« Nous avons besoin les uns des autres du premier au dernier jour de notre vie »
Spécialiste des séniors, des enjeux intergénérationnels et de l’accompagnement, Serge Guérin auteur d’une vingtaine d’ouvrages, intervient régulièrement dans la presse écrite et à la radio pour valoriser le rôle de nos anciens et des aidants. A 51 ans, l’éclectisme de ce docteur en sciences de la communication l’amène aussi à enseigner dans une école de commerce, à Sciences-Po, à s’investir pour l’écrit sous toutes ses formes, en attendant de confronter ses idées à la réalité du terrain aux côtés d’Anne Hidalgo.
Quel est votre sentiment sur la réforme des retraites annoncée pour la rentrée ?
Serge Guérin - Je crains que l’on revienne une nouvelle fois sur les mêmes solutions avec toujours un manque d’ambition et d’imagination pour régler le problème du financement, soit en rajoutant des cotisations, soit en rallongeant la période de travail, soit en baissant le montant des retraites. On peut trouver une vraie logique à ce que l’on travaille plus longtemps étant donné que l’on vit plus vieux, mais il faut tenir compte de ceux qui ont démarré leur carrière plus tôt et des sept ans d’écart d’espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier spécialisé. D’un autre côté, pousser à ce que les séniors travaillent plus longtemps se fait au détriment des plus jeunes, et peut aussi augmenter le nombre des séniors au chômage. A l’inverse, je ne pense pas que l’on ait réglé le problème de l’emploi avec les préretraites, généralement le poste est supprimé par choix d’automatisation ou de productivité. Il ne faut pas oublier aussi qu’une personne en activité crée de l’emploi et lorsqu’on la sort de l’activité, elle en crée moins.
Pour en revenir aux retraités qui sont 15 millions aujourd’hui, il est impossible d’en parler globalement. Certains ont des revenus importants notamment patrimoniaux ou d’héritages et pourraient être plus taxés, mais la majorité d’entre eux ont des pensions assez faibles, 1300 € en moyenne par mois pour les hommes et moins de 1000 € pour les femmes. Un million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté, 400 000 sont au minimum vieillesse, donc baisser les retraites ne serait pas très prudent. De même, augmenter les cotisations dans une période déjà rude risquerait de casser ce beau système de solidarité intergénérationnelle de retraites par répartition, pour aller vers un système ultralibéral de capitalisation.
Y a-t-il alors une solution pour avancer sur le problème des retraites ?
S.G. - La retraite par points est certainement une réponse intéressante. Elle permet plus d’équité en lissant les différentes situations, et permet aussi à chacun de comprendre et contrôler ce qui va lui arriver, alors qu’aujourd’hui personne n’est capable de dire quelle sera sa retraite. Le problème est que cela prendrait du temps à mettre en place et à équilibrer le financement, d’autant qu’il y a de moins en moins de cotisants, notamment avec le chômage, et de plus en plus de retraités. Cela dit, il faut arrêter de penser que ces retraités représentent uniquement un coût pour la société. Ils sont très présents dans le monde associatif en produisant du lien social, 32% des maires de nos communes sont des retraités qui contribuent à faire vivre la ruralité, sans parler de toutes les petites tâches invisibles accomplies par les séniors pour leur entourage et au-delà, qui ne sont pas valorisées mais qui font tellement de bien au pays. Tout comme les aidants, ils sont entre 9 et 10 millions de bénévoles de tout âge dont un tiers de retraités, auprès de personnes handicapées, malades ou âgées, qui font économiser 164 milliards d’euros à la collectivité. Rapport aux 7 milliards d’euros manquant pour équilibrer les retraites, peut-être que la collectivité pourrait faire un effort financier et valoriser un peu plus les séniors en arrêtant de les considérer comme inutiles parce qu’ils n’ont pas une activité salariée. Ceux que l’on appelle les inactifs sont parfois plus actifs que certains actifs et ont une utilité bien plus intéressante pour la société.
Dans notre société individualiste, est-il utopique d’espérer changer notre rapport aux séniors ?
