Le petit fromage qui monte
A l’image de sa région de production, la Haute-Marne, le fromage de Langres AOP gagne à être connu tant sa typicité d’aspect et de goût ne laisse pas indifférent. Il est aujourd’hui l’un des produits AOP qui a le plus de croissance et dont la qualité n’a cessé de s’améliorer depuis l’obtention de l’AOC en 1991.
Les premières allusions à ce fromage remontent au milieu du XVIIIe siècle et une tradition de Langres fermier se développe au cours du XIXe avant de disparaître durant la guerre de 14-18. Il faut attendre le début des années 1950 pour que des fromageries remettent le Langres au goût du jour sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. Cette AOP, malgré sa petite taille comparée à celle du comté avec sa production de 60 000 tonnes, est en plein essor. Les trois fromageries qui fabriquent du Langres produisaient 300 tonnes il y a 10 ans et dépassent aujourd’hui les 600 tonnes de fromages, dont 30% part à l’export. Sur les trois fabricants, il y a deux fromageries industrielles, Germain et Schertenleib, qui se fournissent auprès de 22 producteurs de lait, et une fermière, la fromagerie Remillet, qui est la seule à élaborer un AOP Langres au lait cru, avec des règles sanitaires et organoleptiques intransigeantes. Comme le dit Sylvain Remillet, responsable de la fromagerie : « Chez nous, c’est la qualité qui apporte la quantité et non l’inverse, dans notre fromage il n’y a pas que du lait et des ferments, il y a aussi notre passion. »
Une AOP rigoureuse et dynamique
Ce fromage à pâte molle, qui présente une texture crémeuse fondant en bouche, a un goût parfumé, fruité et lactique, équilibré en arômes, pas trop fort à l’inverse de son voisin l’époisses, et se conserve très bien voire se bonifie en vieillissant. Le cahier des charges de l’AOP Langres exige que le lait servant à la fabrication du fromage provienne de vaches de race brune, montbéliarde ou Simmental, ainsi que la race Prim’Holstein sans qu’elle n’atteigne 50% du troupeau. L’alimentation des animaux doit provenir à 80% de la zone d’appellation avec une importante part d’herbe. Outre l’autonomie alimentaire, une capacité de stockage représentant au moins 130% des quantités de fourrage nécessaire est demandée aux éleveurs, en raison de conditions météorologiques difficiles dans la région. Très optimiste sur la poursuite du développement de la production de l’AOP Langres, notamment à l’export, Alexandra Jacquot, animatrice du syndicat interprofessionnel du fromage de Langres confie : « Les pâtes molles à croûte lavée comme le Langres ne sont pas des fromages simples à fabriquer, ils nécessitent un investissement de structure plus conséquent, mais néanmoins j’ai actuellement un jeune très motivé pour s’installer en production fermière de Langres et j’ai bon espoir qu’il y parvienne. »
La réussite des Remillet
Exploitation familiale de 400 ha sur la commune de Genevrières, dont la moitié en céréales et l’autre en pâturages, le GAEC des Barraques, en plus de produire du végétal pour nourrir ses 140 vaches laitières, transforme ensuite le lait en fromage. Sylvain et Jean-Yves Remillet, leurs épouses et Edouard, fils de Jean-Yves, sont associés au sein du GAEC qui emploie 9 salariés. A la fromagerie, 85% de la production est de l’AOP Langres, le reste étant une gamme complémentaire de fromages frais.
La réussite de cette aventure familiale s’est faite progressivement, avec d’abord Jean-Yves, l’aîné, qui reprend avec son épouse en 1983 la ferme d’élevage laitier des parents. Puis, le plus jeune des trois frères, Thierry, parti depuis en Suisse, entreprend dès 1987 une transformation fromagère avec une vente de fromages frais et de yaourts à la ferme et sur les marchés. En 1992, à 35 ans Sylvain après avoir été salarié ailleurs revient à la ferme seconder ses frères, ils créent ensemble un GAEC. Depuis, ils se sont agrandis à plusieurs reprises, se sont lancés dans la fabrication du fromage de Langres et ont obtenu l’AOC (appellation française) en 1994, puis ont modifié la composition du troupeau de vaches pour être reconnue en AOP (appellation européenne) en 2009. La fromagerie Remillet représente aujourd’hui 20% de la production d’AOP Langres, ce qui est assez conséquent pour un producteur fermier par rapport au tonnage total de la filière.
