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livres

La conquête de la liberté par une jeune bourgeoise parisienne

Publié le par Michel Monsay

La conquête de la liberté par une jeune bourgeoise parisienne

Ce très beau livre autobiographique est paru en 2008, alors que Benoîte Groult a 88 ans. Elle est  alors convaincue que toutes les femmes sont des féministes qui s'ignorent. Elle-même a longtemps ignoré qu'elle faisait partie de ces combattantes, souvent caricaturées. Il faut dire que rien ne l'y prédestinait. Vivant dans un milieu protégé de la bourgeoisie parisienne, entre un père styliste de meubles et une mère dessinatrice de mode, élevée par une nanny irlandaise jusqu'à l'âge de 10 ans, elle n'a même pas vu passer la seconde guerre mondiale. La jeune fille de bonne famille va se dévergonder un peu, à la Libération, au contact de militaires américains. Mais l'heure de sa véritable évasion n'a pas sonné : "Il allait me falloir encore vingt ans et trois mariages pour me rendre compte que je jouais avec des dés pipés." Elle raconte sans détours ses avortements clandestins avant le vote de la loi Veil, le drame de son premier mariage avec un jeune homme emporté par la maladie, l'échec de son deuxième mariage avec le journaliste Georges de Caunes, et enfin la réussite du troisième, avec Paul Guimard, l'auteur entre autre du roman Les choses de la vie, adapté au cinéma par Claude Sautet. Ils avaient conclu un pacte à la Sartre-Beauvoir, laissant à chacun sa liberté. Pas toujours facile, et même très dur par moments, reconnaît-elle, mais le couple a tenu... cinquante-quatre ans, jusqu'au décès du romancier en 2004. Ce sont ses livres qui ont permis à Benoîte Groult de se réconcilier avec elle-même. Elle a d'abord écrit à quatre mains avec sa sœur Flora, avant de réussir plusieurs best-sellers, comme Ainsi soit-elle en 1975, dont elle a découvert en cours de rédaction que c'était un manifeste féministe. D'une belle plume alerte et mordante, Benoîte Groult nous raconte sa deuxième naissance, à mi-vie. "Chaque femme devrait se mettre au monde elle-même", affirme cette évadée. Avec le recul, elle a l'impression d'avoir vécu une interminable course d'obstacles. Un combat sans fin, car "les barreaux des prisons et des clôtures ont une fâcheuse tendance à repousser, comme les bambous". Cette belle et énergique autobiographie révèle aussi à quel degré les femmes de sa génération avaient intériorisé ce qu’elle appelle "une des fatalités de la condition féminine, la norme en quelque sorte". Irriguée de part et d’autre par le féminisme, Mon évasion peut être lue comme une réflexion tantôt critique, tantôt amusée, mais toujours d’une grande acuité sur les modèles sociaux qui ont régi la vie des femmes en France au cours du XXe siècle.

Publié dans Livres

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Élégance, mélancolie et humour

Publié le par Michel Monsay

Élégance, mélancolie et humour

À travers les yeux d'une jeune Grecque, le romancier anglais nous fait revivre le tournage tourmenté de Fedora (1978), film testament de Billy Wilder, signant l'acte de décès d'un certain glamour hollywoodien. Un vrai-faux biopic palpitant, portrait en plan large d'un génie du septième art empruntant son boulevard du crépuscule. Construit en flash-back, Mr Wilder et moi est un roman nostalgique, mais bouillant de vie, qui réveille les fantômes dorés et noirs du XXe siècle. Car Billy Wilder n'est pas seulement ce faiseur de rêves pétri d'ironie, héraut d'une élégance vieux style. Issu d'une famille juive autrichienne, c'est aussi l'Européen, traumatisé par le nazisme qui l'a contraint à s'exiler en Amérique, l'adulte orphelin qui n'a jamais retrouvé la trace de sa mère, probablement morte dans un camp de concentration, toute cette partie tragique est relatée sur le mode d'un scénario de film. Jonathan Coe utilise superbement tous les artifices de l'écriture pour rendre le plus bel hommage qui soit à son maître en écriture avec un roman digne d'un film de Billy Wilder par sa compassion pour ses personnages, son ironie délicate, son dosage parfait entre humour et mélancolie. Chroniqueur tendrement caustique de la société britannique dans ses romans, Jonathan Coe est sans doute le plus cinéphile des écrivains anglais. Roman d’apprentissage autant qu’hommage à ce maître du cinéma, Mr Wilder et moi a cette saveur aigre-douce si caractéristique des œuvres de Jonathan Coe, tendre mais mélancolique et âpre. Jolie leçon de vie et aphorismes dignes du cinéaste donnent aux pages de ce livre un charme irrésistible. Il y a aussi une grâce comme directement héritée de l’âge d’or hollywoodien. Avec ce roman lumineux et délicat, tellement élégant dans sa manière d’évoquer le vieillissement des êtres et l’impermanence du monde, on comprend pourquoi Billy Wilder et Jonathan Coe placent la comédie au-dessus de tout, comme un baume réparateur qui nous permet de supporter la tristesse et l’absurdité du monde.

