« Nous allons créer un observatoire national des violences faites aux femmes »
Après avoir été porte-parole de Ségolène Royal, en 2007 et pour les primaires socialistes de 2011, Najat Vallaud-Belkacem le devient pour François Hollande durant la campagne présidentielle, et aujourd’hui pour le Gouvernement, dont elle est la benjamine à près de 35 ans. Tout comme l’appétence qu’elle a montrée pour la fonction de porte-parole, on la sent totalement déterminée à faire évoluer les droits des femmes, dont le Président lui a confié le Ministère.
Pourquoi François Hollande a recréé ce Ministère ?
Najat Vallaud-Belkacem - Depuis 1986, il n’y avait plus de Ministère des droits des femmes de plein exercice, alors qu’il est indispensable pour prendre à bras le corps un certain nombre de sujets qui sinon ne sont pas traités. Mon objectif est de conscientiser la société sur le fait que contrairement à une idée reçue, les inégalités entre les femmes et les hommes existent et se sont même creusées. D’un point de vue professionnel, avec des écarts de rémunération en moyenne de 27%, un développement du temps partiel subit et de secteurs d’activités où les femmes sont très présentes, avec des conditions de travail et de rémunération particulièrement difficiles. Nous avons aussi perdu du terrain sur le droit des femmes à disposer de leur corps, avec la fermeture de 150 centres d’accueil IVG ces 10 dernières années. Sur la question des violences faites aux femmes, les moyens ne sont pas là pour mettre en œuvre la très bonne loi adoptée en 2010 sur une initiative partagée entre la gauche et la droite, en particulier pour accompagner les femmes qui cherchent à se sortir des violences conjugales.
Comment allez-vous travailler ?
N.V.-B. - Le retour de ce Ministère permet de remettre la focale sur ces sujets, avec un travail dans la transversalité avec l’ensemble des ministères, qui permet d’avoir des moyens et d’impliquer les acteurs dans la proximité. Comme par exemple former les magistrats et les policiers à la spécificité des violences conjugales. Pour être efficace sur tous ces sujets, je ressuscite le comité interministériel aux droits des femmes qui n’avait plus fonctionné depuis 12 ans, et qui se réunira en octobre sous la présidence du Premier Ministre, pour voir comment nous pouvons dans tous les domaines faire avancer les droits des femmes.
Nous avons la chance d’avoir un Président et un Premier Ministre qui sont convaincus du sujet, et ne se bercent pas d’illusions sur la soi-disant égalité entre les hommes et les femmes. Cette illusion est très présente dans la société et elle est l’un des freins contre lesquels il faut se battre le plus souvent.
Quelles sont les principales mesures que vous souhaitez mettre en œuvre rapidement ?
N.V.-B. - La conférence sociale des 9 et 10 juillet a mis l’accent sur la nécessité d’être plus efficace dans les dispositifs de sanctions, à l’égard des grandes entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle. Nous souhaitons également accompagner les PME dans la mise en œuvre de cette égalité. Comme elles n’ont pas les moyens dont disposent les grandes entreprises pour expérimenter des pratiques innovantes, nous les aideront à s’approprier ces pratiques. Nous allons créer à l’automne un observatoire national des violences, chargé d’étudier et connaître les faits. L’inexistence d’études perpétue le silence et donc le tabou autour de ce phénomène, et n’incite pas les femmes à parler. L’observatoire aura aussi pour mission de prévenir, d’accompagner, de proposer des politiques publiques, de généraliser des expérimentations qui marchent. Tout cela en lien avec les collectivités locales, c’est un sujet que l’on traite beaucoup dans la proximité. Nous travaillons avec la Ministre des affaires sociales et de la santé, pour mettre en place un accès équilibré sur l’ensemble du territoire à un service IVG, et sur la question de la contraception des mineures.
Les sujets du harcèlement sexuel et de la prostitution vous tiennent aussi particulièrement à cœur ?
N.V.-B. - Sur le harcèlement sexuel, il y avait un vide juridique et nous venons de faire adopter au Parlement un projet de loi. Ce nouveau texte est beaucoup plus protecteur, il définit de manière plus précise et plus large les faits de harcèlement, qui sont beaucoup plus nombreux que l’on pourrait le croire, certaines études parlent de 300 000 par an. Désormais, le harcèlement sexuel sera puni de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.
