Une relation intime avec la nature
Son nom est associé à l’impressionnant succès public et critique dans le monde entier de « La marche de l’empereur », également lauréat en 2006 de l’Oscar du meilleur film documentaire. Si l’antarctique est au centre de l’œuvre de Luc Jacquet, sa caméra engagée mais pas culpabilisatrice nous a aussi émerveillés avec les forêts tropicales et les paysages du Jura qui lui sont si chers.
Dans le sillage de son expédition Antarctica en Terre-Adélie qui a duré 45 jours en novembre et décembre 2015, notamment au moment de la COP 21, et a demandé deux ans de préparation, Luc Jacquet et son équipe montent une exposition immersive, visible d’avril à décembre 2016 au musée des confluences de Lyon. En mariant science et fibre artistique, ils nous donnent à voir des images rares de l’antarctique sur la banquise et sous l’eau, grâce à deux grands photographes, Vincent Munier et Laurent Ballesta, ainsi que le cinéaste qui a filmé à nouveau le fameux manchot empereur 12 ans après : « L’une de nos plus fortes motivations est de partager la chance que l’on a de vivre ces moments uniques. Grâce à des photos, des films, une installation sonore et visuelle incroyable, le visiteur aura un peu la sensation d’y être. Au-delà de la dimension émotionnelle, il s’agit de porter un message plus politique pour la conservation de ces écosystèmes extrêmement fragiles, qui sont aujourd’hui bouleversés par le dérèglement climatique. Un exemple pour bien comprendre : la pluie n’étant jamais tombée en Terre-Adélie, les animaux n’y sont pas adaptés. Lorsqu’il pleut, les poussins manchots, dont le duvet n’est pas étanche, meurent de froid ou sont ensevelis par la boue. »
Le pouvoir du cinéma
Persuadé que l’émotion est un des éléments qui peut faire avancer la prise de conscience, Luc Jacquet la privilégie dans ses films en étant positif et accessible au plus grand nombre. Sa sélection en clôture du Festival de Cannes 2015 avec « La glace et le ciel » alors que tant de films rêvent d’y être, le réalisateur l’a vécu comme un hommage du cinéma pour la science. Le plus beau cadeau que lui a apporté cette aventure a été de voir l’émotion de Claude Lorius, qui est le personnage central du film, sur le tapis rouge et lors de la standing-ovation à la fin de la projection : « Cet homme de 84 ans, injustement méconnu alors que ses découvertes sont cruciales, a été pris pour un fou il y a 30 ans lorsqu’il a révélé des données montrant un réchauffement climatique. » Le film est en train de faire le tour du monde, malgré un sujet difficile, une démarche militante et un traitement exigeant. Cette addiction de l’antarctique a commencé à l’âge de 24 ans pour les deux hommes, chacun à son époque, en découvrant cette nature vierge, l’immensité des paysages et la qualité des rapports humains dans des conditions extrêmes.
Dans son précédent film, « Il était une forêt », Luc Jacquet s’est également appuyé sur un spécialiste, le botaniste Francis Hallé, pour s’immerger au cœur des forêts primaires tropicales. A l’inverse de ses trois autres long-métrages, il connaissait moins bien cet environnement et a découvert grâce à son précieux guide l’univers mystérieux du génie végétal, de l’incroyable stratégie des plantes jusqu’à l’immensité des arbres et la canopée.
Chaque détail compte
A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, ses films sont entièrement écrits à l’avance, même si parfois il y a des petits ajustements en fonction des animaux trouvés pour illustrer un thème : « Vous ne pouvez pas vous permettre d’arriver avec une équipe de 80 personnes au milieu d’une forêt au Pérou et vous demander ce que l’on va tourner ce matin. Chaque minute doit être opérationnelle. Le fait de partir d’un principe qui est exprimé par l’écriture à la matérialisation de ce principe, est un cheminement qui permet d’avoir plus de puissance au moment du tournage et dans la qualité de l’image. » Ayant été caméraman au début de sa carrière, il lui arrive encore de filmer lui-même et selon les possibilités logistiques, le nombre de techniciens qui l’entourent est très variable, il peut atteindre 80 personnes lorsque cela est nécessaire ou se réduire au seul chef opérateur.