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Un réalisme magique à l’amérindienne, léger et profond à la fois

Publié le par Michel Monsay

Un réalisme magique à l’amérindienne, léger et profond à la fois

En bientôt quarante ans d’écriture et une vingtaine de romans, Louise Erdrich est devenue, pour les Amérindiens, ce que Toni Morrison est aux Afro-Américains : une voix magistrale, récompensée, sinon par le Nobel, par tous les grands prix littéraires, dont le National Book Award, un prix Pulitzer, et en France par le Prix Femina étranger en 2023 pour La sentence. Une voix qui, sans exotisme ni clichés, aura fait entrer l’imaginaire autochtone dans le temple d’une littérature qui ne s’en souciait guère. Ce nouveau roman de Louise Erdrich tient autant du conte merveilleux que de la peinture historique, sociologique, voire ethnologique. À travers l'histoire de Tookie, la romancière nous plonge au cœur de la culture, de l'âme, de l'esprit, et des souffrances d'un peuple dévasté par la colonisation. Délicieuse originalité de ce livre : l’auteure américaine s’est amusée à s’y mettre en scène. N’attendez ni journal intime ni autofiction, ce n’est pas le genre de la maison. Son amour illimité pour la littérature l’a poussée, voilà déjà vingt-deux ans, à ouvrir une librairie indépendante à Minneapolis, la ville où elle réside. C’est dans le décor inchangé de cette librairie que se déroule La Sentence. La Louise en question s’est infiltrée dans la fiction pour y jouer son propre rôle, farceuse figurante cachée au milieu de personnages rocambolesques dont elle a le secret. La romancière inscrit dans son récit l'actualité récente. La crise sanitaire. L'assassinat par un policier de George Floyd et le mouvement Black lives matter. Deux événements que l'on voit à travers les yeux de Tookie, et du petit monde qui l'entoure. Grâce à cet extraordinaire tissage narratif, et à une écriture d'une vivacité éblouissante, Louise Erdrich parvient à offrir un roman d'une profondeur sans limites, qui ouvre une multitude de champs de rêveries, de manières de penser, de résister, ou de se révolter. La Sentence démontre une nouvelle fois le formidable talent de conteuse de Louise Erdrich et son art d’ouvrir des tiroirs à triple fond, pour aborder les questions les plus sensibles sans se départir de son vif humour.

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Merveilleux conte orientaliste, enchanté, mais aussi très critique sur le pouvoir du discours religieux

Publié le par Michel Monsay

Merveilleux conte orientaliste, enchanté, mais aussi très critique sur le pouvoir du discours religieux

