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Le roi est mort

Publié le par Michel Monsay

Le roi est mort

Nous venons de perdre l'un des plus grands comédiens de tous les temps. Que ce soit au théâtre ou au cinéma, Michel Bouquet a marqué l'Histoire de son talent exceptionnel. J'avais eu la chance de le rencontrer en tête à tête en juillet 2007 pour écrire son portrait, le voici :

L'orfèvre du jeu

Le terme de monstre sacré pour Michel Bouquet n'est pas galvaudé, tant il fait l'unanimité au théâtre comme au cinéma, avec notamment 2 Molières et 2 Césars. A travers plus de 60 ans de carrière, ce travailleur acharné a porté l'art de l'interprétation à son sommet, avec une incroyable humilité et un amour inconditionné des auteurs.

C'est au bar du Terrass hôtel, tout près de chez lui dans le quartier de Montmartre à Paris, où il donne régulièrement ses rendez-vous, que l'on retrouve un Michel Bouquet fatigué, d'avoir joué  durant plusieurs mois "L'avare" au théâtre de la porte Saint-Martin, et par une bronchite contractée à Angers lors d'une représentation sous la pluie devant 1500 personnes. A 81 ans, la performance est proprement exceptionnelle quand on connaît l'énergie que demande un tel rôle. Cette impression de lassitude se dissipe très vite lorsque le grand comédien commence à parler des auteurs et de leurs textes, son œil redevient pétillant et l'on sent une certaine délectation à travers ses propos : "Les grandes œuvres se transforment avec le temps, au fur et à mesure des mouvements de la société, elles prennent un autre aspect, car en fait elles contiennent tout ce que l'humain peut penser. La question que je me pose chaque fois que j'aborde un texte, est pourquoi l'auteur l'a t'il écrit ? Pour L'avare, qui est l'une des pièces de Molière à la fois les plus drôles et les plus amères, où l'argent en est le personnage principal qui domine tout, l'auteur mélange les genres avec une étonnante modernité pour nous montrer que les hommes sont victimes de leur attachement à ces objets de fatalité que sont l'argent, la jalousie et le désir". Après avoir joué 250 fois cette pièce à la fin des années 80, Michel Bouquet pensait en avoir fait le tour mais en la relisant, il perçoit une insolence et une moquerie autour de cet argent tant vénéré aujourd'hui, il décide alors de la remonter : "Molière est un des exemples les plus provocants de l'écriture dramatique, j'aime son sens de la révolte".

Le théâtre en étendard

Rien n'est plus beau pour Michel Bouquet qu'une grande pièce de théâtre, c'est à son avis ce qu'il y a de plus difficile à écrire. Avec L'avare qu'il joue notamment avec son épouse Juliette Carré, il est comblé comme il l'a été tout au long de sa carrière sur les planches, en interprétant les plus grands auteurs. Il fut le comédien fétiche de deux grands dramaturges du XXe siècle dont il a créé bon nombre de pièces, six de Jean Anouilh et quatre de Harold Pinter, mais jouer des contemporains peut se révéler périlleux, comme Ionesco où les salles se vidaient tant son "Rhinocéros" déroutait. Il déplore d'ailleurs que les œuvres de cet immense écrivain à ses yeux, dont il a joué en 2005 "Le roi se meurt", qui lui a valu le Molière du meilleur comédien, ne soient pas davantage montées. Habité par le théâtre, Michel Bouquet est intarissable à propos des chefs-d'œuvre du répertoire : "Il est très difficile d'arriver à les respecter, un travail préalable mélangeant réflexion, curiosité, et intuition, peut permettre de trouver le sentiment qui retranscrit le propos de l'auteur. S'il est pratiqué honnêtement, ce jeu habité par la chair fait des merveilles dans la conscience des gens qui regardent, il apporte des justifications morales de vivre". Dès qu'on lui parle de son génie, Michel Bouquet se cache derrière tous ces dramaturges sans lesquels il ne serait rien, et cette relation fusionnelle, il la cultive depuis ses débuts en se remettant en permanence en question, pour être le plus juste possible. Tous les éloges autour de sa personne le rassurent et l'obligent  à la fois.

Quel parcours !

Sa carrière commence en 1944 alors qu'il n'a que 18 ans, le succès arrive très tôt, puisque trois ans plus tard, il joue 680 fois les rôles des jumeaux dans "L'invitation au château" d'Anouilh, où l'un sortait par une porte et l'autre entrait aussitôt, il garde un souvenir merveilleux de cet exercice de style. Puis avec Suzanne Flon, ils jouent "L'alouette" du même auteur près de 900 fois notamment en Amérique du Nord, du Sud et dans les pays de l'Est. Durant 63 ans, il ne quitte pour ainsi dire jamais les planches, ce qui ne l'empêche pas d'être parfois critiqué, mais il le prend avec philosophie : "Une mauvaise critique apporte énormément, il faut les bénir car dans une méchanceté, il y a toujours une part de vérité extraordinaire". Aujourd'hui, Michel Bouquet se trouve en décalage par rapport à notre époque : "Je représente quelque chose d'un monde qui va disparaître, lorsque l'on a bien fait son travail, il est temps que ça finisse et que d'autres prennent la place et imposent de la nouveauté". Pourtant personne n'a envie de voir cet immense comédien s'arrêter, surtout lorsqu'il livre une prestation comme celle du film "Le promeneur du champs de Mars" il y a deux ans, César du meilleur acteur. Il a abordé le rôle de François Mitterrand, d'abord avec le respect que la fonction impose à ses yeux, et en accord avec le réalisateur Robert Guédiguian, comme le portrait d'un monarque. Même s'il n'aimait pas beaucoup le personnage, il en admire la sincérité de la vocation, et comprend le cheminement qu'il a dû avoir dans ce monde de serpents pour arriver au poste suprême. C'est en saisissant le personnage qui se cachait en filigrane que Michel Bouquet va trouver cette incroyable justesse : " L'homme des Charente qui aimait son pays par-dessus tout, avec des traits de caractère que j'appréciais beaucoup chez lui, son courage, sa frivolité, sa grande intelligence, son charme et sa manière de s'accaparer les gens".

Cet art de l'invisible

Lorsque l'on essaie d'expliquer l'art d'un comédien, il faut prendre en compte tout ce qui n'est pas écrit dans le texte, ces gestes ou postures qui font la différence et peuvent rendre une interprétation magistrale, Michel Bouquet maître en la matière, répète une fois encore qu'il n'y ait pour rien : "C'est ce que le personnage fait de moi, je ne l'invente surtout pas, c'est lui qui me dit, ne mets pas ta main comme ça, ce n'est pas juste. Cette rencontre avec le personnage est toujours très émouvante, elle est l'intérêt même du jeu. Un comédien n'est pas dans le rationnel comme un médecin, au contraire, l'important est dans ce qui échappe, il lui faut par une part de naïveté". En jouant Harpagon soir après soir, Michel Bouquet ne sait jamais comment sera exactement son personnage, il y a toujours une part d'improvisation au dernier moment sur un terrain très balisé en amont. Ce travail préalable est encore plus important au cinéma afin de pouvoir être prêt le jour du tournage, mais il peut être réduit à néant par un réalisateur : "Si l'on à faire à un imbécile, on aura l'air d'un imbécile même si on a travaillé comme un fou avant, ça ne dépend pas de nous, alors qu'en scène le temps appartient à l'acteur, qui peut enrichir son jeu d'une représentation à l'autre". Dans la soixantaine de rôles qu'il a joué pour le grand écran, on pense tout de suite à Claude Chabrol qui l'a dirigé à sept reprises, notamment dans "La femme infidèle" et "Juste avant la nuit", mais aussi à ses très belles performances dans "Comment j'ai tué mon père" d'Anne Fontaine, qui lui vaut le César du meilleur acteur, et dans "Toto le héros" de Jaco Van Dormael.

La boucle est bouclée

Durant dix ans dans les années 80, il enseigne l'art dramatique au Conservatoire national, période où il dit avoir beaucoup appris en regardant les jeunes, alors que l'on pourrait penser l'inverse : "On ne peut pas apprendre à quelqu'un à jouer la comédie, les cours servent à se confronter à la difficulté et à la déontologie de ce métier. J'étais le premier spectateur des élèves, je leur disais souvent : entre ces deux répliques c'est très juste, et après ça déraille je ne sais pas pourquoi, il faut que tu en trouves la raison". Jean Vilar avec lequel il a travaillé au TNP, donnait lui aussi très peu d'indications : "Il disait simplement, tu démarres à 10 à l'heure, puis tu montes à 30, à 60, là tu redescends à 12 et tout de suite après tu remontes à 80, et quand on le mettait en application, c'était exactement ça". Avec ses jeunes élèves passionnés, il a sans doute dû retrouver cette flamme qu'il avait ressentie lui aussi, une trentaine d'années auparavant dans le même établissement. Avant d'entrer au Conservatoire, le jeune Michel Bouquet a été pensionnaire de 7 à 14  ans, une période sans ses parents qu'il vit difficilement, d'autant qu'il n'est pas du tout scolaire mais plutôt habité par le rêve. Ensuite il devient mécanicien dentiste et mitron durant l'Occupation pour aider sa mère, son père étant prisonnier. Malgré une condition modeste, il découvre le théâtre en allant avec sa mère et son frère au poulailler de la Comédie Française. Un jour, en ayant assez des petits boulots, il frappe à la porte d'un grand comédien de cette prestigieuse maison, Maurice Escande, également professeur. A partir de là, tout va s'enchaîner incroyablement vite puisqu'au Conservatoire avec Gérard Philippe, ils sont remarqués par Albert Camus qui leur propose de créer Caligula en 1945.

Un citadin aux valeurs paysannes

Cet homme qui se sent profondément rural, n'aimant pas l'intellectualité de la ville, même s'il y a vécu tout au long de sa vie, a appris le goût de l'effort durant les moissons qu'il allait faire en Bourgogne dans la famille de sa mère, ou en Franche-Conté du coté de son père où il gardait des vaches. Durant sa carrière, et même encore aujourd'hui en tournée avec "L'avare" jusqu'en mars 2008, il a toujours aimé jouer en province : "Il n'y a pas de phénomène de mode et on y trouve l'idée de la permanence de la condition humaine. La France est un pays sublime, fait d'un assemblage complexe où tous les gens sont contraires à leurs voisins. J'ai davantage confiance dans le monde paysan, car le pouvoir de l'homme est contesté par la nature, le chemin est rude". Son parcours a été guidé par deux valeurs essentielles à ses yeux, le travail et le doute qui s'accordent très bien pour un comédien. Durant tout l'entretien, Michel Bouquet a fait preuve d'une humilité qui caractérise souvent les grands hommes, et même lorsqu'il ne joue pas, mais parle simplement de son métier, il le fait avec sa voix fascinante et des intonations qui sonnent toujours justes, comme pour un texte.

Publié dans Portraits, Photos

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Michel Serres

Publié le par Michel Monsay

Michel Serres

En 2004, j'ai eu l'honneur de rencontrer Michel Serres, pour rendre hommage à l'immense philosophe qui vient de nous quitter, voici le portrait que j'avais écrit à l'époque :

 

Une pensée généreuse

 

Assurément hors normes, par ses origines paysannes et son parcours atypique, Michel Serres est l'un des intellectuels français les plus attachants et plus subtils. Membre de l'académie française, auteur de 45 ouvrages et ancien professeur à la Sorbonne, il a cherché tout au long de sa carrière aux quatre coins de la planète, à comprendre la nature humaine et transmettre judicieusement le savoir.

