Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, directeur d’enseignement et écrivain
Les nombreux ouvrages écrits par Boris Cyrulnik, où il explore admirablement l’âme humaine en mêlant la science à un vrai talent de plume, ont toujours rencontré un très large public. Ses travaux de neurologie et d’éthologie ont débouché sur les théories de l’attachement et lui ont permis de développer le fameux concept de résilience.
Quatre mois après, quel regard portez-vous sur les attentats, la marche républicaine et ce terrorisme qui se propage ?
Boris Cyrulnik - Les rassemblements du 11 janvier ont été un partage émotionnel digne sans agression ni slogan antimusulman. Ils ont empêché une réaction brutale aux attentats. Cela dit, ces attentats ont été interprétés de manière différente par les uns et les autres, notamment Marine Le Pen qui a sauté sur l’occasion pour renforcer son discours anti-immigration. Le terrorisme a toujours existé, même dans l’Antiquité, car c’est un moyen très avantageux de faire la guerre et d’imposer ses idées en sacrifiant très peu d’hommes, à condition qu’ils meurent de manière spectaculaire pour induire un climat de terreur. Aujourd’hui, le terrorisme est l’arme d’une minorité qui utilise l’islam à des fins totalitaires, alors que l’immense majorité des musulmans n’a rien à voir avec ces gens-là.
Au Moyen-âge, il y avait les Berserk en Europe du Nord qui avaient pour mission de tuer le plus de gens possible pour gagner le paradis, de même au XIXe siècle en Extrême-Orient avec la course de l’amok. Dans les deux cas l’épidémie s’est éteinte lorsque les autorités religieuses ont expliqué que ce n’était pas un moyen de gagner le paradis. Puisqu’aujourd’hui c’est au nom de l’Islam que ces actes sont commis, peut-être s’arrêteront-ils lorsque les responsables religieux musulmans énonceront la loi musulmane, en disant que ce n’est pas comme cela que l’on sert Allah. Je pense qu’ils ont du mal à le faire parce qu’il y a plusieurs islams et pas de hiérarchie comme dans la religion catholique. Il faudrait créer une université coranique en Occident, où des autorités musulmanes diraient clairement que le terrorisme n’appartient pas à l’Islam.
Quelles sont les racines de ce terrorisme et pourquoi des jeunes français sont-ils candidats à cette barbarie ?
B.C. - Dès qu’un pays est en détresse, les sectes accourent pour vendre aux gens une idéologie facile : Engagez-vous pour nous et vous irez au paradis. Comme ces gens sont malheureux, ils acceptent et meurent en souriant ou sont exploités. Boko Haram, c’est la victoire d’une secte, mais il y a aussi des pays du Proche-Orient qui sont gouvernés par des politiciens sectaires qui utilisent l’Islam pour imposer leur loi. Quand on est en détresse, on a besoin d’un bouc émissaire, et les boucs émissaires parfaits ont toujours été le juif, le fou et l’étranger. Actuellement, on voit réapparaître un antisémitisme qui trouve un terrain favorable notamment en France, où des jeunes déculturés qui se disent musulmans se laissent convaincre d’assassiner des enfants juifs dans des écoles, ou tuer des gens au hasard dans un supermarché casher.
Ces jeunes qui sont candidats au terrorisme, parmi lesquels on trouve des chrétiens dont les familles sont stupéfaites de voir leurs enfants se convertir à l’islam avec le désir de mourir, ont avant tout un désir d’engagement. Ils arrivent à l’âge où un adolescent a besoin de s’engager sexuellement et socialement. Hors dans notre société, les jeunes sont de mieux en mieux élevés, même ceux-là, mais il y a une défaillance pour provoquer leur engagement. Intellectuellement, ils sont plutôt bons mais ils n’ont pas d’indépendance sociale avant l’âge de 25-30 ans, donc ils flottent. Alors qu’ils auraient besoin d’intensité, qu’elle soit émotionnelle, sexuelle, religieuse ou sociale. Ces jeunes sont perdus, ils n’ont pas de travail, ne font pas d’études et deviennent des proies pour les sectes et autres organisations terroristes, qui leur proposent de s’engager dans l’islam. L’escroquerie consiste à les convaincre de mourir pour qu’Allah soit encore plus grand. Cette escroquerie révèle les manquements de notre société, qui laisse ces adolescents flotter et ne leur permet pas de s’engager.
Quel est votre sentiment sur le projet de loi sur le renseignement que certains jugent dangereuse pour nos libertés ?