Concernant la portée de ses films, il ne se sent pas assez exemplaire, et d’ailleurs personne ne l’est à son sens, pour faire la leçon aux autres. Ce cinéaste humaniste et philanthrope préfère le ton du conte plutôt qu’un récit anxiogène et culpabilisateur. Il considère la musique comme narrative et vecteur d’émotion et se refuse d’assommer le spectateur d’une voix off trop présente. Ses images accompagnées d’une musique bien choisie lui permettent par le pouvoir du cinéma de faire comprendre quelque chose que le public n’aurait pas perçu auparavant, sans pour autant être naturaliste ni explicatif. Il propose sa vision en toute subjectivité, à l’image de tous les artistes. Dans « La marche de l’empereur » par exemple, il prête aux manchots la voix de comédiens pour ne pas être dans un point de vue extérieur, et arriver à faire ressentir les enjeux sans un discours rébarbatif.
Un coup de maître pour commencer
Après l’énorme succès de « La marche de l’empereur », Luc Jacquet avec « Le renard et l’enfant » a voulu montrer que l’aventure commence derrière chez soi. Extrêmement attaché à ses montagnes du Jura dans l’Ain, département d’où est originaire sa famille et où il vit encore aujourd’hui, le cinéaste a voulu partager cette passion : « Il n’y a pas besoin d’aller au bout du monde pour être bouleversé. Des gens de ma région m’ont demandé : « Vous avez tourné ça où ? C’est trop beau, ce n’est pas chez nous. » Cette réaction est symptomatique du regard que l’on porte sur les choses. »
Conscient de la chance qu’il faut pour connaître l’unanimité autour d’un film comme celle obtenue avec « La marche de l’empereur », il sait que cela n’arrive pas deux fois dans une carrière, surtout lorsque l’on s’attaque à des sujets qui ne sont pas forcément très commerciaux. Ce succès, il le juge totalement imprévisible et inexplicable : « Lorsque vous dites à un producteur que vous souhaitez raconter l’histoire des manchots qui marchent sur la glace et que cela va durer une heure et demie, normalement s’il est sain d’esprit, il vous met dehors. » Pourtant aujourd’hui le film est connu dans le monde entier, de la Papouasie-Nouvelle Guinée jusqu’en Chine en passant évidemment par les Etats-Unis, où il a enregistré un gros score au box-office en rapportant 77 millions de dollars et, cerise sur le gâteau, a été couronné par l’Oscar du meilleur film documentaire en 2006.
Fou de nature
Ne pouvant pas faire comme si le constat d’une planète qui se dégrade n’existait pas, Luc Jacquet fonde en 2010 Wild-Touch pour développer des projets artistiques autour de la préservation de l’environnement. En plus de l’expédition Antarctica et de ses deux derniers longs-métrages, son association a élaboré deux programmes pédagogiques qui à l’image des films sont vus dans de très nombreux pays, seul bémol l’aspect financier : « La dimension philanthropique de Wild-Touch, pour arriver à produire des médias audiovisuels afin de les proposer en accès libre à tous ceux qui en ont besoin pour éduquer ou faire comprendre, est aujourd’hui très compliquée, et nous dépensons une énergie considérable pour trouver des partenaires. »
Cet amour de la nature est né dès son enfance dans l’Ain, notamment lorsqu’il rentrait les vaches de ses grands-parents ou travaillait dans l’exploitation de son oncle, un des précurseurs du semis direct sans labour, en rêvant d’être paysan. Finalement, il s’oriente vers une formation d’écologue à Lyon puis à Grenoble. Ses études scientifiques vont se révéler très importantes tout au long de sa carrière de cinéaste en lui permettant de prendre un peu de hauteur, de mettre en perspective et comprendre ce qu’il découvre sur le terrain. A 24 ans, il a l’opportunité de partir en mission ornithologique pour le CNRS dans l’Antarctique, où un réalisateur lui confie une caméra pour filmer déjà les manchots empereurs. Il se rend compte alors que la science ne lui suffit pas : « J’ai ressenti le besoin de partager l’élégance d’un comportement, la puissance d’un moment, la qualité d’une lumière. »
Beaucoup de souvenirs et encore plus de projets
Après avoir été assistant et cadreur, il réalise une dizaine de documentaires, souvent en Antarctique, avant de franchir le pas du premier long-métrage cinématographique avec « La marche de l’empereur » et cette incroyable consécration internationale. Parmi les tournages les plus éprouvants, Luc Jacquet se rappelle de « Il était une forêt » lorsqu’ils étaient dévorés par les petites mouches sandflies sous une chaleur de 40°. A l’inverse, durant le même film il se revoit monter, alors que le soir tombe, sur un arbre de 70 m de hauteur et découvrir une vue sublime avec l’immensité de la forêt, les Andes sur la gauche et des perroquets qui passent au premier plan. Des moments magiques, bien évidemment il en a vécu aussi un certain nombre au pôle Sud, où il se sent un peu chez lui. L’un des plus beaux compliments qu’on lui ait fait vient de Jacques Perrin, réalisateur et producteur de films, après la projection de « Il était une forêt » lui disant « L’impossible est donc possible ». Intuitif et déterminé, à 48 ans cet insatiable, toujours en quête d’une forme de perfection et de nouvelles découvertes à travers le monde, n’est pas prêt de poser sa caméra et redoute de ne pas avoir assez d’une vie pour étancher sa curiosité.