 

Dès les premières paroles échangées, lorsqu'il vient vous ouvrir la porte de sa charmante maison de Vincennes, Michel Serres emploie un ton jovial et simple, qui préfigure ce remarquable moment à passer en sa compagnie. Avec une pointe d'accent du Sud-Ouest, il n'hésite pas à parler avec enthousiasme du dernier coup franc de Zidane, avant d'évoquer les Etats-Unis où il vit une partie de l'année pour enseigner à l'université de Stanford : "J'ai remarqué un retournement assez significatif de l'opinion envers la politique de leur président, et une désapprobation croissante de la guerre et la présence en Irak".

 

Un philosophe sans frontières

Depuis plus d'une trentaine d'années, cet infatigable voyageur sillonne le monde pour distiller son savoir, mais aussi pour mesurer l'état de la recherche et la pédagogie dans les universités. Il peut ainsi témoigner sur la perception de la langue française : "Elle est encore admirée, connue, et de manière générale plus respectée à l'étranger qu'en France. Même s'il existe une sorte d'empathie quand je donne une conférence en français et que les gens arrivent à me comprendre, j'ai longtemps regretté de ne pas être pianiste pour me passer de traduction".

Les allers et venues de Michel Serres à travers la planète, lui ont fait prendre conscience qu'il ne fallait pas craindre la mondialisation en termes d'homogénéisation, les différences de culture et de langue reprenant toujours le dessus. Par contre, Coca-cola ou McDonald's peuvent être dangereux, mais avec son optimisme indéfectible, il est persuadé que les gens ne vont pas rester dupes. Il ne se sent pas plus proche d'un peuple par rapport à un autre, mais prend plutôt dans chacun ce qu'il a de plus pertinent. Pour preuve, les américains ont raison à ses yeux par rapport aux français, dans leur conduite automobile, mais tort pour le port d'arme, et d'en conclure : "A chacun sa manière de se suicider !"

 

Transmettre

La richesse de ce parcours international lui a régulièrement apporté des idées, fait comprendre le sens et l'importance de l'enseignement, qu'il définit comme un investissement majeur bien plus que l'économie : "Le grand échec qu'essuie actuellement l'Occident en matière d'enseignement et de recherche, va lui coûter très cher à terme". Il est par ailleurs très attaché à la naissance d'un nouveau média comme Internet, qui est une nouvelle chance de diffusion de l'information et du savoir, au même titre que l'imprimerie en son temps. C'est bien là, une des caractéristiques essentielles d'un personnage à la générosité non feinte, qui a passé sa vie à essayer de vulgariser la science et la philosophie, pour partager ses connaissances avec le plus grand nombre. Notamment lors de conférences, qu'il prend plaisir à donner aussi bien au fin fond du Gers qu'à l'autre bout du monde.

Dès le début des années 80, Edith Cresson lui commande un rapport sur l'université à distance, d'où il ressort assez vite que : "Les institutions étaient comparables à ces étoiles dont on voit encore la lumière, mais qui sont mortes depuis de nombreuses années, autrement dit, il y avait du nouveau à créer, et je pense encore aujourd'hui que ce changement est à venir".

 

Voyager pour s’ouvrir

A 74 ans, il a quelque peu freiné le rythme de ses déplacements, mais malgré tout il en ressent toujours le besoin : "Quand j'étais petit, bloqué par la guerre dans le lieu où j'habitais, j'ai lu Jules Verne. La conjugaison des deux m'a apporté une sorte de projet de vie tourné vers le voyage". En plus durant son enfance, il grandit dans un environnement mélangeant terre et eau, vu que son père possède une exploitation agricole en polyculture, typique du Sud-ouest, et une petite entreprise de dragage sur la Garonne. Comme il le dit joliment : "Le fils d'un marinier devient marin puisque les fleuves vont à la mer", c'est  donc dans la Marine durant deux années que se manifeste ses premiers contacts avec l'ailleurs. Pour lui, le voyage n'est pas seulement géographique, il est également humain : " C'est extraordinaire de discuter dans la brousse avec des Bantous, autre part avec des indiens Navajos ou des japonais, on trouve alors à quel point la fraternité finit par exister au-delà des différences".

Le troisième point qui lui tient à cœur est le voyage scientifique, et s'il choisit la philosophie à un moment phare de sa vie, c'est aussi pour connaître toutes les sciences, aller en électron libre d'une à l'autre sans se spécialiser. L'autre raison de son choix vient du profond désarroi que la bombe atomique en 1945, a provoqué chez ce jeune amoureux de mathématiques, lorsque l'on a commencé à évoquer la responsabilité savante par rapport à l'avenir de la planète. Il est l'un des seuls à l'heure actuelle à perpétuer la tradition des plus anciens grecs, où science et philosophie allaient de pair pour le bien des deux, et déplore le dangereux rétrécissement constaté récemment.

 

De l’importance de la philosophie

Il aime à penser que le rôle du philosophe est d'anticiper le monde à venir, préparer les conditions d'existence pour les générations futures : "Toute la modernité est fille de Descartes, le Moyen Age fils d'Aristote, la Renaissance fille de Platon". De son côté Michel Serres dans les années 60, évoque à travers ses cinq livres sur le Dieu Hermès, l'importance que la communication va prendre. Aujourd'hui, dans ses écrits il traite de l'évolution que l'enseignement devrait suivre dans la forme et le contenu, ou de l'énorme changement qui va bouleverser notre société dans sa globalité, tant au niveau culturel, politique et économique : "La perspective de ne plus avoir de source d'énergie disponible dans 50 ans, va forcément être aussi un déclencheur de cette mutation d'ici une vingtaine d'années tout au plus".

 

Agriculture et science

Parmi les scénarios possibles, il aurait tendance à imaginer que cette pénurie pourrait entraîner un retour vers l'agriculture, pour trouver des solutions de remplacement avec les biocarburants. Ce qui ne serait pas pour lui déplaire, car jusqu'à présent il regrettait la disparition inexorable du monde paysan, en considérant que c'était l'événement le plus important du XXe siècle : "Le modèle fondamental et culturel de l'humanité reposait sur le fait que l'homo sapiens est un paysan depuis le néolithique, même au début du XXe siècle tout le monde était encore averti d'agriculture, aujourd'hui tout s'est inversé". Dès qu'il parle de cet univers, on le sent complètement à son aise, et dans les solutions qu'il entrevoit pour l'avenir, il encourage les agriculteurs à collaborer avec les savants dans la perspective de développer les biotechnologies. Il est persuadé que si tout le monde se met au travail ensemble avec les précautions nécessaires, de formidables débouchés verront le jour, comme pour le riz doré, OGM enrichi en vitamine A qui guérit des millions d'aveugles dans les pays pauvres. Et de renchérir : " C'est comme interdire pour raison écologique, la DDT, ce produit insecticide qui a eu raison du paludisme et a sauvé au Sri Lanka ou en Afrique, des millions de vies, où est la vérité ? J'appelle cela un crime, c'est pour cela qu'il faut étudier chaque cas et les dérives éventuelles de son utilisation. Arrêtons de donner à la population, une idée complètement folle de la science ".

 

Ce besoin viscéral de nature

Ses obligations professionnelles l'ont rendu citadin, mais il ne s'est jamais senti à son aise en ville et a toujours fait en sorte de vivre dans une maison avec un jardin. Originaire d'Agen, il y passe toute son enfance avant de s'exiler une première fois pour ses hautes études, notamment à l'Ecole Normale Supérieure, puis y revenir à 25 ans, acheter une exploitation agricole dont il s'occupe lui-même au début, et qu'il gardera une vingtaine d'années en la gérant à distance. Ce rapport privilégié à la nature, trouve son enracinement lorsque le jeune Michel aidait son père à la ferme, pour se concrétiser plus tard dans bon nombre de ses essais, où l'aventure humaine est toujours en relation avec son environnement.

Il y a ici, un important point de divergence avec les autres philosophes contemporains, qui ont tendance à extraire l'individu du monde dans lequel il vit. Egalement amoureux des grands espaces, Michel Serres après avoir pris beaucoup de plaisir en mer étant jeune, se découvre assez vite une passion pour la haute montagne, où il va passer sa vie à écumer les sommets du monde entier. La discipline requise pour ses performances sportives, on la retrouve dans son travail d'écriture où il s'impose de se lever tous les jours à 5h, étant plus productif le matin, l'après-midi est consacré à l'enseignement ou à recevoir des amis.

 

Un humaniste à l’humilité bouleversante

Parmi les 45 livres qui composent son œuvre, l'un des axes majeurs est la communication : "Elle a complètement transformé le savoir, d'ailleurs la science aujourd'hui serait inconcevable sans ordinateur, de même l'enseignement avec les différents modes de communication provoquent un type d'ignorance chez nos étudiants, qui n'a rien à voir avec celui rencontré il y a 50 ans". Il regrette par ailleurs le manquement de la télévision, qui pourrait être un formidable instrument de culture et au lieu de ça, propose des caricatures d'émissions au format trop rigide. Il a été à l'origine de la Cinquième, mais s'est rapidement heurté au manque de souplesse des professionnels de la télé.

Cette simplicité qui apparaît immédiatement lorsqu'on le rencontre, se confirme à chaque phrase et se mêle à une confiance sans faille dans l'humain : "Il y a souvent beaucoup plus de compréhension humaine profonde chez des gens inattendus, que chez des experts intellectuels enfermés dans des idées préconçues. J'ai rencontré des croque-morts lors de funérailles paysannes, qui comprenaient peut-être mieux le phénomène mortel que Kant ou Schopenhauer".

Son optimisme revendiqué contraste avec le pessimisme ambiant, beaucoup plus vendeur, que ce soit en littérature ou à la télévision. En 91, lorsqu'on lui propose d'entrer à l'académie Française, il accepte du bout des lèvres, mais il reconnaît maintenant s'y sentir bien grâce au travail sur le vocabulaire, où cela bataille dur chaque semaine pour imposer de nouveaux mots. Il apprécie également bon nombre d'académiciens pour leur intelligence et leur finesse, certains deviennent des amis, comme le commandant Cousteau, Alain Decaux ou le cardinal Decourtray. Cette reconnaissance le laisse très humble et lucide : "Le vrai honneur, est d'écrire une belle page, le reste …!"                                                    

 

 

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L’ambassadrice des innovateurs durables

Publié le par Michel Monsay

L’ambassadrice des innovateurs durables

Connue pour ses photos-cœur avec des personnalités du monde entier, symbole de sa renaissance après son opération cardiaque et de son engagement, la journaliste Cyrielle Hariel met toute son énergie, et elle n’en manque pas, à sensibiliser sur l’écologie, l’humanitaire, le développement durable et les pathologies cardiaques.

