« Il ne s’agit pas d’austérité mais de bonne gestion »
Diplômée d’histoire économique contemporaine, Agnès Verdier-Molinié après avoir été quelques temps journaliste d’investigation au Figaro, à l’Express et à France Info, a rapidement rejoint l’iFRAP* en tant que chercheur en 2002 avant d’en devenir la directrice. A 34 ans, ses écrits et son expertise passionnée des politiques publiques en font une invitée régulière des médias.
Pouvez-vous nous présenter votre fondation ?
Agnès Verdier-Molinié - Créée en 1985, l’iFRAP a d’abord été une association loi 1901 avant de devenir en 2009 une fondation d’utilité publique. La reconnaissance de notre travail a permis d’amplifier la finesse de nos études, qui sont publiées chaque mois dans notre revue. Nous avons acquis au fil des années une pertinence dans le domaine des politiques publiques, avec toujours une cohérence dans nos propos en ayant été dans les premiers à parler de la dette et du déficit. Nous sommes cités par l’ensemble de la presse sans exception, et aujourd’hui comme sous les précédents gouvernements, des cabinets ministériels et des parlementaires font appel à nous. Notre rôle est de dire sans dogmatisme comment est utilisé réellement l’argent public, et d’analyser sans tabous le fonctionnement des services publics pour savoir s’ils sont réellement au service de l’intérêt général. Pour éclairer le jugement des français, nous représentons en quelque sorte un contrepouvoir face au discours des élus qui déclarent être contre toutes sortes de privatisation devant les caméras, et font l’inverse dans la gestion de leurs communes.
Comment recevez-vous le rejet par les urnes de la fusion alsacienne ?
A.V.-M. - C’est dommage, cette fusion aurait pu être un laboratoire de la révision nécessaire des échelons locaux, mais il n’y a pas eu assez de mobilisation des élus, des syndicats ni même du gouvernement, alors que François Hollande parle de simplification, pour bien vendre les bénéfices de cette fusion pour l’Alsace. L’intérêt général doit primer sur les guéguerres entre partis politiques. Puisque visiblement, on ne peut pas encore fusionner les échelons, il faut avoir une vraie réflexion sur la décentralisation, et mieux préciser les missions de l’Etat et de chaque échelon. Nous avons en France un sureffectif de 700 000 fonctionnaires qui est le résultat d’un empilement. De l’Etat à la commune en passant par l’intercommunalité, le département et la région, à tous les niveaux chacun peut décider de dépenser pour la culture, de même pour le tourisme, l’éducation, la communication, les transports et ainsi de suite. Cette organisation n’est pas cohérente et crée une concurrence entre les financeurs qui peut s’avérer pernicieuse, chaque domaine devrait être géré par un seul échelon.
Vous préconisez dans votre livre** 60 milliards d’économie par an, doit-on aller vers l’austérité ?
A.V.-M. - Tous les plus grands économistes mondiaux préconisent un mix budgétaire avec un équilibre entre baisse des dépenses publiques et augmentation des impôts, alors qu’en France nous agissons uniquement sur le second levier sans jamais réduire les dépenses. Il y a 60 milliards de dépenses inutiles que l’on pourrait éviter sans que cela nuise à la qualité de nos services publics. Il suffit de voir nos voisins européens qui ont des services publics aussi bons que les nôtres mais moins chers. Le fait que l’Etat, la Sécurité Sociale et les collectivités locales ne soient pas obligés d’être compétitifs, ne doit pas leur faire oublier que l’argent qu’ils dépensent à été durement gagné et prélevé sur les entreprises et les ménages. Il ne s’agit pas d’austérité mais de bonne gestion. Comme l’a dit François Hollande : « A-t-on des meilleurs services publics avec 57% du PIB qu’avec 52%, la réponse est non ». Nous avons dérapé sur la dépense sans pour autant être capable de créer de la richesse. En plus, nous avons à la fois dégoûté les français de prendre des risques et de créer leur propre entreprise, mais aussi dégoûté les plus aisés d’investir dans des sociétés françaises ou des jeunes talents, en préférant notamment les inciter à placer leur argent dans des œuvres d’art pour ne pas être taxé à l’ISF. Il existe de très nombreuses manières de s’engager pour l’intérêt général qui ne passent pas forcément par dépenser de l’argent public. Le très bon exemple de l’école créée par Xavier Niel, le patron de Free, n’est pourtant pas bien vu par l’Education Nationale. Si l’on ne veut pas que la France reste en dehors d’un mouvement où l’on réinvente les services publics partout dans le monde avec une idée de transparence, de données ouvertes, il va falloir avoir un discours plus objectif pour revoir leur gestion et le statut de la fonction publique.