Joann Sfar, dont je disais le plus grand bien de l'exposition qui s'est tenue récemment à Paris, est auteur, dessinateur, romancier, réalisateur. Son personnage le plus connu, créé en 2002, le plus adopté dans le monde de la bande dessinée par les français, est Le Chat du Rabbin qu'il a d'ailleurs adapté au cinéma. Ça lui est venu après les attentats du 11 septembre 2001, après la naissance de son premier enfant et après le décès de sa grand-mère d'Algérie. Pour mille raisons, il a eu envie de créer une histoire pour réenchanter la mémoire maghrébine et pour se battre contre cette promesse de choc des civilisations. Optant pour un système narratif assez littéraire, la voix off du chat raconte les événements et les dialogues, comme dans un roman, Joann Sfar donne ce qu’il a de meilleur : un talent pour les réparties fécondes, un dessin tout en relâchement mais jamais bâclé, et un humour mi-intello mi-potache. Le tout pour une vraie BD philosophique, de celle qui questionne la vie et son sens. Jacasseur invétéré voulant faire sa Bar Mitzvah après avoir avalé un perroquet dans le premier tome, donneur de leçons et de dictées à son propre maître dans le deuxième, le chat du rabbin s’est montré fou de jalousie envers le mari de sa maîtresse, Zlabya dans le troisième. Voyageur émérite, il a partout affiché des facultés d’observateur de premier plan, de son Algérie natale à la grise capitale française. En témoin privilégié du microcosme qui grouille autour de lui, emboîtant le pas du rabbin jusque dans ses prières solitaires, le chat s’est habitué à user d’une parole dénonciatrice de boniments religieux ou politiques. Si l’auteur se sert d’une imagerie de l’Algérie des années 1900 et de cartes postales d’une époque située entre la moitié du XIXe siècle et les années 1930 pour reconstituer les différents décors dans lesquels le chat évolue, son Alger et sa palette empruntent surtout à sa Nice natale, pour sa lumière et son ouverture sur la mer, et encore plus aux récits, histoires réelles ou légendaires, issus de souvenirs que sa grand-mère lui racontait alors qu’il était enfant. Les trois premiers tomes réunis ici du Chat du rabbin, qui en comporte douze, nous plonge dans l'univers drôle et incisif de Joann Sfar, à l'imagination prolifique et débridée. Il y a évidemment beaucoup de l'auteur dans le personnage de ce chat taquin, doté d’une parole libre et impertinente, qui travaille à sa façon à plus de fraternité. Formidable hymne à la tolérance, aux couleurs éclatantes et à l'ambiance typique des peintures orientalistes, Le chat du rabbin est devenu un classique indispensable de la bande dessinée.

Merveilleux conte orientaliste, enchanté, mais aussi très critique sur le pouvoir du discours religieux
Merveilleux conte orientaliste, enchanté, mais aussi très critique sur le pouvoir du discours religieux
Merveilleux conte orientaliste, enchanté, mais aussi très critique sur le pouvoir du discours religieux

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Puissant roman de paix plus que jamais indispensable

Publié le par Michel Monsay

Puissant roman de paix plus que jamais indispensable

Après avoir, entre autres, sondé la psyché de Rudolf Noureev dans Danseur en 2003 ou raconté la douloureuse errance du peuple gitan dans Zoli en 2006, Colum McCann place le fil encore plus haut en consacrant ce roman paru en 2020 au conflit israélo-palestinien. Alors que les deux parties semblent aujourd'hui plus que jamais irréconciliables, l'écrivain irlandais installé à New York distille dans Apeirogon un message de paix limpide et galvanisant. Pour cela, il se raccroche au combat humaniste mené par deux héros de la résilience : Rami Elhanan, juif israélien, et Bassam Aramin, palestinien musulman, qui ont tous deux perdu leur fille à une décennie d'intervalle : la première, Smadar, 13 ans, a été tuée dans l'attentat de kamikazes palestiniens, la seconde, Abir, 10 ans, a été abattu par un garde-frontière israélien. Les deux amis endeuillés parcourent sans relâche la planète pour prêcher la fin des hostilités entre les deux peuples. Plutôt qu'une narration classique, l'écrivain nous propose un récit éclaté qui embrasse l'histoire et la géographie, alterne les anecdotes, les digressions, transcende les frontières. Au milieu du livre, Colum McCann donne la parole à ces deux combattants de la paix, et la force du témoignage de Bassam qui raconte sa prise de conscience de l'horreur de la Shoah, et celui de Rami affirmant qu'il ne peut y avoir d'occupation humaine, sont d'une rare puissance. Colum McCann raconte très bien Israël, il en dresse un portrait accablant, désolant, plus que jamais d'actualité. Il faut dire que l'écrivain était bien placé, lui, l’Irlandais au pays longtemps déchiré, pour essayer de comprendre cette folie d’une paix introuvable. Reste l'humanité des deux héros de ce roman, et cette phrase qui résume parfaitement leur état d'esprit : "La seule vengeance consiste à faire la paix." Malheureusement aujourd'hui on en est très loin.

