Comédie grinçante digne du tandem Jaoui-Bacri
Gros succès public et critique de la saison théâtrale 2010-2011, cette pièce à la fois très drôle et cruelle méritait une belle adaptation cinématographique. Le challenge a été relevé par les deux auteurs de la pièce, qui viennent d’ailleurs du cinéma. Ils ont donc porté ensemble à l’écran ce petit bijou aux dialogues incisifs, aux situations déstabilisantes, aux belles performances d’acteur, et au rythme bien soutenu sans être hystérique. Charles Berling qui rejoint la troupe pour ce passage au cinéma, investit merveilleusement son rôle pour compléter une distribution impeccable où chaque comédien est totalement en osmose avec son personnage. Dans un genre si difficile, les auteurs réalisateurs parviennent à nous faire rire de nos propres travers, ce film agissant comme un miroir, et à l’image des protagonistes de cette histoire, les masquent tombent peu à peu pour laisser apparaître la difficulté d’accepter l’autre dans sa différence. Une soirée d’apparence bon enfant entre un frère, une sœur, leurs conjoints et un ami d’enfance, tous ayant plus ou moins la quarantaine, vire à une superbe satire des mœurs de notre société actuelle. Cela commence avec l’évocation du prénom de l’enfant à venir du frère et de sa compagne, qui provoque un cataclysme dans cette petite assemblée. La suite est savoureuse et nous entraîne d’un rebondissement à l’autre avec étonnement et jubilation, à travers des joutes verbales où chacun en prend pour son grade. Cette comédie irrésistible et intelligente devrait réconcilier tous les publics.
Le prénom – Un film de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière avec Patrick Bruel, Charles Berling, Valérie Benguigui, Guillaume de Tonquédec, Judith El Zein, …
Une histoire intense toute en retenue
Après nous avoir fait rire dans ses premiers films, Philippe Lioret nous bouleverse depuis avec « Je vais bien, ne t’en fais pas » et « Welcome ». Son nouveau petit bijou s’inscrit dans la même veine où l’incroyable justesse de ton, l’intensité de l’histoire, des personnages nous emportent littéralement et nous poursuit longtemps après le générique de fin. Ce réalisateur perfectionniste de 56 ans, dont c’est seulement le 7ème long métrage, a besoin de prendre son temps pour mener à bien un projet, de l’écriture du scénario jusqu’au montage du film. Il consacre toute son énergie pour donner à l’histoire qu’il nous raconte un réalisme sans faute, et nous amener au plus près des personnages en nous faisant partager leurs sensations et oublier qu’il s’agit d’un film. Vincent Lindon est de nouveau remarquable, et Marie Gillain à la fois lumineuse, fragile, déterminée, incarne merveilleusement son personnage. Une jeune femme juge, mariée et qui a deux enfants, donne 12 € à sa fille pour permettre à une petite camarade de pouvoir faire une sortie avec l’école. La maman refuse poliment cet argent, et par un curieux hasard se retrouve peu après au tribunal face à cette femme juge, pour une affaire de surendettement due à des crédits à la consommation. Parallèlement cette jeune juge apprend qu’elle a une tumeur au cerveau inguérissable. Philippe Lioret réussit à la fois à dénoncer intelligemment les abus des sociétés de crédit face à la vulnérabilité de personnes en grande difficulté, et à magnifier la force de caractère d’une femme face à la maladie, tout en nous faisant ressentir profondément la fragilité de nos vies.
Toutes nos envies – Un film de Philippe Lioret avec Vincent Lindon, Marie Gillain, Amandine Dewasmes, Yannick Rénier, … - Warner home vidéo - 1 DVD : 19,99 €.
Un réalisme bouleversant qui n’oublie pas l’humour
Pour son 3ème film, l’actrice réalisatrice Maïwenn a créé la sensation du dernier festival de Cannes, en proposant une œuvre très forte qui a remporté le prix du jury. A 35 ans, après deux films remarqués, « Pardonnez-moi » et « Le bal des actrices », elle prend une dimension supplémentaire avec cette plongée au sein de la brigade de protection des mineurs. Son cinéma coup de poing au plus près des êtres, des situations délicates, trouve le parfait dosage entre l’invraisemblable vérité du terrain totalement inspirée de faits réels, et une histoire habilement scénarisée d’où ressort des personnages souvent très touchants. La performance de tous les comédiens, notamment celle de Joeystarr, contribue à cette justesse qui émane du film. Maïwenn donne à voir sans forcer le trait dans un sens ou dans l’autre, toute la complexité d’un tel sujet. Dès les premières images, des policiers interrogent un enfant qui semble répéter ce qu’on lui a dit de déclarer, un autre qui ne trouve pas les mots pour exprimer le trouble profond qui l’habite, puis des adultes qui nient les faits, ou avouent avec une inconscience voire une désinvolture répugnante. Dans un montage très inspiré, le film mêle de nombreux témoignages très troublants, des actions sur le terrain, les rapports tendus ou solidaires entre les policiers, et leur vie privée qu’ils ont bien du mal à préserver tant leur métier est déstabilisant. En mettant en avant le travail difficile de cette brigade peu médiatisée de la police judiciaire, la cinéaste réussit une œuvre poignante sans compromis, qui souligne quelques unes des déviances impardonnables de notre société.
Polisse – Un film de Maïwenn avec Karin Viard, Joeystarr, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Maïwenn, … - TF1 vidéo - 2 DVD : 19,99 €.