 

Dans la continuité de ce que fait Cyrielle Hariel depuis trois ans, mettre en avant les personnes qui innovent et trouvent des solutions aux problèmes de notre époque, elle vient de présider le jury des trophées de l’excellence bio qui ont été remis sur le salon de l’agriculture. Cette expérience avec l’agence bio lui a permis de rencontrer des agriculteurs et transformateurs engagés dans ce mode de production, dont elle a d’ailleurs fait le portrait de deux d’entre eux dans l’émission « Circuits courts » à laquelle la journaliste participe chaque jour à 13h48 sur Europe 1. Elle a eu un coup de cœur pour la conserverie bio, La marmite bretonne, qui propose un concept innovant : le bocal connecté, permettant avec le flash code sur le produit d’obtenir la traçabilité de tous les ingrédients utilisés. Cyrielle Hariel ajoute : « Beaucoup d’agriculteurs ont envie de tendre vers le bio, et si on leur donne les subventions nécessaires, ils se montrent créatifs et font des choses remarquables. »

 

Le doudou sonore

Tout a commencé pour Cyrielle Hariel avec la découverte de Michael Jackson, dont elle écoute les grands titres dès l’âge de 4 ans et regarde les clips à la télé durant une enfance solitaire avec des parents divorcés et où elle est souvent livrée à elle-même : « Il a été ma nounou, j’ai grandi en regardant ses clips notamment les plus engagés. Il suffit de revoir « Heal the world » ou « Man in the mirror » dans lequel il dit : si tu veux changer le monde, commence par changer la personne que tu vois dans le miroir. Mais c’était plus vendeur pour les journalistes de ne parler que d’un homme qui change de peau, touche des enfants et vit dans une immense propriété, alors que c’était juste quelqu’un qui ne s’aimait pas et était entouré de requins. On n’a pas vu à l’époque qu’il essayait de sensibiliser à la déforestation, la famine, la guerre, la pollution comme dans Earth song, 20 avant la COP 21. » A défaut de pouvoir l’interviewer, ce qui est une très grande frustration pour la journaliste, elle se tourne vers tous ceux qui ont un engagement humanitaire et écologiste.

 

La vie n’est pas un long fleuve tranquille

Pour fuir le domicile familial, la solitude, le manque d’amour, Cyrielle Hariel fait ses trois années de lycée en internat, puis après le Bac intègre une école de communication et enchaîne avec l’école française des attachées de presse. Elle obtient son premier poste sur Direct 8 en tant que programmatrice de l’émission télé « Les animaux de la 8 », où elle en écrit le contenu avant d’en devenir journaliste et partir sur le terrain interviewer des vétérinaires ou faire des reportages sur des animaux. Au bout de trois ans elle lâche tout, cherche un sens à sa vie, et ressent le désir de voyager. C’est alors qu’intervient le second déclic, lorsqu’elle décide de passer des clips de Michael Jackson à la réalité, en partant en 2014 avec la présidente de l’ONG Action contre la faim dans un camp de réfugiés Rohingyas au Bangladesh. Ce voyage, en plus de lui confirmer son besoin d’engagement et de mettre en lumière les actions humanitaires, lui permet de déceler à temps une malformation cardiaque. Avant de partir, en faisant les vaccins obligatoires on lui diagnostique un souffle au cœur et une opération à venir pour lui implanter une prothèse. Ce double choc, de sa semaine bouleversante passée auprès de ces apatrides et de la peur de mourir en attendant l’intervention chirurgicale, va considérablement changer Cyrielle Hariel. Cette malformation cardiaque touche en grande partie les femmes, et la journaliste veut aujourd’hui faire de la prévention à ce sujet.

 

Le blog de la renaissance

Après plus de six mois sous bétabloquants où elle est réduite à une existence végétative, elle décide en mars 2015 de créer un blog et réaliser des interviews au culot, en venant de nulle part. D’autant qu’elle a changé de nom en prenant celui de son ange-gardien, Hariel, comme un symbole de sa renaissance. Sa démarche est sincère, son histoire touche les gens et les portes commencent à s’ouvrir, elle réalise plus d’une centaine d’interviews en deux ans de ceux qu’elle appelle les « Changemakers », ceux qui se battent pour donner un meilleur avenir à la planète, et chaque fois elle fait une photo-cœur avec la personne. Elle part également faire un reportage pour son blog au Maroc, avec l’association Cœur de gazelles qui vient en aide aux populations reculées, puis en Ethiopie pour planter des arbres avec Ecosia, un moteur de recherche solidaire. De retour de ces voyages, elle s’agace du contraste entre ces gens qui n’ont rien et vous accueille avec le sourire et nos lamentations d’occidentaux gâtés : « Chaque jour depuis mon opération, je remercie la vie, je relativise dès qu’un souci se présente et pense à tout ce que j’ai, comparé aux femmes et aux enfants rencontrés au Bangladesh ou en Ethiopie. »

 

A la recherche des acteurs écoresponsables et humains

Rapidement, elle élargit son champ d’action : « Je crois que tout le monde a une part belle en soi et c’est vers cette part que je veux aller. Je me suis ouverte à l’écologie puis j’ai découvert les entrepreneurs sociaux qui font entre autre des potagers en ville, des tentes pour les sans-abris, de la mode éthique, œuvrent pour l’anti-gaspillage alimentaire, ces gens ont plein de bonnes solutions, ils créent de l’emploi mais ne font pas l’ouverture des JT où l’on préfère parler de personnes qui tuent, violent ou sont corrompues. » Son action de passeuse, démarrée il y a trois ans, a déjà un réel impact, comme pour le Programme alimentaire mondial dont Cyrielle Hariel a fait le portrait sur Europe 1 de la directrice du bureau de Paris, en rappelant son passé de navigatrice. L’émission a permis à la responsable humanitaire de nouer un partenariat avec la Transat Jacques Vabre et toucher ainsi le grand public.

Sa plus belle rencontre, celle qui l’a fait pleurer de joie, est le photographe indo-américain John Isaac qui a travaillé durant 40 ans pour les Nations-Unies et l’Unicef dans le monde entier, mais qui en plus a été le photographe de Michael Jackson durant deux ans en le côtoyant au plus près : « Cet homme de valeurs, de convictions, d’une incroyable humilité m’a confirmé que Michael Jackson était quelqu’un d’engagé, de sensible, de généreux. »

 

Un culot qui porte ses fruits

Avant de travailler à Europe 1, la journaliste a déployé une énergie considérable pour se faire connaître avec son blog et sur les réseaux sociaux, mais aussi pour comprendre tous les enjeux écologiques et humanitaires de la planète. Elle décroche ainsi des premières piges quelques mois après avoir lancé le blog, d’abord pour l’émission Le grand 8 puis sur Ushuaïa TV dès janvier 2016, où elle devient une chroniqueuse régulière dans Ushuaïa le mag en y présentant les « changemakers ». Ce qu’elle a publié sur les réseaux sociaux, via son blog, lui apporte non seulement d’être embauchée pour l’émission quotidienne Circuits courts sur Europe 1 fin août 2017, mais aussi lui amène de nouvelles personnes à mettre en avant pour leurs actions.

L’optimisme et le sourire qu’elle affiche en permanence, même s’il lui arrive d’avoir des moments de déprime, lui viennent de ses rencontres avec ces gens étonnants, qui parfois quittent un confort pour suivre leur cœur et dans tous les cas agissent au quotidien avec passion pour faire bouger le monde : « J’aimerais que les gens, en écoutant ou regardant les émissions auxquelles je participe ou en lisant le livre que j’ai écrit, se disent : Et moi qu’est-ce que je peux faire ? Je ne me considère pas comme utopiste, je préfère faire des cœurs que des doigts d’honneur. »

 

S’engager toujours davantage

Ce livre qui paraît ces jours-ci, « Faire battre le cœur du monde », raconte à la fois son histoire en dévoilant la niaque et la fragilité qui l’habitent, son trou dans le cœur, son trou familial, mais c’est surtout le récit plein d’espoir d’une autodidacte qui, à travers toutes les personnes interviewées, lance un appel : « Nous sommes tous interdépendants, arrêtons la cupidité, arrêtons de détruire la planète et mettons du sens dans notre quotidien, il faut croire en soi. »

Durant son temps libre, Cyrielle Hariel est assez sportive, elle donne des cours de gym suédoise, aime courir, mais aussi regarder des documentaires. Aujourd’hui à 30 ans, tout en continuant à exercer son métier de journaliste où elle rêve d’interviewer Oprah Winfrey, Michelle et Barack Obama, ou Leonardo DiCaprio, et animer des conférences pour continuer à rencontrer des gens, son grand projet est de créer une fondation pour fédérer, sensibiliser et récolter des fonds afin de mettre en lumière des initiatives qui ont de l’impact social et environnemental auprès des populations qui souffrent.

 

A lire : Faire battre le cœur du monde - Editions LLL.

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Solaire, bienveillante et passionnée

Publié le par Michel Monsay

Solaire, bienveillante et passionnée

Alternant théâtre, cinéma et télévision depuis 40 ans, Ariane Ascaride qui a obtenu le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Marius et Jeannette, a été l’héroïne de tous les films de son mari, Robert Guédiguian, excepté celui qu’il a consacré à la fin de vie de François Mitterrand.

 

Ces derniers mois, Ariane Ascaride a joué en tournée deux pièces, d’abord Le silence de Molière, dans laquelle elle interprétait avec un grand bonheur la seule des trois enfants du grand dramaturge à avoir survécu, ses deux fils étant décédés avant leur première année. Cette fille a rejeté dès son plus jeune âge le monde du théâtre dans lequel elle a grandi et a ensuite vécu en partie recluse. L’autre pièce était un spectacle autobiographique écrit par Marie Desplechin, intitulé Touchée par les fées, racontant le parcours familial et artistique d’Ariane Ascaride, qui à l’inverse de la fille de Molière a choisi ce théâtre qu’elle a aussi connu très tôt, avec son père jouant et montant des pièces en amateur, et sa mère qui l’emmenait voir un spectacle chaque semaine. Avec Touchée par les fées, elle s’est en quelque sorte affranchie de son père, de ses frères et de son mari, qui lui ont toujours dit ce qu’elle devait faire, en démontrant qu’elle pouvait mener à bien un projet toute seule.

 

Le plaisir d’être en scène

Le théâtre au même titre que le cinéma ont toujours été indispensables et complémentaires dans la carrière de la comédienne : « Le théâtre, c’est l’instant, le partage immédiat avec les spectateurs, une mise en danger beaucoup plus grande, et j’aime avoir peur. Le cinéma permet de jouer en murmures, en nuances, c’est accepter d’être volée. » Elle garde un souvenir ému du théâtre d’appartement qu’elle a créé à ses débuts avec son frère Pierre en 1978, où ils allaient jouer notamment dans des tours à Bobigny sans connaître les gens, en amenant des costumes, un décor, des lumières et des histoires d’Italo Calvino. Parmi les auteurs qu’elle a interprétés ensuite sur scène, Ariane Ascaride a une grande tendresse pour Bertolt Brecht et particulièrement, La bonne âme du Se-Tchouan, pièce avec laquelle elle est entrée au Conservatoire et dont le personnage de cette femme, qui veut faire le bien dans un monde mauvais, l’a toujours accompagnée.

