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livres

Au nom du père

Publié le par Michel Monsay

Au nom du père

Le père d'Amélie Nothomb, Patrick, meurt en mars 2020, en plein confinement, et elle ne peut lui dire au revoir. Elle décide alors de lui dédier un ouvrage, Premier Sang, où elle lui rend la vie, en le faisant parler à la première personne. Ce roman a obtenu le prix Renaudot 2021. La construction du roman est savamment pensée et ne ressemble en rien à un hommage traditionnel. En donnant la parole à son père, Amélie Nothomb s’efface totalement, si bien que sans la correspondance des noms de famille, le lien filial n’aurait pas été perceptible. Le personnage vit de manière autonome, mis en mouvement par les mots malicieux de la romancière. Alors qu’on l’imaginait mélancolique, le livre est solaire, comme lorsque l’auteure s’amuse à raconter l’énergie sauvageonne des petits Nothomb, ou se moque de la poésie d’un grand-père un peu loufoque. L’écriture glisse d’une période à l’autre de la vie du narrateur avec une grande fluidité. Un récit touchant, fidèle au style plein de fantaisie de la romancière belge, racontant notamment l’enfance de Patrick Nothomb, dont sa fille fait un de ces récits elliptiques et fantasques, scintillants comme des contes, dont elle a le secret. La façon d’écrire est familière, légère, chaleureuse, parfois drôle et émouvante, le tout au service d’un récit qui rend un bel hommage à cet homme courageux que fut Patrick Nothomb. Il était pour sa fille Amélie non seulement un père aimé, mais sans doute aussi une source d’inspiration. Un être auquel elle était liée par une de ces affinités électives que le sang n’explique ni ne justifie. Ce 30e roman en 30 ans est l’un des plus personnels et des plus émouvants d'Amélie Nothomb, au meilleur d’elle-même : cruelle, tendre, avec la sensibilité magique et l’humour plein de tact qui la distinguent, dans une quête de simplicité et surtout de clarté qui est tout sauf une facilité, puisqu’elle est indissociable d’une certaine éthique de l’écriture, selon la romancière.

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Passionnante plongée au cœur du pouvoir russe

Publié le par Michel Monsay

Passionnante plongée au cœur du pouvoir russe

Giuliano da Empoli, italo-suisse de 51 ans, né en France à Neuilly-sur-Seine, connaît bien les rouages de la politique. Il a été le conseiller de Matteo Renzi, ancien président du conseil italien et de Francesco Rutelli, ministre de la Culture italien. L’écrivain, par ailleurs journaliste, est enseignant à Science Po Paris et préside le think tank Volta, basé à Milan. Le mage du Kremlin est son premier roman, mais pas son premier livre, loin de là : Giuliano da Empoli a déjà publié de nombreux essais et s’est fait plus largement connaître en 2019 avec Les Ingénieurs du chaos, traduit en douze langues. Un essai qui dévoilait les coulisses du populisme, de Donald Trump à Matteo Salvini et revenait déjà sur le rôle des spin-doctors, ces conseillers en image qui influencent l'opinion publique. Dans Le Mage du Kremlin, Giuliano da Empoli retrace fidèlement les grandes lignes de la carrière politique de Vladislav Sourkov, longtemps éminence grise de Poutine. De la montée en puissance du Tsar jusqu’au dossier ukrainien, dont le conseiller fut chargé quelques mois avant l’annexion de la Crimée par les Russes, en mars 2014, et l’intervention militaire dans le Donbass. En représailles, les États-Unis puis l’Union européenne lui ont interdit leurs territoires et ont gelé ses avoirs. Giuliano da Empoli prête à Sourkov une vie privée et des propos imaginaires. Rebaptisé Vadim Baranov dans le roman, quand les autres membres de l’entourage de Poutine conservent leur nom, le personnage s’affranchit notamment de son modèle par son ascendance moscovite et aristocratique. Ce livre analyse la pratique du pouvoir très verticale, ainsi que l’évolution de la société russe de la fin du XXe siècle à aujourd’hui. Un récit impitoyable avec pour décor principal la ville de Moscou. Les dialogues fascinants entre le conseiller et le président sont fictifs, mais les faits mentionnés sont bien réels. Un roman captivant, éclairant, Grand Prix du roman de l'Académie française 2022, rédigé avant l'invasion russe en Ukraine du 24 février 2022, mais plus que jamais d'actualité. Dans un tourbillon de violence plus ou moins feutrée, de virilité toxique et de puissance sans limite, Le Mage du Kremlin écrit la chronique brillante d’un règne funeste, désosse chaque rouage de l’implacable pouvoir du Tsar et revisite de l’intérieur des épisodes connus. Il nous permet d’imaginer ce qu’il peut se passer dans la tête de Vladimir Poutine. Avec ce passionnant premier roman, Giuliano da Empoli franchit avec virtuosité la frontière entre politologie et littérature.

