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Captivant et implacable huis clos dans un collège allemand

Publié le par Michel Monsay

Captivant et implacable huis clos dans un collège allemand

Ce thriller haletant du réalisateur allemand Ilker Catak brosse le magnifique portrait d’une enseignante, sans rien dévoiler de son intimité et de son quotidien hors du collège. Tourné en huis clos à Hambourg, ce film interroge les dérives de la bien-pensance dans un collège dit progressiste où le personnel a surtout tendance à manquer de discernement. L’intrigue pourrait se réduire au cas de conscience d’une enseignante idéaliste, qui croit aux valeurs du dialogue et à la cohésion du groupe à la faveur de l’apprentissage des choses de la vie. Le film vise plus loin, en se servant du collège pour dépeindre les tourments de nos sociétés. La mise en scène procède d’un face-à-face entre la professeure, dont les propos nuancés restent inaudibles par les tenants du politiquement correct, et le reste du collège, pris dans une transe inarrêtable qui le pousse à œuvrer sans réfléchir. Cette fable philosophique sur la pensée unique dit aussi beaucoup du racisme ordinaire envers les Polonais (l'héroïne vient d’une famille polonaise de Westphalie) en cours en Allemagne. Alors qu’à chaque moment on sent poindre l’explosion, la force du film consiste à conférer suffisamment d’impondérables à son récit pour maintenir l’attention. Dans une mise en scène au cordeau, La Salle des profs, rivé au visage de l’actrice principale, parfaite Leonie Benesch, de plus en plus isolée, se maintient à la frontière de la réalité et du mensonge. Caméra sans cesse en mouvement, plans-séquences, image au format 4/3 : le réalisateur enferme les personnages dans le huis clos du collège et maintient une tension permanente : Faux coupable, apparences trompeuses, multiplication des points de vue, solitude du héros dans un microcosme hostile. Beau succès public en Allemagne, récompensé dans plusieurs festivals, La salle des profs a remporté cinq Lola, l’équivalent germanique de nos César. Ce film glaçant et très efficace s'intéresse moins à l'enseignement qu'à la façon dont un lycée forme une petite société. A l'échelle d'un bâtiment labyrinthique, Ilker Çatak nous raconte les réseaux sociaux, la poudre des fausses nouvelles et cette foule constamment à la recherche de héros à célébrer et de proies à dévorer. La classe est à la fois l'endroit où s'invente le monde de demain et un reflet impitoyable de celui d'aujourd'hui. 

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Briser un mur de silence et de solitude

