Un pur roman noir sans complaisance
Jeune écrivain écossais d’une trentaine d’années, Malcom Mackay clôt ici une trilogie qui a valu à son auteur bien des éloges. Ce dernier roman, qu’on se le dise, pouvant être apprécié à sa juste valeur sans avoir lu les deux premiers. Point de héros dans cette histoire, ni du côté de la mafia ni de celui de la police, le romancier dessinant ses personnages avec une certaine froideur, tout en auscultant chaque geste, chaque comportement, leurs interrogations, leurs calculs, leurs doutes, leurs peurs. Derrière une écriture sèche, précise, composée de phrases courtes, il dépeint le crime organisé sans glorifier qui que ce soit, simplement des hommes avides d’argent et de pouvoir. Cela change de bon nombre de polars fascinés par la mafia ou pour le moins indulgents avec elle, et le résultat est d’autant plus glaçant, impressionnant. Après une séquence d’ouverture qui nous plonge directement dans la noirceur de ce roman, l’intrigue va s’épaissir, avec plusieurs personnages dont nous allons suivre les faits, gestes et manigances, dans un crescendo admirablement bien construit. L’action se déroule à Glasgow, un comptable de 61 ans qui a une clientèle de petits chefs d’entreprise honnêtes en apparence, pour lesquels il arrange parfois les comptes, finit un peu tardivement sa journée. En allant récupérer sa voiture sur le parking, deux policiers lui demandent de le suivre au commissariat pour lui poser des questions. Chemin faisant, il se rend compte que la voiture ne prend pas la direction du commissariat, et n’est plus tout à fait sûr qu’il s’agisse de policiers. Ce roman, qui devient rapidement addictif, nous entraîne dans l’univers glauque de la pègre que l’auteur retranscrit et analyse minutieusement, comme cela a rarement été fait jusqu’à présent. C’est à la fois très juste, épuré, et pourtant l’émotion est bien présente dans ce polar haletant.
Ne reste que la violence – Un roman de Malcom Mackay – Editions Liana Levi – 337 pages – 19 €.
Palmarès 2014
Pour le plaisir de retirer le meilleur de l'année écoulée et s'y repencher le temps d'une lecture, d'une écoute ou d'un visionnage, mais aussi pour ceux qui n'auraient pas encore ressenti le bonheur de goûter à ces chefs-d'oeuvres et à ces très belles rencontres, voici mes favoris de 2014, par rubrique et avec le lien vers l'article :
Meilleur film 2014 : 12 years a slave
michelmonsay.over-blog.com/article-redoutable-descente-aux-enfers-122182463.html
Meilleur DVD 2014 : The grand Budapest hotel
michelmonsay.over-blog.com/2014/09/a-deguster-sans-moderation.html
Meilleur disque 2014 : Robert Plant
michelmonsay.over-blog.com/2014/10/l-art-de-se-reinventer.html
Meilleur roman 2014 : L'amour et les forêts
michelmonsay.over-blog.com/2014/11/le-destin-gache-d-une-femme-remarquable.html
Plus belle rencontre 2014 pour un portrait : Marc Dugain
michelmonsay.over-blog.com/2014/09/ecrire-pour-comprendre-l-etre-humain.html
Plus belle rencontre 2014 pour une interview politique ou sociétale : Pascal Boniface
Photo la plus appréciée en 2014 : Carafe à vin signée Joana Vasconcelos
michelmonsay.over-blog.com/2014/07/carafe-a-vin-signee-joana-vasconcelos.html
N'hésitez pas à me laisser un commentaire sur ce palmarès et sur l'intérêt que vous y avez trouvé.
Très belle année culturelle à vous tous.
