« Je veux que les jeunes générations puissent découvrir ces beaux métiers artisanaux »
Nommée le 17 juin, Secrétaire d’Etat au commerce, à l’artisanat, à la consommation et à l’économie sociale et solidaire, Martine PInville nous accorde en exclusivité sa première interview. La députée de Charente dresse un bilan des actions menées dans ces secteurs sous François Hollande et nous confie ses projets.
En cette période de soldes, comment se porte le pouvoir d’achat des français ?
Martine Pinville - La moitié des Français s’est rendue dans les magasins dès le premier jour des soldes et leur affluence est stable par rapport à l’été dernier. Le contexte économique est difficile, mais la croissance repart et elle permettra aux Français de retrouver confiance, de retrouver du pouvoir d’achat et de mieux profiter de tout ce que les commerçants leur proposent. En tant que Ministre de la consommation, je suis très attentive à ces questions et c’est pourquoi la loi Consommation, qui redonne des marges de manœuvre, du pouvoir d’achat et des protections aux consommateurs, est un réel levier de transformation de la vie de nos concitoyens.
Où en sont les promesses de François Hollande dans les domaines dont vous avez la charge ?
M.P. - La mission qui m’a été confiée par le Premier Ministre au sein de ce Gouvernement, est plurielle : le commerce, l’artisanat, la consommation, l’économie sociale et solidaire et la démocratisation du tourisme et des vacances. Tous ces secteurs concernent l’économie de la proximité. Dans presque tous ces domaines, comme le Président de la République s’y était engagé pendant sa campagne, une loi a été votée. Une loi est un outil pour changer les choses, pour améliorer la réalité de chacun. Telle est ma conception de la politique, telle est la volonté de notre Gouvernement, au service de la Cité.
La loi Consommation permet par exemple de résilier son assurance-emprunteur pour une autre offre moins coûteuse, de trouver des tests de grossesse et du liquide d’entretien pour lentilles de contact dans n’importe quel commerce, ou de savoir si des pièces détachées seront disponibles pour réparer le produit que l’on achète. Il s’agit de la vie quotidienne et concrète, cela concerne tout le monde !
Y-a-t-il eu des avancées significatives en matière d’artisanat et de commerce ?
M.P. - La loi Artisanat-Commerce-TPE permet de limiter la hausse des loyers commerciaux, d’étendre le bail dérogatoire de 2 à 3 ans pour aider les jeunes commerçants qui veulent s’installer, de clarifier la qualité du statut d’artisan, de reconnaître les métiers d’art et ainsi de les valoriser, ou encore de protéger les produits manufacturés des artisans par des Indications Géographiques.
Promouvoir des savoir-faire est une chose, il faut aussi favoriser leur transmission. Je veux que les jeunes générations puissent découvrir ces beaux métiers artisanaux et qu’ils puissent être accueillis et formés par des maîtres d’apprentissage. Le Président de la République a fait de la jeunesse sa priorité, et les mesures en faveur de l’apprentissage sont nombreuses et concrètes.
Avec la mention Fait Maison, le titre rénové de Maître-Restaurateur, la Fête de la Gastronomie, le nouveau statut d’artisan pour les cuisiniers et les fromagers, je veux mener une politique de valorisation globale. La gastronomie est une marque de fabrique pour notre pays, je dirais même qu’elle est notre identité, au sens fort de ce mot. Elle a une dimension économique, en rassemblant de nombreux professionnels dans des filières d’excellence, de la terre à l’assiette, à qui je veux rendre hommage. Elle a aussi une dimension civique, en rassemblant nos concitoyens autour de valeurs de convivialité, de culture, de partage.
Qu’apporte la loi Economie Sociale et Solidaire ?
M.P. - Le sens de la coopération, nous le retrouvons aussi dans cette loi qui permet de reconnaître, de soutenir et de valoriser des entreprises qui allient performance économique et utilité sociale, dans un esprit collectif, démocratique et participatif. La loi modernise le régime des coopératives, sécurise les financements des associations, favorise le recours aux entreprises d’insertion par l’activité économique, promeut l’entreprenariat social, ou encore donne la possibilité aux consommateurs de vérifier auprès des distributeurs, des fabricants ou des producteurs les conditions dans lesquelles les produits qu’ils commercialisent en France sont fabriqués. Il y a beaucoup d’autres mesures qui sont prises et la publication des décrets se terminera bientôt.