Publié le par Michel Monsay

Briser un mur de silence et de solitude

En 2021 et alors qu’elle achève les épreuves du Voyage dans l’Est, Christine Angot s’en voit proposer un autre, de voyage dans l’Est, par son éditeur pour la promotion du livre. À Strasbourg, là où elle a rencontré son père et là où il a commencé à la violer à treize ans. Elle a l’intuition qu’il y a là quelque chose à filmer, ce coup du hasard n’en est peut-être pas un. Cette caméra, ou plutôt ses caméras qui suivront ses pas, elle ne les confie pas à n’importe qui, puisqu’il s’agit des cheffes opératrices Caroline Champetier et Inès Tabarin. L’acte fondateur du film se joue lorsqu’elles se rendent ensemble au domicile de la belle-mère de Christine Angot, vivant seule depuis le décès de son mari et père de Christine Angot en 1999, deux mois après la parution de L’Inceste. Dans cette séquence à la fois prodigieuse et sidérante, on voit l’écrivaine sonner à la porte de la veuve de son père, pour tenter d’avoir avec elle une discussion que l’écrivaine réclame en vain depuis des années. Au début de cette séquence, alors que la tension dramatique atteint un pic, une archive vidéo personnelle s’invite au montage, les images d’aujourd’hui et celles d’autrefois étant tissées les unes aux autres tout au long du film, où Christine Angot part en quête d’un dialogue avec celles et ceux qui l’ont vue grandir, évoluer, de près ou de loin, en taisant des décennies durant, l’inceste dont elle fut victime. Une famille est un film de guerre intime, à portée collective, d’une grande force émotionnelle, qui raconte aussi la solitude abyssale à laquelle l’auteure de L’Inceste ou Pourquoi le Brésil ? est confrontée depuis son adolescence, où elle a hurlé seule dans le désert jusqu'à récemment avec les livres de Camille Kouchner ou Neige Sinno. Le cinéma vient emboîter le pas de l’écriture pour mettre la lumière sur des zones d’ombre impossibles à tolérer et donner à cette voix plus de portée encore. Une voix qui longtemps fut raillée, et le film exhume un épisode télévisuel insupportable, sur le plateau de ces deux abrutis de Thierry Ardisson et Laurent Baffie, où la vulgarité, l’irrespect et l’inconséquence faisaient rage dans les années 1990. À vomir ! Une famille apparaît comme la chambre d'échos d'une douleur, d'une colère à faire entendre et d'un désir d'entendre ce que les autres ont à dire. "J'en ai marre de parler de l'inceste. J'en ai marre que mon travail soit envahi par ça", dit Christine Angot. Avec ce film, elle interroge une fois encore cette question, mais d'une manière plus directe, qui fait surgir et donne à voir une vérité, sans détours, sans filtre et sans littérature. Il aura fallu un prix Médicis pour Le Voyage dans l’Est puis ce film poignant pour que la parole de Christine Angot soit largement entendue. En acceptant de montrer ses larmes, son angoisse, sa terreur de petite fille sans rabattre sa radicalité, elle œuvre pour le collectif mais n’attend aucune réparation. On ne guérit pas de l’inceste.

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Des instantanés à la fois drôles et tragiques qui défendent la liberté

Publié le par Michel Monsay

Des instantanés à la fois drôles et tragiques qui défendent la liberté

État des lieux de l’Iran d’aujourd’hui, Chroniques de Téhéran met en scène neuf personnages aux prises avec des petits chefs insupportables. Ce sont neuf scènes, neuf tranches de vie à la fois drôles et tragiques, où quatre femmes, quatre hommes et une enfant se retrouvent confrontés à l’abus de pouvoir en vigueur dans le régime totalitaire en place. Ça frise la caricature, et pourtant, on sent bien que la vérité est là. Ces histoires, ces chroniques, sentent le vécu.  Ce sont des situations banales de la vie quotidienne, qui démontrent le contrôle permanent, jusqu’à l’absurde, du gouvernement iranien sur la vie privée voire intime des citoyens. Grâce au dispositif, à la fois très simple et très cinématographique, maintenir les inquisiteurs et autres tortionnaires, fussent-ils verbaux, hors champ et nous laisser face à ces gens affrontant l’inimaginable, le film est d’une force implacable. Ali Asgari, l'auteur d'un premier long-métrage puissant il y a un an et demi, Juste une nuit, et Alireza Khatami ont financé ce film avec leurs propres deniers et l'ont fabriqué entre amis, en toute clandestinité. De façon à protéger ce projet, chaque comédien pensait tourner un court-métrage. Ce format n’étant pas soumis à autorisation préalable. Aucun ne disposait d'informations sur le film complet,  composé de neuf histoires, neuf plans-séquences, neufs dialogues entre deux acteurs ou actrices, l’un cadré en plan moyen, l’autre hors champ, avec, à chaque fois, des interprètes différents mais tous persuadés de tourner un court métrage autonome. Leur cacher la vérité était le seul moyen de leur éviter des ennuis avec la police une fois que le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique aurait découvert le pot aux roses. Ces Chroniques de Téhéran décrivent ainsi une société de geôliers et de prisonniers… un monde d'où, parfois, une œuvre insolente et courageuse parvient à s'évader, pour rejoindre nos cinémas. L'une des forces de ce film est son tact pour traiter un sujet ô combien sensible, de la relation des habitants aux autorités et à l’ordre établi. Entre compromissions et oppositions, neuf nuances de civisme et d’obéissance civile en disent long sur l’étendue du malaise. Le cinéma iranien nous avait habitué à des drames et autres mélodrames. Ici, l’originalité de son écriture et le ton de son réquisitoire anti-régime le distinguent des autres productions de ce grand pays de cinéma. Finalement, à force de jouer à contourner la censure et à tricher avec elle, les cinéastes iraniens ont su s’adapter à ce carcan et ont appris à ruser et à s’exprimer librement dans la contrainte.

