Thriller politique très proche de la réalité
Auteur de romans marquants comme « La chambre des officiers » sur des soldats défigurés de la grande guerre, « Une exécution ordinaire » qui met en scène notamment Staline, ou « La malédiction d’Edgar » sur la vie de Hoover redoutable patron du FBI, tous trois adaptés au cinéma ou à la télévision, Marc Dugain s’attaque aujourd’hui à la politique française et ses troubles ramifications. A 57 ans, l’écrivain dissèque avec une incroyable précision un monde qu’il connaît bien où le pouvoir est le principal enjeu, et où la forme a définitivement pris le pas sur le fond. Il construit très judicieusement un puzzle où de nombreux personnages prennent progressivement place, et laissent apparaître les manipulations et les liens dangereux entre les milieux politiques et économiques avec en arbitre les services de renseignements dont le pouvoir fait froid dans le dos. Des chapitres courts avec une écriture directe et très efficace, où l’on passe d’un personnage à l’autre avec la même excitation que dans les meilleures séries télé. Deux principaux protagonistes, que l’on découvre dès le début du roman, se détachent des autres. L’histoire s’ouvre sur une femme agent de la DCRI, vivant avec son fils atteint d’une forme d’autisme, qui reçoit son père à dîner pour lequel elle n’éprouve pas une grande affection. Puis, un député-maire chef de l’opposition et favori des sondages pour la prochaine élection présidentielle rend visite à son père, qui finit ses jours paisiblement dans une maison médicalisée. Il entame avec lui une conversation où à la fois il remercie le vieil homme et lui pardonne ses manquements, tout en ne sachant pas s’il comprend encore ses propos. Tous les personnages remarquablement pensés jusque dans les détails de ce passionnant roman, où l’aspect psychologique a une place importante, tendent à montrer sous la plume très lucide de Marc Dugain, l’état exsangue de notre démocratie. Entre thriller et comédie humaine, « L’emprise », dont une suite est prévue, nous apporte un formidable éclairage sur les coulisses du pouvoir sans jamais tomber dans la caricature.
L’emprise – Un roman de Marc Dugain – Gallimard – 314 pages – 19,50 €.
Du cinéma réalité de premier ordre
En découvrant le 1er film de Diego Quemada-Diez, réalisateur de 45 ans d’origine espagnole qui a vécu aux Etats-Unis avant de s’installer au Mexique, on est impressionné par la maîtrise des cadrages, de la mise en scène et la force brute qu’il donne à son propos. Outre un talent et une sensibilité hors du commun, il a appris le métier durant de nombreuses années en étant l’assistant de grands cinéastes comme Ken Loach, et le résultat dès sa 1ère réalisation est sidérant. Assez proche du documentaire tout en se servant de la fiction à bon escient, cette histoire, filmée le plus souvent caméra à l’épaule, nous plonge dans l’enfer des migrants d’Amérique centrale. Le réalisateur a recueilli des centaines de témoignages pour coller au plus près de la réalité de cette région du monde. Mais les souffrances et les rêves émaillés de drames de ces populations sans avenir se retrouvent aussi sur d’autres continents, dont nous recevons régulièrement les terribles échos. Tourné avec des acteurs non-professionnels, dont la remarquable interprétation a été récompensée au Festival de Cannes 2013 dans la section Un certain regard, ce film bouleversant et implacable recèle néanmoins de bouffées d’humanité, par la jeunesse et l’innocence de ses protagonistes. Cela commence dans les allées serrées d’un bidonville au Guatemala, où la caméra suit un adolescent de 15 ans qui marche d’un pas déterminé. Puis, une jeune fille du même âge à la belle chevelure brune se coupe les cheveux très courts et se met un bandage serré sur sa poitrine, afin de passer pour un garçon. On retrouve le jeune homme qui rassemble quelques affaires dans un petit sac à dos, et part chercher un copain qu’il retrouve dans une immense décharge d’ordures en train de glaner ce qu’il peut. Les 3 adolescents prennent un car en direction du Nord et commencent alors un long périple pour changer de vie. Ce film est indispensable à la fois pour le témoignage d’une cruelle réalité qu’il relate admirablement, et pour l’émotion cinématographique intense qu’il procure.
Rêves d’or – Un film de Diego Quemada-Diez avec Brandon Lopez, Karen Martinez, Rodolfo Dominguez, … - M6 vidéo – 1 DVD : 19,99 €.