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Une bande-dessinée empreinte de sérénité

Publié le par Michel Monsay

Une bande-dessinée empreinte de sérénité

Il ne doit pas être facile pour un auteur d'arrêter une série phare et de rompre avec un personnage qui l'a accompagné pendant des années. Alors qu'il conclut aujourd'hui avec un dix-septième album sa série Jonathan entamée en 1975, le dessinateur suisse Cosey, Grand Prix du Festival d'Angoulême de la bande-dessinée en 2017, peut être fier d'avoir poursuivi pendant quarante-six ans cette fresque initiatique, à la fois populaire et unique, et d'avoir créé un univers et un personnage qui ont marqué l'histoire du neuvième art. On retrouve dans La piste de Yéshé sa narration fluide, ses choix chromatiques toujours sobres et francs, tout en ocres et bleus, sublimant la pureté du ciel et l'aridité des étendues désertiques. Le récit, limpide, est élégamment empreint de culture, de musique, de littérature, de spiritualité, de philosophie, d'engagement, de gastronomie aussi, ce qui a toujours fait le charme de la série. Petit cousin de Corto Maltese, Jonathan partage avec lui le goût des silences, du jeu, des demi-mots, des amours romantiques… bref, de l’ailleurs dans ce qu’il a de plus attirant. Ses aventures touchent à l’essentiel, à cette quête de réponses qui étreint tous ceux qui ne se satisfont pas d’une existence purement matérielle. L'action de cet album se déroule au Tibet, en grande partie dans un temple bouddhiste, où va séjourner le héros. Jonathan est la parfaite incarnation du voyageur un brin contemplatif, qui prend le temps d’ouvrir ses yeux et son esprit, de découvrir des cultures et de se laisser porter par les rencontres. S’il ne cache pas sa profonde amitié pour les Tibétains, et sait montrer au détour d’une case les vexations et traitements qu’ils subissent, Jonathan se garde bien de juger hâtivement et de mettre tous les chinois dans le même sac. Scénariste discret, Cosey apporte un soin scrupuleux à l’histoire, savant montage de fiction et d’anecdotes véridiques. Comme toujours, paysages et décors sont très beaux, avec cette patte graphique si particulière, cette façon artisanale de découper ses cases et composer ses planches, d’assembler patiemment les aplats de couleurs pour faire sentir une ambiance ou délivrer une émotion. Jonathan est comme une autobiographie imaginaire du dessinateur, une sorte de double fantasmé. Cosey est un grand rêveur, dont l’œuvre laisse une place importante au non-dit, à l’épure. Son personnage principal, Jonathan, est plutôt avare de mots, mais doué d’une extraordinaire sensibilité. C'est un antihéros très attachant, qui parcourt le monde sans esbroufe, ni éclat, mais avec un humanisme qui fait du bien de nos jours.

Une bande-dessinée empreinte de sérénité
Une bande-dessinée empreinte de sérénité
Une bande-dessinée empreinte de sérénité

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L'éclosion d'un géant de la bande-dessinée