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Cet insupportable patriarcat

Publié le par Michel Monsay

Cet insupportable patriarcat

Le réalisateur jordanien Amjad Al Rasheed signe avec Inchallah un fils un premier film de rage et d’espoir, de combat d’une femme dans un monde d’hommes et d’indignation d’un système injuste. C'est la descente aux enfers abyssale d’une mère, d’une femme, dans une société patriarcale, où les lois sont faites par les hommes pour les hommes. Amjad Al Rasheed s’est inspiré de l’histoire d’une parente proche pour porter à l’écran le combat de toute une génération. Il montre très intelligemment l’instrumentalisation de la religion à des fins personnelles pour renforcer le pouvoir machiste. L'actrice Mouna Hawa incarne superbement cette femme combative, à la fois fragile et déterminée. Ce premier film surprend par sa mise en scène et son écriture, toutes deux témoignant d’un point de vue ouvertement progressiste et d’un sens aigu de la narration et du découpage. Il transporte par sa capacité à dépeindre les ravages du patriarcat tout en brossant le portrait saisissant d’un personnage fort, pris dans les affres de son environnement. C'est aussi un thriller féministe admirablement mené avec un vrai sens du suspense. Mis en image par le biais d’une photographie sobre et élégante, jouant sur l’aspect étouffant de ses décors intérieurs, ce film puissant de survie, d’émancipation et d’espoir, baigne dans une approche réaliste. Quelque part entre Asghar Farhadi et les frères Dardenne, le jeune cinéaste talentueux dépeint avec une rigueur de chaque plan le parcours infernal de son héroïne, obligée de batailler pour simplement conserver sa maison et la garde de sa fille, coincée par le poids de la morale religieuse et de la réputation, face à des personnages masculins avides ou lâches. Coécrit avec deux femmes, Rula Nasser et Delphine Agut, Inchallah un fils livre une critique implacable de l’oppression structurelle des femmes en Jordanie, et nous touche profondément.

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Un blockbuster spectaculaire, intelligent, complexe, d’une grande beauté et d’une ambition rare

Publié le par Michel Monsay

Un blockbuster spectaculaire, intelligent, complexe, d’une grande beauté et d’une ambition rare

