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Un propos fort servi par la grande maîtrise d'un jeune cinéaste

Publié le par Michel Monsay

Un propos fort servi par la grande maîtrise d'un jeune cinéaste

Ce premier film du belge Leonardo Van Dijl, qui s’intéressait déjà dans ses courts métrages au monde du sport et à sa rigidité, prend pleinement en charge le désir d’absolu, de perfection du geste de son héroïne, pour l’inscrire dans une mise en scène performative. Parallèlement, on comprend vite que Julie est captive d’un secret, celui de l’abus qu’elle a subi par son entraîneur et qu’elle tait. Au moment où le film s’ouvre, l’homme a déjà été évincé du club après le suicide d’une autre jeune joueuse qu’il entraînait aussi. Dans les couloirs, les discussions forment une rumeur lointaine, comme une tempête prête à éclater. Le film, très délicat, nous dit tout cela sans qu’aucun mot ne soit prononcé, nous place dans une connivence secrète avec sa jeune héroïne, et évite tout effet d’attente d’une révélation. Nous ne savons rien de Julie, pourtant nous devinons tout ce qui s’agite derrière la placidité de ses traits et le mouvement fuyant de son regard triste. Le silence est toujours un aveu, semble nous dire le film dont le dispositif sonore est là pour nous laisser écouter son bruit à elle, ausculter son malaise, entendre son souffle court. La maîtrise dans Julie se tait, c’est aussi celle de l’emprise qui perdure, de ses effets indicibles. En nommant l’agresseur de Julie, en lui donnant une consistance, un visage, une voix douce et enveloppante, Leonardo Van Dijl fait le choix, très fort, de démystifier la figure du supposé monstre pour en faire un être terriblement banal et interchangeable. Si l’héroïne est plutôt taiseuse, sa présence constante raconte beaucoup, et le film est riche de sens. En une heure et demie, il immerge le public dans une portion de vie dont il ne ressort pas indemne. La particularité de cette expérience immersive est d’assister en direct à une prise de conscience progressive, à une réappropriation de soi, à une résilience en marche. Proposition cinématographique singulière, tant les récits d’abus privilégient souvent de traiter frontalement ledit abus, ou par l’angle de la défense, de la vengeance, ou du processus judiciaire. Leonardo Van Dijl choisit de coller à une protagoniste qui entend, écoute, perçoit, devine, intègre, digère, et vit une compréhension a posteriori, à son rythme et en silence. Le cinéaste a eu de l’instinct en choisissant son actrice, évidemment très bonne joueuse de tennis et douée d’une présence saisissante. La compréhension intérieure de Tessa Van den Broeck transcende son incarnation, sans une once de performance forcée. La place de l’objectif, les plans fixes, le montage, tout relève d’un dosage minutieux et puissamment signifiant. La très belle nouvelle de ce premier long métrage est aussi de témoigner d’un sujet de société sans en faire un film à dossier, mais en atteignant son but par l’accomplissement artistique. Et de révéler un jeune réalisateur à la précision d'orfèvre, sans qu’il étouffe son sujet, ni l’émotion en jeu, organique. Elle rejaillit une fois le générique fini. Julie se tait infuse dans les regards. Dans les tripes. Dans l’esprit. L’héroïne palpite, elle est bien vivante.

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Un cinéaste et deux actrices en état de grâce