« La flexibilité dans le marché du travail est absolument indispensable »
Il est un des économistes les plus en vue, à la fois dans les médias, lors de conférences en France et à l’étranger, avec sa société de conseil, ses livres et son cercle de réflexion économique européen. Nicolas Bouzou, progressiste libéral modéré, apporte sur notre société une analyse pertinente qui fusionne économie et philosophie.
Quel est votre sentiment sur le projet de loi El Khomry et le débat qu’il suscite ?
Nicolas Bouzou - Le projet réécrit est décevant par rapport au projet original, mais il conserve des aspects positifs comme la possibilité plus importante de signer des accords en entreprise. C’est une très bonne réforme sur le fond, même si on peut lui trouver des défauts, notamment le déséquilibre en faveur de la flexibilité au détriment des aspects de formation professionnelle. En même temps cette flexibilité est absolument indispensable. Toutes les études montrent que la rigidité du marché du travail en France est un énorme problème, elle est un des facteurs responsables du chômage élevé. Je suis sidéré que les français ne soutiennent pas cette loi El Khomry. Cela traduit une vraie schizophrénie où d’un côté ils réclament une baisse du chômage, et de l’autre ne soutiennent pas les réformes qui pourraient permettre une diminution du nombre de chômeurs. Nous payons la très mauvaise qualité de la campagne électorale de 2012, où le droit du travail, qui est un sujet majeur, aurait dû être exposé et tranché à ce moment-là. Aujourd’hui le gouvernement n’a aucun soutien fort, que ce soit parlementaire, syndical ou de l’opinion publique, et il n’a pas la légitimité de faire cette réforme puisqu’elle n’était pas dans le programme de François Hollande. Heureusement la CFDT semble soutenir la version réécrite.
Pourquoi cette loi est si importante et comment expliquez-vous le manque de pédagogie de l’exécutif ?
N.B. - Nous avons un déferlement de nouvelles technologies avec des changements extrêmement lourds dans nos sociétés auxquels nous n’échapperons pas, ceux qui s’opposent à cette loi et refusent un peu de flexibilité sur le marché du travail n’ont rien compris à la situation. Ce refus est un combat d’arrière-garde qui traduit un échec collectif, où les médias, intellectuels, économistes et politiques n’ont pas su faire comprendre en amont le bien-fondé de cette loi. Si la France veut bénéficier de cette mutation économique et cette mutation du travail, impliquée notamment par l’intelligence artificielle, elle doit être beaucoup plus flexible.
L’erreur de François Hollande a été de vouloir faire une réforme aussi importante en fin de mandat. Le manque de pédagogie qu’on lui reproche depuis quatre ans existait déjà avant lui. La classe politique n’a aucune réflexion autour de la notion de projet. La moindre des choses lorsque vous souhaitez emmener les gens avec vous est de leur proposer un projet, au sein duquel l’économie n’est qu’un moyen. La baisse du chômage n’est pas une fin en soi mais un instrument, la fin est : quel type de société voulons-nous ? Pour ma part, je veux une société moderne dans laquelle les entreprises françaises et les citoyens réussissent à s’accaparer les nouvelles technologies, pour construire ce pays que l’on aime avec ses valeurs d’égalité et de morale. N’oublions pas cependant que la France est depuis très longtemps fâchée avec l’économie, De Gaulle pour ne citer que lui disait « L’intendance suivra ». Contrairement aux anglo-saxons où l’entreprenariat et l’économie sont la moelle épinière de ces pays, nous n’avons pas cette compréhension de l’économie, notre nation s’est construite contre les corporatismes et l’économie.
Faut-il être inquiet à l’approche des élections américaines et quelles sont les raisons de la montée des nationalismes américains et européens ?