Après d'excellents thrillers, comme Sicario ou Prisoners, Denis Villeneuve s'est immergé avec tout son talent depuis 2016 dans l'univers de la science-fiction avec Premier contact, puis Blade runner 2049, avant de s'attaquer à Dune. Il nous plonge jusqu’au fond des yeux dans un spectacle méditatif et monumental qui n’appartient qu’à lui. Comment, en seulement quatre longs métrages, est-il parvenu à bousculer le folklore visuel familier de la science-fiction, à nous faire décoller, convaincus et émerveillés, à des années-lumière du décorum d’un genre surencombré au cinéma ? C’est d’abord, évidemment, une question de signature esthétique. Le futur selon Denis Villeneuve, qu’il soit proche ou lointain, s’ouvre en vertigineux plans larges, en tableaux géants volontiers nébuleux et monochromes, comme les ocres brûlants de la planète Arrakis dans Dune, où le premier décor est l’air lui-même. Trouble, chargé de poussière ou de sable, il nous donne presque littéralement à respirer l’étrangeté de ces mondes. Effet d’immersion totale dans des écosystèmes de cinéma à la fois oniriques et réalistes, où le cinéaste sait installer une multitude de références et d’images. Chez Denis Villeneuve, l’authenticité du futur est directement issue de la profondeur de champ du passé et de la présence concrète de la matière. Le cinéaste tient en effet à tourner dans de vrais décors, en prises de vues réelles, en limitant autant que possible les effets spéciaux numériques. Le cinéma de Denis Villeneuve se construit depuis ses débuts sur une friction entre l’ampleur et le naturalisme. Dune 2, à ce sujet, ne pourrait s’avérer plus remarquable d’équilibre. Ici peu importe les mondes et environnements que sa caméra visite, peu importe la grandeur des décors, l’infini de l’horizon, la bizarrerie des créatures, le gigantisme des scènes d’action, tout reste en permanence palpable et organique, grâce notamment à une superbe photographie et une ambition visuelle impressionnante. Denis Villeneuve a une vision et ça change tout. Cette deuxième partie de Dune prend le temps de développer ses enjeux, mythologiques, politiques ou romanesques. C’est l’histoire d’un prophète qui ne voulait pas l’être, effrayé par les fondamentalismes qu’il suscite, puissante réflexion très contemporaine. En effet, ce film nous parle aussi d'aujourd'hui. A travers la lutte des Fremen et des Harkonnen, nous assistons au duel de deux fanatismes : l'extrémisme religieux et le fascisme. Denis Villeneuve s'est éloigné de la Terre pour mieux évoquer ce sinistre cocktail : mêler le mysticisme à la politique, à la géographie et à l'économie ne peut qu'entraîner l'humanité dans une spirale meurtrière. Quant au spectacle, il est démesuré, entre tragédie antique et odyssée guerrière. En même temps graphique à l’extrême, d’une étrange et froide opacité. La science-fiction franchit une nouvelle étape, en même tant que le héros chevauche un gigantesque ver à travers les dunes de la planète Arrakis. Un moment de grâce visuelle, parmi tant d’autres. Sans oublier la performance des comédiens, qui sont tous à la hauteur de ce fascinant péplum cosmique.

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Les ravages d'une masculinité meurtrière

Publié le par Michel Monsay

Les ravages d'une masculinité meurtrière

Iron Claw a beau s'ouvrir sur un match de catch, cette discipline sportive si particulière n'est que la toile de fond du film de Sean Durkin, et non son principal sujet d'étude. À travers le catch, c'est une histoire de fratrie sous l'emprise d'un père autoritaire, obsédé par la réussite et la gloire, que raconte le film, en l’occurrence celle de la famille Von Erich, qui a marqué l'histoire du catch dans les années 1980. Une des qualités du troisième film de Sean Durkin, après les très remarqués The Nest et Martha Marcy May Marlene, dont on a compris que le thème de prédilection était les mécanismes d’emprise masculine, est de raconter les dégâts d'une paternité toxique sans en grossir le trait, en en laissant décanter les vapeurs à mesure que le film avance. Tout en muscles suintant de testostérone et en cheveux longs, les quatre frères sont entrainés par leur père à poursuivre la soif de reconnaissance de ce dernier, quitte à s’y brûler la santé, le corps et le mental. Ce n’est pas une mystérieuse malédiction qui les poursuit, mais bien les ravages d’une masculinité meurtrière. À travers ce symbole du père, c’est aussi une certaine idée de l’Amérique, blanche, de droite et du sud, qui est battue en brèche. Si on pense parfois à Foxcatcher de Bennett Miller (2014) dans cette façon de mettre en scène l’épuisement et la chute de la puissance du corps masculin, Iron Claw rappelle aussi Celui par qui le scandale arrive de Vincente Minnelli (1960) dans sa critique d’un patriarcat assassin. Le plus beau et triste à la fois est que ces quatre frères classés par ordre de préférence et poussés à la rivalité, restent miraculeusement unis et aimants. Ils s'écoutent, règlent leurs différends quand ils en ont, s'admirent et prennent soin les uns des autres, malgré leur soif de reconnaissance paternelle. Zac Efron qui tient ici son meilleur rôle, physiquement métamorphosé, monstre herculéen au regard d’enfant, incarne avec justesse le frère ainé, habité par une naïveté salvatrice, face à un Holt McCallany impressionnant dans le rôle du père, tous deux entourés par une troupe d'acteurs et d'actrices convaincants, dont la lumineuse Lily James. Avec en arrière-plan toute la violence et la pudibonderie de la société américaine, qui voue un culte aussi fervent au Christ qu'aux armes à feux, Iron Claw nous interroge sur les codes de la virilité, et sur l'éducation et les conséquences de ce que l'on transmet comme valeurs aux garçons, dressés pour combattre, interdits de sentiments et d'émotions. Sean Durkin met en scène l'histoire de cette famille comme une tragédie grecque, avec par moments une esthétique de péplum qui figure très bien l'univers haut en couleur et proche de l'ambiance des arènes antiques de cette étrange discipline, quelque part entre le sport et le spectacle.

