« Le Pacte de responsabilité et de solidarité doit engager l’ensemble de la Nation »
Après avoir été plusieurs fois ministre, déjà sous François Mitterrand puis dans le gouvernement de Lionel Jospin et récemment dans celui de Jean-Marc Ayrault, Michel Sapin s’occupe depuis le mois d’avril des finances de la France. A 62 ans, ce proche de François Hollande nous éclaire sur les nouvelles orientations du gouvernement
Pourquoi le problème du chômage paraît-il insoluble et comment la politique économique du gouvernement espère-t-elle inverser la tendance ?
Michel Sapin - Après les années de crise que nous avons traversées, la croissance est encore trop faible. L’objectif du Pacte de responsabilité et de solidarité voté fin juillet est de nous donner les moyens de renouer durablement avec plus de croissance et plus d’emploi. Notre politique économique marche sur ses « deux jambes » : D’une part, baisser les charges des entreprises pour qu’elles retrouvent les marges qu’elles ont perdues au cours de ces cinq dernières années, afin de pouvoir embaucher et investir. D’autre part, assainir nos finances publiques à travers un plan d’économie inédit de 50 milliards d’euros en 3 ans, gage de crédibilité pour la France. Nous avons aussi entamé la baisse des impôts et des cotisations sociales pour les ménages qui ont des revenus proches du SMIC. Ce Pacte, nous l’avons voté avant l’été afin de donner de la visibilité et de la stabilité aux entreprises le plus tôt possible et pour les trois années à venir à partir du 1er janvier 2015.
Le Pacte de responsabilité et de solidarité avec sa difficile mise en œuvre apportera-t-il les résultats espérés ?
M.S. - Le Pacte de responsabilité et de solidarité doit engager l’ensemble de la Nation : C’est un effort en faveur des entreprises pour leur permettre de retrouver de la compétitivité et d’utiliser les marges reconquises pour être plus performantes et grandir, en embauchant, en innovant et en investissant.
Avec ce Pacte, les entreprises du secteur agricole, riches en main d’œuvre non délocalisable, seront elles aussi plus compétitives ! Les agriculteurs bénéficieront pleinement des exonérations de charges et de la suppression de la C3S votée cet été, qui s’appliquera intégralement dès 2015 pour les sociétés coopératives agricoles et leurs unions. Quand je parle des entreprises, je parle des entrepreneurs et des salariés qui y travaillent. Il y a des intérêts communs et un besoin d’avancer ensemble. Le premier accord dans le secteur de la chimie est encourageant. Les discussions branche par branche et au sein des entreprises vont se poursuivre et il revient désormais au patronat de se saisir du Pacte de responsabilité et de solidarité. Les entrepreneurs eux aussi, doivent passer du Pacte aux actes.
Pourquoi vouloir mettre en avant l’apprentissage ?
M.S. - L’apprentissage, c’est une des entrées les plus efficaces dans la vie active. 65% des apprentis sont embauchés à l’issue de leur contrat ! Le Président de la République et le Premier ministre ont notamment annoncé des mesures exceptionnelles en la matière, avec 200 millions d’euros qui permettront de financer une aide de 1000 euros pour chaque embauche d’un premier apprenti. Nous croyons à l’apprentissage, et nous y mettons les moyens.
Comment vont se présenter les baisses d’impôts annoncées ?
M.S. - Comme vous le savez, environ 50% des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu. Payer des impôts c’est être de fait dans la classe moyenne, ou aisée. Dès cette année, 3,7 millions de personnes vont sortir de l’impôt ou le voir diminuer. L’objectif est d’alléger la pression fiscale des ménages. Cette baisse d’impôts sera pérennisée l’an prochain et, comme l’a précisé le Président de la République le 14 juillet dernier, elle profitera à quelques centaines de milliers de foyers supplémentaires. Avec le Pacte de responsabilité et de solidarité, nous concilions des baisses d’impôts pour stimuler plus de croissance avec des économies pour continuer à assainir nos finances publiques. Nous gardons le cap.