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Le grand écrivain turc joue de toutes les cordes de l’amour dans ce magnifique roman

Publié le par Michel Monsay

Le grand écrivain turc joue de toutes les cordes de l’amour dans ce magnifique roman

L’épreuve de la détention, Ahmet Altan l'a connue pendant plus de quatre ans pour des raisons politiques, de 2016 à 2021. L’auteur prévenait à l'époque les pleutres à la botte du président turc Erdogan : « Vous pourrez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais, car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles. » Rédigé pendant son incarcération, Madame Hayat est la preuve vivante de cette irréductible ­liberté d’écrire. Faciles à identifier, chargées d’émotion, pétries d’intelligence, les métaphores de sa situation personnelle y abondent. Étudiant en lettres, le héros voit sa vie dorée bouleversée après la faillite et la mort de son père. Soudain confronté à la pauvreté, Fazil doit s’installer dans une chambre aux dimensions d’une cellule carcérale. Il cherche le salut chez Mme Hayat, plantureuse amatrice de documentaires, fascinant personnage sensuel et mystérieux, doué de sagesse et de fantaisie. Ses cours à l’université forent par ailleurs son esprit de questions existentielles, tout en lui apportant un réconfort sans pareil, alors que des arrestations arbitraires se multiplient dans son entourage. Qu’il décrive par le menu la devanture d’une confiserie, la sensualité des femmes, les foules errant dans les rues, le pouvoir magique d’Ahmet Altan pour briser son enfermement brille de mille feux. Palpable jusque dans son écriture, simple, aérienne, tournoyante, l’ivresse de sa résistance porte le livre, traversé de fulgurances à la gloire de la littérature. « La littérature a besoin de courage, et c’est le courage qui distingue les grands écrivains des autres », déclare une professeure, dans l’amphi où Fazil boit ses paroles. Comment ne pas y voir le fondement de tout l’engagement d’Ahmet Altan ? Ce magnifique livre est à la fois un roman engagé, un essai de philosophie morale, une charge politique contre le régime, mais aussi un grand roman d’amour. Majestueux, limpide et profond comme les eaux du Bosphore qu'il évoque au détour d'une page, Madame Hayat, Prix Fémina étranger 2021, est aussi une fable qui conjugue le récit d'une éducation sentimentale et d'une prise de conscience politique. Peut-on concilier l'amour et l'engagement politique ? Peut-on vivre dans un pays qui sombre dans la nuit ? La littérature est-elle le remède à tous les maux ? Ahmet Altan pose ces questions avec une sérénité qui impressionne, sans donner de réponses toutes faites. Roman peuplé de personnages secondaires attachants, Madame Hayat parle autant à la tête qu'au cœur. Un livre universel, rempli de finesse et de subtilité, trempé dans l'encre de l'humanisme et de la liberté.

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Récit fascinant sur un athlète cambrioleur troublant de sincérité

