Tchekhov revisité à l'aune des changements qui touchent la société
L'ex-directeur de l'Odéon, Stéphane Braunschweig, propose en guise d'au revoir une mise en scène choc de la pièce de Tchekhov. Dans un décor désolé, il pousse les feux tragiques et écologiques allumés par l'auteur russe avec la complicité d'une troupe habitée. Le metteur en scène et scénographe part en beauté avec cette relecture sombre et émouvante du chef-d’œuvre de Tchekhov. Le parti pris, audacieux, de remettre au centre de La mouette la pièce dans la pièce, cette œuvre avant-gardiste créée et donnée par le personnage de Konstantin Treplev avec la jeune Nina, est parfaitement tenu. En faisant de l'univers apocalyptique imaginé par le jeune écrivain maudit Treplev, le décor de La mouette, Stéphane Braunschweig décale habilement le propos. Exit l'ambiance datcha et samovar : les personnages se déchirent au sujet de l'amour et de l'art dans une atmosphère de fin du monde, sur les rives d'un lac asséché semé de quelques rochers blancs et d'une barque funèbre. Entre Konstantin, qui désespère d'inventer le futur de l'art, sa mère Arkadina, actrice vieillissante qui se raccroche à ses triomphes passés, Trigorine, l'amant de celle-ci, écrivain à succès en mal de génie, et Nina, la Mouette, dont le rêve de théâtre se transforme en cauchemar, la machine infernale est en marche. Les affres de la création mêlées aux frustrations amoureuses poussent la pièce vers une tragédie existentielle que la traduction tranchante d'André Markowicz et Françoise Morvan fait résonner avec le monde anxiogène d'aujourd'hui. Cultivant l'épure avec brio, Stéphane Braunschweig s'autorise quelques effets spectaculaires comme cette volée de mouettes tombant soudainement des cintres. Sa direction d'acteurs est très juste, les dix rôles sont finement distribués. Chloé Réjon incarne une Arkadina ardente et terrifiée, Denis Eyriey un Trigorine beau gosse, veule à souhait, Jules Sagot, le jeune geek du Bureau des légendes, un Konstantin au bord de l'implosion, et avec naturel, Eve Pereur se met dans la peau fragile de Nina, elle y est touchante surtout dans la deuxième partie. On a connu des Tchekhov plus contrastés offrant davantage de respirations comiques. Mais en mettant en relief la dimension écologique visionnaire de la pièce et en lui conférant une gravité nouvelle, Stéphane Braunschweig fait voler La Mouette très haut et donne aussi une dimension nouvelle à des rôles féminins.
La mouette est à voir au Théâtre de l'Odéon jusqu'au 22 décembre.