Un ton naturel
Après avoir creusé son sillon et prouvé sa valeur à France 3 Ouest, Francis Letellier a rejoint la rédaction nationale en 2006 pour présenter Soir 3 week-end, et depuis deux ans 12/13 Dimanche, le rendez-vous politique de la chaîne. A 48 ans, sa simplicité, sa spontanéité et sa passion de la politique en font un des journalistes télé les plus attachants, qui avec une approche très concrète des sujets s’affirme de plus en plus dans le paysage audiovisuel.
Le décalage de rythme, induit par la présentation depuis 6 ans de Soir 3 les vendredis, samedis et dimanches, a un double effet sur Francis Letellier. Il apprécie, à l’inverse de l’effervescence de la semaine, la quiétude de la rédaction le week-end qui lui permet de mieux se concentrer sur son travail, mais il aimerait aussi sortir de ce décalage en pratiquant des horaires plus normaux. Pour cela, faut-il encore qu’une place se libère et qu’il corresponde aux critères sélectifs : « Je suis agacé lorsque l’on parle de diversité à l’antenne, il s’agit de minorités visibles, autrement dit ethniques. C’est bien de voir des gens aux origines culturelles différentes, mais le problème est qu’ils sont tous issus de classe moyenne supérieure. Pourquoi ne pas avoir de diversité sociale à l’antenne avec des enfants d’ouvriers ou d’agriculteurs ? » Ce fils de producteur laitier revendique une approche du métier et une appréhension des sujets, différentes de ses collègues. Il n’a pas fait Sciences-Po comme beaucoup de journalistes politiques, mais s’est plutôt construit sur le terrain durant une quinzaine d’années pour France 3 Ouest. De ce fait, il se sent plus près des préoccupations des français et a parfois des réactions iconoclastes qui s’avèrent quelques semaines après plutôt judicieuses.
Adaptation réussie
Lors de son passage en 2006 d’une télé régionale à une rédaction nationale, il a dû s’adapter : « En région cela reste assez familial, alors qu’au niveau national vous devenez un enjeu, ce que vous dites a encore plus d’importance et vous êtes davantage visible, il faut donc s’habituer à ce que l’on parle de vous. De même avec les politiques, ils sont différents selon que vous les interviewez sur leurs terres ou à Paris, où ils sont dans un rôle et sur leur quant à soi. » Au fil des années, Francis Letellier a appris à les faire sortir de cette posture, tout en gardant une fausse candeur et en posant des questions concrètes et non pas globales, presque sur le ton d’une conversation. Sa méthode est payante puisque « 12/13 Dimanche » le magazine politique de France 3 qu’il a créé il y a deux ans, enregistre de beaux succès d’audience avec en moyenne 1 million de téléspectateurs. Ce face à face avec un politique, d’une durée de 25 minutes chaque dimanche à 12h10, a remplacé « Soir 3 politique » qui était une interview de 8 minutes en supplément du JT le dimanche soir. Il aime la mise en danger que représente cet exercice plus personnel par rapport à la présentation d’un JT, où l’invité peut le bousculer voire le rabrouer à tout moment, mais où la proximité du journaliste, sa spontanéité, son côté décontracté font la différence.
L’alchimie d’une bonne interview
Totalement libre dans l’orientation des interviews, il met cependant en garde de ne pas en abuser : « Le risque est de se sentir trop libre et d’en faire un exercice égocentrique, comme Jean-Jacques Bourdin par exemple, et le jour où un invité vous parle mal ou préfère aller sur une autre chaîne, vous le prenez comme une mise en cause personnelle. Les meilleures interviews sont faites par des journalistes qui ont un point de vue sans pour autant le montrer. Comme disait Charles Péguy : Il faut apprendre à penser contre soi. » Francis Letellier ne supporte pas les politiques qui viennent pour ne rien dire si ce n’est paraphraser ce qu’ils racontent déjà depuis des semaines. Se sentant bien dans son rendez-vous dominical devenu incontournable pour les politiques, et dans son JT du Soir 3 week-end avec une bonne audience et une équipe soudée et cohérente, l’envie d’aller voir ailleurs ne le taraude pas plus que ça. Avoir un JT ou un rendez-vous politique plus exposé n’est pas une fin en soi pour lui, il préfère un JT ou une émission qui ait sa patte, sorte des codes et apporte quelque chose de nouveau.
