Chaillot a tissé des liens serrés depuis plusieurs années avec Marcos Morau et son art protéiforme. Sa danse se gorge d’images et de mots, inventant un langage corporel à nul autre pareil. Les récompenses tombent, les commandes affluent, faisant du chorégraphe de La Veronal, sa compagnie, un des plus en vue de la scène européenne. Preuve en est, "Sonoma", son dernier spectacle a clôturer la 75e édition du Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur du Palais des papes, le plateau le plus monumental du spectacle vivant. Cette œuvre impressionnante, visuellement et musicalement remarquable, notamment avec ses percussions puissantes, a fait se lever une majeure partie des 1947 spectateurs de la Cour d’honneur pour acclamer les neuf danseuses sidérantes d'intensité, de même qu'à Chaillot samedi 22 janvier. Vague de corps virtuose, ensembles très graphiques chorégraphiés au cordeau, travail sur le rythme : tout est empreint d’une folle énergie. Le chorégraphe revisite les processions de son Espagne natale comme le sacré des corps. De son inventivité, doublée d’un goût pour les tableaux vivants, résulte une transe à la beauté léchée où le chorégraphe orchestre une cérémonie de possession qui revisite intensément le passé pour faire trembler le présent. Marcos Morau explique : "Aujourd’hui, nous vivons l’histoire à toute vitesse, si rapidement et à un rythme si effréné que nous parvenons à peine à la suivre. Plus personne ne sait vraiment ce qui se passe. J'ai conçu ce spectacle pour traduire la volatilité du monde actuel, le côté zapping permanent, le manque d’ancrage des gens avec ce flot d’infos en continu. Nous tombons en avant et, au cours de cette chute accélérée, comme sur des montagnes russes, nous crions. Sonoma serait alors ce son du corps en train de chuter, notre rage pour continuer à croire que nous sommes vivants, que nous sommes éveillés." Le poids du catholicisme, de la culture et du passé, le folklore, l’irrationnel se lovent dans les plis de cette fresque polyphonique, qui fait souvent référence à Luis Buñuel et a été écrite après le confinement lié au Covid, d'où ressort un besoin viscéral d'exister. Un spectacle puissant.
Sonoma est à voir jusqu'au 28 janvier à Chaillot, Théâtre national de la danse.