Publié le par Michel Monsay

Un cinéaste et deux actrices en état de grâce

Magistralement écrit et interprété, sobrement réalisé, le vingt-troisième film de Pedro Almodóvar est un très touchant appel à la sollicitude et, si possible, à l’empathie, comportements en voie de disparition aujourd’hui. Un appel entendu par le jury de la dernière Mostra de Venise, qui lui a attribué son Lion d’or. La Chambre d’à côté est, en effet, un film en totale révolte contre le monde d’aujourd’hui, profondément ancré dans l’égocentrisme haineux et tenté par le totalitarisme soi-disant salvateur. Outre le formidable talent du cinéaste qui nous éblouit à chaque plan, il y a la sublime interprétation des deux actrices au sommet de leur art. Pedro Almodóvar avait déjà travaillé avec Tilda Swinton dans l’un de ses deux courts-métrages en langue anglaise, La Voix humaine (d’après Cocteau en 2020), et voulait renouer avec cette expérience. Il savait que Julianne Moore, au jeu d'une grande capacité d'écoute, serait sa partenaire tout indiquée. D’où la très directe référence au tandem Bibi Andersson Liv Ullmann du Persona d’Ingmar Bergman, dont le cinéaste espagnol atteint la profondeur et l'exceptionnelle direction d'actrices. Une référence accompagnée de plusieurs autres, toutes en relation étroite avec les différents thèmes abordés, comme la mort inéluctable (The Dead de James Joyce, si fidèlement adapté au cinéma par John Huston en 1987 (Gens de Dublin) ), ou la solitude apaisée (le tableau d’Edward Hopper, People in the Sun). Des citations qui donnent au film une ampleur artistique universelle, sans pour autant lui ôter sa dimension éminemment personnelle, Pedro Almodóvar continuant sa magistrale série de portraits féminins, comme toujours plongés dans son univers chromatique de prédilection, ses rouges, ses jaunes et ses verts, qu’il doit, comme il le reconnaît souvent, « au Technicolor de son enfance ». Un film qui, d’autre part, présente un engagement humain et politique, puisque, en Espagne, une loi a été votée, le 25 juin 2021, autorisant l’euthanasie. Un film donc à la fois beau et courageux. Ceux qui redoutaient que Pedro Almodóvar perde son âme en traversant l'Atlantique et en tournant son premier film américain en seront pour leurs frais. La chambre d'à côté évolue aux antipodes de l'accablant formatage de mise à Hollywood, ignore les tics du cinéma indépendant US et, par ailleurs, jette un regard pour le moins critique sur une Amérique en proie à la bigoterie et à l'obscurantisme. Le cinéaste joue merveilleusement du champ-contrechamp, et filme la peur dans un regard esquissé, le doute au détour d'une parole hésitante, le sentiment indicible éprouvé face à une chaise vide qui, une fois la porte fermée, raconte que l'absence durera toujours. Il orchestre ces derniers moments avec un art époustouflant de la délicatesse et de la suggestion. Pas un mot superflu, pas une scène de trop dans ce chef-d’œuvre murmuré.

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Un drame poignant sur les heures sombres du Brésil

Publié le par Michel Monsay

Un drame poignant sur les heures sombres du Brésil

Le metteur en scène brésilien Walter Salles, auteur de deux très beaux films, Central do Brazil, et Carnets de voyage, n’avait rien réalisé depuis Sur la route en 2012, en dehors d'un documentaire sur le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke (2014). Voici que débarque sur les écrans son nouveau long métrage de fiction, Je suis toujours là, dénonciation en règle des méthodes autoritaires du régime dictatorial des années 1970, entre tortures et disparition des opposants. Un film intense, dont le scénario a été primé à la dernière Mostra de Venise. Adaptation du livre éponyme du fils du protagoniste, Marcelo Rubens Paiva, écrivain, ce film poignant est en effet avant tout le portrait d’une épouse et mère, tentant de protéger ses enfants de la réalité, alors qu’elle recherche son mari disparu. Choisissant de montrer le contraste entre un foyer bouillonnant, où interagissent dans une belle complicité, le père ancien député socialiste avant la dictature, la mère, et leurs 5 enfants (4 filles et 1 garçon), et un régime omniprésent, assurant fouilles arbitraires, contrôle de la presse et des publications, il pose d’emblée le régime en opposition aux notions de joie, de festivité et de libres échanges. La caméra méticuleuse de Walter Salles s’accroche à la figure de proue de cette héroïne en pleine tempête, le personnage de la mère, interprétée par Fernanda Torres, qui vient d'obtenir le Golden globe de la meilleure actrice, formidable de droiture et de combativité, cachant ses émotions, tentant de résister aux pressions, capable de révolte comme de profonde compréhension, c’est dans ses interactions avec d’autres familles qu’on peut lire ponctuellement sa détresse. Je suis toujours là est un mélo déchirant, terriblement humain et parfois même romanesque mais aussi un manifeste précis et posé sur les rouages de la terreur politique. Cette sombre époque, jamais exorcisée par un pays qui en a vu d’autres, Walter Salles, 68 ans, l’a vécue. Mieux : il a connu ses personnages, le couple et ses cinq enfants et fréquenté, adolescent, leur foyer de Rio, face à l’océan, ouvert au soleil, rempli d'amis de tous âges et de musique, et a gardé le vif souvenir d’une dolce vita à l’insouciance probablement demi-feinte vu le contexte politique effroyable dont chacun préférait se raconter qu’il saura le contourner. Plutôt qu’une implacable démonstration à la Costa-Gavras (Z, L’Aveu), le cinéaste emprunte une voie intime, entre chronique familiale et portrait de femme. Le système totalitaire y tient bien sûr un rôle central, en ce qu’il fracture le long métrage, créant un avant et un après tant dans les âmes que dans la mise en scène. Au Brésil, ce film phénomène a séduit plus de 3 millions de spectateurs, et on ne peut que s'en féliciter en se rappelant que Bolsonaro et sa clique n'ont eu de cesse de clamer leur admiration pour les riches heures de la junte militaire de cette époque.

