Témoin privilégié de l'histoire du jazz et de la révolution be-bop, Roy Haines a joué avec tous les plus grands. Le géant de la batterie moderne, à la carrière exceptionnelle par sa qualité et sa longévité, s’est éteint le 12 novembre 2024 à l'âge de 99 ans. Des musiciens qui pouvaient se targuer d’avoir joué avec Duke Ellington, Louis Armstrong, Charlie Parker, Billie Holiday et Lester Young, il était le dernier survivant. Roy Haynes fut en outre l’un des inventeurs de la batterie moderne et un leader débordant d’énergie dont la carrière aura duré 70 ans. Né à Boston en 1925, Roy Haynes apprend la batterie en autodidacte, prenant pour modèle le père de tous les percussionnistes de son temps, « Papa » Jo Jones, alors membre de l’orchestre de Count Basie. Dès le début des années 1940, il se fait remarquer et adouber par des batteurs à peine plus âgés que lui mais déjà renommés, Max Roach et Art Blakey. En 1945, il débarque à New York et intègre le big band de Luis Russell avant d’être engagé par Lester Young. Il s’avère si bon qu’à la fin de la décennie Charlie Parker en personne lui propose d’occuper le poste laissé vacant par Max Roach. Il devient ainsi un membre régulier des groupes de « Bird », le genre de promotion qui vous fait entrer pour toujours dans la grande histoire du jazz. Un cliché célèbre, pris à New York en 1953, le montre en train de jouer avec Charlie Parker, Thelonious Monk et Charles Mingus, excusez du peu. Cette activité prestigieuse ne l’empêche pas d’accompagner aussi Bud Powell, Stan Getz et Miles Davis, puis de prendre place dans l’orchestre de Sarah Vaughan. Un tel parcours, auprès de tels monstres sacrés, comblerait les rêves de n’importe quel musicien. Roy Haynes l’a accompli en moins de dix ans, avant d’atteindre la trentaine. Et il lui reste beaucoup, beaucoup à faire. Au cours des années 1950, Roy Haynes, loin de ralentir le rythme de ses engagements, continue d’être employé par les plus grands : Sonny Rollins, John Coltrane, Thelonious Monk, Lee Konitz… Homme simple et peu porté sur l’introspection, doté d’un solide bon sens et d’une personnalité radieuse, il traverse son temps avec l’imperturbabilité d’un personnage de conte de fées. Il ne fume pas, ne consomme pas de drogues, ne boit pas avec excès, ne subit pas la misère, le désespoir ou la violence. Derrière sa bonne humeur, c’est un être discipliné qui a le souci d’arriver à l’heure aux concerts et préfère prendre soin de sa famille que nourrir sa légende d’excentricités. Tous les musiciens avec lesquels Roy Haines a joué savent pouvoir compter sur son oreille extraordinaire, son swing véloce et tendu, sa technique précise, sa spontanéité baguettes en main avec lesquelles il fait parler sa batterie. Salué à l’unanimité pour son style unique, Roy Haynes a encore quelques chapitres de l’histoire du jazz à écrire. Il va d’abord faire partie du trio tout en muscles et en élasticité de Chick Corea avec Miroslav Vitous à la contrebasse, puis rejoindre Michel Petrucciani et Pat Metheny dans de nouvelles formules à trois. Sa puissance et son jeu très mélodique en font un accompagnateur hors pair, toujours capable de stimuler les improvisateurs les plus expérimentés. À 80, puis à 90 ans, il continue de jouer, vieillard embelli par les années, toujours doté d’une sagesse et d’un humour exempts d’amertume. À l’approche de son centenaire, n’ayant guère perdu que ses cheveux, il restait d’une fraîcheur d’esprit incroyable, avouant tranquillement bénir chaque nouveau lever de soleil. Sa carrière, monumentale, et qui ne peut qu’inspirer un respect sans réserve, il la résuma un jour en trois mots désarmants : « Depuis mon adolescence jusqu’à aujourd’hui, j’ai simplement aimé jouer. » Merci Monsieur Haynes de nous avoir fait profiter de votre talent durant sept décennies et 1500 concerts.
Regardez l'impressionnant solo qu'il effectue ci-dessous lors d'un concert avec Stan Getz, puis une prestation à 80 ans où il n'a rien perdu de son swing.