 

L’actrice et le cinéaste

Sorti le 29 novembre dernier, « La villa », le vingtième film de Robert Guédiguian, dont le scénario a beaucoup touché sa femme, est l’histoire d’une fratrie de deux frères et une sœur, tout comme les trois jeunes migrants qu’ils recueillent dans la villa, mais aussi la famille Ascaride avec les deux frères d’Ariane. Dans le film, au-delà des retrouvailles des trois enfants autour de leur père mourant, avec des non-dits et des rancœurs, l’amour peu à peu va renaître entre eux, ils se remémorent les valeurs et les idéaux auxquels ils croyaient, dressent un bilan de leur vies et retrouvent un nouveau souffle grâce à ces jeunes réfugiés. La comédienne ne participe jamais à l’écriture des films de son mari, mais leurs propos l’interpellent toujours : « Ce que je j’aime par-dessus tout est de me glisser dans l’enveloppe qu’un auteur a écrite et de lui donner vie. Cela ne m’empêche pas d’être critique à l’égard du travail de Robert, notamment pendant le montage, à propos du rythme d’un film en lui proposant d’inverser l’ordre des séquences ou en favorisant certains plans, mails il ne m’écoute pas toujours. » Dans son panthéon de la filmographie de son mari, il y a « A la vie, à la mort », qu’elle considère comme un magnifique hymne à l’humanité, « La ville est tranquille », un constat noir d’une certaine réalité sociale qui lui a donné son plus beau rôle selon elle, un personnage âpre et difficile à jouer, puis le très beau « Marie-Jo et ses deux amours », et enfin « La villa », qui est à son sens le film où Robert Guédiguian se découvre le plus.

 

La belle équipe

La collaboration entre l’actrice et le cinéaste est unique au monde, 19 films ensemble, de même que celle avec Gérard Meylan 18 films et Jean-Pierre Darroussin 16 : « Il y a quelque chose à voir avec la peinture chez Robert, il retravaille avec les mêmes couleurs, autrement dit ses acteurs, y compris pour les rôles secondaires. Au-delà de leur talent, il a énormément de respect pour eux dans la vie et a besoin de cette alchimie sur un plateau de tournage, où il demande aux comédiens d’apporter ce qu’ils sont, de proposer des pistes. » La grande confiance et l’amitié indéfectible qui existe entre Robert Guédiguian et ses trois comédiens principaux leur permet de se comprendre sans même se parler, d’avoir une liberté et une exigence de jeu dès le premier jour de tournage sans avoir à prouver sa valeur aux autres. Elle ajoute : « Les acteurs sont capables de tout donner s’ils ont confiance dans le metteur en scène. Un bon acteur a toujours tout dans sa besace, c’est au cinéaste d’arriver à indiquer le sens de l’histoire et avoir un propos très précis sur ce qu’il veut faire pour obtenir une véritable création des acteurs. »

 

Ce qui la constitue

Parmi les rencontres qui ont marqué Ariane Ascaride, il y a bien évidemment ses deux professeurs au Conservatoire, Antoine Vitez, une référence du théâtre, et Marcel Bluwal, l’un des plus grands réalisateurs de télévision, avec lequel elle a travaillé ensuite notamment sur un téléfilm où la toute jeune comédienne regardait jouer Simone Signoret sans en perdre une miette. Mais c’est à l’université d’Aix en Provence qu’elle fait la connaissance de l’homme de sa vie, elle représentante d’un syndicat étudiant, lui qui la félicite pour le discours qu’elle vient de faire. Il la suit à Paris et grâce à elle, il va devenir cinéaste et abandonner ses études en sciences sociales. Sa vocation, Ariane Ascaride n’a même pas eu le temps de la ressentir puisque son père l’a mise à 8 ans sur un plateau de théâtre amateur, c’est devenu ensuite pour ainsi dire sa manière de respirer, elle ne pouvait plus envisager autre chose.

De son enfance marseillaise, elle garde un souvenir lumineux : « J’ai toujours adoré cette ville contrastée, cosmopolite, avec un rapport particulier à la mer, aux collines que j’ai gardé toute ma vie. » Arrivée à Paris à l’âge de 20 ans, même si elle retourne régulièrement dans le Sud, elle s’installe définitivement dans cette ville élégante, sublime selon ses mots, mais qui aujourd’hui exclut de plus en plus : « Ca me grignote l’âme de voir des hommes et des femmes dans la rue, je suis mal à l’aise devant cette misère alors que moi je rentre dans ma maison. » Marraine du Secours populaire, elle a toujours été du côté des faibles et ne comprend pas qu’il y ait une telle différence entre deux humains.

 

Lauriers ou pas

Pour expliquer le succès de Marius et Jeannette, elle pense que cet hymne à la joie est arrivé à un moment où les gens en avaient besoin : « J’ai eu l’impression d’avoir rempli mon rôle, je fais ce métier pour provoquer des émotions et donner à réfléchir. » Ce film a transformé la vie d’Ariane Ascaride avec le César qu’elle remporte en 1998 : « Je suis arrivée à la cérémonie, personne ne savait qui j’étais et je suis ressortie avec des gardes du corps autour de moi, c’était un gag. » Cette reconnaissance est l’un des plus beaux moments de sa carrière, mais il y en a d’autres plus discrets qui l’ont touchée tout autant, comme la présentation avec Robert Guédiguian du « Voyage en Arménie » dans les villages où le film a été tourné et l’échange bouleversant avec la population. Ses deux plus gros succès en dehors des films de son mari sont Brodeuses en 2004 et Les héritiers en 2014. Si l’on peut s’étonner de l’absence de récompenses majeures comme un César, un prix à Cannes, Venise ou Berlin pour Robert Guédiguian malgré la collection de très beaux films qu’il a réalisés, sa femme trouve une explication : « Il est trop politique, pas assez consensuel et a trop l’accent marseillais, c’est un homme qui dit toujours très fort ce qu’il pense et il le paye. »

 

Une femme authentique

Il existe un moment privilégié qu’Ariane Ascaride aime toujours autant au fil des années : « Les 30 secondes qui suivent la sortie de scène sont toujours un instant de complète plénitude. J’ai toujours rêvé de faire des portraits d’acteur sortant de scène, les visages sont incroyables. » A l’inverse, étant très traqueuse elle vit un véritable enfer avant d’entrée en scène. Si son jeu était assez volontaire à ses débuts, comme pour prouver sa valeur, aujourd’hui elle se laisse traverser par les émotions et les montre davantage, sans en faire trop non plus. Elle ne se prépare pas spécialement en amont d’un tournage comme certains acteurs, et ne sait pas ce qu’elle va faire une seconde avant que la caméra ne tourne. Attentive aux autres et foncièrement sympathique, mère envahissante, elle aime aussi avoir des moments de solitude notamment pour lire, activité qui lui est indispensable.

A 63 ans, en attendant d’avoir des petits-enfants, elle rêve de paix dans le monde et que l’on prenne davantage soin de la planète, afin que la nouvelle génération ainsi que la suivante puisse respirer et s’épanouir et non pas vivre dans le monde épouvantable qui résulterait de notre inaction. Pour le reste, elle va continuer à prendre ce que le hasard lui apportera ou que son mari lui proposera : « Je crois que nous avons fait quelque chose de formidable avec Robert sans l’avoir préméditée, on s’est vraiment battu lorsque les gens ne nous connaissaient pas, et aujourd’hui que l’on plaise ou pas en France comme à l’international, on est là depuis 1981 et on va essayer de continuer à faire des films. »

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L'homme qui cultivait la contradiction

Publié le par Michel Monsay

L'homme qui cultivait la contradiction

Pour rendre hommage à l'irremplaçable Jean d'Ormesson, voici son portrait écrit à la suite de l'heure inoubliable qu'il m'avait fait l'amitié de me consacrer il y a tout juste 11 ans en décembre 2006.

 

Immortel depuis son entrée à l'Académie française en 1973, Jean d'Ormesson à travers une trentaine d'ouvrages est devenu une figure incontournable de la littérature. Symbolisant l'esprit français, entre légèreté, élégance et une certaine profondeur, il a toujours su attirer un large public, à l'écart des modes.

 

C'est au siège des éditions Robert Laffont, qui viennent de publier son nouveau roman, que nous attend Jean d'Ormesson, fidèle à son amabilité et son enthousiasme rares dès les premiers mots échangés. Avec sa voix chatoyante, feutrée et sa diction posée, il explique d'emblée : "Un écrivain écrit toujours le même livre en racontant ce qu'il est, le défi consiste à se renouveler tout en gardant son style, si Mauriac avait fait du Labiche, cela aurait été très douteux. Après avoir beaucoup parlé de mon père, de Chateaubriand et de Venise, j'ai voulu approfondir un thème autour duquel j'ai tourné à plusieurs reprises, Dieu. Cela s'appelle "La création du monde", ce n'est pas un livre religieux, il traite de la condition humaine et de ses questionnements". Lorsqu'il est en phase d'élaboration d'un roman, Jean d'Ormesson travaille de huit à dix heures par jour. Le dernier lui a demandé deux ans en réécrivant chaque page entre quinze et vingt fois, c'est pour lui, un mélange douloureux et jubilatoire. On comprend pourquoi la facilité d'écriture qui lui est souvent enviée, le fait doucement rire. Il n'est pas méthodique, même s'il sait à peu près où il va, le plan du livre évolue en cours de route. "Un roman doit être enracinée dans le réel, selon lui, sous peine d'être aveugle, de n'avoir aucun sens, mais l'imagination de l'auteur doit se mêler à cette réalité, sinon autant lire le journal officiel". Tout en étant très présent dans ses écrits, il aime brouiller les pistes, et de ce fait, se livre assez peu.

 

La vocation de ne rien faire

S'il est devenu un homme de contradictions, il suffit de s'attarder quelques instants sur son enfance, pour comprendre les fondements de cet art du paradoxe qu'il a cultivé par la suite. Son père, le marquis d'Ormesson, était ambassadeur du Front Populaire et proche de Léon Blum, dans une tradition républicaine, démocratique, plutôt de gauche. Alors que la famille de sa mère, était monarchiste et réactionnaire. De ces opposés, il va apprendre la tolérance, qui sera renforcée par les très nombreux voyages effectués tout au long de sa vie, à la rencontre de pensées différentes. Il n'y a que quinze pays dans le monde qu'il ne connaît pas, toutes ses pérégrinations, notamment dans le cadre de l'Unesco, ont contribué à élargir son horizon. D'ailleurs, son enfance se passera hors de France, entre la Bavière, la Roumanie et le Brésil, là où les fonctions de son père l'amenèrent. Par passion de la littérature, il décide après son Bac de ne rien faire, de reculer son entrée dans la vie active, et prolonge ses études jusqu'à l'agrégation via l'école normale supérieure. Il aime trop Chateaubriand, Proust ou Aragon pour y ajouter quelque chose, et devenir lui-même écrivain. Ce n'est qu'à trente ans, à la suite d'un choc sentimental, qu'il franchit le pas. On peut en déduire à ce propos, que les femmes ont joué en quelque sorte un rôle de catalyseur dans son parcours. Le jeune agrégé apprenant qu'il allait être nommé professeur de français dans une université américaine avec 6000 jeunes filles, fût tellement heureux qu'il en tomba malade. Durant sa convalescence, il croise Jacques Rueff qui cherche un normalien pour l'aider à l'Unesco, au conseil international de philosophie qu'il vient de créer. Entré pour un stage de trois mois, Jean d'Ormesson y reste trente ans, en ayant la sagesse de n'avoir toujours qu'un poste modeste, lui permettant parallèlement d'écrire des livres.