Publié le par Michel Monsay

Récit fascinant sur un athlète cambrioleur troublant de sincérité

Vainqueur le jour, voleur la nuit, on pourrait résumer ainsi l’existence de Toumany Coulibaly. Il ne s’agit pas d’une double vie, plutôt de l’inintelligible imbrication de deux réalités dissonantes : athlète de haut niveau au début des années 2010, en 2015, à 27 ans, le jeune homme a remporté le titre de champion de France du 400 mètres en salle, Toumany Coulibaly a multiplié dans le même temps les cambriolages nocturnes de pharmacies, de bureaux de tabac, de magasins de téléphonie… Comme porté par un élan irrésistible, répondant à un appel aussi impérieux qu’indéchiffrable, même par lui. Une obsession que Mathieu Palin, journaliste et écrivain, entreprend d’ausculter dans Ne t’arrête pas de courir. Pour cela, il a rencontré Toumany Coulibaly à maintes reprises, au parloir du centre péniten­tiaire de Réau. Il l’a vu et revu, écouté dérouler le fil d’une existence qui aurait pu tourner tout autrement et confesser sa « honte ». Il a noué avec lui des liens d’affection, peut-être même d’amitié, et a scruté son propre visage dans le miroir vers lui tendu par la vie de cet exact contemporain, tous les deux sont nés en 1988, ont grandi en banlieue parisienne, et connaissent cette passion de l’effort physique et du dépassement de soi que suppose la pratique sportive de haut niveau. C’est ainsi qu’ils finissent par être deux à se partager le premier rôle, dans cet ouvrage poignant d’âpreté et de franchise : l’athlète Toumany Coulibaly, au seuil peut-être d’un nouveau départ lorsque se clôt le récit, et Mathieu Palain lui-même, enquêteur et auteur empathique, journaliste scrupuleux au point d’éprouver la nécessité de sonder l’origine de ses propres obsessions. En l’occurrence la justice, qu’on prétend au mépris de l’évidence être la même pour tous, et le système carcéral, instrument du châtiment suffocant qu’est la privation de liberté. Ce destin raconte aussi un lieu : la banlieue parisienne, trop souvent réduite à la question des cités. L'auteur décrit bien les matins gris des quartiers pavillonnaires, les autoroutes, les silhouettes avalées par les halls d'immeuble… et la capitale toute proche et si lointaine. Une investigation en clair-obscur dans laquelle il interroge les chances que chacun a ou non dans la vie. Dans les traces d'Emmanuel Carrère, Mathieu Palain manie l'art délicat de se mettre en scène au second plan. Cet excellent roman de non-fiction narrative, qui raconte la vie d'un personnage aussi complexe que fascinant, a reçu le Prix Interallié 2021.

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Magnifique récit de deuil

Publié le par Michel Monsay

Magnifique récit de deuil

Dans ce récit magnifique, Prix Goncourt 2022, pur comme une chanson d’enfant, Brigitte Giraud dépasse l’histoire personnelle pour dire l’universalité de la perte et de la reconstruction. Son écriture, toujours sobre mais jamais modeste, est moderne et envoûtante, complice et pudique. Chaque chapitre décrit des émotions à fleur de peau, des esquisses de sourire, des bonheurs réifiés, et rappelle ainsi la puissance de l’écriture qui préserve le souvenir quand la vie va trop vite et qu’on voudrait la retenir encore un peu. Au fil d’un récit-compte à rebours, où pointent entre les lignes la colère, le remords, l’écrivaine interroge, non sans un brin d’autodérision, cette part inexpliquée de l’existence que l’on nomme hasard, coïncidence ou destin. Mais aussi la manière dont se déterminent nos décisions, nos empêchements, nos choix : ceux que l’on opère pour soi, pour l’autre ou malgré soi sous le coup de diktats familiaux ou d’injonctions sociales. Entrelaçant, comme dans tous ses livres, l’intime et le collectif, Brigitte Giraud consigne, au ­travers de la photographie musicale d’une époque, ses souvenirs. Et, avec eux, retrace son histoire avec Claude, son compagnon mort accidentellement en 1999. Celle de deux jeunes gens nés en Algérie, qui ont grandi dans une ZUP près de Lyon. Portés par la fougue et l’insouciance de leur ­jeunesse, ils se rêvent, loin de la cité, dans un lieu bien à eux, empli de musique et de copains de passage. A l’orée des années 1990, le couple devient famille, avec l’arrivée de Théo, s’embourgeoise au son d’Oasis, de Coldplay ou de Dominique A. Et, peu à peu, se laisse prendre dans les rets d’une époque d’argent facile, de prêts, d’investissement immobilier, qui alimente le mirage d’un bonheur parfait. En 2001, quelques mois après le drame, Brigitte Giraud composait A présent : un récit bouleversant dans lequel elle relatait les quelques jours qui suivirent l’accident, jusqu’aux obsèques. Elle y évoquait la fracture du temps, le chagrin, la béance. Vingt ans plus tard, à défaut de combler celle-ci, la romancière l’habite avec des mots empreints de douceur et de nostalgie. Mieux, dans ce Vivre vite, lumineux et vibrant d’amour, elle lui donne corps à travers le délicat portrait de Claude. Comme une ultime étreinte.

