Troublant miroir à deux faces

Publié le par Michel Monsay

Troublant miroir à deux faces

Todd Haynes a un don pour creuser l’ambiguïté humaine. De fiction en documentaire, de sujet original en adaptation, de figure anonyme en célébrité iconique, il déploie un éventail complexe. Celui du regard d’un cinéaste sur des sujets d’études qu’il déconstruit pour mieux les reconstruire à sa manière, comme dans l'excellent Dark waters. Il filme ici un duo de femmes, entre fascination, vampirisation et affrontement, comme Ingmar Bergman le fit avec le remarquable Persona. May December est une réflexion sur la manière de raconter, de restituer, voire de penser une histoire et ses conséquences, tant du point de vue d'une actrice que d'un cinéaste. Une mise en abyme à la fois habile et honnête, puisque le scénario s’inspire d’une affaire réelle, celle de Mary Kay Letourneau, dans les années 1990. La présence des papillons, dont le cycle de vie (de l’œuf à la chenille, de la chrysalide à l’éclosion de l’adulte) rythme l’ensemble du film, esquisse le motif majeur de May December : la métamorphose qu’elle soit souhaitée, subie ou empêchée des différents protagonistes. Dans sa construction sous forme d’enquête où se télescopent des discours contradictoires, May December n’est pas sans rappeler les films de procès récents comme Saint Omer ou Anatomie d’une chute, qui butaient également sur l’impossibilité de déchiffrer une figure féminine opaque et suspendaient leur jugement. Natalie Portman, à l'instar de sa formidable prestation dans ce film, est rarement aussi convaincante que lorsqu’elle interroge son image d’éternelle bonne élève, comme dans Black Swan ou Jackie notamment. De May December, on pourrait dire que c’est une comédie légère, qui se moque de l'hypocrisie américaine. Non, c’est un drame en sourdine. Non, non, c’est une pièce de théâtre qui se moque du cinéma… Chez Todd Haynes, c’est toujours ainsi : avec talent, humour, finesse, le cinéaste nous balade dans divers genres, soulève quelques questions morales, se délecte des références filmiques glissées çà et là, et s’amuse à dynamiter les conventions sexuelles, comme dans ses deux plus beaux films que sont Carol et Loin du Paradis. Todd Haynes ne juge pas, ne condamne pas, mais, comme toujours, cherche l’inconfort du spectateur, et ça nous change tellement de la plupart des films, bien trop lisses et consensuels. Mensonges, faux-semblants, illusions… Peu à peu, tout change : rien n’est conforme à l’apparence, et les deux personnages de femmes se fondent en un seul, graduellement. Étonnante métamorphose, portée par deux actrices subtiles et déstabilisantes : on assiste, avec plaisir et malaise, à un vol d’identité.

Publié dans Films

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