 

La consécration

Ses premiers écrits sont légers et rencontrent un accueil mitigé, il envisage d'arrêter  quand lui vient l'idée de se servir de tous les sujets dont il s'occupe à l'Unesco, en tant qu'attaché culturel international. Il écrit alors un roman sur les sciences humaines, "La gloire de l'empire" en 1971, qui est tiré à 300 000 exemplaires et reçoit le grand prix du roman de l'Académie française. Sa carrière d'écrivain est véritablement lancée, et trois ans plus tard, "Au plaisir de Dieu" connaîtra le même succès, grâce notamment à l'adaptation télévisée qui en est faite. Sa biographie romancée de Chateaubriand "Mon dernier rêve sera pour vous", sera aussi transposée sur le petit écran avec Francis Huster dans le rôle principal. On imagine le dilemme de Jean d'Ormesson au moment d'accepter que ses œuvres soient adaptées, quand on connaît sa position sur le sujet : "Un livre qui ne passe pas ou n'est pas porté à la télévision est un livre perdu, et un livre qui passe ou est porté à la télévision est un livre défiguré, alors choisissez ! La télé comme le cinéma transforme un roman en spectacle". Cet agrégé de philosophie s’est toujours plus ou moins servi de sa discipline dans son œuvre, en la faisant cohabiter avec une insouciance qu'il revendique : "Il est très difficile d'écrire des choses apparemment légères, alors que le contraire se révèle bien plus facile. Mes modèles sont Mozart et La Fontaine, qui sous cette apparente légèreté sont des immenses auteurs".

 

L'Académie et le Figaro

Si ses romans depuis plus d'une trentaine d'années se vendent très bien, en aucun cas il ne pense aux attentes de ses lecteurs en écrivant, et n'a jamais sacrifié à une quelconque mode. Pourtant l'adhésion du public et les témoignages qu'il reçoit sont à ses yeux la consécration pour un écrivain, bien plus que l'Académie française à laquelle il est tout de même heureux d'appartenir depuis 1973. Elu au sein de cette prestigieuse assemblée, sur un seul roman "La gloire de l'empire", il a été le plus jeune académicien, et quelques années plus tard, celui qui fit entrer la première femme, en l'occurrence, Marguerite Yourcenar. Sensiblement au même moment que son élection à l'Académie, Jean d'Ormesson devient directeur du quotidien "Le Figaro". Amusant pour celui qui était depuis de nombreuses années sur la liste noire, après avoir violemment critiqué dans un article, le livre de Pierre Brisson, qui fut durant trente ans patron du journal. Durant cette période, il n'écrit pas, comme il l'explique : "Le journalisme est un métier hystérique, tout comme celui d'écrivain, on ne peut pas l'être à moitié, on l'est forcément 24h sur 24. Il y a quelques exceptions comme Hugo, Zola ou Mauriac, mais il est très difficile de cumuler les deux". Pour différencier ces deux formes d'écriture, il a une phrase que sa fille employait étant petite : "Quand mon papa écrit très vite avec un stylo, il est en train de rédiger un article, et lorsqu'il ne fait rien avec un crayon, il écrit un livre !" Il rajoute : "Le journalisme, c'est une urgence, la littérature, c'est une patience". Il est pessimiste aujourd'hui sur l'avenir de la presse quotidienne, qui avait à l'époque un réel impact, comme il le rappelle : "J'y ai connu le pouvoir, être directeur d'un tel journal, c'était probablement plus proche du pouvoir qu'un ministre". Pendant ces trois années, il entreprend de moderniser le journal, notamment en déplaçant le carnet mondain, ce qui fut très mal perçu.

 

De la médiatisation à la tranquillité

Très médiatisé depuis les années 1970, il se fait un peu plus rare aujourd'hui, excepté pour la promotion d'un nouveau livre. Concernant les honneurs, il a toujours pris cela avec amusement, sans se prendre trop au sérieux. Loin des projecteurs, ses plus grands moments de bonheur, se trouvent dans des endroits secrets, en tout petit comité : "Ces instants intimes qui font tout le prix de l'existence". Ses rapports avec le monde agricole ont toujours été très difficiles, à cause d'un rhume des foins d'une extrême violence. Cela ne l'empêche pas d'avoir sa perception de la situation : "Aujourd'hui, les agriculteurs se sentent marginalisés, après avoir été le cœur de la France. Un conseiller du Figaro me disait très justement, que les seules manifestations graves, étaient celles des paysans, dont l'avenir était déjà à l'époque, sérieusement compromis si on ne les aidait pas. Maintenant avec l'Europe, je ne sais pas si le monde rural voit cette nouvelle entité comme une espérance ou une menace". En partie à cause de cette allergie, il a été tout au long de sa vie, un adepte des bords de la méditerranée et des pistes de ski, qu'il fréquente encore à 81 ans. C'est d'ailleurs son principal hobby, ses journées, en dehors d'un sommeil conséquent dont il a besoin, sont consacrées à la conception de nouveaux livres, il espère à ce propos pouvoir en écrire encore un ou deux. Pour y parvenir, Jean d’Ormesson aspire aujourd'hui à une totale tranquillité, et n'a jamais cédé à tout objet de modernité, ni montre, ni agenda, ni ordinateur, ni mobile, il a juste un fax offert par sa fille, qu'il maudit tous les jours !

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Jean Rochefort

Publié le par Michel Monsay

Pour rendre hommage à l'inoubliable comédien qui vient de tirer sa révérence, voici le portrait que j'avais écrit il y a 13 ans lorsque j'avais eu le bonheur d'aller passer une heure en sa compagnie dans sa maison près de Rambouillet.

Jean Rochefort
Jean Rochefort

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Un incroyable destin

Publié le par Michel Monsay

Un incroyable destin

Rescapée de la Shoah, après avoir passé plus d'un an dans les camps, notamment à Auschwitz, Simone Veil a ensuite marqué de son empreinte la vie politique française et européenne. Maître d'œuvre de la loi sur l'IVG, cette femme courageuse a aussi beaucoup œuvré pour améliorer la condition féminine, et a d'ailleurs été la première femme présidente du Parlement Européen.

 

L’hommage unanime de la Nation toute entière reflète bien la place irremplaçable qu’occupait Simone Veil dans le cœur des français. Retrouvons-là en février 2008 où nous avons eu la chance de partager une heure en sa compagnie au moment où peu à peu elle se mettait en retrait de la vie publique.

 

La rencontre

C'est dans son bureau près de la gare Saint-Lazare, que nous retrouvons Simone Veil, dont l'emploi du temps reste toujours aussi chargé, malgré la fin de ses différents mandats l'an dernier. Même si elle a pris quelques distances avec le devant de la scène politique, l'énorme succès de sa biographie, "Une vie", sortie il y a quelques mois et vendue à plus de 500 000 exemplaires, fait que l'on parle beaucoup d'elle et qu'on la sollicite régulièrement pour avoir son avis.

Elle a du mal à comprendre un tel engouement et essaie d'analyser quelles pourraient-être les raisons : "Le parcours que j'ai eu avec des événements très différents, est à la fois atypique et compte tenu de mon âge, il recouvre plusieurs moments importants qu'a vécu la France. Il est vrai que je recevais déjà avant la parution du livre, beaucoup de lettres très aimables, mais d'autres aussi qui ne l'étaient pas du tout, notamment lorsque j'ai soutenu Nicolas Sarkozy. De manière générale, le courrier que je reçois est très personnalisé, souvent émouvant quand les gens me racontent leur vécu, il arrive aussi que certains me demandent conseil ou de l'aide."

 

Une approche humaine de la politique

Cette unanimité autour de Simone Veil s'est faite progressivement à partir de la fameuse loi sur l'IVG en 1975, lorsqu'elle était ministre de la santé. Elle s'est aussi beaucoup occupée des infirmières et aides-soignantes à cette époque : "Ce sont des métiers difficiles où les femmes doivent souvent concilier leur vie de mère avec des horaires  très variables. Elles ont une conscience professionnelle et une humanité très grandes." Cet aspect humain a toujours été très important dans l'approche politique de Simone Veil. Notamment durant ses trois mandats de ministre de la santé, sous les gouvernements de Jacques Chirac et Raymond Barre, puis plus tard avec Edouard Balladur.

Au ministère, elle recevait déjà beaucoup de courrier et avait demandé à la secrétaire qui s'en occupait, de lui donner toutes les lettres où il était question d'un problème humain. Un souvenir lui revient à ce propos : "Un soir vers 20h dans le hall du ministère, des parents avec leur fils de 14 ans qui est un grand handicapé, font la grève de la faim à cause d'une erreur de l'administration qui les a mis dans une situation financière très délicate. La personne en charge du dossier me dit que l'on ne cède jamais devant une grève de la faim ! C'est le genre de chose que je trouve insupportable, quand l'administration se fige de cette manière."

 

Témoigner pour ne pas oublier

Reparler de la Shoah dans son livre n'a pas été apparemment trop douloureux, cela fait très longtemps qu'elle s'investit pleinement dans un devoir de mémoire, en intervenant devant toutes sortes d'assemblées. Elle va régulièrement rencontrer des jeunes durant une heure ou deux, au collège Condorcet à Paris la veille, et deux jours avant dans un établissement de banlieue. Elle apprécie ces moments d'échanges, où les élèves sont attentifs et pertinents dans leurs questions, le message qu'elle leur transmet est une forme de mise en garde : "Il faut toujours rester vigilant, j'ose espérer que cela ne se reproduira pas, mais on ne sait jamais. Je leur parle aussi de l'importance de l'Europe. Quelles que soient les rancœurs qui existaient au lendemain de la guerre, la construction de l'Europe était une priorité pour avoir une paix durable."

Dans un chapitre du livre, Simone Veil rend hommage aux français qui ont aidé les juifs pendant la guerre. Cette mise au point remonte au film La chagrin et la pitié, contre lequel elle s'était opposée en étant au conseil d'administration de l'ORTF en 1971. Ce documentaire à son sens est d'une injustice flagrante, il ne montre qu'une France collabo avec des français dénonçant les juifs.

 

Cette année qu'elle n'oubliera jamais

Dans son malheur, Simone Veil a eu la chance d'habiter Nice, dont elle est originaire, et de n'être arrêtée par la Gestapo qu'en avril 1944. Elle fait partie des 3% de juifs français qui ont survécus à la déportation. A son arrivée à Auschwitz, elle parvient à entrer dans le camp avec sa mère et l'une de ses sœurs, en se déclarant majeur alors qu'elle n'a pas 17 ans. Elle échappe ainsi à l'extermination massive que connaissent la plupart des convois. Après avoir enduré des conditions de vie et de travail très dures, une kapo qui la trouve trop jolie pour mourir, la fait transférer avec sa mère et sa sœur, dans un camp plus petit et surtout moins rude. Par la suite, l'avancée des troupes russes oblige les nazis à déplacer les prisonniers, au prix de longues marches qui sont fatales à beaucoup d'entre eux. Enfin, une épidémie de typhus va encore faire des ravages, dont la mère de Simone Veil, quelques jours avant la libération des camps. En rentrant en France en mai 1945, elle apprend que son père et son frère sont morts en déportation.