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Une déclaration d’amour au jazz et à la bossa nova

Publié le par Michel Monsay

Une déclaration d’amour au jazz et à la bossa nova

Ce très beau film d'animation est à la fois une ode à la bossa nova, une enquête sur la disparition d'un grand pianiste brésilien, et un hommage à une Amérique latine laminée par les dictatures militaires. C'est aussi un passionnant voyage musical, historique et nostalgique où l'on croise d'immenses légendes de la musique, de Vinícius de Moraes à Chico Buarque, de Jobim à Caetano Veloso, mais aussi Ella Fitzgerald, Bill Evans et Bebo Valdés... Le titre They Shot the Piano Player est un clin d'œil au film de François Truffaut Tirez sur le pianiste  (1960). Il rappelle que deux mouvements artistiques d'ampleur, la bossa nova au Brésil et la Nouvelle Vague en France, ont surgi au même moment, et que Truffaut a marqué fortement certains artistes brésiliens. Le duo de réalisateurs à la baguette de ce film est composé de Fernando Trueba, cinéaste, scénariste et producteur musical, et Javier Mariscal, illustrateur, auteur de BD, graphiste et peintre, qui avaient déjà coréalisé le film d'animation Chico et Rita  (2011), une immersion euphorisante et mélancolique dans le milieu du jazz cubain. Les voilà de nouveau réunis autour d’un long-métrage animé, pour célébrer le continent latino-américain et la musique, à travers l’enquête d’un journaliste américain sur la disparition à Buenos Aires d’un prodige brésilien du piano, à la veille du coup d’État militaire argentin. Francisco Tenorio Jr s’est évaporé une nuit de mars 1976. Entre fiction et réalité, ce film crée son univers en assemblant les pièces accumulées par Fernando Trueba, qui a initialement voulu réaliser un documentaire en prises de vues réelles sur ce mystère. Il a sillonné le monde et la capitale argentine, et filmé plus de cent cinquante interviews, jusqu’à l’épouse de Tenorio, qui s’est confiée pour la première fois. La création par l’animation permet de ressusciter judicieusement le disparu, artiste épatant et violemment éliminé, le berceau carioca de la bossa nova, et la propagation de la dictature argentine, tout en s’autorisant la fiction à travers un guide extérieur, journaliste musical contemporain, inventé pour faciliter la narration. L’équilibre était périlleux à trouver entre l’hommage musical et le thriller politique. Les auteurs y parviennent parfaitement à force de tissage ingénieux et de beauté plastique. Le travail de Javier Mariscal et de ses équipes sur la couleur est captivant de nuances, de la luxuriance à la noirceur, et le trait n’est jamais forcé. C’est donc la joie et la douleur, la lumière et l’ombre, la vie et la mort, qui s’entrelacent sur l’écran. Ces sensations gagnent aussi le spectateur, car le tour de force des réalisateurs repose sur l’expérience sensorielle d’un univers enfui, sur l’invincibilité de la musique, et sur le témoignage historique et politique d’un monde dominé par le totalitarisme. Un regard au présent, où il fait bon de rappeler les horreurs du passé. They Shot the Piano Player rappelle enfin combien les artistes demeurent des symboles de liberté, envers et contre toutes les dérives. Une vérité brûlante d’actualité, partout où violence et ségrégation sévissent. Au final, un passionnant thriller documentaire animé, politique et musical.

