bas bruit ce qu’une Inde plus tolérante, moins misogyne, moins dure, pourrait être, loin de celle qu'impose l’actuel Président Modi.

Publié dans Films

Partager cet article
Repost0

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>