Une symphonie de mots et de notes d’une beauté sans fard
Depuis près de 20 ans de carrière, Miossec nous a déjà offert plusieurs beaux albums où il chantait avec une remarquable justesse les tourments de l’âme, mais à l’écoute de son neuvième nous tenons sans doute le tout meilleur. A 49 ans, le brestois écorché et rageur, qui a abandonné l’alcool avant qu’il ne soit trop tard pour sa santé il y a 4 ans, a écrit des chansons plus sereines, empreintes d’une urgence vitale très touchante. Ce grand timide a conçu et enregistré ce nouvel album dans sa maison face à la mer d’Iroise, épaulé notamment par le subtil Albin de la Simone, et se livre avec un talent d’écriture qui laisse sans voix et une qualité musicale qui semble elle aussi toucher une forme d’épanouissement. Sur les 11 chansons où pas un mot ni une note ne sont à jeter, la voix de Miossec n’a jamais été aussi présente, agréable à écouter, poignante et légère à la fois. Les ambiances musicales d’un éclectisme inhabituel sont plus veloutées, moins rock que précédemment et davantage dans la nuance, où guitares, bandonéon, contrebasse, cordes, piano, chœurs et percussions rivalisent de charme et d’inspiration. D’une pop envoûtante à des incursions vers le jazz, le tango ou des rythmes cubains, les compositions, qui assument désormais l’étiquette de chanson française, sont d’une très belle qualité harmonique et ne sont plus un faire-valoir aux superbes paroles de l’auteur, mais affirment magistralement leur propre existence. Même si ce magnifique album parle de la vie et des erreurs commises, comme l’artiste l’avait déjà fait auparavant, on aura compris qu’il l’aborde différemment, mais évoque aussi l’avenir avec gourmandise, le temps qui passe et la mort sans faux-semblants. Quand cette formidable acuité à trouver les mots les mieux sentis pour décrire nos vies rencontre une partition aussi enthousiasmante, on peut parler de chef-d’œuvre sans risque de se tromper.
Miossec – Ici-bas, ici même – PIAS – 1 CD : 15,99 €.
« La croissance ne suffit pas, elle doit s’accompagner de progrès social »
A la tête de la CFDT depuis un an et demi, Laurent Berger devrait être reconduit dans ses fonctions lors du 48e congrès de la centrale syndicale début juin. Fervent défenseur du dialogue social, ce syndicaliste dans l’âme de 45 ans, nous parle du pacte de responsabilité qu’il a signé et de différentes questions d’actualité.
Quel est le rôle de la CFDT et ce qui la différencie des autres syndicats, notamment la CGT ?
Laurent Berger - C’est d’obtenir des avancées pour les salariés et défendre au mieux leurs intérêts, pour plus de justice dans la société. C’est vrai à tous les niveaux. Dans l’entreprise, où par exemple à Monoprix, les caissières bénéficient désormais de 9 000 chaises adaptées à leur travail et meilleures pour leur santé et, pour la mise en rayon, les salariés se servent de chariots qui se lèvent automatiquement, leur évitant de se baisser une centaine de fois par jour. C’est le fruit de l’action de la CFDT et du dialogue social. Dans les entreprises, il y a des milliers d’exemples de cette action utile aux salariés.
Au niveau national, nous obtenons aussi des résultats pour les salariés. C’est par exemple la complémentaire santé prise en charge au moins pour moitié par l’employeur ; l’encadrement des temps partiels imposés, pour faire reculer la précarité, ou encore le compte pénibilité, pour que les salariés aux métiers pénibles partent plus tôt à la retraite. Je souhaite que toutes ces avancées s’appliquent également dans l’agriculture.
Quant à nos différences avec les autres syndicats, je pense que s’opposer, c’est important, cela fait partie de tout rapport de force, mais ça ne suffit pas toujours pour obtenir des avancées concrètes. Je préfère être capable de dire : « Je signe » car j’ai obtenu des avancées pour les salariés – même si parfois j’aurais voulu davantage – que de ne rien obtenir du tout. Ce sont deux conceptions différentes de la démocratie sociale et de l’utilité des syndicats.
Pourquoi 70% des français ne font pas confiance aux syndicats ?
L.B. - Nous vivons une période de crise, de défiance. Toutes les institutions perdent la confiance des Français, les politiques bien plus que les syndicats. Avec les plans sociaux, la montée du chômage, des inégalités, comment pourrait-il en être autrement ? La meilleure manière de remonter dans l’estime des Français, c’est de montrer que nous sommes un acteur efficace dans la lutte contre le chômage, que nous prenons nos responsabilités. Et surtout, que nous obtenons des résultats.
Quel est votre sentiment sur les deux ans de François Hollande à la tête de l’Etat, et le retournement économique qu’il promet ?
L.B. - Ce sont deux années qui ont été difficiles pour les salariés. Deux années de crises, de montée du chômage, d’absence de croissance. Mais cela a aussi été deux années de dialogue, d’accords importants (sur la Sécurisation de l’emploi, la formation, la qualité de vie au travail) qui préparent l’avenir et sécurisent davantage les salariés. Maintenant, il faut encore accentuer la mobilisation générale pour l’emploi, dont le pacte de responsabilité doit être une des composantes pour faire baisser le chômage. Chacun doit prendre ses responsabilités, assumer ses engagements, et que le patronat arrête de se plaindre car il y a urgence !
Sur le « retournement économique », je ne fais pas de pari ou d’incantation. Comme tout le monde, la CFDT veut que la situation économique s’améliore. Mais cela doit s’accompagner de progrès social. La croissance ne suffit pas, il faut s’intéresser à son contenu. C’est ce que nous appelons la croissance qualitative.
Qu’attendez-vous concrètement du pacte de responsabilité que la CFDT a signé ?