La carte de la proximité
Avec son Soir 3, il assume pleinement le contenu du journal qu’il a écrit lui-même, et en accord avec son équipe, le choix des sujets, parfois que l’on ne voit nulle part ailleurs ou avant tout le monde, le week-end étant plus propice pour prendre des risques. Il a ainsi été le premier à parler de l’affaire de la viande de cheval, de l’affaire Cahuzac lorsque la justice Suisse a commencé à s’intéresser au dossier, et de celle du grand rabbin de France qui a triché sur ses diplômes. Au-delà de la primeur du scoop qui est de moins en moins possible avec la multiplication des chaînes d’info continue, Francis Letellier aime surprendre avec les sujets proposés et essaie de personnaliser son JT, en ayant un ton non pas froid comme de nombreux présentateurs, mais au contraire où l’on sent que le journaliste s’implique dans ce qu’il dit. Les téléspectateurs apprécient sa simplicité et son accessibilité. L’évolution de l’information le laisse partagé : « L’arrivée de toutes ces chaines d’info est une émulation, mais lorsque l’on les regarde avec leurs bandeaux qui défilent, c’est très fatigant. On a envie de leur crier stop pour que l’on ait le temps de réfléchir à quelque chose. Un événement chasse l’autre et cela empêche d’aller au fond des sujets, ce qui participe au discrédit des politiques qui n’ont plus la maîtrise du temps. »
L’attrait de l’inattendu
S’il s’est retrouvé devant les caméras, c’est à l’école de journalisme de Strasbourg où Francis Letellier a appris son métier, qu’on lui a fait comprendre qu’avec son physique qui prenait bien la lumière, il était fait pour la télé. Cette télé qui l’a tant fait rêver lorsque ses parents en avaient acheté une alors qu’il était enfant, est à la base de sa vocation. Déjà à l’époque, il était attiré par le rythme de l’actualité et ses événements inattendus, qui contrastait avec la quiétude de la campagne. Après une maîtrise de langues à Caen et l’école de journalisme de Strasbourg, il décroche son premier contrat à Brest pour FR3 Bretagne en 1990, où il présente le journal régional durant 6 mois. Ce rendez-vous de 19h dans la ruralité est souvent très apprécié, à tel point qu’il revoit ses parents s’arrêter de travailler avant la traite des vaches pour regarder le journal régional. Pas un hasard non plus s’il s’oriente vers la politique : « Elle est très présente dans le monde rural et agricole, mon grand-père était conseiller municipal et mon père avait des engagements syndicaux. » Etre fils d’agriculteurs a commencé à créer un décalage à partir du lycée à Saint-Lô où il était entouré de citadins, cela s’est accentué ensuite à Caen puis à Strasbourg : « A force d’être à part, je pense que cela m’a aidé à tracer mon parcours, avec ce sentiment paysan de savoir où l’on va et de continuer à creuser son sillon quoiqu’il arrive. »
Mi-citadin mi-rural
Même s’il sent en lui un bon sens paysan, il n’a jamais envisagé de devenir agriculteur. À la fois à cause de la difficulté et l’ingratitude du métier, et pour avoir été marqué par la sécheresse de 1976 et surtout par la crise des quotas laitiers, qui a contraint ses parents à arrêter leur activité de producteur de lait dans le bocage normand près de Vire, et a causé une violente désertification rurale. Pour autant, il a besoin de rester connecté avec les réalités de la campagne, et pour cela il passe deux ou trois jours en début de semaine dans sa maison près de Dinan, achetée à l’époque où il travaillait en Bretagne : « En terminant Soir 3 le dimanche soir, la promesse de pouvoir quitter Paris et d’aller voir autre chose, est géniale, mais je ne pourrai pas me passer ni de la ville ni de la campagne. » Lorsqu’il ôte son costume de journaliste, il devient contemplatif, aime nager, retourne régulièrement dans sa Normandie natale pour voir ses parents ou des amis, et garde un goût prononcé pour le débat. Concernant son avenir, il se voit bien continuer à la fois une émission politique hebdomadaire, qui pourrait être un peu plus longue, et un JT pour ne pas perdre le rythme du quotidien et s’intéresser à toutes sortes de sujet : « J’ai besoin de l’info et de la drogue du quotidien, être tout le temps en éveil, si à 9h le matin je n’ai pas lu les journaux, j’ai l’impression d’avoir raté ma journée. »