Plus fort que la maladie
Rien de mieux pour bien démarrer l’année que ce superbe film, montrant le meilleur de l’être humain, capable de repousser les limites de l’impossible par sa seule détermination et la force que lui procure l’amour indéfectible de sa compagne. Transposer au cinéma l’incroyable vie du célèbre astrophysicien Stephen Hawking était un pari délicat, dont il fallait proscrire tout pathos et sentimentalisme. James Marsh, cinéaste anglais de 51 ans qui alterne documentaires et fictions, relève brillamment le défi en nous offrant une œuvre romanesque et émouvante mais jamais larmoyante. Admirablement bien filmée par une caméra inventive et une lumière toujours très belle, cette histoire est également magnifiée par l’interprétation sensible et impressionnante d’Eddie Redmayne dans le rôle du professeur Hawking, mais aussi de Felicity Jones qui incarne son épouse. Le film est à la fois un vibrant hommage à ce génie scientifique, et une touchante histoire d’amour qui ne ressemble à aucune autre. Nous sommes en 1963, deux amis d’une vingtaine d’années filent à bicyclette dans les rues de Cambridge pour rejoindre l’université où ils étudient la cosmologie. L’un d’eux, Stephen, surdoué pour résoudre les problèmes insolubles de leur professeur, fait la connaissance lors d’une soirée, malgré sa timidité, d’une charmante étudiante en poésie. Une idylle va naître entre eux alors que Stephen continue de préparer un doctorat de physique, mais des signes avant-coureurs de crispation et de déformation des mains et des pieds commencent à apparaître chez le jeune homme. Si la mode des biopics ne donne pas toujours des œuvres enthousiasmantes, il faut saluer l’excellent travail de toute l’équipe de ce film, tant artistique que technique, pour faire connaître au plus grand nombre le travail et le destin unique de Stephen Hawking.
Une merveilleuse histoire du temps – Un film de James Marsh avec Eddie Redmayne, Felicity Jones, Charlie Cox, David Thewlis, …
L’hôpital du rire aux larmes
Ce film a été l’une des très belles surprises de 2014, en obtenant un joli succès au box-office et auprès des critiques avec un sujet difficile, le milieu hospitalier, traité de manière beaucoup plus réaliste que les séries américaines sur le même thème, dont les saisons se succèdent sans ne jamais lasser le téléspectateur, et pourtant … La réussite d’Hippocrate est en grande partie due au vécu du réalisateur, également médecin. Pour son deuxième long-métrage, assez autobiographique, il nous plonge avec une remarquable justesse qui n’empêche pas l’humour, au cœur d’un service hospitalier, et plus particulièrement auprès des internes de l’établissement. Le cinéaste de 38 ans ne s’arrête pas à l’étonnante vraisemblance de chaque geste, chaque situation avec les patients, les infirmières, les médecins, il dénonce très efficacement tous les maux dont souffrent le monde hospitalier aujourd’hui par manque de moyens et d’effectif, parfois au détriment des malades. Il pointe également le doigt sur ces médecins étrangers ne venant pas de la zone euro et travaillant dans les hôpitaux français, qui non seulement sont exploités mais doivent s’astreindre à un parcours du combattant pour obtenir le droit d’exercer. Les comédiens sont tous très bien, notamment Reda Kateb qui possède un vrai magnétisme et interprète dans un mélange de sobriété et d’énergie contenue, un médecin algérien faisant fonction d’interne. Le film démarre avec un autre interne, un vrai celui-là, de 23 ans, lors de sa première journée dans le service que dirige son père. Le jeune homme assez sûr de lui au départ va rapidement être confronté à la difficulté de la pratique, et de fait à ses propres limites et ses propres peurs. Voilà une œuvre très attachante qui avance dans un parfait mélange romanesque et documentaire, en étant tour à tour drôle et émouvante.
Hippocrate – Un film de Thomas Lilti avec Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin, Marianne Denicourt, … - France TV distribution – 1 DVD : 19,99 €.
Être philosophe ou ne pas être
Chercheur, essayiste et professeur de philosophie politique à l’Université américaine de Paris et à l’Ecole Polytechnique pour la partie enseignement, et dans un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS pour la recherche, Cynthia Fleury, dont la parole est très prisée des médias, est également psychanalyste.