En particulier, dans le domaine agricole, la loi a permis de compléter l’action des coopératives agricoles à destination d’action d’intérêt collectif. Les coopératives d’utilisation de matériel agricole peuvent désormais réaliser des travaux agricoles ou d’aménagement rural pour le compte des communes, celles de moins de 3 500 habitants, ou de leur intercommunalité. De même, les exploitants agricoles et les sociétés d’exploitation agricole peuvent réaliser, depuis le 1er aout 2014, des opérations de déneigement ou de salage, au profit des communes ou des départements.
Par ailleurs, dans l’accès au tourisme et aux vacances pour tous, l’Agence Nationale des Chèques-Vacances a par exemple créé des plateformes numériques pour promouvoir des offres accessibles et de qualité pour les familles et pour les jeunes de 18 à 25 ans. Un autre exemple qui relie les différents volets de mon portefeuille ministériel : les chèques-vacances, dont nous avons simplifié l’accès dans les TPE et les PME.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos projets ?
M.P. - Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire ! Je vais vous donner quelques pistes en cours au sein de ma feuille de route. Dans le commerce par exemple, nous poursuivrons le travail engagé pour favoriser la revitalisation commerciale et artisanale de nos centres-bourgs. Pour l’ensemble des TPE et des PME, nous allons continuer à travailler sur le régime social des indépendants, avec la deuxième phase de la Mission parlementaire de septembre, et renforcer le développement du numérique. Dans l’artisanat, je veux poursuivre la politique de valorisation des métiers et des savoir-faire, je veillerai également à préparer la modernisation de certaines professions ou encore à mettre en place de nouveaux Pôles d’Innovation pour l’Artisanat dans les prochains mois. Dans la Consommation, de nombreux décrets sont en cours de publication, comme la liste d’opposition au démarchage téléphonique ou l’extension de la garantie légale des produits de 6 mois à 2 ans.
Dans le « tourisme pour tous », je veux que nous puissions renforcer les liens entre les ministères, notamment sociaux, pour accentuer le soutien au départ en vacances. Enfin, dans l’Economie Sociale et Solidaire, je souhaite mener des actions qui améliorent le quotidien de nos concitoyens, car c’est un domaine où mon intervention est transversale. Au niveau national, je veux que l’ESS puisse se développer davantage, et au niveau international, je ferai la promotion de la loi française pour convaincre nos partenaires de notre modèle et développer les coopérations. Nous sommes un pays pionnier, donc je veux porter ici et dans le monde, ces valeurs qui nous définissent et qui nous aideront à mieux nous inscrire dans l’avenir.
Les TPE et PME respirent-elles mieux sous François Hollande ?
M.P. - Les TPE ont un rôle précieux dans notre paysage économique et social, parce qu’elles sont des viviers d’emplois et de savoir-faire dans nos territoires. Cette dynamique des TPE, nous la soutenons, nous l’accompagnons.
Grâce au Crédit d’Impôt-Compétitivité-Emploi, les TPE peuvent réduire depuis le 1er janvier l’équivalent de 6% de la masse salariale de 2014 pour tous les salaires inférieurs à 2,5 SMIC.
Le Pacte de responsabilité s’inscrit dans la politique de compétitivité des entreprises que notre Gouvernement mène depuis le début du quinquennat, en supprimant la cotisation à la sécurité sociale de l’employeur d’un salarié au SMIC. La C3S est également supprimée pour les TPE, ainsi que pour de nombreuses PME.
Le plan présenté par le Premier Ministre le 9 juin a un seul objectif : l’emploi. Il s’agit d’abord de faciliter l’embauche du premier salarié, et le franchissement ensuite des seuils de 11, 20 ou 50 salariés. Nous voulons également apporter plus de souplesse dans l’utilisation des contrats de travail, et lever les incertitudes liées au recours aux prud’hommes. Nous renforçons enfin notre dispositif de lutte contre les fraudes au détachement. Ces mesures sont complémentaires de toutes celles qui concernent la simplification, la transmission et la reprise des TPE.
Quelques repères
Fidèle à son département de naissance, la Charente, Martine Pinville en est députée depuis 2007 et réélue dès le 1er tour en 2012. Lors des législatives 2007, elle est exclue du PS pour s’être maintenue face au candidat parachuté par le parti, avant d’être réintégrée en 2009. Tant à l’Assemblée nationale qu’au sein du PS, elle est une spécialiste des questions sociales et de santé. Fidèle également à François Hollande, elle vient d’être nommée Secrétaire d’Etat à 56 ans. L’ancienne contrôleuse des impôts connait bien les TPE-PME et la législation fiscale.