B.C. - Je rentre de New-York, qui était il n’y a pas si longtemps une ville dangereuse, où l’on se promène aujourd’hui dans pratiquement tous les quartiers en toute sécurité. La raison : augmentation des caméras et des renseignements généraux. Cependant, le fond du problème est ailleurs, il faut éduquer les jeunes, les adultes, empêcher le communautarisme, renforcer les rencontres entre religions. Cela dit, comme il y aura d’autres attentats, si les responsables politiques ne font rien aujourd’hui, on le leur reprochera. Internet est une atteinte beaucoup plus grave à nos libertés que les renseignements généraux et les caméras. On peut bien me filmer, je m’en moque éperdument, je n’ai rien à me reprocher, alors qu’Internet, qui est un merveilleux outil de communication, peut se transformer en boite à ordures. Quelqu’un lance une rumeur infondée, absurde, et il y a toujours des gens qui viennent la confirmer, il y a là un réel danger. Internet est aussi le principal outil des organisations terroristes pour recruter des jeunes sans repères.
Que retenez-vous des rapports rendus au Président de la République sur l’engagement républicain ?
B.C. - La formation à la démocratie commence avec les enfants. Il faut renforcer l’autorité tout en donnant aux enfants un lieu pour la contester. L’interdit n’est pas l’empêchement. Il faut par ailleurs lutter contre l’élitisme. Lorsque j’ai fait médecine, 13% des étudiants étaient des enfants de pauvres, aujourd’hui ils ne sont que 2%. La sélection se fait par le quartier et par l’argent, il faut donc mettre des profs et des grandes écoles dans tous les quartiers. Quant à l’abstention, elle est provoquée par le comportement des politiques. A l’Assemblée Nationale par exemple, lorsque quelqu’un prend la parole, les députés poussent des cris d’animaux comme dans une classe avec des sales gosses. Dans ses conditions, comment voulez-vous que les gens s’intéressent au débat politique ?
Y-a-t-il une solution pour mettre fin au drame des migrants ?
B.C. - Ces gens-là sont désespérés et agressés en permanence, ils sont exploités par leur famille, par les passeurs, puis par le pays d’accueil. Les familles des migrants africains se cotisent pour envoyer un des leurs en Europe, tout comme les algériens autrefois qui étaient envoyés en France où ils étaient exploités par l’industrie française. Ils vivaient comme des pauvres et envoyaient tout leur argent en Algérie, aujourd’hui ils sont malades, à la retraite, ne savent toujours pas parler français et sont méprisés par leurs enfants, qui eux vont dans les écoles françaises et disent : mon père est un minable, il s’est fait exploiter par tout le monde. La seule solution pour aider les migrants est de contribuer au développement de leur pays d’origine et à la reconstruction d’une culture, afin qu’ils puissent y vivre dignement.
Pourquoi avoir créé l’institut de la petite enfance ?
B.C. - Nous avons commencé il y a 2 ans avec 4 instituts mais nous sommes tellement sollicités partout en France, que nous allons certainement devoir élargir le pool d’enseignants en formant des psychologues, médecins, éducateurs aux théories de l’attachement pour qu’eux-mêmes puissent développer de nouveaux instituts. Le rôle de ces instituts est de mieux former les professionnels de la petite enfance à ces théories. Il y a en France une culture tellement intellectuelle, que par exemple certains psychologues avec 10 ans d’études n’ont jamais tenu un bébé dans les bras.
On sait maintenant que c’est durant l’enfance préverbale, autrement dit avant la troisième année, que les enfants acquièrent la stabilité affective et la confiance en eux. Tous les pays qui ont engagé des réformes pour améliorer la petite enfance ont diminué l’illettrisme, 1% d’illettrés dans les pays d’Europe du Nord, 15% en France. Ces réformes ont également fait chuter les tentatives de suicide des adolescents, la délinquance, et ont appris aux enfants à établir des relations ni soumises ni révoltées. Les brésiliens ont décidés de faire les mêmes réformes, les résultats ne se sont pas fait attendre. Nous savons comment faire pour que les enfants prennent le plaisir d’apprendre. Pourtant depuis des années, nous avons été reçus par les gouvernements de droite et de gauche, qui nous disent que c’est important, convaincant et qui ne font rien. Comme nous ne savons pas faire de scandale, les choses ne bougent pas.
Quelques repères
Après le drame qui a marqué son enfance et laissera des traces tout au long de sa vie, où ses parents juifs sont morts à Auschwitz et où lui a réchappé par miracle à une rafle à Bordeaux, Boris Cyrulnik est devenu neuropsychiatre pour comprendre. Il a été basé à l’hôpital de Toulon une grande partie de sa carrière, où il a également dirigé des recherches. Aujourd’hui à 77 ans, il est encore directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Ses livres, en plus de rencontrer un formidable succès, sont au programme d’un grand nombre d’universités étrangères dans lesquelles il est souvent invité. Médiatique et populaire malgré lui, notamment pour le concept de résilience, cet homme tranquille à la voix douce a su toujours rester simple et clair dans son discours et dans ses écrits.