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Passionnant roman graphique délicieusement satirique de la grande Posy Simmonds

Publié le par Michel Monsay

Passionnant roman graphique délicieusement satirique de la grande Posy Simmonds

Connue pour ses romans graphiques Gemma Bovery et Tamara Drewe, tous deux adaptés au cinéma, la dessinatrice anglaise Posy Simmonds épingle ici le milieu conservateur. Commencé avant le Brexit et sorti en 2019, Cassandra Darke est le portrait d’une galeriste londonienne avare et acariâtre, qui pointe avec humour les fractures de la société britannique. À travers cet excellent roman graphique, l’auteure britannique réaffirme son talent de chroniqueuse acérée des mœurs de ses contemporains et compatriotes. Quatrième album de bande dessinée pour adultes traduit en français de l’illustratrice de 79 ans, qui est aussi dessinatrice de presse, Cassandra Darke marque une légère rupture dans sa carrière. Si son personnage central est de nouveau une femme, celle-ci n’a aucun point commun, physiquement, avec ses pulpeuses devancières. Aussi caustique à souhait qu’il soit, son procès des inégalités qui se creusent ne verse pas dans le manichéisme. La grande prouesse de la satiriste reste toutefois d’avoir fait venir à la bande dessinée un public qui n’en lisait jamais. Ses ventes n’ont cessé de grimper, album après album. Reconnaissance ultime : celle qui découvrit la BD, enfant, grâce à des histoires de super-héros qui circulaient dans une base militaire américaine située non loin de la ferme de ses parents, dans le Berkshire, est devenue, en 2004, le second auteur de récit graphique, après Raymond Briggs, à rejoindre la Royal Society of Literature, l’équivalent de l’Académie française. Une narration impeccable, où textes et dessins forment un tout parfaitement cohérent. La dessinatrice croque Londres et ses habitants, traque les postures, peint les décors et les objets avec une précision de documentaliste. On est happé par l'intrigue, on se régale des détails, l'écriture est fluide, et l’atmosphère allégée par l'humour de la dessinatrice. Cachée derrière son odieuse antihéroïne, Posy Simmonds distribue des claques tous azimuts, et le plaisir qu’elle y prend s’avère hautement communicatif. Égoïsme des riches, inconséquence des jeunes, poison des réseaux sociaux, misère sociale, violences faites aux femmes, bêtise et cupidité à tous les étages, la plus acérée des moralistes british n’oublie personne. Même la bien-pensance, vertu cardinale de la bonne éducation anglaise, en sort égratignée. On retrouve avec ce roman graphique la méthode Posy Simmonds qui fait merveille, ce style foisonnant, cette écriture dense qui accompagne savamment le dessin sans que l’un prenne le pas sur l’autre. En début d'année 2024, à l’occasion de la 51e édition du fameux Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, le Grand prix a été décerné à Posy Simmonds, pour ses albums piquants et finement observés, à la croisée de l’illustration, la littérature et le cinéma.

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Bouleversant hommage aux victimes de la guerre civile algérienne

Publié le par Michel Monsay

Bouleversant hommage aux victimes de la guerre civile algérienne

Dans le sillage de plusieurs victimes de la décennie noire des années 1990 se dessine tout le destin de l’Algérie, dans ce magnifique roman récompensé du prix Goncourt 2024, une première pour un écrivain franco-algérien. Rappelant que l’oubli des quelque deux cent mille morts de cette période d'horreur a pris, en 2005, la forme d’une loi qui interdit, sous peine de prison, toute évocation de cette guerre de « tous contre tous », Kamel Daoud engage son héroïne dans un périple-pèlerinage vers ce qu’elle dénomme l’Endroit Mort, qui est la ferme familiale sur la colline où sévissaient les katibas islamistes. Écrit à la première personne, où le je est une femme, Houris se donne à lire dans une langue belle, vibrante, souvent poétique. Car avec Kamel Daoud, la résilience, ce mot si galvaudé, passe justement par les mots. La puissance de sa langue, qui redonne vie à ses personnages, nous bouleverse, nous éblouit et nous réconforte. Il montre comment la littérature peut tracer un autre chemin pour la mémoire, à côté du récit historique. L'ironie de la chose, c'est que peu d'algériens sont susceptibles de le lire. Le livre n'a pas d'éditeur algérien et l'éditeur français Gallimard a été exclu du Salon du livre d'Alger. Âgé de 54 ans, Kamel Daoud a eu une expérience directe des massacres, car il était journaliste à l'époque et travaillait pour le Quotidien d'Oran. Dans des interviews, il a décrit l'effroyable routine qui consistait à compter les cadavres, puis à voir son décompte modifié à la hausse ou à la baisse par les autorités, en fonction du message qu'elles voulaient faire passer. Dans Houris, il critique l’islam radical, de plus en plus influent dans son pays et dans le monde arabo-musulman, et condamne en particulier la complaisance envers la misogynie des islamistes, qui fait des ravages dans la société algérienne. Dans un pays où tous ne reconnaissent pas leurs pleins droits aux femmes, Houris, qui fait référence aux vierges promises aux fidèles au paradis, est la réponse cinglante de Kamel Daoud à ceux qui dirigent son pays d'origine. Il revient sur cette guerre civile qui a été oblitérée, chassée des manuels d’histoire, contrairement à la guerre d’indépendance contre la France, érigée en mythe. Il souligne l’absurdité d’une peine d’emprisonnement prévue pour ceux qui évoquent cette guerre civile, alors que l’on a accordé l’amnistie à tous les terroristes islamistes de ces années noires qui égorgeaient à tour de bras. Kamel Daoud, considéré comme un traitre en Algérie à l'image de Boualem Sansal, écrit, conscient des risques qu’il court à rappeler le passé, parce qu’oublier, c’est s’assurer que l’histoire se répète.