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Un émouvant récit d’apprentissage tendrement rude

Publié le par Michel Monsay

Un émouvant récit d’apprentissage tendrement rude

Second long-métrage du réalisateur japonais de 28 ans, Hiroshi Okuyama, récit d’apprentissage aux forts accents autobiographiques, My Sunshine brille par son charme et sa délicatesse. La pudeur mène la danse dans ce trio hivernal sur l’île nippone d’Hokkaido. C’est l’histoire de trois personnages qui se rencontrent et allient leur solitude, au moment où le paysage se recouvre de neige. La trame émouvante du film naît des projections de chaque protagoniste sur un autre. Assurant l’écriture, la mise en scène, la direction de la photographie et le montage, Hiroshi Okuyama articule une intrigue précise mais sans esbroufe ni maniaquerie. Son sens du cadrage en format carré célèbre les nappes de ouate blanche autant que les silhouettes qui s’entraînent et glissent sur la glace. Tout un art du chromo sans vieillerie et de la vignette sans l’ampleur du CinémaScope, pour rester à hauteur modeste des êtres qu’il croque à l’écran. Le subtil équilibre triangulaire fonctionne dans un état de grâce suspendu mais s’avère humainement fragile, autant que la neige vouée à fondre. Sous couvert de douceur ambiante, le cinéaste raconte l’injonction sociétale, la résignation, et l’homophobie ordinaire, dans un monde où la force apparente l’emporte sur la vulnérabilité, et le hockey sur le patinage. Que fait-on de ses désirs et de ses rêves ? Jusqu’où peut-on les vivre et les assumer ? La tendresse et la mélancolie se donnent la main dans ce jeu de regards. La retenue et la frontalité aussi, dans un puzzle existentiel qui avance par touches, sans explication psychologisante ni lourdeur de sens. La grâce du film repose aussi sur deux jeunes novices, Keitatsu Koshiyama et Kiara Nakanishi, qui allient aisance sur patins comme dans le jeu des émotions. Comme il l’a fait dans la magnifique série Makanai en participant à l'écriture aux côtés du grand Hirokazu Kore-eda, Hiroshi Okuyama capte délicatement et sans effusion les petits gestes du quotidien, les réactions timides, les fou-rires tonitruants, les hésitations, les silences aussi, tout ce qui constitue ses personnages et leur interaction, et en fait un matériau absolument romanesque, beau, humain, simple. Le cinéaste fait de nous les témoins de la naissance d’un instant forcément fugace dans l’existence de son trio, et se dégage de son regard une infinie tendresse pour ces trois personnages. Ce joli film baigné de mélancolie gagne à trouver sa place au milieu du pimpant et du bruit, comme un ami qui veut du bien.