La fromagerie Remillet
Le lait, produit à la ferme qui se trouve à 500 mètres de la fromagerie, est amené après la traite ou tout au plus le lendemain et versé dans des cuves où il est légèrement chauffé, puis brassé avec un savant dosage de ferments lactiques pour une maturation pendant une nuit. Ensuite il est mis dans des bassines de 120 litres durant deux à trois heures, où on lui ajoute de la présure pour obtenir le caillé. Cette matière spongieuse est alors tranchée et mise dans des moules pour égouttage durant près de 24h, puis les fromages sont démoulés, posés sur des grilles et salés manuellement d’un geste ample.
Sur leurs grilles, ils sont ensuite entreposés dans des caves à basse température avec un air sec pour perdre l’eau qu’ils contiennent encore, sans être retournés ce qui va permettre à la fontaine caractéristique du Langres de se former sur le dessus. L’autre signe de reconnaissance de ce fromage est sa coloration orangée obtenue par plusieurs frottages avec une solution liquide contenant un colorant végétal appelé rocou.
La durée d’affinage varie de 15 à 20 jours selon le format de l’AOP Langres. Il en existe trois dont le plus connu est le petit de 200g, mais on trouve également celui d’environ un kilo vendu à la coupe en fromagerie ou en grande distribution.
La ferme Remillet
140 vaches laitières, dont une majorité de Brune des Alpes, produisent 3000 litres de lait par jour. Elles sont en pâturage au moins 6 mois de l’année et en hiver nourries en luzerne et en foin provenant à 80% de l’exploitation. Pas de jour de repos pour Jean-Yves Remillet, responsable avec son fils Edouard de la ferme, où même le dimanche il leur faut travailler quatre heures : « Tous les éleveurs aiment leurs animaux, s’il n’y a pas de passion, on ne peut pas faire ce métier. » Cet agriculteur de Haute-Marne a exercé des responsabilités syndicales au bureau du CNJA dans les années 1990 où il était Président de la région Est, mais venir régulièrement à Paris s’est avéré de plus en plus compliqué au fur et à mesure que l’entreprise familiale se développait. Il a donc continué au niveau local en étant Président des producteurs de lait de Haute-Marne durant 12 ans ainsi que secrétaire général de la FDSEA, et il est aujourd’hui vice-président de la caisse régionale du Crédit Agricole : « Cela m’occupe deux jours par semaine où j’aide l’agriculture sous une autre forme. »
Le pari est gagné pour les frères Remillet, ils sont parvenus à préserver la production laitière de leurs parents dans un premier temps et ont créé une activité économique florissante dans une zone rurale en déshérence
« L’accès à une santé de proximité, partout sur le territoire, est l’une de mes priorités »
Clinicienne hématologue, chercheuse, enseignante en hématologie et immunologie des tumeurs, Agnès Buzyn est devenue en mai dernier Ministre des solidarités et de la santé. Celle qui fut en 2016, la première femme présidente du collège de la Haute Autorité de la Santé, nous dévoile quelques pistes des chantiers qu’elle entend mener à bien.
Que comptez-vous faire à propos de la généralisation du tiers-payant ?
Agnès Buzyn - Le tiers payant permet de voir un médecin sans faire l’avance des frais : c’est donc un moyen de faciliter l’accès aux soins. Bénéficier du tiers payant pour l’ensemble des patients reste très clairement un objectif du gouvernement.