Cette sombre période de son histoire est toujours dans sa tête plus de 60 ans après: "On n'en sort pas, je n'ai jamais cessé d'y penser, d'autant que j'ai été présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. A côté de cela, je pense que ça m'a toujours aidé à faire la part des choses, quand je rencontrais des problèmes dans la vie de tous les jours ou dans mes activités professionnelles." Ses malheurs ne se sont pas arrêtés là, puisqu'elle a perdu sa sœur aînée, qui était comme une seconde mère, dans un accident de voiture, quelques années après la guerre, et un de ses fils, il y a trois ans de cela.

 

Une force de caractère

Ce côté rebelle, contestataire et volontaire qui caractérise tout son parcours, Simone Veil l'a depuis son enfance, la déportation lui a donné une force supplémentaire. En réaction à cet enfer, elle prend la vie à bras le corps en s'inscrivant à Sciences Po pour devenir avocate, et y rencontre son futur mari. Il la dissuade de se lancer dans ce métier, et ironie du sort leurs deux fils sont devenus avocats. Elle choisit donc la magistrature, et après avoir été reçue au concours, elle est affectée à l'administration pénitentiaire en 1957. Durant 7 ans, elle se passionne pour son travail et se bat à son niveau pour améliorer les conditions de détention qui font écho à ce qu'elle a vécu : "Il faut toujours respecter la dignité des gens, si on les humilie, il n'y a aucune chance pour que les détenus puissent rebondir par la suite."

 

La fameuse loi Veil

Un autre dossier très important dans la carrière de Simone Veil, celui de l'IVG dont elle commence à entendre parler alors qu'elle est encore magistrate : "Il y avait parfois des peines lourdes pour les femmes, les médecins ou sages-femmes ayant pratiqué un avortement, et dans tous les cas, cela provoquait des situations difficiles voire douloureuses. D'autant que les femmes ayant les moyens, arrivaient toujours à trouver une solution, pour les autres, c'était souvent dramatique. Il faut se rappeler que 300 femmes en mourraient chaque année." Au début des années 1970, une pression se répand autour de ce problème de société, à tel point que Valéry Giscard d'Estaing s'engage à écrire un texte de loi au moment d'être élu président de la République. Il nomme Simone Veil, ministre de la santé, elle qui n'avait jamais fait de politique jusqu'alors. De houleux débats vont accompagner le vote de la loi Veil, la ministre essuie des attaques et pressions de toutes sortes, jusqu'à comparer son agissement à celui des SS. Elle ne se laisse pas impressionner et tient bon pour imposer ce qui lui parait essentiel : "Que ce soit la femme qui décide, sans lui poser de conditions ni qu'elle ait à prouver quoi que ce soit."

 

Un combat quotidien pour faire avancer la société

Militante de l'Europe avant même les prémices de sa construction, elle est persuadée dès 1945 qu'une réconciliation durable avec les allemands évitera une troisième guerre. Ce long cheminement la conduit à la présidence du Parlement européen en 1979, où elle est élue à l'unanimité. Tout au long de sa carrière, Simone Veil a souvent été la première femme ou l'une des premières à occuper tel poste ou à se voir confier telles responsabilités. Ce n'est pas un hasard pour cette combattante de la condition féminine qui dénonce le retard de la France : "Les femmes restent discriminées sur le plan des rémunérations, des recrutements,  ou des positions dans la vie. A l'heure où il est question de parité, il y a tout de même nettement moins de femmes qui ont des responsabilités dans l'administration, les grandes entreprises ou la politique. Cela se vérifie encore lors de ces élections municipales, où des femmes de grande qualité ont beaucoup de mal à émerger, devant des hommes qui ne veulent pas laisser leur place et qui en plus, ont le soutien des partis politiques en dépit des grandes déclarations."

La veille de notre rencontre, une grande fête a été donnée à l'assemblée nationale avec toutes les femmes ministres, députées et sénatrices, en l'honneur de Simone Veil. Elle a été évidemment très touchée par cette attention, et particulièrement heureuse qu'il y ait des femmes de tous les partis. A 80 ans, cette grande dame fait l'unanimité autour d'elle, son franc-parler ou ses prises de position peuvent parfois étonner, elle n'en demeure pas moins la femme politique préférée des français.

 

Epilogue

Deux ans après notre rencontre, elle est reçue à l’Académie française en mars 2010 par Jean d’Ormesson qui prononce un très beau discours de réception en finissant par ces mots : « Comme l’immense majorité des Français, nous vous aimons, Madame. Soyez la bienvenue au fauteuil de Racine qui parlait si bien de l’amour. » Malheureusement sa santé se dégradant progressivement, ses apparitions publiques se firent rares, et depuis quatre ans on ne la voyait plus du tout jusqu’à ce funeste 30 juin où cette combattante s’en est allée.

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Le cinéma passionnément

Publié le par Michel Monsay

Le cinéma passionnément

Avec une filmographie impressionnante depuis plus de 50 ans, Catherine Deneuve fait partie des plus grandes actrices de l’histoire du cinéma. Des parapluies de Cherbourg à Sage femme, elle n’a jamais cessé d’inspirer plusieurs générations de cinéastes, qui ont su mettre en valeur sa beauté et son talent à travers des rôles marquants ou surprenants, brouillant ainsi l’image de la star intouchable.

Même si le personnage que Catherine Deneuve incarne dans « Sage-femme » ne lui ressemble pas totalement, il y a néanmoins quelques similitudes comme le côté un peu fantasque, anticonformiste, ou la volonté quoiqu’il arrive d’aller de l’avant, de continuer à aimer la vie au jour le jour, d’être en mouvement. Foncièrement secrète, elle a réussi tout au long de sa carrière à préserver sa vie privée sans pour autant rechigner à donner des interviews afin d’accompagner au mieux la sortie de ses films : « J’essaie de ne pas trop me livrer, la moindre parole aujourd’hui est reprise sur les réseaux sociaux, sortie de son contexte, c’est effrayant. » Après avoir accepté d’évoquer sa sœur, Françoise Dorléac, morte dans un accident de voiture à 25 ans en 1967, d’abord dans un documentaire il y a 10 ans et récemment lors d’une interview au magazine Psychologies, elle ne souhaite plus désormais s’exprimer sur un sujet aussi personnel et sensible.

 

Une Dorléac peut en cacher une autre

Sans son ainée de 18 mois qui l’avait précédée dans le métier et avait proposé à un réalisateur de la prendre pour jouer sa sœur dans une comédie en 1960, quel aurait été la destinée de cette jeune fille de 16 ans qui rêvait de dessin, d’architecture, de nature ? Même si ce n’est pas une vocation, Catherine Deneuve se lance donc très tôt dans le cinéma en prenant le nom de sa mère, il ne pouvait y avoir deux jeunes actrices portant le même nom, et enchaîne rapidement les rôles. Son débit rapide vient de son enfance, où comme le disait François Truffaut, c’était la seule manière d’en placer une dans la famille Dorléac parmi ses trois autres sœurs, qui d’ailleurs en faisaient de même. C’est un peu comme un accent maternel qu’elle a gardé tout au long de sa carrière, devenu sa façon d’être sans que cela nuise à son parcours exceptionnel de longévité, densité et qualité. Pour expliquer ce flot ininterrompu, là où tellement de comédiennes arrivées à un certain âge disparaissent des radars, elle invoque la chance et ses choix, notamment vers des jeunes réalisateurs : « J’aime leur enthousiasme, un jeune cinéaste c’est une promesse. Je suis souvent porté par mon désir, ma curiosité, je privilégie la découverte et évite la répétition dans la mesure du possible. »

 

Derrière l’icône

Même si elle n’est pas accrochée à son image de très belle femme de façon désespérée ou excessive, elle reconnaît accorder de l’importance à une certaine élégance, qui souvent la caractérise, un peu comme une seconde nature et non une habitude. L’humour et la fantaisie qu’elle juge indispensables, l’ont toujours aidé à dépasser les moments difficiles. Quant à cette froideur qu’on lui a prêtée durant la première partie de sa carrière, elle l’analyse ainsi : « J’étais très réservée, voire timide et je n’ai jamais été quelqu’un de familier, sans que cela n’empêche les sentiments. Mon rôle dans Belle de jour de Luis Buñuel a aussi contribué à cette image. » Après environ 115 films, sans compter les documentaires et les téléfilms, elle ne ressent aucune lassitude, l’envie et l’inquiétude avant un tournage sont toujours là, de même que le bonheur de partager avec une équipe la genèse d’un film. Sa passion du cinéma est intacte, y compris pour aller dans une salle découvrir de nouvelles histoires, et ressentir cette exaltation face à une mise en scène ou des personnages bien sentis. Devant sa filmographie, elle ressent autant une certaine fierté que de l’étonnement : « Il y a une part de hasard mais aussi d’instinct qui m’ont aidée. Lorsque par exemple j’ai accepté de faire « Elle s’en va » d’Emmanuelle Bercot, un film et une réalisatrice que j’aime énormément, beaucoup étaient sceptiques. » Résultat, le film a reçu un très bel accueil et la performance de Catherine Deneuve a été saluée à sa juste valeur.

 

Quel parcours !

Parmi tous les grands cinéastes avec lesquels l’actrice a travaillé, elle a une tendresse particulière pour Demy, Truffaut, Polanski, Rappeneau et naturellement Téchiné, son « frère de cinéma » comme elle l’appelle, avec 7 films sous sa direction et un huitième l’année prochaine. La connaissant bien, il sait mieux que personne ce qu’il peut aller chercher au fond d’elle en la poussant plus loin que d’autres. Si l’un des films les plus marquants de sa carrière reste Les Parapluies de Cherbourg, c’est à la fois pour la rencontre déterminante avec Jacques Demy, sa première expérience de cinéma chanté, et son premier grand rôle. Même si sa voix a été doublée, elle a chanté en playback durant les deux mois de tournage et aujourd’hui encore elle se souvient des dialogues. Le film a remporté la Palme d’or à Cannes en 1964.

Des récompenses, Catherine Deneuve en a reçues dans les plus grands festivals, Cannes, Venise, Berlin, elle a aussi obtenu deux Césars et douze nominations, mais c’est peut-être le Prix Lumière décerné en octobre dernier qui lui tient le plus à cœur : « Je ne pensais pas que ce prix me toucherait autant mais c’était un moment très chaleureux, joyeux, pas solennel, et la reconnaissance de gens que j’admire. Etant très sensible à la situation des agriculteurs depuis longtemps, je leur ai dédié ce prix. Comme je suis proche de la nature et vais régulièrement à la campagne, je vois bien leur souffrance et suis reconnaissante du travail qu’ils accomplissent. »

 

Le bonheur de jouer

Le film de François Truffaut, « Le dernier métro », est sans doute le point culminant de ce parcours hors-normes. En plus de son triomphe aux Césars où il en a remporté 10, de son succès public, ce film a comblé Catherine Deneuve, qui au-delà du César de la meilleure actrice, a vécu des moments formidables durant tout le tournage avec la sensation d’accomplir avec l’équipe quelque chose de très fort. Elle aime par-dessus tout arriver le matin sur un plateau et sentir l’équipe s’affairer à la préparation de la première scène. Par contre, lorsqu’elle découvre un film dans lequel elle joue, c’est toujours difficile, elle ne peut s’empêcher d’être critique, ça va mieux ensuite. Sur sa manière d’aborder un rôle, elle précise : « Je ne suis pas le genre à apprendre mon texte longtemps avant ni à le travailler avec un coach. J’essaie simplement de m’approcher du personnage de façon assez secrète, intime, quelques temps avant de tourner. Ensuite, les essayages de costumes aident à voir un peu plus le personnage. Cela s’apparente à de l’impressionnisme, il se construit par touches. » Si dans son jeu, elle apporte souvent de la vivacité, de la légèreté, ce n’est pas ce qui caractérise « Tristana » de Luis Buñuel, qu’elle a beaucoup aimé jouer et dont les cinéphiles ont retenu la qualité de l’interprétation.