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Très bel hommage à un photographe essentiel mais méconnu

Publié le par Michel Monsay

Très bel hommage à un photographe essentiel mais méconnu

Ernest Cole naît en 1940 dans un township d’Afrique du Sud. Il apprend la photographie puis fixe le quotidien de l’apartheid à l’aide de clichés souvent pris au vol pour ne pas se faire arrêter par la police, et publie en 1967 un livre, House of Bondage, aussitôt interdit, qui l’oblige à quitter le pays. Il se réfugie à New York, plein d’espoir. Mais, comme beaucoup d’immigrés sud-africains, il ne parvient jamais à s’adapter à ce pays où les relations entre les Blancs et les Noirs, soi-disant pacifiées, sont faussées. Il réalise un reportage dans le Sud des États-Unis noir et pauvre, mais il est méprisé : Le photographe retrouve une autre forme de ségrégation, des regards malveillants, le racisme systémique. Il sombre dans la misère à 40 ans, vend ses appareils, se dissout peu à peu dans le brouillard de New York et meurt à 49 ans, quelques jours après la sortie de prison de Nelson Mandela, qui augure pourtant une nouvelle ère. Ernest Cole a toujours souffert de n’avoir jamais pu retourner dans son pays, qu’il décrivait pourtant comme un “enfer”. Quelques années après sa disparition, une banque en Suède, où il avait fait plusieurs séjours, confie au neveu du photographe 60 000 négatifs stockés dans un coffre. Qui a payé pour leur conservation ? Personne ne le sait, de plus 524 clichés d'Ernest Cole, parmi les plus connus, restent encore bloqués en Suède. Le documentaire admirable et déchirant de Raoul Peck, au montage basé en grande majorité sur des images du photographe, est comme le pendant tragique de son portrait de l'écrivain James Baldwin, le miraculeux I Am Not Your Negro, César du meilleur documentaire en 2018 : Ernest Cole photographe est un film sur un loser génial, figure majeure de la lutte contre l'apartheid, qui aurait dû devenir riche et célèbre tant son talent est éclatant sur toutes les photos qui défilent dans le film. Ernest Cole se raconte à la première personne par la voix de Raoul Peck lui-même, qui s'est servi des écrits du photographe et des témoignages de ses proches. Depuis ses débuts le cinéaste haïtien Raoul Peck n’a de cesse de ressusciter une parole noire déniée, interdite et effacée par le pouvoir blanc. Il fait des films pour recréer une mémoire et développer une narration différente de l’histoire académique. En isolant des détails, il enquête sur l’image, mettant en lumière la puissance esthétique et politique des photos d'Ernest Cole. C’est dans le drame de l’exil que Raoul Peck, qui n’a jamais pu guérir des tragédies d’Haïti, s’est reconnu pour tisser la matière d’un récit sensible et captivant. Les photos d'Ernest Cole n’ont commencé à être exposées en Afrique du Sud qu’une dizaine d’années après sa mort. Raoul Peck leur offre aujourd’hui le plus bel écrin, pour qu’elles voyagent enfin.

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Puissant réquisitoire contre les dérives du jeunisme et la dictature des apparences

Publié le par Michel Monsay

Puissant réquisitoire contre les dérives du jeunisme et la dictature des apparences
Puissant réquisitoire contre les dérives du jeunisme et la dictature des apparences