Interview parue dans L'Information Agricole
La résistance d’un marin
Cela fait 27 ans que Laurent Joffrin dirige alternativement les deux journaux emblématiques de la gauche, Le Nouvel Observateur et Libération. Ce passionné d’Histoire qui a écrit une vingtaine de livres, a largement contribué à développer ces deux titres phares de la presse française et à les sortir de situations très délicates, comme récemment à Libération avec l’aide des nouveaux actionnaires.
Depuis un an, Laurent Joffrin est revenu à la tête de Libération, fonction qu’il avait déjà occupée à deux reprises, dans un climat très tendu entre les actionnaires et la rédaction. Il lui a fallu apaiser les uns et les autres, assumer un plan social avec 90 départs pour éviter la banqueroute, et définir un projet de rénovation et de réorganisation du journal et du site Internet. Après des mois compliqués, il est en passe avec son équipe de pérenniser Libération avec comme ligne éditoriale de réinventer les valeurs de la gauche : « Dans la société française, la gauche est sur la défensive. Il faut donc prendre des positions tout en restant ouvert sur des valeurs de justice et d’égalité sans se rattacher à un courant. Egalement, faire beaucoup de journalisme sans sectarisme en donnant la parole à tout le monde et en racontant les choses comme elles sont. Avec la poussée du libéralisme et du nationalisme, les valeurs de la gauche sont en recul dans le monde, nous cherchons dans la société tout ce qui peut les renouveler. Il est évident que la gauche est en train de changer. »
Le renouveau de Libération accentué par le drame de Charlie hebdo
Le but de Laurent Joffrin est de proposer un journal humaniste, privilégiant des histoires d’hommes et de femmes plutôt que des tendances ou autres concepts abstraits, un journal qui garde ses distances avec le pouvoir même lorsqu’il est de gauche. Les nouveaux actionnaires, Bruno Ledoux et Patrick Drahi, ont garanti à la rédaction son indépendance et n’interviennent en aucune façon dans le contenu de Libération. Malgré la multiplication des supports d’information, l’édition papier du journal a toujours un impact plus fort qu’Internet, notamment auprès des politiques : « C’est un passeport pour apparaître dans le débat public. »
A peine passé le choc affectif profond de l’attentat perpétré à Charlie hebdo, l’équipe de Libération s’est totalement mobilisée en accueillant dans ses locaux la rédaction du journal satirique, qui est toujours présente aujourd’hui, et en sortant des numéros très réussis : « Je pense que l’on a exprimé ce que ressentaient les gens, à la fois par notre cousinage avec Charlie et par les valeurs que l’on défend traditionnellement, de tolérance, de laïcité et bien sûr de liberté d’expression. On s’efforce de faire en sorte que ces attentats n’aient rien changé, je crois que c’est la meilleure réponse. »
Un patron recherché
Les allers-retours entre Le Nouvel Observateur et Libération, Laurent Joffrin ne les a pas provoqués, ce sont les actionnaires chaque fois qui lui ont demandé de venir prendre la direction du journal lorsqu’il était en difficulté, puis ensuite les journalistes qui l’ont élu directeur de la rédaction. Le format quotidien plutôt qu’hebdomadaire a sa préférence, il le trouve plus vivant et aime la prise en temps réel avec l’actualité, il reconnaît cependant qu’aujourd’hui avec l’accumulation de médias, un quotidien ne doit pas être redondant et doit apporter une valeur ajoutée à chaque numéro.
Lorsqu’il a dirigé la rédaction du Nouvel Observateur à partir de 1988, il a contribué à le moderniser et le développer pour en faire dès 2000 le premier hebdomadaire d’information, ce qui est toujours le cas aujourd’hui avec plus de 500 000 exemplaires par semaine. Au rayon des souvenirs, le témoignage d’amitié de son équipe lors de ses deux premiers départs du magazine l’a beaucoup ému, mais sur le plan rédactionnel, le numéro spécial réalisé entièrement à Moscou avec 30 journalistes dont Françoise Giroud et Jean Daniel, sous Gorbatchev au moment de l’effondrement du communisme, restera un moment inoubliable. Du côté de Libération, les opérations d’aide et de soutien au mouvement Solidarnosc qui luttait contre le pouvoir communiste polonais et à un journal bosniaque détruit par les bombes serbes au moment de la guerre, sont des souvenirs très forts pour Laurent Joffrin. Pour lui, un bon journaliste est une sorte de candide, il doit toujours s’étonner de tout et ne jamais être blasé.