Les dérives de cet insupportable puritanisme américain
Un nouveau roman de l’un des plus grands écrivains américains est forcément un événement très attendu, d’autant que cette nouvelle plongée au cœur d’une Amérique qui fait froid dans le dos, est tout simplement magistrale. A 72 ans, Russell Banks met de nouveau en lumière les laissés-pour-compte d’une société moralisatrice qui n’a plus de repères humains, et ne cherche qu’à surveiller et punir. Cette peur de l’autre, qui est l’une des principales caractéristiques de ce début de XXIe siècle, un jeune homme inoffensif de 22 ans, certes délinquant sexuel condamné, mais pour une naïve erreur de jeunesse, la subit quotidiennement en étant obligé de vivre comme un pestiféré sous un viaduc à Miami avec d’autres parias, violeurs ou pédophiles. En s’attachant à ce personnage à priori peu recommandable, mais qui n’est en fait qu’une victime de l’abîme affectif dont il a toujours souffert et des dérives d’Internet, l’auteur avec une remarquable plume très réaliste nous fait partager au travers des rencontres et épreuves de ce gamin perdu, l’enfer de l’exclusion.
Lointain souvenir de la peau – Un roman de Russell Banks – Actes Sud – 444 pages - 23,80 €.
« Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament »
Brillante pneumologue de 48 ans exerçant à Brest, Irène Frachon s’est lancée depuis 2007 dans un combat exemplaire contre les très puissants laboratoires Servier, pour dénoncer le scandale sanitaire du Mediator. Grâce à sa détermination sans failles, cette affaire a engendré le retrait du Mediator, une loi sur la régulation des médicaments, et un fonds d’indemnisation des victimes en attendant les procès à venir pour une justice qu’elle souhaite exemplaire.
Comment est née l’affaire du Mediator ?
Irène Frachon - L’affaire commence pour moi dans les années 90 lorsque jeune médecin je découvre et j’accompagne le scandale sanitaire des coupe-faims dérivés d’amphétamines. Malgré de sérieuses mises en garde de chercheurs et médecins dès les années 70 sur la dangerosité de ces produits qui provoqueraient une maladie rare et mortelle, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), les laboratoires Servier ont mis sur le marché le Pondéral et l’Isoméride. A cette époque je travaillais à Paris dans un service spécialisé sur les HTAP et un certain nombre de femmes venaient mourir de cette maladie après avoir consommé ces coupe-faims. Evidemment Servier a nié le lien et a fait pression sur les autorités de santé. Il aura fallu une grande étude internationale pour le prouver et la découverte par les américains d’une autre complication grave, la valvulopathie. Ces médicaments sont interdits à l’échelon mondial et retirés en 1997.
J’apprends de façon incidente que Servier a laissé sur le marché une troisième molécule qui n’est pas présentée comme un coupe-faim mais un antidiabétique. Ce médicament en vente depuis 1976 s’appelle Mediator et aurait une ressemblance avec Isoméride. En 2007 au sein du service spécialisé dans les HTAP dont je m’occupe au CHU de Brest, arrive une dame obèse atteinte de cette maladie suite à une consommation durant plusieurs années du Mediator. Après avoir entendu et lu des suspicions sur ce médicament, je me lance dans une enquête très longue en alertant en vain dès 2007 l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), et le Médiator ne sera retiré du marché qu’en novembre 2009.
Qu’avez-vous appris durant toutes vos recherches ?
I.F. – Je découvre tout au long de mon enquête une AFSSAPS sous la coupe de Servier, le laboratoire influençant les nominations de certains experts de l’agence, faisant moduler des rapports de pharmacovigilance, et faisant pression sur les cardiologues s’inquiétant de valvulopathies causées par le Mediator. Je soupçonne alors l’existence d’une délinquance industrielle touchant à des intérêts de plusieurs milliards d’euros et influente dans le monde entier. L’AFSSAPS, tétanisée face à Servier, se contente de retirer le médicament en ne disant rien à personne, laissant ainsi des milliers de malades seuls, qui ne pouvaient même pas faire valoir leurs préjudices puisqu’ils n’étaient pas au courant des causes de leur maladie. Trouvant cette affaire inadmissible je décide de la porter sur la place publique, en écrivant « Mediator 150 mg : Combien de morts ? », un livre très factuel avec des documents accablants à l’appui. Servier saisit la justice et fait censurer le livre, je suis menacée par les experts de l’AFSSAPS dans une campagne de dénigrement et je dois mon salut au député socialiste Gérard Bapt, cardiologue de formation, qui reprend ce combat en juin 2010. S’appuyant sur une étude de la caisse nationale d’assurance maladie, il fait éclater le scandale et contraint l’AFSSAPS à reconnaître le nombre de morts. Aujourd’hui la dernière estimation fait état de 1300 à 2000 morts et des milliers de victimes atteintes de valvulopathies.
Où en sont les victimes et quelles sont les retombées de cette affaire ?
I.F. - Xavier Bertrand a été très efficace et engagé sur cette affaire en mettant en place depuis septembre 2011 un fonds d’indemnisation pour les victimes du Mediator, afin de traiter leur dossier de façon humaine et les aider à négocier avec Servier pour être indemnisé. Maintenant des procès vont avoir lieu dès le mois de mai avec je l’espère une justice exemplaire pour qu’on en finisse avec les mensonges de Servier, les victimes étant dans un désarroi inimaginable. Cette affaire m’a permis de me rendre compte que nos institutions censées nous protéger sont très sensibles à la pression des lobbys, à la corruption, avec une gestion calamiteuse des conflits d’intérêts. En allant voir un médecin, un patient n’est pas sûr d’avoir une information qui ne soit pas biaisée par les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Pour éviter de nouveaux scandales, une réforme importante vient d’être votée sur la transparence du médicament concernant tous les acteurs, des industriels au monde médical en passant par les autorités sanitaires.
C’est une étape mais il faut maintenant une vraie volonté politique pour assurer l’indépendance des uns par rapport aux autres. Il n’est pas normal que l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament dépende d’études financées exclusivement par l’industrie pharmaceutique. La nouvelle loi prévoit aussi un portail public d’informations sur les médicaments géré par les institutions sanitaires. Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament et de son réel apport, nous avons un effort pédagogique pour moduler sa consommation. La révolution majeure des médicaments au XXe siècle qui a transformé la vie des patients, a renforcé la foi dans ces produits, mais aujourd’hui le marketing prend le pas sur l’intérêt et la sécurité des consommateurs.