The Substance résonne comme une véritable déflagration dans les cœurs et les esprits. À la fois film politique et coup de force féministe jusqu’au-boutiste, monstrueux, décapant et régénérant. Sans comparaison aucune avec la vacuité du faible Titane de Julia Ducournau, la réalisatrice française Coralie Fargeat, dont c'est le deuxième film, démonte par le menu l’asservissement d’une femme, ex-actrice qui a connu la gloire de Hollywood et star télé d’aérobic vieillissante mais pourtant toujours très en forme, sous le joug de son image et d’un producteur avilissant. La cinéaste pointe les hommes et la société de consommation avec sa kalachnikov pour une seule revendication : l’arrêt immédiat de l’idolâtrie du jeunisme et des femmes-objets. Avec The Substance, Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, Coralie Fargeat se révèle la digne héritière d'un David Cronenberg, en mettant au centre de son film le sujet du corps qui est au cœur de l'œuvre du réalisateur canadien. Écrit au cordeau avec une progression narrative qui ne laisse aucun répit, la réalisatrice met aussi en garde contre le star-système, et peut-être tous les milieux du business, qui cultivent l’exception corporelle à travers des jeunes femmes qui doivent être filiformes, toujours souriantes, d’une beauté universelle, dans un système où l’on n’a pas le droit de vieillir, de s’affadir et de se montrer vulnérable. Bien qu’il ne s’agisse que de son second long-métrage, Coralie Fargeat fait montre d’une maîtrise absolue de son sujet et de la mise en scène. Le montage est ingénieux, permettant d’explorer au quotidien toutes les facettes de la monstruosité humaine. Impressionnante Demi Moore, sublime Margaret Qualley et Dennis Quaid en roue libre, s’immiscent parfaitement dans cet univers qui pourrit de l’intérieur à cause d’un capitalisme ravageur qui n’a jamais assez d’argent et d’une jeunesse qui se voudrait toujours plus éternelle. Si des influences propres à Shining, Carrie, Elephant man et autres films d’horreur, pointent leur nez par-ci par-là, ce n’est que pour rajouter au plaisir provoqué par un film aussi cérébral que visuel, servi par une très belle photographie, des cadrages sensoriels, ainsi que des effets spéciaux et maquillages très réussis. Malgré ses sujets très sérieux, le film est d’autant plus rafraichissant que Coralie Fargeat n’oublie pas de conserver un humour féroce, l’ensemble surfant sur une atmosphère grand-guignolesque au milieu de ses élans de violence, lui conférant une valeur politique bien plus importante.

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Une épopée sentimentale et fromagère à la fois brute et lumineuse

Publié le par Michel Monsay

Une épopée sentimentale et fromagère à la fois brute et lumineuse

Louise Courvoisier filme son Jura natal pour nous conter une épopée agricole dotée d’un charme fou. Vingt Dieux est un triple récit de première fois, pour sa réalisatrice, ses comédiens qui sont tous non-professionnels, et son personnage principal. Moderne et rustique, local et universel, elle réussit son affinage avec une sincérité très touchante. Quelle que soit la qualité des films français, semaine après semaine, une petite constellation de comédiens se partage les rôles. 2024 aura brillé de belles exceptions comme L'histoire de Souleymane, Le Royaume, ou Madame Hofmann et maintenant Vingt Dieux, qui rejoint cette veine de films d'une grande puissance, tombés d'horizons différents et interprétés avec une rare authenticité. Ne cherchant jamais à rajouter de la misère à la tristesse, la réalisatrice tire en permanence son film vers la lumière. En ça, Vingt Dieux a un air de La part des anges de Ken Loach au petit goût d’AOP et de produits laitiers. Mais surtout, ce premier long-métrage épate dans sa manière de portraiturer une jeunesse résiliente, débrouillarde et bienveillante, ce qui n'est pas gagné au début du film tant les jeunes garçons sont exaspérants. Sans imposer un quelconque discours hasardeux et sans fantasmer la vie paysanne façon Épinal, Louise Courvoisier nous entraîne dans ce récit d’apprentissage émouvant, idéalement incarné par des acteurs non professionnels, dont Clément Faveau et Maïwène Barthélemy, tous deux épatants, qui jouent le drame sans sensiblerie, l’humour sans truculence et la tendresse sans joliesse. Elle souhaitait raconter son histoire au sein d’un univers réaliste. Jurassienne, fille de deux musiciens reconvertis dans l’agriculture, elle porte sur ses personnages un regard d’une infinie douceur et on comprend mieux d’où vient tout l’amour qui circule dans ce film tendre, sincère, et drôle tout en réussissant à montrer la dureté de la vie rurale et des situations traversées par les personnages. La jeune cinéaste de 30 ans parvient à réaliser un très beau film, jouissif et libérateur, sur fond de détresse sociale du personnage principal, sans tomber dans le pathos ni dans la vulgarité.