De l’Histoire passée à celle en marche
Au cours de sa carrière, en plus des invitations régulières sur les plateaux télé et radio, il a lui-même proposé des émissions historiques sur France 5 comme « Les détectives de l’Histoire » ou culturelles sur France Inter. Dans la continuité de son travail journalistique, il écrit des essais politiques et des romans historiques, le plus souvent durant ses vacances, où il aime ce travail solitaire qui contraste avec sa vie au cœur d’une rédaction tout au long de l’année. Le dernier en date, « Le réveil français », sonne comme un coup de gueule : « Je suis énervé par cette ambiance de détestation de la France, tous ces gens, comme Zemmour ou Finkielkraut, qui prétendent aimer notre pays et n’en disent que du mal. Ce pessimisme idéologique est foncièrement réactionnaire, et je le combats depuis toujours pour aller dans le sens des promesses de la Révolution française. »
Le moment qu’il préfère dans son métier est incontestablement lorsqu’il se passe un événement fort, même s’il admet que c’est un peu cynique de dire cela puisqu’il s’agit souvent de malheur, et que toute l’équipe se réunit pour traiter cet événement le mieux possible : « Nous sommes les agents de la curiosité humaine, les gens sont toujours attirés par ce qui est inhabituel et dramatique. »
La politique en fil conducteur
Sa vocation est née en lisant Tintin, puis en voyant deux films, « Les hommes du Président » et « Bas les masques » avec Humphrey Bogart qui se bat contre un mafieux pour sauver son journal. Son enfance dans une famille divisée a déjà un caractère politique, avec son grand-père pétainiste puis son père devenu un ami de Le Pen d’un côté, et sa mère qui avait été résistante de l’autre, décédée alors qu’il n’a que trois ans. Laurent Joffrin participe à Mai 68 à l’âge de 15 ans tout en étant méfiant à l’égard de la rhétorique révolutionnaire, et s’oriente derrière François Mitterrand dans la rénovation du parti socialiste. Il en devient militant dès 1972, y côtoie tous les futurs ténors du PS en étant membre du courant de Jean-Pierre Chevènement, il est même propulsé secrétaire national de la jeunesse socialiste. Après avoir été étudiant à Sciences-Po, une carrière politique s’offrait à lui mais sa timidité conjuguée à son refus de venir fonctionnaire, l’ENA étant une étape quasi incontournable à l’époque, lui ont fait choisir le journalisme. C’est donc au Centre de formation des journalistes qu’il continue ses études puis intègre l’AFP. Après un passage dans un journal économique, il est embauché en 1981 à Libération qui est en plein essor sous l’impulsion de Serge July. Durant 7 ans, il se fait un nom en passant par le service économique, puis en étant grand-reporter, chef du service société et en devenant éditorialiste où il crée la page « Rebonds », avant de se voir proposer la direction de la rédaction du Nouvel Observateur.
La voile, la guitare et les voyages
D’un naturel gentil mais têtu, il s’énerve rarement mais fortement et possède un tempérament résistant aux difficultés, comme un marin précise-t-il. La voile a été tout au long de sa vie, son univers de rechange : « Lorsque je mets le pied sur un ponton, je change de monde, le temps n’a plus le même sens, tout est lent au contraire de la vie parisienne. » Laurent Joffrin arrive à en faire une dizaine de fois dans l’année, et depuis trois ans son bateau a quitté son port d’attache à Granville. Il le promène d’un port à l’autre, le laisse là où il arrive et le reprend deux mois plus tard. Actuellement à Oostende, son voilier est même allé jusqu’à Londres. Il aime aussi beaucoup la musique : « Je joue de la guitare comme un pied mais ça m’amuse. J’ai un groupe de rock avec des copains, qui sont plutôt bons musiciens comme François Reynaert de l’Obs. Mon fils, qui en fait professionnellement, se joint parfois à nous. »
A 63 ans, son désir présent est que Libération illustre une gauche renouvelée véhiculant des valeurs de progrès et d’égalité, tout en continuant lorsqu’il a un peu de temps à écrire des livres. Pour plus tard, il rêverait de partir sur les traces de Joseph Conrad ou Jack London, notamment dans le Klondike au nord du Canada là où a eu lieu la ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle. En attendant de passer à l’acte, il va écrire dans le supplément été de Libération, une série d’articles sur des écrivains qui ont mis une de leurs aventures dans un roman : « Comme Malraux, qui a dérobé des statues khmères au Cambodge, s’est fait prendre, a fait de la prison et a écrit ensuite « La voie royale ». Ou Orwell qui est allé se battre en Espagne au moment de la guerre, ce qui lui a inspiré « 1984 ». »
