Portrait d'un homme exemplaire au destin hors norme
L’immigration étant actuellement et comme toujours au centre d’un épineux et douloureux débat, il pourrait ne pas être inutile de considérer ce très beau documentaire d’Isabelle Wekstein, qui nous offre un exemple d’intégration républicaine particulièrement heureux. Ady Steg (1925-2021), curieusement peu connu du grand public, fut une figure importante du judaïsme français en même temps que de la recherche médicale. Né dans une bourgade juive perdue au fin fond de la Tchécoslovaquie, dans un milieu traditionaliste, il arrive en France avec sa famille en 1932, à l’âge de 7 ans et tombe amoureux des vertus émancipatrices de la République française. Retour de volée glaçant durant l’Occupation, port de l’étoile jaune, père déporté à Auschwitz, miracle de la survie. Ady Steg sort de la guerre avec plus que les honneurs, après avoir rejoint les Forces françaises de l’intérieur en zone libre, à l’âge de 17 ans. Et on n’a rien vu encore. La médecine l’attendait, il en conquiert bientôt les sommets. Avec le professeur Pierre Aboulker à la tête du service d’urologie de l’hôpital Cochin, il opère le général De Gaulle, puis succède au professeur en 1976, et y opère le président François Mitterrand, en 1992, d’un cancer de la prostate, puis partage avec lui le lourd secret de sa maladie jusqu’à la fin. On doit également au Professeur Steg notamment, l’organisation moderne des urgences. Soucieux, par fidélité à ses origines, de défendre un judaïsme intégré dans la cité, il devient une figure de la communauté, comme président du CRIF, puis de l’Alliance israélite universelle, sans parler, plus tard, de son rôle prépondérant au sein de la mission d’étude sur la spoliation des juifs de France. Sous le portrait d’un homme au destin exemplaire, ce que ce film évoque plus largement, c’est bel et bien la relation que ce destin suggère, des juifs de France à leur pays au cours du XXe siècle. Histoire connue, certes, mais que le montage de ce film, que l’on sent à fleur de peau, présente sous le jour d’une menace qui, jusqu’au plus haut niveau de l’État, ne se sera jamais complètement éteinte. « Peuple sûr de lui et dominateur » (Charles de Gaulle sur la guerre des Six-Jours en juin 1967). « Français innocents » (Raymond Barre au sujet des victimes non juives de l’attentat de la rue Copernic, à Paris, le 3 octobre 1980), amitié indéfectible entre François Mitterrand et René Bousquet, cette belle guirlande nationale dit à quel point, après des siècles de massacre ininterrompu, après la Shoah et les 6 millions de juifs assassinés, l’antisémitisme se révèle une maladie incurable de l’humanité. On doit ce magnifique documentaire à Isabelle Wekstein, réalisatrice en plus d’être avocate, défenseure, notamment, des éditeurs indépendants face à l’ogre Bolloré. Elle était la belle-fille d'Ady Steg, qu’elle côtoya de près et filma longuement en 2011 : « Il ne voulait pas se mettre en avant mais il avait accepté, pour les archives familiales. » Un témoignage vivant, bouleversant d’humanisme et d’excellence, dont la sagesse résonne avec force dans les temps déchirés que nous traversons.
Ady Steg, un parcours juif, une histoire française est à voir ici ou sur le replay de France TV.