 

Indémodable

La notoriété ne l’a jamais empêché de faire quoi que ce soit, au point que certaines personnes soient parfois étonnées de la croiser dans des endroits où l’on ne l’attend pas forcément, comme le salon de l’agriculture par exemple. Si elle se sent bien dans son époque, elle a plus de mal avec les téléphones mobiles et cette manie de photographier à tout bout de champ, y compris ces grotesques selfies. La mode l’a toujours intéressée et aujourd’hui encore elle admire le talent de Nicolas Ghesquière ou Jean-Paul Gaultier, mais le nom de Catherine Deneuve a longtemps été associé à celui d’Yves Saint-Laurent : « j’ai eu la chance de le rencontrer et d’être habillée par lui alors que j’étais assez jeune, puis nous nous sommes ainsi accompagnés jusqu’au bout. Il avait un talent fou, c’était le plus grand couturier de son époque. Je suis restée toujours assez proche de la qualité, de la beauté des choses. Le rapport à la mode a changé, avant si vous n’aviez pas beaucoup de moyens il était difficile d’y avoir accès. Aujourd’hui avec des marques comme Zara ou H&M, qui sont à l’affût de ce que font les créateurs, on retrouve très vite les tendances dans la rue, c’est plutôt agréable à regarder. »

 

Une femme en mouvement

En dehors de son métier, qui lui prend beaucoup de temps entre les tournages et l’accompagnement des films en France et à l’étranger, même si elle souhaite dorénavant répondre un peu moins à la presse, Catherine Deneuve aime aller voir des expositions, recherche la nature même à Paris, et a besoin de se tenir informée de l’actualité pour être dans la réalité de la vie. A 73 ans, l’énergie physique qui l’a toujours définie et dont elle s’est servie pour interpréter tous les personnages qui composent sa filmographie et être active dans son quotidien, elle espère la conserver le plus longtemps possible afin de continuer à s’enthousiasmer pour des projets. Ces jours-ci, elle commence justement le tournage du nouveau film de Julie Bertuccelli, réalisatrice qui alterne documentaires et fictions. Le scénario très original plaît beaucoup à cette grande comédienne qui n’a pas fini de nous surprendre, d’autant que le bonheur de la retrouver à l’écran n’a pas pris une ride.

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Une vie après le 20h

Publié le par Michel Monsay

Une vie après le 20h

Seule femme à avoir présenté en semaine sur TF1 privatisé le journal télévisé le plus regardé d’Europe, Laurence Ferrari continue aujourd’hui sur CNews à nous parler d’actualité et de politique. Du magazine « Sept à huit » sur TF1 dès 2000 à « Punchline » sur C8 en 2017, elle a également animé plusieurs émissions de reportages et d’interviews avec toujours un souci d’innovation.

 

Quelques jours après le débat avec les 11 candidats à l’élection présidentielle sur CNews et BFM TV, Laurence Ferrari revient sur le défi qu’elle a relevé avec Ruth Elkrief en animant cette grande première dans l’histoire de la Ve République. Grande première qui restera unique jusqu’à nouvel ordre, puisque ce sera la seule confrontation entre tous les candidats. La journaliste est plutôt satisfaite de la manière dont l’événement s’est déroulé : « Il n’y a pas eu de prise en otage du débat par un candidat qui aurait créé du trouble, nous voulions un échange républicain qui permette à chacun de s’exprimer. Même s’il a fallu parfois taper du poing sur la table pour faire respecter les temps de parole, s’il y a eu quelques imperfections, des thèmes que l’on n’a pas eu le temps d’aborder, le débat a été globalement de bonne tenue et intéressant. » Elle a pris beaucoup de plaisir dans cet exercice, notamment en observant les réactions des uns pendant que les autres parlaient. En tout cas bien plus qu’en dirigeant avec David Pujadas le débat de l’entre-deux tours en 2012 qui opposait François Hollande à Nicolas Sarkozy, où elle avait été marquée par la tension et la violence de l’affrontement. Entre-temps, elle a aussi présenté avec Ruth Elkrief en novembre 2016 un des débats de la primaire de la droite et en janvier 2017 un de celle de la gauche.

 

Une femme déterminée

Que ce soit dans ce genre de débats ou lors d’interviews, la particularité de Laurence Ferrari est d’être assez spontanée, réactive aux propos de son interlocuteur, concise et percutante dans ses questions. Une interview réussie, à ses yeux, consiste à bousculer le politique : « Il faut le sortir de ses éléments de langage, de son déroulé habituel, il a un rythme, une musique que l’on se doit de bien connaître pour essayer de perturber la mécanique et obtenir une réponse plus naturelle. » Être une femme lorsqu’on est exposé de la sorte, notamment durant ses quatre années au journal de 20h sur TF1, a pour conséquence que l’on pardonne moins que pour un homme. Son moteur, qui lui permet de couper court aux éventuelles critiques, est de savoir se remettre en questions, de progresser afin de moins se laisser déstabiliser et d’avoir le recul historique sur le parcours de son interlocuteur. Cela dit être une belle femme a néanmoins été un atout, reconnaît-elle, tout en précisant qu’il faut d’autant plus gagner ses galons et travailler. L’impression de facilité et de fluidité qu’elle donne à l’antenne nécessite des heures de préparation en amont avec son équipe pour maîtriser au maximum l’actualité du jour et le profil de l’interviewé.

 

Nouvelles chaînes, nouveaux défis

« Le direct Ferrari » de 18h à 20h du lundi au jeudi sur CNews (canal 16 de la TNT) s’est transformé le temps de la campagne en « Grand journal de la présidentielle ». Il s’agit d’une émission avec une interview, un débat et un traitement de la matière politique et des dernières nouvelles. Le dimanche à 11h45 sur C8 depuis septembre 2016, Laurence Ferrari présente « Punchline » un magazine politique davantage dirigé vers les jeunes, qui leur donne la parole et décrypte les phrases fortes de la semaine, comme celle de Philippe Poutou s’adressant à Marine Le Pen durant le débat : « Quand on est convoqué par la police, nous ouvriers, on n’a pas d’immunité ouvrière. Désolé, on y va. » Elle aime la complémentarité de ces deux émissions, par leur approche différente de la politique, et leur format, la seconde étant diffusée sur une chaîne généraliste, la première sur un chaîne d’infos en continu. Souvent critiquées, ces chaînes se sont imposées aujourd’hui dans le paysage audiovisuel, affirme la journaliste : « Elles sont de plus en plus regardées et des processus ont été mis en place pour éviter les erreurs ou donner des informations trop rapidement. Il y a également plus d’émissions avec des personnalités qui permettent un décryptage de l’actualité. »

 

En pleine lumière puis en lumière tamisée

Le 20h de TF1, tous les soirs de la semaine, aucune femme ne l’avait présenté depuis la privatisation de la première chaîne. Dès août 2008, Laurence Ferrari relève le défi en prenant la suite de 21 années de PPDA. Malgré la tension, cela reste une expérience incroyable pour la journaliste qui, au-delà d’être suivie chaque soir par une audience très importante, se rappelle notamment les reportages sur le terrain en Iran, en Afghanistan, au Groenland, l’interview de Barak Obama, la campagne présidentielle de 2012 avec le fameux débat. Après la violence de la surexposition médiatique du 20h et des critiques qui l’accompagnent, elle opte pour un projet plus serein en animant un talk-show 100% féminin sur D8 de 2012 à 2016, Le grand 8. Elle s’entoure de quatre chroniqueuses, dont Roselyne Bachelot avec laquelle le courant passe à merveille. Cette bande de filles qui ne se prend pas au sérieux traite toutes sortes de sujets dans la bonne humeur et parfois l’émotion. Parallèlement, dès 2013 elle présente aussi une émission politique quotidienne sur iTélé, intitulée Tirs croisés, poursuivant ainsi le fil conducteur de son parcours. La journaliste prouve ainsi qu’il y a une vie après le graal que représente le 20h, et se dit bien plus heureuse depuis 5 ans en ayant plus de liberté et de souplesse.

 

Le hasard fait bien les choses

Son enfance à Aix-les-Bains, entre lac et montagne, a été sportive, le ski l’hiver, la voile l’été, ainsi que la course à pied qu’elle pratique toujours aujourd’hui, de même que la natation et la gym qui sont à ses yeux le remède le plus efficace pour évacuer le stress de son métier. Sa vocation est née par hasard, confie-t-elle : « Je voulais être chirurgien mais la médecine n’a pas voulu de moi, je crois qu’elle a eu raison ! J’ai ensuite cherché pour quoi j’étais faite, et après une école d’attachée de presse à Lyon, sans grand enthousiasme, j’ai commencé à faire des stages, notamment à Europe 1 où j’ai eu un coup de foudre pour cette rédaction. Je l’ai intégrée tout en continuant mes études à Paris, en faisant un DESS de communication politique et sociale. » Elle reste ainsi 10 ans à Europe 1 où elle apprend le métier de journaliste en gravissant progressivement les échelons, avant d’intégrer le groupe TF1, d’abord à LCI en présentant des journaux, puis sur TF1 en remplacement de Claire Chazal le week-end. Durant cette période, elle crée avec son premier mari Thomas Hugues le magazine de reportages « Sept à huit », qu’ils présentent ensemble tous les dimanches durant 6 ans, fait assez rare et peut-être même unique pour être souligné. Avant de se voir confier le fameux 20h en 2008, elle part deux années sur Canal+ où elle produit et présente une émission politique assez novatrice, « Dimanche + ».