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La conquête de la liberté par une jeune bourgeoise parisienne

Publié le par Michel Monsay

La conquête de la liberté par une jeune bourgeoise parisienne

Ce très beau livre autobiographique est paru en 2008, alors que Benoîte Groult a 88 ans. Elle est  alors convaincue que toutes les femmes sont des féministes qui s'ignorent. Elle-même a longtemps ignoré qu'elle faisait partie de ces combattantes, souvent caricaturées. Il faut dire que rien ne l'y prédestinait. Vivant dans un milieu protégé de la bourgeoisie parisienne, entre un père styliste de meubles et une mère dessinatrice de mode, élevée par une nanny irlandaise jusqu'à l'âge de 10 ans, elle n'a même pas vu passer la seconde guerre mondiale. La jeune fille de bonne famille va se dévergonder un peu, à la Libération, au contact de militaires américains. Mais l'heure de sa véritable évasion n'a pas sonné : "Il allait me falloir encore vingt ans et trois mariages pour me rendre compte que je jouais avec des dés pipés." Elle raconte sans détours ses avortements clandestins avant le vote de la loi Veil, le drame de son premier mariage avec un jeune homme emporté par la maladie, l'échec de son deuxième mariage avec le journaliste Georges de Caunes, et enfin la réussite du troisième, avec Paul Guimard, l'auteur entre autre du roman Les choses de la vie, adapté au cinéma par Claude Sautet. Ils avaient conclu un pacte à la Sartre-Beauvoir, laissant à chacun sa liberté. Pas toujours facile, et même très dur par moments, reconnaît-elle, mais le couple a tenu... cinquante-quatre ans, jusqu'au décès du romancier en 2004. Ce sont ses livres qui ont permis à Benoîte Groult de se réconcilier avec elle-même. Elle a d'abord écrit à quatre mains avec sa sœur Flora, avant de réussir plusieurs best-sellers, comme Ainsi soit-elle en 1975, dont elle a découvert en cours de rédaction que c'était un manifeste féministe. D'une belle plume alerte et mordante, Benoîte Groult nous raconte sa deuxième naissance, à mi-vie. "Chaque femme devrait se mettre au monde elle-même", affirme cette évadée. Avec le recul, elle a l'impression d'avoir vécu une interminable course d'obstacles. Un combat sans fin, car "les barreaux des prisons et des clôtures ont une fâcheuse tendance à repousser, comme les bambous". Cette belle et énergique autobiographie révèle aussi à quel degré les femmes de sa génération avaient intériorisé ce qu’elle appelle "une des fatalités de la condition féminine, la norme en quelque sorte". Irriguée de part et d’autre par le féminisme, Mon évasion peut être lue comme une réflexion tantôt critique, tantôt amusée, mais toujours d’une grande acuité sur les modèles sociaux qui ont régi la vie des femmes en France au cours du XXe siècle.