Aujourd’hui, 80% des personnes en situation de prostitution sont victimes de la traite, des réseaux et sont étrangères. Notre rôle est de trouver comment protéger ces personnes, comment prévenir leur entrée en prostitution, comment les aider à en sortir et trouver un emploi. Nous devons poursuivre le travail de réflexion sur tous les angles de ce sujet, pour réduire le nombre de portes d’entrée dans la prostitution. Il faut améliorer la prévention en termes d’information, d’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, et d’éducation au respect entre les garçons et les filles.
Quelle est la situation des femmes dans le monde agricole ?
N.V.-B. - On a le sentiment d’une mutation ces dernières années, jusqu’alors les femmes d’agriculteur élevaient les enfants, géraient les tâches domestiques, aujourd’hui elles sont davantage l’alter ego des hommes dans la conduite de l’exploitation, voire la pilotent elle-même. Durant la conférence sociale, nous avons évoqué la problématique des retraites extrêmement faibles dans le secteur agricole, en particulier pour les épouses d’agriculteur dont beaucoup sont en situation de grande pauvreté. Nous voulons travailler sur la formation professionnelle et en particulier l’enseignement agricole afin d’améliorer certains sujets, notamment pour les jeunes filles. J’ai un déplacement en ce sens au mois de septembre en Aquitaine et en Limousin. Même si le monde agricole a des codes particuliers, on y retrouve pour les femmes, les difficultés que l’on connaît dans le reste de la société.
Comment jugez-vous votre rôle de Porte-parole du Gouvernement et les premiers mois du nouvel exécutif ?
N.V.-B. - C’est un exercice d’exactitude où lorsqu’on n’a pas l’information précise, on préfère ne pas répondre sans que ce soit de la langue de bois. Cela demande un énorme travail en amont pour se tenir informé de tous les dossiers de l’ensemble des ministères. Contrairement à la fonction de porte-parole de campagne, il n’y a pas de place au lyrisme, à l’interprétation personnelle, au sens de la formule, on se doit d’être très précis.
Le collectif budgétaire que l’on est en train d’adopter découle de l’ardoise que nous a laissée le précédent gouvernement, avec la nécessité de remettre de la justice dans les contributions des français à l’effort collectif, et en même temps faire face à toutes les dépenses non budgétées par nos prédécesseurs. Les engagements annoncés par François Hollande pour les trois premiers mois ont été respectés. Confronté à une situation difficile, notamment avec les plans sociaux, le gouvernement démontre à la fois une capacité à répondre à l’urgence avec des mesures comme le plan automobile, et à s’inscrire dans la durée avec la conférence sociale et des concertations sur différents sujets importants. Nous ne sommes pas là pour gérer à la petite semaine mais pour réformer structurellement le pays.
On parle de rentrée sociale difficile, d’efforts à venir, quels sont les projets du Gouvernement sur ces sujets ?
N.V.-B. - Nous voulons mettre fin à une anomalie du précédent mandat qui consistait à faire payer moins ceux qui avaient le plus, avec le bouclier fiscal et la réforme du barème de l’ISF. Il faut remettre de la justice dans le système fiscal, lutter contre la fraude et l’exil fiscal pour récupérer un certain nombre de recettes. Egalement, réfléchir en termes de dépenses pertinentes sur des secteurs stratégiques comme l’industrie, en soutenant l’innovation, la recherche, la technologie, et en luttant contre les délocalisations pour donner des bases plus saines à notre économie, relancer la croissance et l’emploi. Il faut toujours lier cette réflexion à ce que fait François Hollande au niveau européen.
L’abrogation de la TVA sociale a indiqué la voie que souhaite prendre le Président pour épargner les classes moyennes et populaires, en leur redonnant du pouvoir d’achat. Par ailleurs, une réflexion a été lancée pour savoir comment garantir la pérennité de notre système social. Concernant les entreprises en difficulté, la tonalité du débat a changé puisque nous essayons de remettre autour de la table systématiquement tous les acteurs concernés, pour envisager toutes les solutions possibles. Parfois, il faudra imposer la reprise par un repreneur viable, c’était une proposition de loi de François Hollande alors qu’il était dans l’opposition, nous allons l’adopter.