Bouillonnant conte musical en clair-obscur
Rachel Arditi, la sœur de Pierre, et Justine Heynemann, la fille du réalisateur Laurent Heynemann, qui ont coécrit le texte, la première jouant dans la pièce et la seconde la mettant en scène, sont nées au moment où quatre filles en colère créent le premier groupe de punk féminin britannique, The Slits : entre 1976 et 1977. Les auteures en font des figures attachantes, dont l’épopée, qui durera quatre ans, jusqu’en 1979, s’incarne en un spectacle formidablement vivant, énergique et tendre. La musique, jouée et chantée en direct par de très bons interprètes, fait ici partie intégrante de la dramaturgie : elle se tisse parfaitement avec les dialogues et la narration. L’époque revit à travers les morceaux choisis et réinterprétés avec brio, et qui composent un véritable paysage fait de colères, de désirs, de sensibilité et de lucidité face au Royaume Uni de Margareth Thatcher : De Patti Smith aux Clash, en passant par les Sex Pistols, les Stooges d'Iggy Pop voire même les Rolling Stones, sans oublier les propres chansons des Slits. Justine Heynemann et Rachel Arditi inventent dans cette pièce les dessous du parcours de ce groupe comète dans un mélange d’humour, d’impertinence joyeuse et de mélancolie embrumée, à travers une écriture espiègle et délurée, malicieuse autant que profonde, avec cette façon de faire vivre des détails, de créer des personnages touchants, des situations expressives, dans une succession de scènes qui nous font basculer du rire à l'émotion. De l’histoire de ces quatre filles coiffées avec un pétard, qui se cognent à la vie, au machisme et aux abus, de ces quatre jeunes femmes puissantes et fragiles à la fois, ces aventurières qui n’ont pas eu froid aux yeux et ont réussi à conserver d’arrache-pied le contrôle total de leur image auprès de leur maison de disque, Justine Heynemann et Rachel Arditi en tirent une épopée scénique réjouissante et galvanisante qui reconnecte avec la faculté d’agir coûte que coûte quand le désir est là, d’essayer plutôt que de rester dans son coin, quitte à se planter, suivre ses instincts, ses convictions, ses motivations, ne pas abandonner. Sur un plateau au désordre tout punk, à la sauvagerie endiablée, leur désespérance est pleine de vitalité, de rythme, de musicalité brute et folle. Une comédie musicale comme on n’en a guère l’habitude, frémissante de colère et d’audace, qui nous transporte totalement.
Punk.e.s est à voir à la Scala à Paris jusqu'au 6 avril.