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Élégance, mélancolie et humour

Publié le par Michel Monsay

Élégance, mélancolie et humour

À travers les yeux d'une jeune Grecque, le romancier anglais nous fait revivre le tournage tourmenté de Fedora (1978), film testament de Billy Wilder, signant l'acte de décès d'un certain glamour hollywoodien. Un vrai-faux biopic palpitant, portrait en plan large d'un génie du septième art empruntant son boulevard du crépuscule. Construit en flash-back, Mr Wilder et moi est un roman nostalgique, mais bouillant de vie, qui réveille les fantômes dorés et noirs du XXe siècle. Car Billy Wilder n'est pas seulement ce faiseur de rêves pétri d'ironie, héraut d'une élégance vieux style. Issu d'une famille juive autrichienne, c'est aussi l'Européen, traumatisé par le nazisme qui l'a contraint à s'exiler en Amérique, l'adulte orphelin qui n'a jamais retrouvé la trace de sa mère, probablement morte dans un camp de concentration, toute cette partie tragique est relatée sur le mode d'un scénario de film. Jonathan Coe utilise superbement tous les artifices de l'écriture pour rendre le plus bel hommage qui soit à son maître en écriture avec un roman digne d'un film de Billy Wilder par sa compassion pour ses personnages, son ironie délicate, son dosage parfait entre humour et mélancolie. Chroniqueur tendrement caustique de la société britannique dans ses romans, Jonathan Coe est sans doute le plus cinéphile des écrivains anglais. Roman d’apprentissage autant qu’hommage à ce maître du cinéma, Mr Wilder et moi a cette saveur aigre-douce si caractéristique des œuvres de Jonathan Coe, tendre mais mélancolique et âpre. Jolie leçon de vie et aphorismes dignes du cinéaste donnent aux pages de ce livre un charme irrésistible. Il y a aussi une grâce comme directement héritée de l’âge d’or hollywoodien. Avec ce roman lumineux et délicat, tellement élégant dans sa manière d’évoquer le vieillissement des êtres et l’impermanence du monde, on comprend pourquoi Billy Wilder et Jonathan Coe placent la comédie au-dessus de tout, comme un baume réparateur qui nous permet de supporter la tristesse et l’absurdité du monde.

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Un réalisme magique à l’amérindienne, léger et profond à la fois

Publié le par Michel Monsay

Un réalisme magique à l’amérindienne, léger et profond à la fois

En bientôt quarante ans d’écriture et une vingtaine de romans, Louise Erdrich est devenue, pour les Amérindiens, ce que Toni Morrison est aux Afro-Américains : une voix magistrale, récompensée, sinon par le Nobel, par tous les grands prix littéraires, dont le National Book Award, un prix Pulitzer, et en France par le Prix Femina étranger en 2023 pour La sentence. Une voix qui, sans exotisme ni clichés, aura fait entrer l’imaginaire autochtone dans le temple d’une littérature qui ne s’en souciait guère. Ce nouveau roman de Louise Erdrich tient autant du conte merveilleux que de la peinture historique, sociologique, voire ethnologique. À travers l'histoire de Tookie, la romancière nous plonge au cœur de la culture, de l'âme, de l'esprit, et des souffrances d'un peuple dévasté par la colonisation. Délicieuse originalité de ce livre : l’auteure américaine s’est amusée à s’y mettre en scène. N’attendez ni journal intime ni autofiction, ce n’est pas le genre de la maison. Son amour illimité pour la littérature l’a poussée, voilà déjà vingt-deux ans, à ouvrir une librairie indépendante à Minneapolis, la ville où elle réside. C’est dans le décor inchangé de cette librairie que se déroule La Sentence. La Louise en question s’est infiltrée dans la fiction pour y jouer son propre rôle, farceuse figurante cachée au milieu de personnages rocambolesques dont elle a le secret. La romancière inscrit dans son récit l'actualité récente. La crise sanitaire. L'assassinat par un policier de George Floyd et le mouvement Black lives matter. Deux événements que l'on voit à travers les yeux de Tookie, et du petit monde qui l'entoure. Grâce à cet extraordinaire tissage narratif, et à une écriture d'une vivacité éblouissante, Louise Erdrich parvient à offrir un roman d'une profondeur sans limites, qui ouvre une multitude de champs de rêveries, de manières de penser, de résister, ou de se révolter. La Sentence démontre une nouvelle fois le formidable talent de conteuse de Louise Erdrich et son art d’ouvrir des tiroirs à triple fond, pour aborder les questions les plus sensibles sans se départir de son vif humour.

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