N.B. - Les Etats-Unis étant toujours la première économie mondiale, la stratégie économique protectionniste et isolationniste de Donald Trump pourrait avoir des retentissements sur nos entreprises, de la même manière que les sanctions russes. Autre sujet d’inquiétude, comme l’expliquait Tocqueville en son temps, on peut considérer que la politique américaine est un indicateur avancé de la politique dans d’autres pays. Ce mouvement de fermeture intellectuelle des Etats-Unis se produit aussi en Pologne, en Hongrie voire en France, où les nationalismes se nourrissent de l’absence de discours alternatif ainsi que de la peur de l’innovation et de la mondialisation. Trump remplit le vide laissé par le parti républicain, et je crains qu’en France nous ayons le même problème avec l’absence de projet de la droite modérée qui laisse un espace colossal au FN. Le Pen tout comme Trump apportent une réponse, qui à mon sens est la mauvaise, aux perdants de la destruction créatrice et de la mondialisation où il est question de revenir au monde d’avant. Le FN veut revenir à avant la mondialisation, avant l’Europe, avant l’immigration, avec cette idée fantasmée d’un retour au passé. Cette montée du nationalisme existe même en Suisse où il n’y a pas de chômage, mais en revanche pas dans les pays où les gouvernements et les intellectuels tiennent un discours de progrès pour expliquer cette mutation et la manière d’y entrer, comme David Cameron au Royaume Uni, Justin Trudeau au Canada ou Matteo Renzi en Italie.
Doit-on diminuer les missions de l’Etat et par conséquent le nombre de fonctionnaires ?
N.B. - Il y a trop de charges et trop d’impôts dans notre pays. Au-delà de la question politique il s’agit d’efficacité économique, nous payons toujours le choc fiscal de 2012 avec des traces sur la croissance et sur l’emploi. Il faut donc un contre-choc avec une forte réduction des dépenses publiques. La stratégie consistant à faire des coupes dans les budgets a déjà été essayée, et il suffit d’entrer dans un commissariat, un palais de justice ou une école pour voir que l’on ne peut pas aller plus loin. Nous devons avoir un débat national sur les missions d’un état moderne, sur ce qu’il doit continuer à faire et ce qu’il doit transférer au secteur privé. Pour cela il faut revoir le statut de la fonction publique dans les fonctions non régaliennes pour faire passer des effectifs du public vers le privé. Je reviens à la notion de projet, il faut arriver à faire comprendre que ce sera aussi à l’avantage des fonctionnaires, souvent sous-payés, qui en passant dans le privé pourraient bénéficier véritablement d’un ascenseur social avec des perspectives de carrière. Parallèlement, il faut absolument augmenter les fonctionnaires mais pour y arriver ils doivent être moins nombreux, ce qui nécessite d’arrêter certaines missions. Ce n’est pas à l’Etat par exemple de faire la cuisine dans les lycées. Pour mettre en place ce type de réforme, la seule solution est qu’un candidat la présente au moment de la campagne présidentielle, et après les français votent pour ou contre.
Le débat public avec des arguments sérieux est-il encore possible dans notre pays ?
N.B. - Le problème du débat public en France est que la passion l’a emporté sur la raison, qui paraît plus austère et moins facile à faire passer. Il y a une fatigue démocratique, une espèce de lassitude qui permet aux passions, aux extrémistes, aux vendeurs de peurs, d’avoir un poids plus important que nous, les rationalistes. Les corps intermédiaires doivent proposer des projets détaillés pour recréer des lieux de débat en invitant des politiques, des professionnels et des représentants de consommateurs, d’où ressortiraient des propositions, comme dans les pays scandinaves. Cela permettrait que le débat ne soit pas personnalisé et passionnel, comme il l’est actuellement entre le Président de la République et l’opinion publique, avec l’élection présidentielle en point d’orgue et la déception qui s’en suit. Les collectivités locales doivent avoir beaucoup plus de compétences. Avec ces grandes régions, l’Etat doit opérer une vraie décentralisation, par exemple pour la formation professionnelle il doit déléguer complètement et non en partie. Par ailleurs, il faut obliger les salariés à voter dans les entreprises lors des élections professionnelles pour avoir une meilleure représentation syndicale. Aujourd’hui, il y a seulement 6% de votants, souvent les plus extrémistes.
