De l'énergie à revendre

Publié le par Michel Monsay

De l'énergie à revendre

A-t-on vraiment envie de rire en ce moment ? On pourrait dire que c'est le propre des époques troublées : le monde va à sa perte, dansons sur un volcan. Raviver et moderniser la comédie de 1851 d’Eugène Labiche Un chapeau de paille d’Italie est le pari gagné du grand metteur en scène de théâtre public, Alain Françon, avec ses 19 interprètes sur le plateau, ce qui devient extrêmement rare. Vincent Dedienne et Anne Benoît sont au cœur d’une troupe survoltée et d’un trio de musiciens qui interprète en direct dans les loges proche de la scène une partition électro-pop de Feu! Chatterton. La musique ne fait pas que meubler les changements de décor, elle entraîne les corps dans une course folle, tirant le spectacle par moments vers la comédie musicale. La pièce multiplie les quiproquos les plus dingues, avec au passage un jeu de massacre dont personne ne sort grandi : bourgeois parisiens, salons aristocratiques, commerçants de province. En 1851, Un chapeau de paille d’Italie était en avance sur son temps, le vaudeville ne prenant essor que dans le dernier tiers du XIXe siècle, mais Labiche pose déjà les bases de ce genre théâtral et de sa folie souterraine. Derrière l'amant dans le placard, le mari trompé, les quiproquos et les portes qui claquent, se cache la bêtise crasse d'une classe, la bourgeoisie, obsédée par l'argent. Les rapports hommes-femmes y sont vus avec une pertinente drôlerie flirtant avec l’absurde, et une contemporanéité étonnante. Alain Françon a suffisamment d'élégance pour faire entendre sans surligner la violence du patriarcat dans un art de la comédie qu'il pousse au burlesque. Vincent Dedienne est drôle, facétieux, virevoltant, et toute la troupe est au diapason avec une mention spéciale à Anne Benoît, qui se glisse avec truculence dans la peau du beau-père à rouflaquettes, et Suzanne de Baecque, godiche sacrifiée qui se contorsionne de manière irrésistible dans sa robe de mariée, mise à mal par une épingle coincée. L'intrusion d’un groupe de rock dans une fable du XIXe siècle est un anachronisme réjouissant. Car si les costumes sont d’époque, la portée de la mise en scène d'Alain Françon est, pour sa part, contemporaine. Elle vient percuter une société dont les tropismes racontent du monde une tendance actuelle et fâcheuse à radicaliser les différences plutôt que de les apaiser. Ces différences d’origines sociales, géographiques, sexuelles ou intellectuelles s’exposent et s’affrontent dans Un chapeau de paille d’Italie. Alain Françon a intelligemment choisi de monter cette pièce folle entre lumière et noirceur, tendresse et férocité dans une mise en scène physique fondée sur la course, l'absurde et le grotesque.

Un chapeau de paille d'Italie est à voir au Théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu'au 31 décembre.

Publié dans Théâtre

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