L.B. - Pour la CFDT, le Pacte de responsabilité doit favoriser une économie de la qualité, un autre modèle de développement, qui transforme notre modèle productif et vise le plein-emploi. Il y a deux enjeux : l’emploi et l’investissement. Il est temps d’accélérer les négociations dans les branches professionnelles ! Le pacte doit avoir des retombées concrètes en termes de formation, d’emploi, d’apprentissage, de recherche, de formation…
Il doit en être de même dans l’agriculture. Si les aides concernent également ce secteur, alors les contreparties aussi. Le pacte est l’occasion d’une remise à plat des exonérations dans l’agriculture et de les harmoniser avec les autres secteurs. Les exonérations de charges pour l’emploi de saisonniers favorisent la précarité.
Que pensez-vous du plan d’économies ?
L.B. - Le plan d’économies protège insuffisamment les plus pauvres. Les efforts doivent être mieux répartis et les plus riches doivent aussi y contribuer. La CFDT trouvait inacceptable le report d’un an des mesures du plan pauvreté et le gel des retraites inférieures à 1 200 euros. Nous avons été entendus sur ces deux points, mais pas sur le gel du point d’indice des fonctionnaires.
Quels sont les enjeux des élections européennes et vers quelle Europe souhaitez-vous aller ?
L.B. - La crise remet en cause les avancées permises par la construction européenne. Nous avons besoin d’une Europe plus sociale, qui ne mette pas les travailleurs en concurrence ; une Europe qui relève les défis d’avenir en engageant une nouvelle croissance. Enfin, une Europe plus démocratique qui donne plus de place aux citoyens dans les débats.
Il faut agir sur la question des salaires. Dans l’agriculture, ils varient fortement d’un pays à l’autre, nous demandons qu’il y ait des salaires minimum partout en Europe.
Pendant longtemps, les salariés ont perçu l’Europe comme synonyme de progrès, grâce à une harmonisation sociale par le haut, résultat d’un dialogue social en période de croissance. Mais l’effet de la crise, le chômage de masse, la baisse des revenus du travail dans les pays du sud de l’Europe, le recul de la négociation collective dans beaucoup de pays sont passés par là et ont fortement ébranlé cette perception. Nous devons donner des perspectives d’avenir à l’intégration européenne par un nouveau mode de développement économique incluant des objectifs sociaux. C’est le sens du plan d’investissement proposé par la Confédération européenne des syndicats, qui propose de mobiliser 2 % du PIB sur l’investissement économique et social.
Doit-on réduire le nombre de fonctionnaires et comment voyez-vous la réforme territoriale qui est promise ?
L.B. - L’action publique n’est pas qu’un coût, mais avant tout des services : écoles, hôpitaux, … Dans quel monde veut-on vivre ? Veut-on un monde sans services publics ? Certes, il faut réduire le déficit public. Mais nous avons besoin d’une réflexion globale sur les missions, avec les agents et les utilisateurs. Il faut avoir le courage de regarder quelles sont les priorités, plutôt que de passer des coups de rabot successifs. Et si des réformes sont nécessaires, elles ne peuvent plus affecter les fonctionnaires. Il vaut mieux faire des choix dans ce qui relève de l’État et ce qui n’en relève pas. La CFDT souhaite que l’on mette fin au mille-feuille territorial, avec pour objectif la qualité du service public.
Quelle est votre position sur la taxation des transactions financières ?
L.B. - Je suis pour une taxation des transactions financières ambitieuse, incluant la plupart des produits financiers dérivés. Ses recettes seraient orientées vers des projets de développement durable, dont une grande partie pour le développement des pays du Sud. Malheureusement, la position prise par dix pays européens le 6 mai – dont la France – est très limitée. Elle ne permet pas de faire contribuer la finance de manière significative. C’est une taxation des transactions financières au rabais. Nous voulons plus d’ambition !
Quel doit être le rôle de l’Etat dans le rachat d’une grande entreprise française par un groupe international, notamment pour Alstom ?
L.B. - L’État ne peut pas se désintéresser de la politique industrielle. Pour Alstom, l’enjeu est double : l’emploi et l’indépendance technologique en matière énergétique. Avec ces deux objectifs, la CFDT préfère des alliances avec d’autres groupes, plutôt que des rachats… Et que les représentants des salariés soient associés aux réflexions. Il n’y a pas d’avenir économique et social, sans un dialogue social renforcé. C’est vrai dans l’industrie, comme partout, notamment dans l’agriculture.
Repères biographiques
Originaire de Guérande, Laurent Berger, dont la mère était auxiliaire de puériculture et le père ouvrier des chantiers navals de Loire-Atlantique, est marié et père de 3 enfants. Titulaire d’une maîtrise d’histoire, il enseigne quelques temps avant d’intégrer une association d’insertion pour les chômeurs, où il crée une section CFDT. Puis il rejoint l’union locale de la CFDT à Saint-Nazaire. Il gravit ensuite les échelons au plan régional puis national, avant d’être élu secrétaire général de la CFDT le 28 novembre 2012.