Publié le par Michel Monsay

L'éclosion d'un géant de la bande-dessinée

Parue en 1976, cette bande-dessinée du grand Jacques Tardi est la première de la série Adèle Blanc-Sec, et l'une des premières de l'auteur. On y trouve déjà un ton et une maîtrise des codes du 9e art hallucinants : les lecteurs faisaient connaissance avec un maître du genre franco-belge, couronné au festival de la bande-dessinée d'Angoulême quelques années plus tard (1985) pour l’ensemble de son œuvre, qu'il a continuée depuis jusqu'à aujourd'hui pour notre plus grand bonheur. Adèle et la bête n'a pas pris une ride. En plaçant l’action dans le vieux Paris du début du XXe siècle, il créé un décalage intéressant, en y ajoutant une pointe de fantastique, d’action, d’enquête, ce qui donne un cocktail qui fait mouche. Le travail graphique de Tardi est remarquable de précision, très documenté. Paris, 1911, un ptérodactyle, éclos d’un œuf fossilisé conservé au Muséum d’histoire naturelle et sème la terreur dans la capitale. Au milieu de la confusion entre scientifiques, policiers, malfrats, et même un médium, la têtue et audacieuse Adèle Blanc-Sec fomente un coup tordu. Mais elle sera dépassée par plus retors qu’elle… Avec cette série culte, Tardi donne naissance à une des héroïnes les plus fortes et les plus complexes de la bande dessinée, mais plus encore, l’auteur crée ici une esthétique fascinante, inspirée des romans-feuilletons de l’époque, où Paris devient une cité de monstres, de criminels et de déviants, réunis dans une funeste sarabande. Souvent imitée, jamais égalée.

L'éclosion d'un géant de la bande-dessinée
L'éclosion d'un géant de la bande-dessinée
L'éclosion d'un géant de la bande-dessinée

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Passionnant récit de la vie d'un antihéros au charme touchant et aux rêves perdus

Publié le par Michel Monsay

Passionnant récit de la vie d'un antihéros au charme touchant et aux rêves perdus

En brossant le portrait d’un homme désarmé par la dureté du monde, Ian McEwan met son existence en miroir. Le grand écrivain britannique signe un roman ample et sensible, traversé par l’histoire, hanté par la perte. Les sommets étaient déjà nombreux dans l’œuvre éclectique de Ian McEwan, avec Leçons il en ajoute un nouveau qui témoigne d’une faculté peu commune à s’illustrer dans un genre, puis dans un autre, avec une facilité et une réussite déconcertantes. Dans la veine d'un réalisme social et psychologique qui a fait sa réputation, et dans laquelle il excelle, on retrouve dans ce nouveau roman son incroyable sens du détail, ses phrases claires, sa manière d’ancrer ses personnages dans une époque et un décor. Le personnage central ­partage avec Ian McEwan nombre de caractéristiques biographiques : son année et son lieu de naissance 1948 à Aldershot dans le Hampshire, un père militaire qu’un poste emmena en Libye, un frère caché découvert à l’âge adulte… Ce qui impressionne notamment dans Leçons est la manière dont Ian McEwan organise la collision du passé, du présent et du futur, les glissements de l’un à l’autre, observant la manière dont fonctionne la mémoire et dont le protagoniste ne cesse de réévaluer ses souvenirs et d’évoluer. Le livre captive aussi par sa complexité, son ampleur et sa facture classique, par sa façon d’embrasser sans ellipses, sur près de huit décennies, le destin d’un individu et l’état du monde dans lequel il évolue. L’architecture romanesque brillante que bâtit Ian McEwan s’empare, à travers son personnage principal, et les personnages secondaires tout aussi bien brossés qui l’entourent, de la destinée collective d’une génération : celle des baby-boomers, épargnés par les convulsions de la première moitié du XXe siècle qui bouleversèrent voire fracassèrent les vies de leurs parents, alors qu'eux sont spectateurs et non plus acteurs des crises mondiales et n’en subissent que des retombées de poussière, comme celles de Tchernobyl. De sa belle prose limpide, intelligente et souple, le regard que porte le romancier sur ses personnages semble à la fois d’une impitoyable exactitude et plein de compassion. Il nous fait voyager dans les épaisseurs du temps, de l’après Seconde Guerre mondiale à la pandémie de COVID,  dans ce roman ambitieux au souffle impressionnant, qui raconte la grande épopée d’une vie faite de rêves abîmés, où l’intime se mêle magistralement à la grande Histoire.