Quelle est votre opinion sur les risques sanitaires encourus par les agriculteurs et comment résoudre le problème des déserts médicaux ?
I.F. – J’ai passé mes étés dans la ferme familiale en Charente-Maritime où ma famille produit encore aujourd’hui de l’élevage, de la vigne et des céréales. Les agriculteurs ont payé lourdement l’absence de réelle sensibilisation aux risques encourus. En plus de mon service au CHU de Brest, je soigne aussi une population rurale à Carhaix où beaucoup d’agriculteurs bretons ont souffert physiquement d’une exposition très forte à des aérocontaminants et des pesticides, et il a fallu du temps avant que cela soit pris en compte. D’autre part, je réalise qu’il y a certainement dans le domaine agricole, concernant la protection de l’environnement, des pressions, des manipulations, des mensonges de la part de divers lobbys comme des autorités de régulation qui sont peut-être pires que dans le domaine de la santé.
Le concept du médecin de campagne disponible jour et nuit est fini, il faut maintenant des maisons médicales de proximité où des praticiens venant de villes plus importantes puissent se relayer pour assurer le tissu de soins médicaux. Il faut donner envie aux jeunes médecins de s’installer dans la ruralité mais on ne peut pas les abandonner dans des zones où il n’y a rien, par exemple au plan universitaire, pour leurs enfants.
Comment se porte le monde hospitalier et quelle est votre perception de la crise ?
I.F. - Les contraintes financières et budgétaires ont conduit petit à petit à assimiler l’hôpital à une entreprise qui devrait être rentable, c’est une absurdité. Les objectifs de rentabilité dans les hôpitaux publics comportent un grand nombre de travers délétères qu’il faut corriger d’urgence. Cela dit, nous avons de bons hôpitaux, une médecine performante mais qui doit être plus économe quitte à fâcher les industriels et autres acteurs de santé touchant aux intérêts privés. La crise n’affecte pas le domaine hospitalier, les problèmes existaient déjà auparavant. Mon expérience avec l’affaire du Mediator m’a montré les mécanismes en place qui sont partout les mêmes aujourd’hui, consistant à préserver pour une petite classe de dominants l’accaparement des richesses de notre société. J’espère que l’élection présidentielle va permettre de briser ce cycle infernal, qui favorise une entente entre « oligarques » pour préserver argent, richesses et pouvoir.
Le goût de l’excellence
Dans un décor classé, au cœur du pavillon Ledoyen créé en 1792, officie l’un des plus grands cuisiniers, Christian Le Squer, qui s’apprête à fêter ses 10 ans de 3 étoiles au Michelin. Si sa cuisine aux saveurs uniques magnifie la gastronomie française chez Ledoyen, on peut aussi la goûter dans deux restaurants aux prix plus accessibles que ce chef d’origine bretonne de 49 ans a ouvert récemment.
Au sein du groupe Epicure dont il est un des 7 actionnaires, Christian Le Squer est directeur de toutes les cuisines et de la stratégie culinaire des 3 établissements qui composent le groupe. Evidemment Ledoyen, qui sert en moyenne 280 couverts par jour à la fois dans son restaurant 3 étoiles avec un ticket moyen de 300 € et dans ses salons de réception. Le restaurant Etc créé en 2008, un bistrot chic à la déco contemporaine proposant une cuisine rustique avec élégance qui a une étoile au Michelin et dont le ticket moyen est de 80 €. Enfin le petit nouveau, La grande verrière dans le jardin d’acclimatation, un restaurant familial qui a ouvert cette année en proposant des plats simples revisités par le chef avec un ticket moyen de 28 €.
« Dans une économie qui change énormément, analyse Christian Le Squer, on doit être capable de s’adapter à ce que les gens recherchent. Le fait de jouer dans différentes catégories de prix avec les 3 restaurants, nous permet de sortir de notre tour d’ivoire, d’avoir une ouverture d’esprit, une culture de savoir toucher à tous les produits et d’être accessible à un plus grand nombre. » Le groupe a d’ailleurs en projet un nouveau restaurant avec un menu à 22 € boissons comprises.
Une cuisine en mouvement
D’un restaurant à l’autre chacun dans son style de cuisine, au-delà de l’élaboration des plats, de la recherche des saveurs, il y a une différence de matières premières, où d’un côté le cuisinier a les meilleurs produits possibles et de l’autre des produits moins onéreux dont il va tirer le maximum. Afin d’alimenter les 3 cartes qui sont renouvelées régulièrement, Christian Le Squer donne ses consignes chaque jour à deux de ses cuisiniers, pour faire des essais durant deux heures à la recherche d’un goût, d’une cuisson. L’élaboration d’un nouveau plat prend environ un mois pour trouver l’assemblage et les saveurs recherchées. Dans cette cuisine en mouvement perpétuel, en plus de créer de nouveaux plats, il fait évoluer les anciens, saison après saison, jusqu’à obtenir un mariage parfait qui donne parfois de très grands plats et font la réputation d’un grand chef.