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Vertigineux récit jouant en permanence avec les ambiguïtés morales

Publié le par Michel Monsay

Vertigineux récit jouant en permanence avec les ambiguïtés morales

Dans le sillage de la beauté classique et la force tranquille de La Mule et Le Cas Richard Jewell, avec une désarmante aisance, Clint Eastwood livre à 94 ans un grand thriller juridique, tout en cernant la complexité psychologique de chacun de ses personnages. Aucun rôle n'est abandonné à la caricature, même les troisièmes couteaux, tandis qu'à travers les conflits intimes de ses débatteurs, le cinéaste donne à voir la fragilité du système judiciaire américain lorsque les opinions préconcues et le délit de profil l'emportent sur les preuves concrètes, parfois même avec la sincère conviction de faire le bien. En ces temps de binarité mortifère nourrie par les réseaux sociaux, parasitant toute nuance et vérité dans le rendu de la justice, la démonstration paisible mais ferme de Juré n°2 fait un bien fou. Après avoir fait connaissance avec le personnage central et sa femme, le film présente judicieusement, dans une séquence forte en significations, l’un des aspects fondamentaux du système judiciaire américain : la sélection très rigoureuse et non dénuée de préjugés raciaux et sociaux des douze membres d’un jury criminel, puis sur le fonctionnement au caractère très intime de celui-ci. Avec la même maestria que Sidney Lumet dans son célébrissime Douze Hommes en colère (1957), Clint Eastwood scrute en profondeur les convictions, puis les doutes des jurés, confrontés, les uns après les autres, à des éléments troubles, soulevés par une analyse plus approfondie du déroulement des faits. Si le film joue à ce point avec le revirement intime de personnages vis-à-vis de leur rôle dans le procès, ce n’est que pour appuyer toujours mieux la stratégie humaniste de son auteur, tissée au travers de choix scénaristiques. Finalement, Juré n°2 est moins un film de procès qu'une peinture d’individus écartelés entre leurs principes et leurs ambitions, entre leur mission et leurs compromissions. Au terme d’une carrière à la cohérence ahurissante et garnie de nombreux chefs-d'œuvre, il y en a encore quelques uns qui ne voient en Clint Eastwood qu’un artiste réactionnaire tourné vers le passé, alors que son humanisme passe son temps à s’interroger sur une modernité freinée dans ses élans. En tout cas, Juré n°2 est un objet bien moderne dans ses problématiques, confirmant plus que jamais la pertinence de ce grand cinéaste, et le poids de son propre héritage cinématographique, construit depuis ses débuts autour de dilemmes moraux et sociétaux.

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Une très belle composition en équilibre entre drame et comédie

Publié le par Michel Monsay

Une très belle composition en équilibre entre drame et comédie

Ce film est un bonheur, grâce tout d’abord à une écriture parfaite qui alterne efficacement entre des ellipses, des scènes tenues à l'essentiel, et d'autres au contraire qui prennent leur temps : autant dans les situations, qui vont là où on ne les attendait pas, que dans les dialogues, justes et piquants, jamais encombrés de mots d’auteur. Grâce, ensuite à une interprétation superbe de tout le casting, dominé par l'excellent Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin que l'on voit de plus en plus ces derniers temps, à juste titre tant sa performance est d'une remarquable justesse, le regard brisé de son personnage, sa résignation mais aussi son univers intérieur sont très puissants. À leur côté, des non professionnels sont mêlés à des acteurs à la réputation avérée, et tous sont plus vrais que vrais. Le souffle qui emporte En fanfare est aussi original qu’il est ancré dans un humanisme authentique, un respect des hommes et des femmes ici racontés. Une fanfare du Nord, ça pourrait générer du folklore, mais le regard d'Emmanuel Courcol fait toute la différence. C’est gai, c’est triste. On rit, on pleure et on reconnaît la fraternité pour ce qu’elle est. Le sel de la vie. Emmanuel Courcol réitère quatre ans après le touchant Un Triomphe, avec Kad Merad en professeur de théâtre dans une prison, dans la comédie dramatique à fond social. Car ici il est bien entendu question de traiter de l’inégalité des chances et de l’espoir d’une connexion entre gens de mondes différents. Le tout dans un contexte du Nord de la France avec comme perspective les délocalisations. Devenu cinéaste sur le tard, Emmanuel Courcol a débuté comme comédien puis scénariste. Il avait déjà 59 ans lors de la sortie de son premier long métrage, Cessez le feu avec Romain Duris en 2017. Sa solide expérience de scénariste, forgée auprès de Philippe Lioret avec lequel il a collaboré sur quatre films dont Welcome, ou auprès d’Édouard Bergeon sur Au nom de la terre, l’a transformé en réalisateur soucieux d’une écriture précise et des problématiques sociales. Ses œuvres projettent souvent un individu dans un univers inconnu. Un procédé narratif efficace permettant au spectateur de découvrir ce nouveau monde en même temps que le protagoniste et de battre en brèche nombre de présupposés et de clichés. Véritable auteur populaire, il assume pleinement de viser un large public sans jamais céder à la facilité. Ce très beau film pourrait bien être le succès de cette fin d'année, il a tous les atouts pour y parvenir.