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Parfait mélange de satire, d'émotion et de mélancolie

Publié le par Michel Monsay

Parfait mélange de satire, d'émotion et de mélancolie

Paru en 2017, ce magnifique roman de Jay McInerney, l'un des plus grands écrivains américains contemporains, est le dernier en date d'un auteur qui se fait rare. Bien que Les jours enfuis puisse très bien se lire sans avoir lu les deux précédents romans de cette trilogie composée de Trente ans et des poussières en 1992 et La belle vie en 2006, Jay McInerney continue d'explorer le mariage à travers le couple Calloway, en fin scrutateur des choses humaines en ce qu'elles ont de plus intime, de plus évanescent, de plus instable, de plus insaisissable et précieux. Avec une égale empathie pour l'un et l'autre des deux personnages centraux, il sonde de l'intérieur l'énigme du lien conjugal, le mettant à l'épreuve pour en éprouver les faiblesses, mais aussi dans l'espoir de déclencher ses capacités de résistance, sa nostalgie de la stabilité. Jay McInerney, admirateur de Raymond Carver et ami de Bret Easton Ellis, parle toujours avec lucidité de la trahison, du désir, de la mélancolie dans un New York aux multiples visages. Ses personnages jouent avec le feu et se promènent sur la ligne de crête. Son style léger ne l'empêche pas de rendre compte du mélange des émotions et des sentiments dans un affleurement de scènes puissantes et poignantes. Le ton est à la fois satirique et romantique. Les descriptions psychologiques sont plus nombreuses que dans ces précédents ouvrages, pour cerner les agissements d'un couple au bord de l'effondrement. Les Jours enfuis interrogent avec acuité ce que l'on perd, ce que l'on sauve au milieu du torrent de sa vie, mais aussi les erreurs, les fautes et les sentiments qui demeurent. Jay McInerney saisit une nouvelle fois les mutations profondes d’une époque à travers son couple iconique. Après la frénésie et le désenchantement du New-York des années 80, puis le 11-Septembre, cette fois il est question de la faillite financière de 2008 et l'élection de Barack Obama. Cette formidable comédie humaine et sociale, peuplée de nombreux personnages secondaires très bien sentis, contient tout le talent de ce grand romancier, également anthropologue de sa ville, en nous passionnant de la première à la dernière page.

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Superbe livre où la poésie de Sempé fait merveille

Publié le par Michel Monsay

Superbe livre où la poésie de Sempé fait merveille

Pour finir l'année en beauté et avec le sourire, les magnifiques dessins du grand Sempé. En quarante ans de collaboration, de 1978 à 2019, il est devenu une icône new-yorkaise en signant 114 couvertures du prestigieux The New Yorker. Le magazine des élites culturelles et intellectuelles américaines, fondé en 1925, a bâti sa réputation grâce à la rigueur de ses analyses, reportages, critiques, essais, nouvelles et dessins. Il a quasiment toujours mis une illustration en couverture, le plus souvent sans lien avec l’actualité. Au fil de ces 114 couvertures sans compter les illustrations intérieures, Sempé trace sa joie de vivre dans cette mégapole qu’il sillonne à pied et à vélo par tous les temps, sans parler anglais, émerveillé par ses couleurs, son énergie, ses chats, ses humains minuscules face au gigantisme urbain, sa mosaïque communautaire, ses musiques et ses espaces verts. Pour faire la Une du New Yorker, il faut savoir créer une ambiance. Et ça, Sempé savait faire. Il a su comme personne capter l’essence de New York. Une ville dans laquelle chacun, parmi la multitude est unique. De cet homme qui contemple tranquillement une nature morte avec dans son dos l’agitation de la rue, à une danseuse, juchée sur un balcon au milieu des buildings en passant par ce musicien de jazz (l’une des grandes passions du dessinateur) qui répète à sa fenêtre, ou à ces deux messieurs qui se saluent au beau milieu d'un labyrinthe,… Sempé avait ce don de placer l’humain au cœur de ses illustrations, de confronter le minuscule au gigantesque. Des esquisses muettes qui racontent la ville bien mieux que les mots ne sauraient le faire. Par son trait fragile et délicat, il a capturé un large éventail des plaisirs simples de la vie. Ce superbe livre raconte la vision amoureuse de New York que Sempé a eu tout au long de sa vie, jusqu'à la dernière Une du New Yorker (ci-dessous) quelques jours après la mort du dessinateur.

Superbe livre où la poésie de Sempé fait merveille

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