Pour en finir avec la sinistrose ambiante, qui existait bien avant les horribles attentats de ce début d’année, et le succès inquiétant du suicide français d’Eric Zemmour, le parfait remède est un livre d’entretiens intitulé « Nos voies d’espérance », avec 10 grands témoins dont Nicolas Hulot, Erik Orsenna, Pierre Rabhi et Cynthia Fleury. Cet ouvrage paru en octobre dernier et dont les droits sont entièrement versés aux Restos du cœur, ne se contente pas d’établir un diagnostic de notre société, il propose des pistes et des réflexions avec un pouvoir pédagogique afin de retrouver la confiance. Pour Cynthia Fleury, cette démarche participe à un travail de transmission, où elle essaie dans une partie de ses écrits de rendre son langage davantage accessible à un plus grand nombre. Une autre partie, aussi importante pour elle, est constituée notamment d’articles scientifiques plus ardus, qui renvoient à un travail universitaire et une réflexion qu’elle approfondie au fil du temps : « Un philosophe construit les légitimités de demain. En philosophie politique, il interroge la question du juste, du contrat social. »
L’écriture au centre de sa pensée
Son ouvrage, dont on a incontestablement le plus parlé, est « La fin du courage » paru en 2010, qui est le premier écrit se nourrissant de sa pratique de psychanalyste démarrée en 2008 : « Le succès d’un essai provient toujours de la rencontre d’une théorisation et d’un sentiment de vécu. Il était évident que la question du courage dans le monde public à l’aune de celle du découragement qui pèse sur notre société, auraient un écho, et je le voyais déjà avec mes patients. Cet ouvrage a un ancrage théorique, puisque je m’interroge depuis assez longtemps sur la régulation démocratique, les valeurs de nos sociétés, ce qui crée la cohésion, ce qui fracasse la solidarité, mais à la différence de mes précédents écrits, il y a une incarnation plus directe avec la parole des patients. La théorie et la pratique se rencontraient. » Les deux premiers écrits de Cynthia Fleury s’inscrivaient dans une expérience assez radicale d’écriture philosophique frisant par moments la poésie. Les suivants sont plus en prise avec le réel, avec chaque fois la dimension du je, qu’elle utilise comme un marchepied pour amener le lecteur à une réflexion plus générale.
L’apport de la psychanalyse
Après un parcours d’analysante commencé jeune, elle est devenue psychanalyste sans l’avoir prémédité, suite à l’écriture de son essai « Les pathologies de la démocratie », pour lequel elle a rencontré nombre de médecins et de psychologues du travail afin d’analyser les dysfonctionnements de notre société. Elle explique ce que son nouveau métier lui apporte : « Les sociologues font un travail de statistiques, d’enquêtes, de terrain, la philosophie n’a pas une tradition de terrain, elle a une tradition hypothétique, problématique qui me va absolument. Cependant, mon terrain philosophique étant l’Etat de droit et la protection de sa durabilité, la psychanalyse permet la verbalisation de l’individu dans l’Etat de droit, ce qui est un apport considérable. Par ailleurs, en psychanalyse le lien avec les autres se fait toujours. »
L’emploi du temps de Cynthia Fleury se répartit aujourd’hui en trois tiers, la journée pour la recherche et l’écriture ou pour l’enseignement, et les fins d’après-midi et week-ends sont consacrés à la réception des patients. Ces trois activités, si elles construisent une réflexion, une compétence pour aider les autres, mais aussi du lien, se révèlent très dures dans leur pratique : « Ecrire est une souffrance, ne pas écrire l’est tout autant, il n’y a donc pas d’issue. Enseigner est un enfer, cela vous demande une très grande implication, cela vous mange littéralement, de même que les patients, dont on doit réceptionner tous les maux, mais fondamentalement les trois sont nécessaires. »
Enseignement et recherche
Malgré la difficulté de l’exercice, elle enseigne la philosophie morale et politique depuis plus d’une dizaine d’années à l’Université américaine de Paris en français et en anglais, mais aussi à l’Ecole polytechnique actuellement et à Sciences-Po jusqu’à l’année dernière. Sans oublier un enrichissant parcours de professeur invité, au Liban durant quatre ans, au Japon, aux Etats-Unis, en Pologne et à l’Université de Cambridge. Le cœur de son enseignement s’appuie sur des grands textes et grandes théories, mais aussi en se nourrissant de l’actualité, comme récemment la question de l’euthanasie, pour en analyser le sens philosophique et éthique.