Quelques repères
Après un master de finance à Sciences-Po, Nicolas Bouzou a été analyste en chef de l’institut de prévisions Xerfi durant 6 ans. Il fonde en 2006, Asterès, sa société de conseil qui travaille auprès des entreprises, fédérations professionnelles et gouvernements. Parallèlement, il enseigne à l’école de droit et de management de l’université Paris-Assas. Il a été éditorialiste économique sur Canal + et I>Télé. Aujourd’hui à 40 ans, il écrit pour le Figaro, les Echos et le Point et on le sollicite régulièrement pour avoir son analyse à la radio et la télé. Il est aussi investi dans deux cercles de réflexion économique, l’un français (Turgot) et l’autre européen (Bélem).
A lire : Le grand refoulement – Nicolas Bouzou – Editions Plon.
Un suspense sentimental d’une rare délicatesse
A contretemps de notre époque où tout va très vite, Patrick Lapeyre, à la fois dans son approche du métier de romancier et dans le contenu de ses écrits, aime prendre son temps et cultive merveilleusement la patience et l’attente. Pour son huitième roman, cet écrivain de 66 ans nous offre une histoire toute en délicatesse, elle aussi en décalage avec le pragmatisme et le culte de la réussite qui caractérisent notre société. Ses protagonistes sont des antihéros qui hésitent, manquent de confiance en eux, préfèrent la conversation ou le silence au passage à l’acte, et aiment se promener dans la nature. La construction utilisée par Patrick Lapeyre, que beaucoup de romanciers aujourd’hui ont adoptés qui consiste à alterner les récits, a un réel intérêt ici puisqu’elle nous permet de mieux comprendre Homer, le personnage principal. Fait de courts chapitres d’une très belle écriture, le roman nous fait revivre en alternance des épisodes de l’enfance d’Homer ainsi que la vie de ses parents, et sa rencontre avec une femme que leurs conjoints respectifs ont quitté pour vivre ensemble. Le livre démarre justement lorsque ce grand dégingandé d’origine suisse alémanique vivant à Paris, la quarantaine, plutôt maladroit et timide, arrive dans la maison en Seine et Marne de cette femme pour faire sa connaissance. D’emblée, ils parlent de leurs anciens compagnons pour savoir s’ils ont des nouvelles depuis un an et demi qu’ils sont partis ensemble, puis évoquent les dégâts causés par leur histoire respective et leur capacité à tourner la page. Au fil de l’intrigue, une étrange relation se noue entre eux, qui va évoluer progressivement, lentement, à la manière d’adolescents qui n’osent pas, qui se frôlent. A l’opposé de cette touchante naissance du désir, on assiste ponctuellement au délitement de deux couples, celui de leurs ex et celui des parents d’Homer. Par son indolence, ses manières d’un autre temps, ses personnages atypiques, son écriture sensible, son humour discret, ce roman fait un bien fou par les temps qui courent.
La splendeur dans l’herbe – Un roman de Patrick Lapeyre – P.O.L. – 378 pages – 19,80 €.
Un mariage envoûtant de rock et de psychédélisme
Cela faisait cinq ans et demi que cet excellent groupe anglais originaire de Liverpool, qui a vendu plus d’un million d’albums au Royaume Uni, ne s’était pas retrouvé dans un studio pour enregistrer un nouveau disque. C’était en 2010 pour « Butterfly house » et leur musique pop au parfum rétro nous avait déjà enchantés. Pour leur huitième album, le quintette a eu la bonne idée de faire évoluer sa musique en y apportant une touche plus rock tout en gardant la qualité mélodique qui les caractérise. Ce son plus brut, que l’on remarque dès les premières notes, leur va merveilleusement bien, il leur donne davantage de profondeur et de spontanéité, notamment grâce à l’enregistrement qui s’est quasiment fait en une seule prise. La section rythmique plus présente a accéléré un peu la mesure et l’album varie intelligemment les tempos tout au long des douze morceaux. Si les guitares se font puissantes, rocks, The Coral n’oublie pas pour autant le psychédélisme qu’il manie parfaitement avec des synthés au lyrisme envoûtant. Leur musique rappelle un courant de la fin des années 1960 et du début des années 1970, dont ils ont su admirablement se servir pour créer un son qui leur est propre et que l’on reconnait tout de suite. La voix d’une grande beauté du leader nous enveloppe quel que soit le style de la chanson et s’accorde remarquablement à cette pop-rock intemporelle. L’autre atout vocal du groupe réside dans les chœurs, composés des musiciens eux-mêmes, qui interviennent régulièrement en apportant une épaisseur ou une troublante mélancolie. Il paraît évident que la pause prise par The Coral a été des plus bénéfiques. Leur art de la composition n’a rien perdu de ses lignes harmonieuses, il s’est même enrichi d’une couleur plus sombre qui infuse tout au long de cet album exaltant.
