Formidable tableau d'une paysannerie en voie de disparition
La cinéaste espagnole Carla Simon, dont on avait beaucoup aimé le premier film, Été 93, livre pour son second une œuvre solaire et vibrante qui a remporté l'Ours d'or du Festival de Berlin 2022. Un portrait choral, où l’amour de la famille, de la terre et du travail diffuse ses rayons nostalgiques et vivaces. On pense un peu à Tchekhov pour la cruelle mélancolie d’un monde en train de disparaître. A travers les yeux des plus jeunes dont l’insouciance des jeux d’été est menacée par la crise des adultes, Carla Simon saisit l’ampleur du drame qui est en train de se jouer. Comme dans Été 93, qui captait le bouleversement existentiel d’une gamine orpheline de six ans, en phase d’adaptation à son nouveau foyer, Nos soleils emballe par son ampleur émotionnelle. La caméra aime ces silhouettes et ces peaux d’interprètes non professionnels, qui offrent magnifiquement leur véracité et leur langue catalane au grand écran. Quelque chose du cinéma de Maurice Pialat irrigue les films de Carla Simon tant leur existence a à voir avec un sauvetage, un élan consistant autant à préserver, des gestes, des liens et des choses impalpables qui font le quotidien, qu’à capturer, dans sa plus vibrante vitalité, l’orée d’un crépuscule. Il y a une lucidité de regard rare, une recherche de la nuance, de l’ambivalence constante qui donne au film toute sa profondeur existentielle entre la comédie et le drame. Nos soleils connecte l'histoire personnelle de la cinéaste, qui a passé les étés de sa jeunesse dans l'exploitation familiale d'arbres fruitiers à Alcarràs, un petit village de Catalogne, à l'universel, en suivant le combat d'une famille pour continuer à exploiter une terre convoitée par des promoteurs de l'énergie solaire, et qui subissent aussi la guerre des prix menée par la grande distribution. Entre chronique familiale et défense d’un monde sacrifié, entre récits des anciens et insouciance des enfants, Carla Simon bâtit un récit dont la sincérité nous touche profondément. Avec une sensibilité aiguë et un réalisme âpre, elle met en scène la disparition progressive d'une certaine idée du monde agricole.