Ainsi chez Ledoyen, il y en a 5 qui atteignent les sommets de la gastronomie française : le turbo, les langoustines, l’anguille, les ris de veau et le croquant de pamplemousse cuit et cru. Pour comprendre ce que signifie un tel niveau, Christian Le Squer explique : « Au fil des années, on devient chef de cuisine et à un moment on franchit le pas, on devient un palais. On a acquis une sensibilité du palais que d’autres n’ont pas. À force de mâcher, d’avoir toujours quelque chose dans la bouche, tout à l’heure j’avais par exemple une queue de persil, on enregistre tous les goûts et on se constitue une mémoire. »
Le moindre détail a son importance
A l’image de son père ébéniste qui remettait jusqu’à la perfection son ouvrage sur le métier, le fils cuisinier est aussi travailleur, insatisfait et perfectionniste avec un trait de caractère en plus, il est très gourmand : « Un plat chez Ledoyen, c’est comme un diamant, il me faut d’abord la pureté du produit, à laquelle je rajoute la touche qui va le sublimer. » Pour obtenir les meilleurs produits, il fait appel à de nombreux artisans et producteurs avec pour chaque catégorie de marchandise, plusieurs fournisseurs chez lesquels il prend parfois un seul produit pour sa qualité remarquable. De la présentation dans l’assiette au découpage par le client pour savoir comment le plat réagit, tout est étudié par Christian Le Squer, jusqu’au mâchage où toutes les saveurs, les consistances apportent au palais des sensations étonnantes.
Ses 3 étoiles s’expliquent également par la régularité au plus haut niveau et la précision de sa cuisine, du plus petit canapé jusqu’au dessert en passant par le pain et bien sûr tous les plats : « A chaque bouchée, les saveurs éclatent, elles ne sont pas noyées dans les épices, elles sont naturelles et concentrées. » Pour arriver à cela, il goûte, touche, vérifie tout ce qui passe en salle et n’hésite pas à intervenir pour éviter toute dérive même imperceptible du goût initial du plat.
L’épanouissement dans la cuisine
C’est en 2002 que ce grand cuisinier a obtenu les 3 étoiles, il s’en souvient avec émotion : « C’est au-delà de ce que l’on peut imaginer, le respect que l’on vous témoigne dans le monde entier lorsque vous avez 3 étoiles est impressionnant. Les gens viennent goûter votre personnalité dans l’assiette. » Totalement investi dans son métier, il commence ses journées à 8h pour les finir à minuit, avec une coupure chaque jour dans le creux de l’après-midi pour aller courir ou nager pendant une heure. Ce sport salvateur qu’il pratique depuis qu’il est chef lui permet de se détendre entre les deux services, d’avoir un recul sur ce qui s’est passé et de revenir avec des idées fraîches.
Le restaurant étant fermé le week-end, il a toujours pris plaisir à faire le marché et cuisiner pour sa femme et ses deux enfants, en leur faisant profiter de son savoir-faire à travers des plats simples mais cuisinés, et en éveillant leur palais. Son palais à lui a été éveillé dès son enfance près de la rivière d’Etel dans le Morbihan entre les produits de la mer, ceux de la ferme voisine et les légumes du potager de ses parents. Il reste aujourd’hui encore très attaché à sa Bretagne natale où il retourne régulièrement.
Naissance d’une vocation
Passionné par la mer durant ses jeunes années, il est très attiré par le métier de marin pêcheur d’autant que ses oncles ont des chalutiers, et c’est en embarquant 15 jours à bord de l’un d’eux qu’il découvre sa vocation à l’âge de 13 ans. Il tombe en admiration devant la capacité du cuisinier à régaler midi et soir dans une ambiance très conviviale, la douzaine de marins qui composent l’équipage. Cette révélation ajoutée à une gourmandise innée le pousse à partir à Paris chez un ami de son père travailler dans une boulangerie, puis à revenir à Vannes pour faire l’école hôtelière pendant 3 ans. Il démarre ensuite dans une pizzeria à Marseille, puis dans un restaurant ayant une étoile au Michelin à La Trinité sur mer avant de revenir définitivement à Paris.
Dans différents restaurants plus ou moins prestigieux, il parfait sa formation en apprenant ce qu’est la cuisine bourgeoise puis la grande cuisine, devient sous-chef au Ritz et obtient sa première place de chef à 33 ans au restaurant Opéra du Grand Hôtel en 1995 : « Au début, j’ai élaboré une carte en reproduisant tout ce que j’avais appris, puis au bout de 6 mois je sentais que ça n’allait pas et j’ai décidé de cuisiner ce que j’aimais manger. Même si c’était un peu brouillon à l’époque, il y avait une sensibilité et une création de saveurs qui n’existaient pas ailleurs. Je pense que ce qui a plu au fil des années en dehors de ma régularité, ce sont mes saveurs mesurées et identifiables et non pas des saveurs qui ne veulent rien dire. »
Plus passionné que jamais
Rapidement sa cuisine plaît et son ascension est impressionnante. Il se voit ainsi attribué une étoile dès 1996 puis deux en 1998 avant d’être embauché chez Ledoyen en 1999 et obtenir 3 ans plus tard les fameuses 3 étoiles, que ce grand restaurant n’avait jamais conquises auparavant. Près de 10 ans après cette consécration, aucune lassitude chez ce chef qui parle de son métier avec gourmandise et jubilation : « A notre niveau, chaque jour est différent pour un cuisinier, j’adore manger, goûter et trouver des sensations nouvelles, apprendre la complexité du vin, j’adore aussi l’atmosphère dans les cuisines, aller voir mes clients à table dont beaucoup sont devenus des amis. Quand vous mangez un plat vous voyez la passion du cuisinier, que le menu soit à 18 € ou 180 €. » Il reste néanmoins attentif et lucide sur ce qui se passe en dehors de sa cuisine, tant sur le plan culturel, qu’économique et politique : « Avec l’économie de demain, il faudra peut-être redessiner la gastronomie différemment. »
Aller au bout de ses rêves
Après avoir été en 1997 la première femme à réussir un tour du monde à la voile en solitaire sans escale et sans assistance à l’occasion du Vendée globe, avoir effectué un grand nombre de courses au large durant une quinzaine d’années, Catherine Chabaud se fait aujourd’hui la voix de la mer à travers de nombreux engagements pour sa préservation. Elle est notamment depuis un an, personne qualifiée au Conseil économique social et environnemental (CESE) après avoir présidé une mission de sensibilisation dans le cadre du Grenelle de la mer.