Autre versant de son activité, la recherche en philosophie politique qu’elle effectue dans un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS, a pour sujet la réforme des vieilles démocraties comme celle de la France, des Etats-Unis, et de leurs institutions, les transformations comportementales des individus, leur singularité, la place de la nature dans le contrat social : « Cela consiste, lorsque vous vous penchez sur un concept, à en faire toute l’historiographie, comment il a été pensé, les controverses qu’il a suscitées, puis voir si vous-même apportez une étape supplémentaire. Soit par la création d’un autre concept, soit par une interprétation nouvelle ou un renversement de la théorie. Est philosophe, celui qui à la fois fait de l’histoire de la philosophie et crée des concepts. »
Sollicitations en tous genres
De part son statut rare de philosophe psychanalyste, la pertinence et l’érudition de son travail scientifique, Cynthia Fleury apporte une manière de penser assez différente de ses confrères. Sa parole est prisée aussi bien pour des colloques universitaires, des conférences dans des domaines très variés, de l’agriculture aux hôpitaux en passant par les entreprises, les collectivités et bien d’autres univers, mais aussi par les médias. Autant dans la presse écrite, où elle est régulièrement interviewée sur tel sujet pour donner son point de vue, qu’à la radio sur France culture et France Inter ou la télévision dans C dans l’air et Ce soir ou jamais. Parallèlement, elle tient une tribune hebdomadaire dans l’Humanité depuis onze ans et occasionnellement dans Le Monde et Libération, où là encore elle se sert d’un sujet d’actualité pour proposer une réflexion plus approfondie : « Un philosophe construit les légitimités de demain. En philosophie politique, il interroge la question du juste, du contrat social. » Toutes ces contributions ont pour but de participer au débat public, et interpeller le conférencier, le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur. Parallèlement, elle a un engagement civil et non partisan, en ayant créé avec d’autres le Collectif Roosevelt en 2012 et en étant membre du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme.
Viscéralement philosophe
Dès l’âge de 13 ans, Cynthia Fleury a commencé à ressentir ce qu’allait être sa vie sans pour autant connaître à l’époque le sens du mot philosophie : « La puissance de la parole, de la juste verbalisation, le fait de tenter de dire avec les mots ce qui se passe, cela m’a paru évident que ma voie était là. Ma position dans mon environnement, dans le monde, m’avait amenée à un constat de faiblesse, d’impuissance, et par le biais du dire je sentais que je pouvais agir. N’ayant pas une facilité de présence au monde, la philosophie m’a aidée à rester en vie. Comme j’étais une enfant responsable, il était hors de question que je commette un acte irréversible. Cela n’avait pas de sens, j’ai donc essayé de trouver et de fabriquer du sens. Comme un artisan fabrique des chaussures, je fabrique du sens, c’est un outil parmi d’autres pour transformer le monde, vivre, rester en vie, aimer. »
Territoire masculin qui peu à peu s’ouvre, il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour avoir un texte respectueux des femmes en philosophie. Cela n’a pas empêché Cynthia Fleury d’entreprendre des études de philosophie jusqu’au doctorat en présentant une thèse sur la métaphasique de l’imagination. C’est avec son premier directeur de recherche qu’elle se spécialise en philosophie politique. Aujourd’hui à 40 ans, elle est entièrement investie dans sa triple activité, souhaite avoir plus de temps à l’avenir pour approfondir et structurer sa pensée au travers de recherches et d’écrits, réduire le nombre d’heures de cours en France et avoir de nouvelles expériences d’enseignement à l’étranger, enfin continuer les échanges d’une grande richesse avec ses patients.