Une grande perte pour le cinéma

Publié le par Michel Monsay

Une grande perte pour le cinéma
Une grande perte pour le cinéma

Laurent Cantet avait le sourire tendre d’un enfant mais le regard broussailleux d’un adulte que la complexité du monde n’a pas fini de chiffonner. Ses films étaient à cette double image : tournés vers la jeunesse et ses espoirs, vers la noirceur, aussi, et les désillusions d’une société de plus en plus violente. Laurent Cantet est mort hier à l’âge de 63 ans d'un cancer, saloperie de maladie, et le cinéma perd un des témoins les plus préoccupés des soubresauts sociaux de notre époque. Cinéma humaniste ou social, artiste politique, voire militant, issu des rangs de la méritocratie républicaine et gardant de ses origines modestes cette élégance de toujours s’excuser d’être là, en haut de l’affiche, à la bonne place quand son esprit, son imagination, son regard se tournaient, irrésistiblement, vers ce qui grince et fait réfléchir, Laurent Cantet s’est concentré, à travers les neuf longs métrages qui composent sa filmographie, sur la difficulté à articuler les trajectoires personnelles avec les attentes, les normes ou les cadres de la société. Son puissant et émouvant premier long-métrage, Ressources humaines, réalisé en 1999, a fait date : sa caméra s'insèrait dans le fonctionnement quotidien d'une usine dont il décryptait les rapports sociaux à travers une relation père/fils. Le film qui consacrait les débuts de Jalil Lespert avait obtenu un César du meilleur jeune espoir pour l'acteur et un César du meilleur premier film pour Laurent Cantet. Avec son film suivant, il allait encore plus loin dans l’analyse de ce que représente le travail pour un homme, et nous éblouissait de son talent. L’Emploi du temps, inspiré de l’affaire Jean-Claude Romand, plongeait dans la psyché d’un cadre qui, à la suite d’un licenciement, se construit une vie professionnelle, toute une existence, sur le mensonge. Ce film est une véritable merveille d'intelligence, de rythme, de justesse dans la mise en scène de la perte avec un exceptionnel Aurélien Recoing. Un film glaçant sur l’imposture mais aussi sur la solitude, et sans meurtres à la fin pour se débarrasser de l’aspect monstrueux de Romand et ne garder de cette histoire que le commun, le banal. Elle était là, l’ambition de Laurent Cantet : ne jamais se laisser aller à la facilité du romanesque pour éclairer avec nuance les failles humaines. Le réel, toujours le réel. Et même quand il filmait la star Charlotte Rampling au soleil des Caraïbes dans Vers le sud, inspiré d'un roman de Dany Laferrière, c’était comme un corps riche face à celui d’un jeune Haïtien, dans un rapport Nord-Sud complexe entre désir et exploitation. Puis en 2008, il y a eu Entre les murs, d'après le livre de François Bégaudeau. L'écrivain jouait son propre rôle, celui d'un professeur de français dans un collège parisien classé ZEP (zone d'éducation prioritaire). Le cinéaste montrait la salle de classe comme un microcosme de la société, il a été copié depuis, et la difficulté pour un professeur d'incarner l'autorité tout en affirmant les vertus méritocratiques de l'école républicaine malgré les inégalités sociales. Le film est sélectionné in extremis en compétition au Festival de Cannes, où il reçoit la Palme d'or des mains du président du jury Sean Penn, ému et épaté, qui déclare : « une Palme à l’humanité, un film extraordinaire ». Son dernier film Arthur Rambo, sorti en 2021, se penchait sur la destruction d’une réputation sur les réseaux sociaux. Laurent Cantet préparait un nouveau film, L'Apprenti, au côté de Marie-Ange Luciani, la productrice d'Anatomie d'une chute. La maladie l'aura malheureusement empêché de mener à bien ce projet. Grande tristesse.

Publié dans Chroniques

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