Afin d’éclairer la décision politique, Catherine Chabaud contribue avec le CESE à émettre un avis ou élaborer un rapport, sur des sujets touchants à l’environnement. Comme récemment, pour trouver la manière dont la France peut mieux répondre à ses engagements sur la préservation de la biodiversité et sa sensibilisation, ou sur la gestion des risques environnementaux sur les plates-formes pétrolières. L’ancienne navigatrice a obtenu dans la contribution du CESE aux négociations climatiques du sommet de Durban de décembre dernier, que les océans ne soient pas oubliés. Lorsqu’elle accepte la proposition du ministre de l’écologie Jean-Louis Borloo en octobre 2010, de devenir personne qualifiée au CESE pour un mandat de 5 ans, son désir est avant tout d’être utile : « Mon objectif est d’éclairer la société civile sur les enjeux maritimes. Même si pour moi étant plutôt une femme d’action, ce que l’on fait ici est de la réunionnite aigue, cela se révèle être très enrichissant par les rencontres et les sujets étudiés, tout en faisant bouger peu à peu les choses. »
Le bateau du futur
Parallèlement depuis 10 ans, elle pilote des projets visant à réduire l’impact de la filière nautique sur l’environnement : « Nous venons de lancer avec l’Université de Bretagne Sud, la 1ère embarcation recyclable fabriquée avec de la fibre de lin et un acide obtenu à partir de l’amidon soit de la pomme de terre soit du maïs. Alors que la plupart des bateaux, dont on ne sait pas quoi faire en fin de vie, sont fabriqués à base de fibre de verre, grosse consommatrice d’énergie, et de polyester, dérivé du pétrole. » Si pour l’instant il s’agit d’un canoë, qui a été présenté en décembre au salon nautique, l’ambition de Catherine Chabaud est d’aller plus loin. Pour ce faire, elle vient de déposer un dossier à l’Ademe sur un projet de bateau de plaisance du futur entièrement propre, avec des matériaux recyclables, des énergies renouvelables embarquées et un traitement des eaux et des déchets. Femme de réseau comme elle se revendique, elle a le don de savoir aider les gens à construire des choses ensemble.
Le journalisme en préambule
Lyonnaise de naissance ayant passé son enfance et adolescence en région parisienne, Catherine Chabaud a vécu ensuite en Bretagne où elle a encore une maison et un vrai attachement, avant de fonder une famille dans la campagne angevine il y a 7 ans. Sa passion pour la mer est née à Roscoff où elle allait régulièrement faire de la plongée avec son père durant les vacances. Peu à peu, elle découvre la voile sur le bateau d’amis de ses parents et après son Bac elle navigue en répondant aux annonces de la bourse aux équipiers de France Inter.
Par ailleurs tout en continuant à essayer de naviguer, elle fait une école de journalisme et commence à travailler sur des radios libres comme RFM au début des années 80, puis Europe 2 où elle collabore de nombreuses années, d’abord dans l’info générale puis la voile. Elle devient ensuite rédactrice en chef de la revue Thalassa, avant de réussir à faire construire son premier bateau à la Cité des sciences de Paris, où le public a pu voir comment se construit un voilier. Plus tard, après avoir arrêté la compétition, elle présente des chroniques sur Europe 1 durant 5 ans ayant pour thème l’aventure et le développement durable. Elle a aussi écrit 4 livres, notamment « Possibles rêves » où elle raconte son fameux tour du monde à la voile.
Une plénitude incomparable
L’effervescence d’activités que l’on constate dans la vie de Catherine Chabaud, qu’elle explique par : « Lorsque je vois un problème quelque part, j’ai envie d’apporter la solution », lui convient pourtant bien moins que ces 15 années de courses au large où elle ne faisait que ça, mais qui lui apportaient une harmonie jamais ressentie autrement. Avec 14 transatlantiques, 2 tours du monde et quelques tours de l’Europe, elle a vécu intensément ses années de compétition, particulièrement en solitaire : « On éprouve à la fois un formidable sentiment de responsabilité pour son bateau, et de liberté en ayant l’impression d’être seule au monde dans un espace merveilleusement vierge, sauf lorsque l’on trouve des détritus en plein océan ou que l’on traverse une nappe de dégazage, ce qui explique mon combat aujourd’hui. C’est très excitant d’être sur un bon bateau, de développer une stratégie de course en tenant compte de la météo, de vivre au rythme de la mer. »
Au cœur des océans
L’un de ses plus beaux souvenirs est le départ fin 1996, lorsqu’elle largue les amarres pour partir faire son 1er tour du monde en solitaire sans escales et sans assistance, qui va durer 140 jours. Cette aventure qu’elle juge extraordinairement belle par le spectacle et les émotions vécues, a été aussi terriblement difficile. Notamment en plein cœur de l’océan Indien quand une déferlante a violemment couché son bateau en causant beaucoup de dégâts, ce qui l’a ébranlée psychologiquement pendant un mois. Néanmoins, lorsqu’elle reparle aujourd’hui de ses années de compétition où elle a aussi couru la Route du rhum et la transat Jacques Vabre, des étoiles brillent dans ses yeux. Puis au fil des courses, la dose d’inconscience a diminué, l’envie de naviguer autrement a augmenté en même temps que celle de fonder une famille.
Aujourd’hui à 49 ans, elle participe à des régates avec son compagnon et parfois son fils de 6 ans, en étant ravie de partager sa passion. Si la mer lui manque régulièrement, c’est moins le cas de la compétition avec tout ce temps nécessaire à la préparation du bateau et surtout au parcours du combattant pour trouver des sponsors. Elle n’écarte pas toutefois la possibilité de s’inscrire à la Route du rhum pour prouver l’efficacité de son voilier du futur lorsqu’il sera prêt.