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Un hymne à l’amour au temps le plus insensé de l’inhumanité

Publié le par Michel Monsay

Un hymne à l’amour au temps le plus insensé de l’inhumanité

En adaptant en film d’animation un conte de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazanavicius parvient à raconter une histoire belle, humaniste et universelle sans éluder les horreurs de la Shoah. Et dire que c’est le réalisateur de The Artist, d’OSS 177 et même de l’hilarant délire zombiesque de Coupez ! qui signe ce puissant long-métrage d’animation. Une œuvre sur la Shoah qui réussit l’exploit de s’adresser à tous les publics à partir de 10 ans, sans rien éluder de ce qui a longtemps été indicible. A 57 ans, Michel Hazanavicius signe son premier film d'animation, lui qui a toujours dessiné. Néanmoins, seuls ses proches connaissaient cette partie intime de son travail. Parmi eux se trouvait son vieil ami, l'écrivain Jean-Claude Grumberg, auteur du conte La Plus Précieuse des marchandises. Téméraire, le cinéaste ose affronter la représentation des camps, dans des séquences cauchemardesques, à la fois frontales et pudiques où l'écran se vide de ses couleurs. La Plus Précieuse des marchandises paraît donc très éloigné de ses comédies, mais en s'y penchant, on y retrouve néanmoins sa culture du cinéma muet, auquel il rendait hommage dans The Artist. Passe en effet, à travers ses dessins, la générosité du Chaplin de The Kid ou de La ruée vers l'or. Sous les traits sobres et souples, le metteur en scène déploie un film puissamment sonore. L'écran déborde des bruissements de forêt, crissements de neige, échos des coups de hache… monte aussi le roulis de ce train, qui devient un personnage à part entière : Un concert mécanique terrifiant qui évoque aux oreilles l'industrie de la mort. Outre Les voix de Dominique Blanc, Gregory Gadebois et Denis Podalydès qui incarnent les personnages principaux, très bien tous les trois comme à leur habitude, il y a la très émouvante voix du narrateur : Jean-Louis Trintignant. Disparu il y a deux ans, l'acteur tient là son dernier rôle. L'effet est saisissant tant il paraît nous parler de l'au-delà. Ce timbre si particulier que l'on a tant aimé, reconnaissable entre tous, est revenu de si loin pour nous confier comme un secret : même dans les moments les plus noirs, l'amour reste encore La Plus Précieuse des marchandises, la meilleure façon de nous sauver de notre propre barbarie. Michel Hazanavicius et l’équipe d’artistes d'un studio d’animation français basé à Angoulême évitent tous les écueils, toutes les fausses notes et les indécences, car ils ne cessent de chercher la lumière au cœur des ténèbres. À travers ce très beau film, le cinéaste célèbre les Justes, ces gens de toutes origines, poussés par leur boussole morale à aider les persécutés, y compris au péril de leur vie.

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