El reino
Cinéaste espagnol de 37 ans, Rodrigo Sorogoyen, nous avait déjà épaté avec son précédent film, "Que Dios nos perdone", mais avec celui-ci il frappe encore plus fort et remporte 7 Goya, l'équivalent espagnol des Césars. Que ce soit caméra à l'épaule en suivant au plus près le personnage principal, sur des gros plans, des travellings ou en jouant avec des flous, le talent du réalisateur impressionne par sa maîtrise et nous happe littéralement pour nous plonger au cœur de ce thriller suffocant. La musique électro très rythmée renforce la tension présente du premier au dernier plan. Autre grande force de ce film, un scénario très efficace qui dénonce la corruption politique vue de l'intérieur, en suivant un petit baron aveuglé par un sentiment d'impunité et un orgueil viscéral, et montre au passage la férocité et la misère morale de ce monde vidé de son sens originel. Le réalisateur nous confronte à une situation ambivalente, en nous faisant presque éprouver de la sympathie pour ce personnage tout en n'épargnant aucun détail de ses agissements véreux. Il faut dire que le comédien qui l'incarne, Antonio de la Torre, est stupéfiant de précision et de sobriété derrière une détermination à toute épreuve. A 51 ans, il règne aujourd'hui sur le cinéma espagnol et chaque nouveau rôle ne fait que confirmer son statut. Les autres acteurs qui l'entourent ici participent à la justesse de cette descente aux enfers montée dans un crescendo qui nous laisse sans voix après la dernière image. Par ce film éblouissant, le cinéaste interroge le fonctionnement de nos sociétés qui permet, voire favorise ce genre de comportements, et signe un grand moment de cinéma tant pour ses qualités techniques qu'émotionnelles, qui font de Rodrigo Sorogoyen plus que jamais un cinéaste à suivre de très près.