The Coral – Distance inbetween – PIAS – 1 CD : 14,99 €.
Une mère courage très touchante
Récemment couronné par trois Césars, dont celui du meilleur film, et par le Prix Louis Delluc, Fatima n’en finit pas de toucher profondément ceux qui font sa connaissance. Ce bonheur cinématographique est l’œuvre de Philippe Faucon, cinéaste de 58 ans dont le travail est enfin en pleine lumière. Né au Maroc d’un père militaire français et d’une mère algérienne, plusieurs des personnages de ses films sont d’origine maghrébine et confrontés aux difficultés de l’intégration. Fatima appartient à cette famille d’invisibles que le réalisateur affectionne, dont le cinéma français traite assez peu et souvent de manière caricaturale, et en est assurément la plus belle figure. Sa caméra s’approche au plus près des personnages, sans musique ni effet de mise en scène superflues, rien que l’essentiel, une émotion, une colère, une humiliation. Connaissant parfaitement le sujet, il l’aborde avec une délicatesse infinie mais sans éviter les incompréhensions et frustrations de son héroïne tant au sein de la cellule familiale qu’à l’extérieur. La comédienne non-professionnelle qui joue le rôle-titre est remarquable de justesse et d’humanité, elle fait exister son personnage avec la force de toutes les Fatima. Quant à sa fille ainée, elle très finement interprétée par Zita Hanrot, qui a obtenu le César du meilleur espoir et dont le talent devrait inspirer de nombreux cinéastes. Dans l’escalier d’un immeuble, Fatima, une femme avec un foulard sur la tête attend pour visiter un appartement, avec l’aînée de ses filles qui a 18 ans et deux de ses copines. En arrivant, la propriétaire invente un prétexte pour ne pas le faire visiter probablement à cause du foulard et du fait qu’elles sont d’origine maghrébine. Dans un bus, une adolescente de 15 ans, la fille cadette de Fatima au tempérament rebelle se fait draguer par deux jeunes garçons. Le soir on retrouve cette femme, qui élève seule ses deux filles et enchaîne les heures de ménage, au cours du dîner où la cadette laisse éclater sa révolte. Sans misérabilisme ni angélisme, ce film est un sublime hommage à toutes ces femmes qui se sacrifient pour le bien de leurs enfants, et dont Fatima est le très émouvant portrait.
Fatima – Un film de Philippe Faucon avec Soria Zeroual, Zita Hanrot, Kenza Noah Aïche, … - Pyramide vidéo – 1 DVD : 19,99 €.
La famille, ça s’éparpille
Elle est une de nos cinéastes les plus douées et le Lion d’argent du meilleur réalisateur qu’elle vient de recevoir au festival de Berlin pour « L’avenir » le confirme un peu plus. A tout juste 35 ans, Mia Hansen-Love, qui a démarré sa carrière en 2007, en est déjà à son 5ème film. Elle représente superbement une certaine fibre du cinéma français, peut-être la plus belle, qui explore les sentiments intimes entre légèreté et gravité. A l’image d’un peintre mais avec l’avantage du mouvement, elle est une formidable portraitiste à la fois dans l’écriture et dans la manière de filmer ses personnages, où elle capte l’indicible, les failles, les bonheurs éphémères. Son film, en plus d’être un vibrant hommage à la transmission et au métier d’enseigner qu’exerçaient ses parents, nous renvoie par petites touches au temps qui passe et aux blessures qui l’accompagne, mais aussi à la quête du bonheur, de liberté, de sens à nos vies. Isabelle Huppert est une nouvelle fois admirable de justesse dans son jeu, ses gestes, ses regards, elle est ici plus fragile, plus innocente que dans la plupart des personnages incarnés jusqu’alors. Une femme, prof de philo d’un lycée parisien, corrige des copies à l’intérieur d’un bateau en Bretagne avant de rejoindre son mari et ses deux enfants sur le pont extérieur, pour profiter en famille du bon air marin et du paysage. On les retrouve dix ans plus tard dans leur vie parisienne professionnelle et familiale où tout semble aller pour le mieux. Il y a quelque chose d’Eric Rohmer dans le cinéma de Mia Hansen-Love en légèrement plus grave mais tout aussi enthousiasmant. Au-delà des ces nombreuses qualités, ce film empreint de délicatesse est avant tout un portrait de femme très touchant magnifié par deux artistes en totale symbiose de part et d’autre de la caméra.
L’avenir – Un film de Mia Hansen-Love avec Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinka, Edith Scob, …