Etourdissant portrait d’une Amérique en décomposition
Maître incontesté du roman noir, James Ellroy sort un magistral quatorzième roman qui nous plonge dans la fureur de sa ville fétiche, Los Angeles, en décembre 1941 au moment de l’attaque de Pearl Harbour qui va précipiter les Etats-Unis dans la guerre. A 67 ans, l’écrivain américain a certainement gagné en fluidité et en clarté, sans perdre son écriture cinématographique qui a le pouvoir de nous transposer instantanément au cœur de son histoire. Ce roman d’une richesse, d’une densité impressionnante, suit la trajectoire de quatre héros masculins et féminins, admirablement écrits, et de très nombreux personnages réels et fictifs qui gravitent autour. Ils ne sont jamais faits d’un seul bloc, l’écrivain explore leurs failles, leurs vices, leur romantisme. Malgré toutes ces histoires parallèles, tous ces points de vue qui s’entrecoupent ou divergent, on ne s’y perd jamais, c’est du grand art. James Ellroy, qui aime vivre dans le passé et refuse de s’intéresser à notre époque, a une incroyable faculté à inventer le Los Angeles de 1941 sans pervertir l’Histoire. Il y règne une corruption généralisée, une cupidité, une immoralité, un antisémitisme et une xénophobie caractérisés, l’auteur allant même chercher des personnages aux déviances sordides. En préambule, une émission de radio nauséabonde où un pasteur et politicard américain fasciste explique à sa manière l’imminence de la guerre. Puis, nous retrouvons deux scientifiques du laboratoire de la police de L.A. en planque devant un drugstore qui a subi plusieurs braquages récemment. L’un deux, d’origine japonaise, a conçu un bidule photographique à déclenchement automatique très ingénieux, qu’il a installé devant le drugstore. Ils assistent à un nouveau braquage, mais n’étant pas policiers n’interviennent pas. Commence alors une enquête plutôt tranquille au regard de ce qui va suivre tout au long de ce roman passionnant, dérangeant, inoubliable. On n’en perd pas une miette, on en redemande même malgré la taille imposante de cette comédie humaine gouvernée par le désir et l’argent. Bonne nouvelle, une suite est déjà à l’écriture pour former au final un nouveau quatuor de Los Angeles après celui du fameux Dahlia noir il y a 25 ans.
Perfidia – Un roman de James Ellroy – Editions Rivages – 829 pages – 24 €.
Les ravages de la guerre
A 85 ans, le vieux lion est toujours aussi efficace et son dernier film est impressionnant de maîtrise tant dans la mise en scène, que dans la dramaturgie, la direction d’acteurs mais aussi dans sa réflexion sur la guerre. Si on ne le voit quasiment plus devant la caméra, Clint Eastwood continue sa carrière de cinéaste à une cadence plutôt soutenue avec au final, une large majorité de très grands films. Il est l’un des tous derniers survivants d’un cinéma américain classique, pourvoyeur de tant de chefs-d’œuvre, qu’il a su durant toute son éblouissante carrière marquer de son empreinte rude, brutale parfois, mais souvent humaniste. La polémique ridicule autour de ce film, lui reprochant son patriotisme voire une glorification de la guerre, est totalement déplacée, le propos du cinéaste étant bien plus ambivalent d’autant que les conséquences de l’intervention américaine en Irak sont loin d’être glorieuses. Clint Eastwood n’a jamais eu peur de s’attaquer à des sujets difficiles, dérangeants voire ambigus, et n’a jamais manqué de proposer différents points de vue dans une histoire, permettant ainsi une vraie réflexion. En 2002, des soldats américains avancent dans une ville irakienne à moitié détruite en fouillant les maisons. Un tireur d’élite des Navy Seals est posté sur un toit et surveille les alentours pour protéger ses camarades. Dans son viseur, il voit une femme et un enfant sortir d’une maison. La femme donne à l’enfant une grenade antichar, et celui-ci court en direction du convoi américain. Le sniper a le doigt sur la gâchette, hésitant à tirer, et au moment où il appuie dessus, le film nous renvoie 20 ans en arrière lorsque gamin par le même geste il vient d’abattre un cerf à la chasse avec son père. Ce film magistralement orchestré, aux images de guerre très réalistes, ne néglige pas pour autant l’aspect psychologique et familial, l’ensemble donnant une œuvre intense et poignante.
American sniper – Un film de Clint Eastwood avec Bradley Cooper, Sienna Miller, … - Warner home vidéo – 1 DVD : 16,99 €.