Dans la continuité des choses
A force de rencontrer des associations qui agissent pour l’environnement, Catherine Chabaud, lorsqu’elle arrête la compétition en 2002, décide de s’engager pleinement pour la préservation de la mer : « Mon bâton de pèlerin est de montrer des solutions, je laisse à d’autres le soin de dénoncer, je ne suis pas une militante mais je pense qu’aujourd’hui les actions de Greenpeace sont nécessaires pour marteler un peu plus les choses. » Elle devient rapidement administratrice ou membre de nombreuses institutions et fondations, puis en 2008 Jean-Louis Borloo lui confie une mission intitulée « Nautisme et développement durable » puis une seconde dans le cadre du Grenelle de la mer, avant de lui proposer d’entrer au CESE.
Fin janvier, en phase avec son engagement et pour retrouver le bonheur d’être en mer de manière un peu plus prolongée qu’une régate, elle a embarqué pour une dizaine de jours à bord du grand voilier de l’expédition scientifique Tara, qui parcourt tous les océans pour mesurer les impacts climatiques. Cette optimiste qui a tendance à dire oui à beaucoup de choses, a la résolution pour 2012 d’apprendre à dire non un peu plus souvent, et réduire ainsi ses nombreuses activités.
« Les campagnes électorales dépendent avant tout de leurs acteurs »
Interview réalisée le 9 janvier 2012 avant qu'il n'abuse un peu trop de la moquette ...!
Après avoir dirigé la rédaction du Nouvel Observateur et du Figaro, Franz-Olivier Giesbert est depuis 11 ans directeur de l’hebdomadaire Le Point, qui a été désigné meilleur magazine de l’année 2011. Auteur de 12 romans et 7 portraits politiques, il a aussi animé de nombreuses émissions à la télévision, dont actuellement « 2012, les grandes questions » sur France 5. A 63 ans, son parcours fait de lui un incontournable témoin et fin connaisseur de la vie politique.
On parle de l’élection présidentielle en permanence depuis de nombreux mois, y a-t-il un risque qu’elle n’intéresse plus les français ?
Franz-Olivier Giesbert - Avec la réduction du mandat présidentiel à 5 ans, on est entré dans un système qui s’apparente à celui des Etats-Unis avec une campagne électorale quasi permanente. L’élection à peine passée que l’on s’intéresse déjà à la prochaine échéance. Ce raccourcissement du mandat a pour conséquence de donner moins de hauteur de vue au président. Cela dit, les campagnes électorales dépendent avant tout de leurs acteurs. En 2002, la campagne était plutôt atone et sans grand intérêt, alors qu’en 2007 elle était beaucoup plus vivante et forte, même si les enjeux n’étaient pas clairement définis et si des sujets importants comme la dette n’ont pas été abordés. Pour cette année, je pense qu’elle sera peut-être un peu plus ennuyeuse, moins vendeuse pour la presse, mais que l’on ira plus au fond des problèmes.
La presse a-t-elle une influence dans cette campagne et quels seront les grands thèmes abordés ?
F.-O.G. - Les journalistes ne font pas les campagnes présidentielles, contrairement à ce que croient certains d’entre eux, ils ne font que suivre le mouvement. Ils ont beau interpeller, questionner, de toute façon ils ne changeront pas le cours de l’Histoire, seuls les politiques décident d’aller où bon leur semble. Pour preuve, j’ai posé des questions sur l’endettement en 2007, et on ne peut pas dire que j’ai été très suivi. Autre preuve de l’influence limitée de la presse, les candidats qu’elle a soutenus ont été battus, Balladur en 1995 ou Jospin en 2002.
Si le problème de l’endettement a été occulté en 2007 avec des candidats qui nous expliquaient qu’on le règlerait par la croissance, le thème paraît incontournable dans cette campagne. La France vit au-dessus de ses moyens depuis longtemps, il faut qu’elle réduise les dépenses publiques et elle va finir par le faire. Autre débat important, celui de l’Education Nationale où il faut revaloriser la condition enseignante, en redonnant une fierté aux enseignants et un sens à l’éducation. En ces temps de difficultés, il y aura aussi la protection sociale et la fiscalité. Enfin dans une élection présidentielle, il y a beaucoup d’émotionnel et il est possible qu’à l’occasion d’un fait divers, on reparle de sécurité.
La crise peut-elle engendrer des surprises et démobiliser des électeurs qui sont de plus en plus incrédules ?
F.-O.G. - A priori la crise devrait profiter à François Bayrou, il était le seul en 2007 à dire qu’il y avait un problème alors que les autres avaient tendance à le nier. S’il a les capacités de créer la surprise, il n’est pas le seul. La crise ne peut que mettre du vent dans les voiles de Marine Le Pen, qui a des solutions extrêmement simplistes mais que toute une partie de l’électorat est prête à entendre. Les politiciens ne s’adressent plus aux classes populaires, ils ont laissé en friche ce terrain qui est devenu le territoire de chasse privilégié de Marine Le Pen.
Même si la classe politique serine un discours faussement positif en racontant des sornettes d’élection en élection sur le retour de la croissance, il y a une grande inquiétude, un sentiment général de déclin, et les français ont besoin qu’on leur propose quelque chose de positif, des solutions. La France est le pays le plus pessimiste au monde et pourtant elle a beaucoup d’atouts, certes on est tombé très bas mais on peut repartir. Une campagne électorale n’est pas prévisible, il y a des ruptures, des retournements et un moment donné, cela peut se coaliser autour d’un candidat, autour de propositions qui vont brusquement changer la donne.
Sur quoi va se jouer l’élection et que peuvent attendre les petits candidats ?