Aujourd’hui, le tiers payant est accessible pour les patients les moins aisés, ceux qui sont en affection de longue durée et pour les femmes en congé maternité. L’enjeu est de le généraliser à terme. Cependant, il faut également veiller à ce que cette généralisation n’entraîne pas une charge administrative trop lourde pour les médecins. Actuellement, les outils disponibles sont complexes et consommateurs de temps médical. Des améliorations sont prévues dans les mois qui viennent. La mission que j’ai diligentée auprès de l’Inspection générale des affaires sociales a pour but d’évaluer ces outils, et surtout, le calendrier de leurs évolutions prévues.
Il est probable que ces évolutions n’interviennent pas avant la fin de l’année, il conviendra alors d’en tirer les conséquences sur l’obligation qui figure actuellement dans la loi. Mais l’objectif demeure. Dès lors que les outils se simplifieront, ma conviction est que la pratique du tiers payant se généralisera naturellement.
Pourquoi rendre obligatoire 8 vaccins supplémentaires en plus des 3 actuels ?
A.B. - Cette décision répond à une nécessité de santé publique. La France a des taux de couverture vaccinale meilleurs que les autres pays pour les vaccins obligatoires, mais ils sont en revanche très insuffisants pour la plupart des vaccins recommandés. Cette couverture vaccinale insuffisante est à l’origine d’épidémies, a conduit à la réémergence de certaines maladies, et engendre des hospitalisations et des décès évitables. Ces maladies infectieuses sont, en outre, particulièrement dangereuses pour les enfants et les personnes plus fragiles : la vaccination n’est donc pas seulement un acte individuel pour s’immuniser, elle est également destinée à protéger son entourage en évitant le risque de les contaminer. A l’inverse, ne pas se vacciner revient à jouer les « passagers clandestins » : on compte sur la vaccination des autres pour ne pas être exposé aux maladies qu’elle permet d’éradiquer.
Le coût sera de 12 millions d’euros la première année pour l’Assurance maladie, mais je tiens à signaler par ailleurs que les traitements et hospitalisations liées aux maladies telles que la rougeole ou l’hépatite B sont très couteux pour l’Assurance Maladie.
Quelles seront les nouveautés de votre plan d’action de grande ampleur pour lutter contre les déserts médicaux ?
A.B. - L’accès à une santé de proximité, partout sur le territoire, est l’une de mes priorités. Un plan d’action de grande ampleur sera annoncé dans les semaines qui viennent pour œuvrer dans ce sens, en prenant notamment en compte la spécificité de chaque territoire. Il n’existe pas de solution unique ou uniforme, il est nécessaire de disposer d’un panel de solutions adaptées aux territoires.
Les maisons de santé pluridisciplinaires sont une solution et conformément à l’engagement du Président de la République nous en doublerons le nombre. Mais ce n’est pas la seule. Il nous faut accélérer le déploiement de la télémédecine et de la santé numérique en général. Il faut mettre en valeur les innovations locales, qui sont nombreuses. Nous allons également développer les pratiques avancées des professionnels de santé notamment paramédicaux. Je souhaite encourager la possibilité que des médecins détachés depuis l’hôpital tiennent des consultations dans des zones sous dotées. De même, il faut explorer la possibilité que des praticiens libéraux puissent assurer une consultation temporaire dans ces mêmes zones sans forcément s’y installer. Cela ne peut se faire sans une coordination de tous les acteurs de terrain, professionnels de santé, agences régionales de santé, collectivités locales. Il nous faut des solutions concrètes, qui répondent à deux choses, la pertinence des soins, et la qualité de prise en charge des usagers.
J’ai confiance dans nos professionnels de santé qui sont sur le terrain. Aussi, je souhaite leur donner tous les moyens afin qu’ils puissent organiser ou réorganiser l’accès aux soins sur l’ensemble de nos territoires.
Les agriculteurs souffrent de troubles spécifiques tels que la dépression, les maladies chroniques liées à l’exposition aux pesticides, les accidents du travail. Une des priorités de mon action sera de lutter contre les troubles psycho-sociaux et de mieux prévenir les risques de troubles psychiques dans l’ensemble de la société.