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Troublant miroir à deux faces

Publié le par Michel Monsay

Troublant miroir à deux faces

Todd Haynes a un don pour creuser l’ambiguïté humaine. De fiction en documentaire, de sujet original en adaptation, de figure anonyme en célébrité iconique, il déploie un éventail complexe. Celui du regard d’un cinéaste sur des sujets d’études qu’il déconstruit pour mieux les reconstruire à sa manière, comme dans l'excellent Dark waters. Il filme ici un duo de femmes, entre fascination, vampirisation et affrontement, comme Ingmar Bergman le fit avec le remarquable Persona. May December est une réflexion sur la manière de raconter, de restituer, voire de penser une histoire et ses conséquences, tant du point de vue d'une actrice que d'un cinéaste. Une mise en abyme à la fois habile et honnête, puisque le scénario s’inspire d’une affaire réelle, celle de Mary Kay Letourneau, dans les années 1990. La présence des papillons, dont le cycle de vie (de l’œuf à la chenille, de la chrysalide à l’éclosion de l’adulte) rythme l’ensemble du film, esquisse le motif majeur de May December : la métamorphose qu’elle soit souhaitée, subie ou empêchée des différents protagonistes. Dans sa construction sous forme d’enquête où se télescopent des discours contradictoires, May December n’est pas sans rappeler les films de procès récents comme Saint Omer ou Anatomie d’une chute, qui butaient également sur l’impossibilité de déchiffrer une figure féminine opaque et suspendaient leur jugement. Natalie Portman, à l'instar de sa formidable prestation dans ce film, est rarement aussi convaincante que lorsqu’elle interroge son image d’éternelle bonne élève, comme dans Black Swan ou Jackie notamment. De May December, on pourrait dire que c’est une comédie légère, qui se moque de l'hypocrisie américaine. Non, c’est un drame en sourdine. Non, non, c’est une pièce de théâtre qui se moque du cinéma… Chez Todd Haynes, c’est toujours ainsi : avec talent, humour, finesse, le cinéaste nous balade dans divers genres, soulève quelques questions morales, se délecte des références filmiques glissées çà et là, et s’amuse à dynamiter les conventions sexuelles, comme dans ses deux plus beaux films que sont Carol et Loin du Paradis. Todd Haynes ne juge pas, ne condamne pas, mais, comme toujours, cherche l’inconfort du spectateur, et ça nous change tellement de la plupart des films, bien trop lisses et consensuels. Mensonges, faux-semblants, illusions… Peu à peu, tout change : rien n’est conforme à l’apparence, et les deux personnages de femmes se fondent en un seul, graduellement. Étonnante métamorphose, portée par deux actrices subtiles et déstabilisantes : on assiste, avec plaisir et malaise, à un vol d’identité.

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Une enthousiasmante comédie piquante et politique