Faut-il réformer le fameux modèle social français ?
A.V.-M. - Le modèle social français n’est plus envié dans le monde, il est arrivé à bout de souffle. Comme le dit très bien Thierry Migaud, Président de la Cour des comptes : « Une somme d’intérêts particuliers a pris le pas sur l’intérêt général ». Si chacun ne réfléchit qu’à l’aune de son propre poste et de son périmètre à conserver, le pays ne pourra pas avancer. A l’image du mille-feuille territorial, il existe aussi un mille-feuille d’aides avec toute une bureaucratie, à l’inverse d’autres pays qui ont un seul guichet pour aider globalement un foyer fiscal. Cet empilement d’aides a lui aussi un côté pernicieux en n’incitant pas au retour à l’emploi ou en poussant à ne pas déclarer son activité afin de ne pas les perdre. Pour une plus grande clarté des dispositifs, éviter les fraudes et apporter un peu de justice, il faut fiscaliser toutes les aides. Est-il normal qu’un individu gagnant 2000 euros par mois par son travail paie des impôts, et un autre touchant la même somme par des aides n’en paie pas. Nous sommes entrés dans un schéma où l’on demande toujours aux mêmes de payer alors qu’en contrepartie ils auront de moins en moins de droits et d’aides, notamment pour les allocations familiales. Il ne faut pas s’étonner alors qu’ils décident de s’en aller dans un autre pays ou de frauder, et cela ne concerne pas uniquement les plus gros revenus. Il n’est pas sain pour la société de monter les français les uns contre les autres.
Que pensez-vous des mesures de transparence annoncées par le Président Hollande ?
A.V.-M. - La publication des patrimoines et des revenus est une bonne chose, de nombreux pays le font déjà, elle va dans le sens de la transparence mais ne doit pas engendrer pour autant une mise au pilori de ceux qui ont le plus. Par contre, il est préoccupant de constater que la plupart des ministres n’ont pas un centime investi dans des entreprises françaises, alors qu’ils nous parlent de redressement productif à longueur de temps. Autre motif d’inquiétude, la possible interdiction d’activité aux parlementaires issus du privé, si c’est le cas il faudrait également demandé à ceux issus du secteur public de démissionner du statut de la fonction publique. La faute de Jérôme Cahuzac ne doit pas conduire à jeter l’opprobre sur tout ceux qui ont une activité privée. Veut-on une Assemblée Nationale composée uniquement d’agents publics ? Déjà, 70 à 80 % des membres des cabinets ministériels n’ont vécu que dans le secteur public. Il serait bien de parler de parité public-privé dans la représentation nationale, et de manière plus globale sur les listes électorales.
Le non-cumul des mandats et le problème des paradis fiscaux sont-ils aussi des priorités ?
A.V.-M. – Le non-cumul des mandats est une mesure importante, un parlementaire qui est aussi élu local, ne va pas vouloir que l’on fusionne les échelons ni que l’on supprime certains financements de l’Etat vers les collectivités locales. Ce projet de loi risque malheureusement de traîner encore, n’oublions pas qu’il y a au Parlement 80% de cumulards. La question des paradis fiscaux et des banques est une question en soi mais ne va pas résoudre nos problèmes. Arrêtons de toujours chercher des boucs émissaires, la France a une fiscalité exagérée qui pèse sur les entreprises et les ménages, et ne permet pas de créer de la richesse ni de la croissance. Il faut pousser les banques et les assurances à investir l’épargne des français dans les TPE, les PME et dans l’économie réelle, alors qu’elles proposent uniquement du livret A et de l’immobilier défiscalisés qui ne sont pas créateurs d’emplois. Pourtant, l’emploi est censé être la priorité des français et du gouvernement. Il faut rendre son attractivité fiscale à la France. Celui qui prend le risque d’investir dans une jeune entreprise devrait avoir la garantie de ne pas être taxé sur les plus-values, voilà comment on incite les gens, avec une carotte pas en leur tapant dessus. Il faut sortir des idéologies et se confronter avec la réalité pour savoir ce que l’on doit faire pour la France.
*Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques
** « 60 milliards d’économie ! Oui …mais tous les ans » Editions Albin Michel.