F.-O.G. - Les français veulent à la fois quelqu’un qui les rassure, les protège et les sorte de cette crise. Leur candidat idéal serait une sorte d’hydre à 3 têtes, Sarkozy pour l’énergie, il est aussi une machine à mouliner les idées, Hollande pour le calme, la mesure, il est très consensuel et écoute beaucoup, enfin Bayrou pour la force de caractère, lui est pragmatique et joue la carte prophétique. Une campagne électorale est toujours violente, la personnalité des candidats peut faire la différence. Rien n’est joué, d’autant que Hollande a la position la moins facile, celle du favori, qui essaie de garder son terrain en prenant le moins de risques possibles, pour ne pas perdre des voies en s’aventurant dans telle ou telle direction. L’homme politique en campagne recherche la dynamique, c’est ce que fait aujourd’hui Sarkozy pour rattraper son retard. Il est difficile de faire un pronostic, d’habitude 2 candidats se détachent, cette fois-ci ils sont 4 à pouvoir être présent au 2ème tour.
Pour un petit parti, l’élection présidentielle est fondamentale, elle représente beaucoup d’exposition et lui permet de vivre. Certains des petits candidats n’iront pas au bout soit à cause du manque de parrainages, soit qu’ils l’ont déjà décidé et sont dans une posture de négociation avec les grands partis. Le filtre des 500 signatures est une bonne règle même si elle est injuste, pour éviter d’avoir trop de candidats. La possibilité que Marine Le Pen ne les obtienne pas, poserait un problème de démocratie.
Toutes les dernières élections ont vu la gauche l’emporter et les Verts réaliser un bon score, est-ce une indication pour la présidentielle ?
F.-O.G. – Non, je ne pense pas que cela joue. Il y a chez les français un petit côté normand où l’on ne met pas tous les œufs dans le même panier, une volonté d’équilibre, que la droite commence à mettre en avant. Par contre, le maillage municipal des élus socialistes va énormément aider François Hollande dans sa campagne. Pour les Verts, il y a des scrutins qui leur sont plus profitables que d’autres, l’élection présidentielle ne leur a jamais réussi et je ne suis pas sûr que les législatives leur soient favorables non plus. De toute façon, ils n’ont pas le monopole de l’écologie, ils ne peuvent pas la confisquer, c’est un sujet trop important pour le confier à un seul parti, et aujourd’hui il y a des écologistes aussi bien à droite qu’à gauche.
N’oublions pas pour finir que la situation économique actuelle est extrêmement changeante, et il peut y avoir des bouleversements à tout moment. Les événements extérieurs peuvent soudainement troubler la donne de cette campagne électorale.
Une passion peut en cacher une autre
L’homme aux 10 000 JT, Patrick Poivre d’Arvor, Le présentateur du journal de 20 heures que la France entière connaît, aura su garder durant 29 ans la confiance de tous de sa voix rassurante. L’effervescence dont il a besoin au quotidien se nourrit de l’écriture avec 60 livres au compteur, de nouvelles passions comme la mise en scène, la réalisation, et toujours la télévision avec « La traversée du miroir » sur France 5 et peut-être plus à venir.
Boulimique de travail toujours à la recherche de nouveaux défis, PPDA depuis près de 4 ans qu’il ne présente plus le 20 heures de TF1, s’est lancé entre autre dans la mise en scène. Tout d’abord l’année dernière en montant Carmen dans le cadre des opéras en plein air, et tout récemment en réalisant cet été en Bretagne un téléfilm pour France 3, « Mon frère Yves » un roman de Pierre Loti adapté par Didier Decoin. Dans les deux cas, même s’il avait des idées de mise en scène inspirées par des artistes qui lui ont façonné le goût, il a appris ce nouveau métier sur le tas : « J’ai vraiment voulu connaître tout, en interrogeant les différents corps de métier qui composent une équipe, pour savoir comment cela se passait chacun dans son domaine. Comme pour l’écriture, j’aime l’idée de laisser une trace avec ce téléfilm, au contraire du journalisme qui est plus volatile, où chaque jour le journal télévisé est effacé et remplacé par un autre. »
La télévision encore et toujours
Si le JT et l’arène politique ne lui ont pas manqué depuis 2008, il avoue être titillé aujourd’hui par l’élection présidentielle. Après avoir refusé de nombreuses propositions soit moins intéressantes soit directement concurrentielles avec son ancienne chaîne, il ne ferme pas la porte aux deux trois personnes qui lui tournent autour en ce moment. Ne pas couvrir cet événement politique majeur pour la première fois depuis 1974, lui manquerait à coup sûr. Quoiqu’il en soit, il entame une quatrième saison de son rendez-vous hebdomadaire « La traversée du miroir » le dimanche à 19h sur France 5, où il reçoit deux personnalités durant près d’une heure qui répondent à tour de rôle à une interview confidence, sans promotion ni quoi que ce soit à vendre. Il va également continuer à proposer des émissions spéciales sur France 3, comme il l’a déjà fait pour la tempête Xynthia un an après ou sur les 40 ans de la disparition du général de Gaulle.
L’homme du 20 heures
Détenteur du record du monde de longévité à la présentation du journal télévisé avec 29 ans dont 8 sur Antenne 2 et 21 sur TF1, PPDA n’a pas aimé ce que devenait l’actualité les dernières années de son activité: « Aujourd’hui il y a trop de fascination pour les faits divers, et lorsque l’on s’empare d’une histoire comme l’affaire DSK, on en parle en boucle jusqu’à la nausée avec tous les détails les plus croustillants. J’ai toujours refusé de pratiquer cette surenchère et ça marchait tout aussi bien. C’est une erreur de penser que les téléspectateurs sont friands de cela voire insultant d’essayer de flatter ainsi leurs bas instincts. Si on leur offre de vraies possibilités de se nourrir l’esprit, les gens y vont. » C’est certainement ce qui lui plaisait le plus, le côté pédagogue, présenter un sujet complexe de manière à apprendre au plus grand nombre. Il n’a jamais aimé cette évolution de la télé vers plus de facilité et de compromis. L’autre aspect qui lui a évité toute lassitude durant ces 21 ans à TF1, est qu’il était le seul maître à bord de son 20h et décidait des sujets en toute liberté, tout en écoutant beaucoup son équipe.