S.G. - Cette culture de l’individualisme qui règne aujourd’hui n’a pas réussi à supprimer le don, la solidarité, le monde associatif, les aidants. Il ne faut pas attendre de solution générale mais plutôt se tourner vers les multiples initiatives locales, et c’est le rôle des collectivités territoriales, des syndicats, des bailleurs sociaux de les soutenir voire de les générer. La crise est une chance formidable pour nous faire bouger et sortir de notre petit confort, arrêtons le fatalisme. Je suis peut-être un optimiste, mais les pessimistes à quel moment font-ils avancer la société ? La prise de conscience du vieillissement de la population nous conduit déjà à inventer des villes, des territoires ruraux plus adaptés, plus agréables à vivre pour les séniors, d’autant que c’est un problème qui nous touche tous. Il faudrait aussi plus de prévention et d’accompagnement auprès des plus fragiles, cela apporterait moins de consommation de médicaments et de frais d’hospitalisation. La canicule de 2003 avec ses 15 000 victimes a contribué à changer les mentalités. Aujourd’hui, toutes les collectivités se sont équipées, ont des systèmes de veille, et l’on remarque plus d’attention à l’autre.
Que pensez-vous des contrats de génération et plus globalement du délicat problème de l’emploi ?
S.G. - L’invention sémantique est excellente, elle fait passer une solidarité entre générations alors que jusqu’à présent nous étions dans un système d’opposition notamment avec les préretraites où l’on mettait les vieux dehors pour faire la place aux jeunes. J’ai fait plusieurs études sur le sujet, la réalité montre que les jeunes demandent plus de soutien des anciens sur l’apprentissage du métier, et les anciens plus de soutien des jeunes sur les nouvelles technologies. Ce contrat de génération valorise cette réciprocité que l’on minimisait, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le nombre d’emplois que cela va créer. De manière plus globale, le marché n’est pas capable aujourd’hui de trouver 5 millions d’emplois, il faut arrêter avec le mythe du retour de la croissance. Quoique l’on fasse, il y a plein de gens qui n’iront pas dans l’emploi, si on leur trouve des tâches utiles qui leur permettent de contribuer en se sentant utile, ce sera déjà très bien. A côté de cela, il y a des emplois qui ne répondent pas à une logique de marché mais à une logique de besoin social, avec des métiers d’aide à la personne dans tout ce que cela comprend, ou de l’aménagement rural notamment numérique. Ce serait là un bel investissement public qui pourrait permettre à plus de personnes de s’installer dans la ruralité, il suffirait de faire des économies sur des niches fiscales dont je ne vois pas bien l’utilité.
Que doit faire le Président pour parvenir à sa France de demain, écologique, solidaire et qui combat les thèses populistes ?
S.G. - Le populisme ne se combattra pas avec un discours moralisateur, surtout venant de personnes protégées qui ne sont pas sur le terrain. Michel Rocard avait une très belle formule : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais doit en prendre sa part », c’est très beau mais il faut admettre que notre pays ne peut pas tout faire. L’écologie n’a d’avenir que dans l’écologie sociale, au Président de faire comprendre au pays qu’au-delà du développement durable et de la sauvegarde de la planète qui sont évidemment importants, il y a une logique économique. Si l’on renforce la filière des éoliennes et du photovoltaïque, on réindustrialise aussi. Quant à la France solidaire, c’est déjà bien de le dire, je n’en peux plus d’entendre parler d’une France de compétition où l’on s’oppose les uns aux autres. Il ne faut pas oublier que nous sommes en interdépendance, nous avons besoin les uns des autres du premier au dernier jour de notre vie. François Hollande pourrait peut-être inventer un ministère des solidarités pour mettre en valeur toutes les actions.
Le niveau de la presse s’est-il dégradé avec les nouvelles technologies et sont-elles un danger pour l’écrit et les livres ?
S.G. - On a la presse que l’on mérite, qui est aussi liée à notre niveau d’exigence. Cela dit, quand Moïse Millaud fonde Le Petit Journal en 1863, il est beaucoup question de faits divers. L’âge d’or de la presse écrite était avant 1914 avec 4 quotidiens qui tiraient à plus d’un million d’exemplaires. Puis la radio est arrivée et à chaque nouveau média, on croit que cela va tuer l’écrit mais il est toujours là et reste une valeur majeure, on ne peut pas penser sans écrire. On ne lit pas le papier de la même façon que l’on lit sur l’écran, on s’ouvre au monde différemment. Reconnaissons tout de même qu’avec les nouvelles technologies, on écrit beaucoup plus qu’avant même si le niveau n’est pas toujours exceptionnel. Pour ce qui est des livres, je ne comprends pas que l’on donne des subventions énormes à Amazon et qu’on leur permette de ne pas payer leurs impôts, au lieu d’aider les petits libraires notamment dans la ruralité, qui sont parfois le seul acteur culturel local, et pour certains qui vont avec leur camionnette faire le tour des villages.