 

Le travail ne lui fait pas peur

Tout au long de ses 30 ans de carrière à la radio puis à la télévision, elle s’est servi des deux clés qui lui semblent indispensables pour réussir dans son métier : la curiosité et le travail, pour lequel elle n’a pas rechigné, « surtout lorsque l’on n’a pas fait d’école de journalisme », comme elle le souligne. En novembre dernier, la grève à iTélé a fait couler beaucoup d’encre et la position de Laurence Ferrari n’a pas forcément été bien comprise : « J’ai toujours soutenu la rédaction et ses revendications, et je suis restée au plus proche d’elle tout au long de la grève. Simplement, je n’ai pas voulu moi-même faire grève, ça ne fait pas partie de mes valeurs. Nous avons la chance d’avoir un métier de libertés, que l’on doit pouvoir exercer tous les jours, il y a un droit à informer et à être informé. J’ai été très meurtrie que la moitié de la rédaction parte dans ces conditions. »

 

Faire des choix

A 50 ans, le seul petit regret qu’elle peut avoir est de ne pas avoir fait plus de reportages sur le terrain, elle qui voulait à la base être reporter mais a finalement choisi de travailler en plateau : « Etant mère de famille, il est plus simple d’être présentatrice, cela permet de savoir l’heure à laquelle on rentre, que reporter où on ne sait jamais ce genre de choses, le choix s’est imposé de lui-même. » Du coup, c’est vraiment en interview qu’elle s’épanouit le plus : « Dès que j’ai quelqu’un en face de moi, il y a cette interaction dans l’échange, l’adrénaline, le challenge, c’est là que je suis vraie. »

La notoriété est arrivée dans la vie de Laurence Ferrari depuis sa période à TF1, surtout durant ses quatre années au 20h : « Vous entrez dans la vie des gens tous les soirs au moment du dîner, vous faites partie de la famille en quelque sorte. On entre ainsi dans la notoriété sans s’en rendre compte et on n’en ressort jamais. » Si elle vit très bien ce lien avec le public, elle a par contre systématiquement porté plainte pour atteinte à la vie privée contre la presse people. Energique, optimiste et impulsive, elle prend ses décisions très rapidement. En plus du sport qu’elle pratique régulièrement, la lecture a une place de choix dans son temps libre. Elle se voit bien continuer dans la veine politique, d’autant que le quinquennat à venir s’annonce intéressant, selon ses propos, tout en allant un peu plus sur le terrain pour traiter des sujets de société.

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La vie comme un roman

Publié le par Michel Monsay

La vie comme un roman

Si son nom est souvent associé à la Bretagne, pour laquelle il a une passion et a écrit un dictionnaire amoureux, Yann Queffélec est depuis plus d’une trentaine d’années un écrivain qui compte. De son roman « Les noces barbares », prix Goncourt 1985 à « L’homme de ma vie » sur son père, ses ouvrages, près d’une quarantaine, sont le plus souvent à la fois des succès publics et critiques.

 

Même si pour lui l'écriture est une passion, un besoin viscéral, un métier à plein temps, dans le sens où il n'y a pas une journée sans laquelle Yann Queffélec ne prenne sa plume, il est particulièrement investi actuellement dans l'élaboration du dictionnaire amoureux de la mer. Au vu de la réussite de son dictionnaire amoureux consacré à la Bretagne paru en 2013, il a souhaité en accord avec son éditeur prolonger le bonheur éprouvé à évoquer sa région de prédilection, cette fois en nous contant sa passion de la mer. Pour l'un comme pour l'autre, il écrit l'ouvrage d'environ 800 pages d'un seul et même souffle et non comme une suite d'entrées, puis il le fragmente pour respecter le principe du dictionnaire. L'édition illustrée parue fin 2015, dans laquelle il a tenu à choisir lui-même en grande partie les photos en regard des textes, comporte quelques ajouts comme l'hommage à Florence Arthaud qu'il a bien connue, ou un chapitre plus étoffé sur les phares, quelque peu délaissés aujourd'hui avec les nouvelles technologies comme il le déplore, et pour lesquels il a une grande affection.

 

La Bretagne, la mer et le père

Bien qu'étant né et ayant vécu une grande partie de sa vie à Paris pour des raisons familiales, il se sent avant tout breton. Originaire du Finistère Nord par sa famille, il y passait toutes ses vacances durant son enfance et a continué tout au long de sa vie à faire la navette entre la Bretagne et Paris, ville qu'il aime énormément à la manière d'un touriste de passage. Son centre névralgique étant définitivement la mer, à laquelle il pense de façon quasi obsessionnelle : « Je ne peux pas écrire sans être en permanence relié à des images ou des métaphores maritimes, le style cadencé que l’on me prête est certainement dû au bruit de la mer qui ne quitte jamais mes tympans. »

S’il y a une personne qui a influencé Yann Queffélec, il s’agit bien de son père Henri sur lequel il a écrit en 2015 « L’homme de ma vie » : « J’avais besoin de faire le point à ce moment de mon existence avec cet homme prodigieux, et la relation racinienne que l’on a eu. Je l’aimais, il ne m’aimait pas, mais je n’ai jamais voulu en avoir un autre, j’ai toujours été fier de l’avoir eu pour père. En m’attelant à ce livre, j’ai trouvé une écriture contradictoire qui m’a bien plu entre l’éloge, la célébration du talent d’écrivain de mon père à un moment où il est de moins en moins connu, tout en rappelant l’injustice dont il a fait preuve à mon égard. » On sent bien que si la plaie est refermée, le fait de remuer ces souvenirs a été douloureux même si l’écrivain dit s’être amusé à retrouver l’homme drôle et spirituel qu’était son père.

 

Les dessous de l’écriture

Près d’une quarantaine de livres à son actif, qu’il a tous écrits à la main : « J’ai l’impression qu’un ordinateur ne draine pas toutes les couches de la sensibilité qu’un stylo est capable de sonder au plus profond. » Pour lui, un écrivain s’améliore avec l’âge, son savoir-faire s’affine, son écriture se simplifie. Le point de départ de ses romans est toujours une image, une scène qui l’a frappé provenant entièrement de son imagination. A partir de là, il développe des situations, voit comment elles peuvent s’enchaîner, se familiarise avec les personnages et seulement après envisage un plan et une mécanique. Pour Les noces barbares, voici le point de départ qu’il avait en tête : « Une gamine en petite robe des années 1950 dans une région sablonneuse, elle rejoint amoureusement le militaire qui l’a demandé en mariage à ses parents et qui va la violer avec ses copains avant de repartir pour les Etats-Unis. »

La notion de style, selon lui, est très importante dans la qualité d’un roman et dans ce qui fait un grand écrivain, mais elle doit être accompagnée de l’émotion que procure une histoire et de vrais personnages avec toutes les contradictions dont peut faire preuve un individu. Ce dernier point manque souvent, à ses yeux, dans les romans français. Il reste convaincu que le roman est le plus beau genre de la littérature : « J’aime cette schizophrénie de l’écriture autorisée par un roman, ce dédoublement, ce moment où un écrivain se met à parler avec la voix de quelqu’un, sa violence, ses sentiments barbares auxquels il n’était absolument pas préparé et qui ne sont pas les siens. »

 

Le prix Goncourt

Défenseur des prix littéraires, il les juge forcément injustes mais reconnaît leur pouvoir : « Ils font de la littérature une fête, ils créent de l’enthousiasme, mobilisent l’attention, divisent l’opinion, mettent de la passion là où il n’y en a pas assez le reste du temps. » Yann Queffélec a été lauréat du prix Goncourt en 1985 pour son deuxième roman, « Les noces barbares », qui s’est vendu toutes éditions confondues à plus de 2 millions d’exemplaires, a été traduit dans plus d’une trentaine de pays et adapté au cinéma deux ans plus tard. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a apprécié cette récompense à sa juste valeur : « J’ai manifesté trop bruyamment ma satisfaction, non pas de manière orgueilleuse mais j’étais dans la jubilation permanente, j’invitais tout le monde à déjeuner. Ce comportement a exaspéré le milieu littéraire, je peux le comprendre mais comme mon père m’avait fait honte à cause de ce prix, j’allais flamber. »

Il ne considère pas pour autant qu’il s’agisse de son meilleur roman mais reconnaît que malgré ses maladresses de débutant l’histoire et les personnages ont touchés. Ses préférences vont plutôt à « Disparue dans la nuit », ou « Les sables du Jubaland » même s’il n’aime pas les titres, et « Boris après l’amour » son roman le plus britannique à la fois tragique et railleur, surprenant et varié dans les directions qu’il prend.

 

Une vocation naturelle

Son enfance lui a laissé un souvenir contrasté. Tout en étant très entouré, il était un gamin solitaire à cause du comportement dépréciateur de son père, et se racontait en permanence des histoires. Sa vocation est certainement née de cela mais aussi de sa mère : « Elle me racontait merveilleusement bien des histoires et je voulais faire aussi bien qu’elle en racontant des histoires aux autres. » Sa mère décède alors qu’il vient juste de finir Hypokhâgne, il décide alors de se consacrer à sa passion du bateau, univers qu’il a côtoyé durant toute son enfance avec son oncle yachtman, à tel point qu’il ne se rappelle plus à quand remonte sa première fois sur un bateau. Avec son propre voilier, il navigue durant quelques années pour son plaisir ou en transportant des passagers mais sa petite entreprise fait faillite, n’étant pas un homme d’affaires selon ses dires. Grâce au prix Goncourt, il se rachètera un superbe voilier de 15 mètres et même si aujourd’hui il n’a plus de bateau, il continue à naviguer ponctuellement sur ceux des copains, notamment avec de grands marins comme Thomas Coville ou Franck Cammas lors de petites sorties en mer de 3 ou 4 jours.

 

La chance au rendez-vous

A 25 ans, il a l’opportunité d’écrire pour les pages culturelles du Nouvel Obs., il y découvre avec enthousiasme la littérature internationale, qui va l’aider dans son approche de l’écriture. La liberté des auteurs américains le fascine, il en rencontre un certain nombre, notamment Jim Harrison qui devient un ami. Son rédacteur en chef au Nouvel Obs., Pierre Ajame, qui dirige une collection musicale chez un éditeur, lui commande la biographie d’un compositeur de son choix. Ce sera Béla Bartók, que Yann Queffélec admire tant pour sa musique que pour sa personnalité rebelle. Il s’agit de sa première publication et l’on sent tout de suite un souffle romanesque qui va caractériser toute son œuvre, quel que soit le type d’ouvrage. La musique aura une place à part dans sa vie, surtout le piano, avec déjà son père qui en jouait, puis sa sœur Anne et sa première femme Brigitte Engerer, deux très grandes interprètes. Le hasard lui fait rencontrer la grande éditrice Françoise Verny, qui a lancé bon nombre d’écrivains. Elle croit tout de suite en son talent et lui permet de publier son premier roman « Le charme noir », sur la guerre d’Algérie.

 

Ecrire, boire et manger

Chaque matin, Yann Queffélec observe le même rituel qu’il ne changerait pour rien au monde, il se lève vers 7h, démarre par 20 minutes de lecture et à 7h45 il se lance : « Lorsque je me mets à écrire le matin, il y a une demi-heure de grâce, comme sur un bateau qui file vers le large sur une mer formée mais pas trop forte. La page se donne, s’ouvre, s’abandonne et vous êtes le roi. » Carpe Diem est bien la maxime qui le caractérise le mieux, ce bon vivant qui aime boire et manger avec ses amis et qu’il a du mal à quitter ensuite, aime par-dessus tout la vie : « J’ai énormément de mal à aller mal. » En plus de la voile, le sport a toujours été présent, notamment le tennis et la course qu’il continue toujours à pratiquer.

A 67 ans, il a l’intime conviction que le moment est venu pour lui d’écrire ses plus beaux livres : « Je suis à la fois dans un état de demi sagesse, en tout cas moins tout fou que je ne l’étais, j’ai tous mes moyens physiques et mentaux à ma disposition, et en plus un savoir-faire apporté par le temps et l’expérience. »

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