Mauvaises conditions de travail, traitement indignes des personnes âgées dans certaines EHPAD (maison de retraite), avez-vous des solutions ?
A.B. - Je suis très attentive à la situation de nos aînés. Les accompagner de manière digne et humaine est un enjeu de société majeur, et les conditions de vie comme les conditions de travail dans les EHPAD sont des sujets qui me préoccupent particulièrement. Je présenterai au second semestre 2018 un plan de prévention de la maltraitance dans les EHPAD, pour combattre les mauvais traitements que vous évoquez. La réforme de la tarification des EHPAD doit permettre de simplifier l’allocation des financements et donner davantage de transparence sur les tarifs et les coûts des EHPAD. Elle permettra également une meilleure répartition des fonds publics, au bénéfice des EHPAD les plus en difficulté.
Un retour à l’équilibre pour les comptes de la Sécurité sociale à l’horizon de 2020 est-il possible ?
A.B. - L’enjeu pour nous aujourd’hui est de sauvegarder notre modèle social et sanitaire, et pour cela nous devons tout mettre en œuvre pour assurer sa soutenabilité et son efficacité. Nous devons réfléchir à une meilleure organisation de la protection sociale et du système de soins, dans le souci de proposer un service performant sur l’ensemble du territoire. Parvenir à l’équilibre d’ici 2020 est un impératif pour que les Français retrouvent confiance dans ce modèle.
Quelle est votre position sur la crise migratoire ?
A.B. - En tant que ministre des solidarités et de la santé, mon rôle est de m’assurer que des dispositifs de solidarités et de santé publique sont capables de venir en aide à ceux qui en ont besoin, migrants ou pas. L’accueil des réfugiés est un impératif d’humanité qui ne doit pas empêcher un certain pragmatisme dans sa gestion.
Comprenez-vous que la campagne d’affichage visant à réduire la consommation d’alcool ait provoqué la colère des viticulteurs ?
A.B. - a campagne à laquelle vous faites référence a été lancée par l’Institut National du Cancer et parrainée par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Elle vise à sensibiliser la population à la prévention des cancers « évitables », liés à des comportements à risques tels que le tabagisme ou la consommation d’alcool.
L'alcool est la deuxième cause évitable de mortalité par cancer après le tabac en France. Cela représente 15 000 décès par an.
De nombreuses études scientifiques attestent que le risque de cancer apparait dès une consommation moyenne d’un verre par jour. Ce risque augmente proportionnellement à la quantité d’alcool consommée. Toute consommation régulière d’alcool, même à faible dose, représente donc un risque de cancer et c’est le rôle du ministère de la Santé de mener des actions de prévention et d’information sur ces risques.
Comme chaque français, je mesure la dimension culturelle riche et symbolique qui est celle du vin dans notre pays. Cette campagne n’était pas dirigée contre les vins ou les viticulteurs, mais a pour ambition de rappeler qu’une consommation régulière d’alcool favorise l’apparition de cancers évitables.
Quelques repères
Avec un père rescapé d’Auschwitz devenu chirurgien orthopédique, une mère psychologue et psychanalyste, Agnès Buzyn a choisi naturellement une carrière dans la santé. Ancienne interne des hôpitaux de Paris, elle est de 1992 à 2011responsable de l’Unité de soins intensifs d’hématologie adulte et de greffe de moelle à l’hôpital Necker. Parallèlement, durant son parcours de chercheuse, elle dirige de 2002 à 2006 une équipe de l’Inserm travaillant sur l’immunologie des tumeurs à l’Institut Cochin. Professeure des universités, elle a aussi exercé des responsabilités au sein d’agences de l’Etat en étant présidente de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, mais aussi de l’Institut national du cancer. A près de 55 ans, de nouveaux défis l’attendent au Ministère des solidarités et de la santé.