La finance était pour François Hollande un adversaire, vous même l’avait qualifiée d’amie, qu’en est-il ?
M.S. - La finance est utile pour rapprocher la capacité de certains à financer des projets, utile aussi pour placer son épargne. Cependant, elle est capable du meilleur en étant encadrée par des règles solides, comme du pire lorsqu’elle est dévoyée vers des spéculations non maîtrisées voire frauduleuses. Elle n’est rien sans les règles qui doivent lui donner un sens, et ces règles ne peuvent pas venir des marchés financiers eux-mêmes, dont l’expérience a prouvé qu’ils n’étaient pas capables de s’autoréguler, ni même de se protéger de leurs propres excès. Voilà pourquoi le Gouvernement a bien l’intention de poursuivre ses efforts de régulation financière et de continuer à en faire une priorité politique, avec toujours ce même objectif qui guide son action depuis deux ans : encadrer les activités les plus risquées pour protéger celles qui sont utiles à l’économie réelle - ce sont ces activités que j’appelle pour ma part la « bonne finance ».
Que va changer la nouvelle taxe sur les transactions financières ?
M.S. - Dans le cadre du Conseil ECOFIN qui réunit chaque mois à Bruxelles les ministres des Finances des 28 Etats membres de l’Union européenne, nous avons en effet trouvé un accord concernant la Taxe sur les Transactions Financières qui concernera un groupe de 11 pays. C’est une victoire. Cette TTF entrera en vigueur dès 2016 et concernera les actions et un certain nombre de produits dérivés. Je suis attentif à ce que la place de Paris ne soit pas désavantagée.
Pourquoi s’attaquer aux professions règlementées ?
M.S. - Ces professions réglementées ont généré ce que certains appellent des situations de rente ou de bénéfices excessifs. Le ministre de l’Economie Arnaud Montebourg a annoncé travailler sur une loi pour restituer du pouvoir d'achat aux Français. Il va falloir évidemment le faire dans la concertation et trouver les bons équilibres, mais je soutiens la démarche d’ensemble.
Où en est votre croisade contre l’hégémonie du dollar dans les échanges internationaux ?
M.S. - Je préfère parler d’un objectif de rééquilibrage au profit de l’euro dans les échanges internationaux. Aujourd’hui, l’utilisation du dollar dans les échanges permet à la justice américaine de se saisir et à la loi américaine de s’appliquer dès que le dollar est utilisé. Quand Airbus vend à des compagnies européennes des avions en dollars, ne peut-on pas se demander s’il ne serait pas plus simple d’employer la monnaie européenne ? La question est posée, et nous allons travailler sur ce sujet, au niveau national comme au niveau européen.
Pourquoi la France a-t-elle autant de mal à se réformer alors que de nombreux pays y arrivent très bien ?
M.S. - La réforme est toujours difficile ! Mais je constate que depuis deux ans nous avons fait avancer la France et que la dynamique de réformes est en œuvre. Quand j’étais ministre du travail j’ai ainsi pu faire la réforme du marché de l’emploi. L’Assemblée vient de voter la réforme ferroviaire. Avec le Pacte, qui complète le CICE, nous faisons ce que d’autres n’ont pas fait – redonner aux entreprises la compétitivité perdue entre 2002 et 2012, c’est Louis Gallois qui le dit. C’est bien la preuve que le volontarisme politique que nous déployons produit des résultats.
Est-ce que la réforme territoriale tourne le dos à la décentralisation comme l’a dit Hervé Gaymard ?
M.S. - C’est tout le contraire ! Nous avons besoin de régions fortes, à dimension européenne, avec des compétences renforcées, pour porter le développement économique des territoires. C’est essentiel, y compris pour la ruralité. Au-delà des discussions sur le redécoupage, il y a une volonté de réforme que beaucoup d’élus partagent. Les débats à l’Assemblée nationale, qui se sont conclus par un vote positif, l’ont démontré.
A lire : « L’écume et l’océan » de Michel Sapin chez Flammarion.