Que de souvenirs
Les moments les plus forts restent les 150 JT qu’il a présentés in situ, notamment juste après le 11 septembre à New-York, ou pendant le putsch en Russie, l’entretien en Irak avec Saddam Hussein ou en Lybie avec Kadhafi. De manière générale, il n’avait pas froid aux yeux lors des interviews politiques quelque soit l’interlocuteur, qu’il ne manquait pas d’asticoter. Cependant les personnalités qui l’ont marqué sont davantage des êtres empreints de spiritualité comme le Dalaï-lama, Mère Teresa ou le pape Jean-Paul II, et quelques politiques comme Bernard Stasi ou Simone Veil.
Parmi les moments difficiles, il y a l’annonce de la mort d’artistes qu’il connaissait et admirait comme Brel, Brassens, Barbara ou la disparition tragique d’un ami, le grand reporter de TF1 Patrick Bourrat, renversé par un char américain au Koweït. Autre souvenir douloureux, la ½ finale de coupe de France de football entre Bastia et Marseille en 1992, qu’il annonce comme un moment de fête pour la Corse, juste avant qu’une tribune du stade ne s’effondre et provoque un drame que PPDA commente toute la soirée à l’antenne. Puis il y a ce moment saisissant lorsqu’il présente le journal le lendemain du suicide de sa fille Solenn : « Je n’avais pas d’autre solution pour ne pas sombrer. »
En première ligne
Ce lien particulier qui s’est tissé avec 10 millions de téléspectateurs chaque soir durant tant d’années, PPDA à la fois seul devant une caméra et présent dans la salle à manger des français comme un rituel, il s’en rendait compte par les 300 lettres qu’il recevait chaque jour et les innombrables témoignages de sympathie aujourd’hui encore jusque dans les coins les plus perdus. Le revers de la médaille de cette notoriété, il l’a vécu avec la presse à scandale, sur laquelle il a écrit deux livres qui dénoncent ces « violeurs de vie privée ». Pourtant le devant de la scène, il ne l’a pas spécialement recherché au début de sa carrière, en démarrant comme grand reporter à France Inter pendant 3 ans, puis en intégrant le service politique d’Antenne 2. Au bout de quelques mois, la chaîne recherche un journaliste pour présenter le JT et concurrencer Roger Gicquel sur TF1. A tout juste 28 ans, c’est le début d’un règne qui sera entrecoupé de 4 ans de presse écrite à Paris Match et au Journal du Dimanche, avant de se poursuivre sur TF1 à partir de 1987. Son style bien à lui avec une voix qu’il a toujours voulu rassurante s’est toujours opposé aux journalistes racoleurs et alarmistes.
Drôle de fin
Lui que l’on croyait indéboulonnable s’est fait proprement viré par la direction de TF1, selon toute vraisemblance sur ordre du président Sarkozy : « De nombreux témoignages m’ont fait comprendre que j’ai agacé avec mes interviews caustiques. D’ailleurs depuis 4 ans j’ai été consciencieusement mis à l’écart des médias qui dépendaient peu ou prou du pouvoir. Après avoir eu des rapports électriques avec François Mitterrand et quelques ennuis déjà avec la droite, cet épisode me permet d’être encore plus indépendant. Que des hommes de pouvoir souhaitent un peu brider la liberté d’expression, cela peut se comprendre même si c’est navrant, mais qu’ils trouvent des gens suffisamment serviles pour leur donner satisfaction, je trouve cela invraisemblable. » A défaut de continuer à officier au JT de TF1 et plus de 3 ans après son éviction, PPDA par le biais de sa marionnette est toujours le présentateur vedette des Guignols de l’info sur Canal +, et cela depuis leur création il y a 23 ans.
Quelques pistes pour bien le comprendre
Son enfance marquée par une grave leucémie lui insuffle une volonté qui lui fait brûler les étapes. Bac à 15 ans, père à 16 et romancier à 17, même si « Les enfants de l’aube » ne sera publié qu’en 1982 lorsqu’il se sera fait un nom. Après des études politiques, il commence à militer, envisage un engagement ou une carrière de diplomate, rêve d’être écrivain voyageur et finit par choisir le journalisme. A son patronyme Poivre il ajoute d’Arvor, le nom de plume de son grand-père maternel, qu’il admire au-delà de tout. D’origine paysanne, cet homme qui a été orphelin à l’âge de 2 ans, a appris à lire et écrire en cours du soir tout en travaillant, pour devenir poète. S’il est né à Reims, PPDA a toujours été très attaché à la Bretagne, notamment à Trégastel où il passait toutes les vacances de son enfance et où il possède aujourd’hui une maison : « J’aime l’authenticité des bretons, ils sont bosseurs, rêveurs et pudiques, des qualités qui me plaisent », et qui le définissent d’une certaine manière.
Ses autres passions
La littérature est centrale dans sa vie déjà très remplie, a tel point qu’il a trouvé le temps d’écrire ou coécrire une soixantaine de livres : « C’est justement un temps que je prends pour réfléchir, me replier sur moi, mais il faut savoir que je j’écris très vite et dors peu. » Cet été après la mort de sa mère, des éléments du passé ont refait surface et lui ont inspiré un nouveau roman. Cette passion, il l’a aussi imposé sur TF1 contre vents et marées durant 20 ans en créant deux émissions littéraires Ex-libris et Vol de nuit.
Les défis, il se les fixe également dans le sport, que ce soit en faisant partie de l’équipage d’Yvan Bourgnon lors de la transat Québec Saint-Malo en 1996, en effectuant l’ascension du Mont-Blanc ou en participant au Marathon de New York. Sinon, il pratique assez régulièrement le tennis, le vélo et court 20 minutes tous les matins.
A 64 ans, PPDA se sent en pleine forme et à l’image de la mise en scène ou de la réalisation récemment, il se souhaite de toujours explorer de nouvelles passions.