Publié le par Michel Monsay

Une enthousiasmante comédie piquante et politique

On n’attendait pas Cédric Kahn à la tête d’une comédie drôle et percutante, vu qu'il nous avait passionné jusqu’ici pour des films plus dramatiques, comme Le procès Goldman, La prière ou Une vie meilleure, tous trois chroniqués sur ce blog. Il nous entraîne ici dans les coulisses d’un tournage en pleine dérive et livre une réflexion savoureuse sur son métier de réalisateur. Il ne s'intéresse pas ici à la naissance d'une œuvre, qu'on ne verra jamais, mais au rapport entre le collectif et l'individuel. Making of progresse à coups de joutes oratoires drôles ou cinglantes, comme ce dialogue entre un machino qui balaie les envolées lyriques de la vedette du film sur la beauté désintéressée du geste artistique : lui, son travail consistant juste à se casser le dos en soulevant des caisses. Ainsi Cédric Kahn traduit-il cette colère, cet élan, enthousiaste ou désespéré, qui, malgré tout, nourrit ce monstre fascinant qu'on appelle le cinéma. Dans cette mise en abyme, il nous raconte l’histoire, savoureusement scénarisée, d’un capitaine de navire qui prend l’eau en filmant une usine qui coule, avec un sens du détail, très authentique et souvent comique, sur les dessous d’un tournage. Si celui-ci devient la métaphore du sujet qu’il aborde, avec des séquences à la mise en scène fluide et gracieuse qui rendent perméables les frontières entre les deux combats, Cédric Kahn en profite, aussi, pour poser en douce une question épineuse, morale : en quoi le cinéma, monde d’argent, de caprices et d’ego, peut-il rendre compte avec une absolue vérité des drames sociaux ? À contrario et tordant le cou aux fantasmes de tous poils, il démontre, avec un plaisir communicatif, que tous ceux qui travaillent dans le cinéma ne sont pas que des nantis, des pistonnés, ou des fils de... mais aussi du petit personnel soumis aux mêmes aléas que les ouvriers de n’importe quel secteur industriel. Pour parfaire sa démonstration, il n’oublie pas de parsemer le tout de quelques messages sur la lutte sociale et le délitement du sens du collectif. Sous une apparente légèreté, cette comédie très réussie, interprétée par une troupe de comédiens inspirés, pose de nombreuses questions sans avoir vocation à y répondre, puisqu’elle se veut délibérément plus divertissante que pédagogique, tout en parvenant à nous émouvoir.

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Troublant conte de fées empoisonné

Publié le par Michel Monsay

Troublant conte de fées empoisonné

Avec son huitième long-métrage, Sofia Coppola retrouve ses thèmes favoris et met le féminin au centre de Priscilla. Le film dépeint minutieusement tous les épisodes d’un processus d’emprise, de l’admiration au désenchantement. Cailee Spaeny, Prix d’interprétation à la Mostra de Venise, interprète avec finesse cette jeune femme confinée, envoûtée, ignorée, humiliée et éprouvée, avant d’être menacée et même un peu brutalisée. La cinéaste se montre aujourd’hui plus en retenue qu'auparavant dans la forme de son cinéma tout en explorant toujours profondément la psychologie de son héroïne. On retrouve l’obsession de Sofia Coppola pour les jeunes filles s’ennuyant dans le luxe, de Lost in Translation à Marie-Antoinette, mais pour la première fois, elle aborde frontalement la domination masculine et la violence psychologique puis physique infligées, mais sans verser dans le drame. Elle injecte même une légèreté dans certaines situations, donnant lieu à des scènes de comédies conjugales, et a choisi de laisser Elvis, la star, à la marge de cette histoire. Comme Priscilla, nous n’avons pas accès à l’icône, mais plutôt aux coulisses de sa personnalité, à son immaturité et son égoïsme. En surface, Priscilla tient du conte de fées. L'histoire d'une fille ordinaire qui, endormie dans la morne Europe, se réveille en princesse dans un château de Memphis. A travers le regard de Priscilla, Sofia Coppola scrute l'endroit : la moquette moelleuse comme une guimauve, la déco kitsch, l'alcôve sombre de la chambre… Doucement le regard de la cinéaste va transformer la grille d'un parc en barreaux de prison. Pendant des années, Priscilla sera le canari d'Elvis Presley. Lui vogue de tournées en tournages, part affronter le public comme un seigneur part guerroyer, laissant sa mie en compagnie de ses valets. Sofia Coppola signe un nouveau grand portrait d’émancipation, où l'on retrouve le grand sujet de son cinéma : vouloir avoir une vie à soi en tant que jeune fille tout en n’y parvenant pas. Depuis bientôt un quart de siècle, elle filme comme personne la prime féminité coincée dans des cages dorées où le confort matériel n’a d’égal que l’inconfort d’une existence cadenassée par des figures patriarcales. Ces vies-là se mesurent à l’aune des désobéissances conquises et des servitudes endurées. Priscilla est avant tout un mélo très doux, un film chuchoté, faisant des confessions de la chambre conjugale le juste niveau sonore de cette histoire touchante et quelque peu dérangeante.

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