La ruralité fait son cinéma
Pour sa 19ème édition, le festival international du film documentaire sur la ruralité de Ville-sur-Yron continue de mettre en lumière les mutations du monde rural et agricole en France et ailleurs, à travers 15 films en compétition qui témoignent autant des dysfonctionnements, des désarrois que des solutions pour redynamiser les territoires ruraux.
Chaque année au mois de mai, ce charmant village situé au cœur du Parc naturel régional de Lorraine accueille le festival « Caméras des champs », organisé par une équipe de bénévoles, avec un budget de 40 000 euros, et avec à sa tête un directeur passionné, Luc Delmas, professeur agrégé d’histoire à la retraite qui nous explique les critères de sélection des documentaires en compétition : « Nous avons reçu cette année 130 films et en avons retenu 15, à la fois pour leur contenu mais aussi la qualité des images et du son. Il faut que le propos soit bien tenu, pas redondant, qu’il y ait un fil conducteur, une colonne vertébrale, un point de vue de l’auteur qui ne se perde pas dans des ramifications en étant victime de la quantité d’informations reçues. » Ce festival, c’est également des débats à la suite des projections où agriculteurs, ruraux, universitaires, réalisateurs et autres échangent en toute liberté et vont ensuite partager des repas conviviaux autour de produits locaux. Au-delà de la générosité et de la dimension très humaine qui se dégage de cette manifestation et fait un bien fou par les temps qui courent, il y a l’opportunité de voir un panel assez complet des initiatives prises dans la ruralité mais aussi de découvrir certaines aberrations dont les médias bizarrement ne se font pas l’écho.
L’épandage des boues d’épuration
La compétition s’ouvre justement sur un documentaire intitulé « Nos boues taboues » où l’on apprend que la région parisienne produit 150 000 t de boues d’épuration par an. Les terres d’Ile de France étant déjà saturées de produits toxiques, il faut trouver d’autres terres agricoles dans les régions voisines pour recycler les boues. Un plan d’épandage dans le Cher provoque la création d’un mouvement citoyen qui pose clairement la question : Pourquoi les campagnes devraient-elles digérer les boues des villes ? Comme il est dit dans le film : « Si les boues ont besoin de l’agriculture, je ne suis pas sûr que l’agriculture ait besoin des boues. » D’autant que malgré le traitement de ces boues, il subsiste des traces de plomb, cadmium, zinc, cuivre, potentiellement toxiques et ne présentant aucun intérêt agronomique. Les enjeux de santé publique ne feraient-ils pas le poids ? Le mouvement citoyen du Cher a finalement obtenu au tribunal de Nantes une diminution des quantités d’épandage. L’avenir passe sûrement, comme il est montré dans le film, par la multiplication d’initiatives comme celle de Phytorestore. Cette entreprise dépollue les boues de stations d’épuration, grâce notamment à des roseaux et des jardins filtrants, pour en faire un compost et un terreau bio.
Encourager les circuits courts
Avec « Vivre au pays à tout prix », le réalisateur rend hommage à son département de naissance, les Ardennes, qu’il aime profondément et où il est revenu s’installer avec femme et enfants. Dans ce film, il nous plonge dans le quotidien de producteurs locaux qui ont fait le pari de la vente directe, notamment dans une boutique paysanne où ils se sont regroupés à 28, sur des marchés ou des épiceries avoisinantes. Ces hommes et ces femmes qui ne comptent pas leur temps de travail sont le plus souvent producteurs, transformateurs et vendeurs. Ils symbolisent les circuits courts, alternative à la grande distribution, que les consommateurs plébiscitent de plus en plus et qui contribuent au développement et à l’attractivité des territoires ruraux. Si la démarche est vertueuse à tous points de vue et qu’elle permet une reconnaissance directe du travail, on voit que l’entourage familial, même s’il peut s’avérer difficile à gérer avec les petits, est déterminant dans la réussite du pari de ces producteurs.
Après le film du soir, présenté hors-compétition, une table ronde autour des circuits courts nous apprend que 44% des français ont changé leurs habitudes alimentaires suite aux crises sanitaires. Une agricultrice de Moselle, membre d’un GAEC de 800 ha en polyculture élevage, témoigne de l’engouement autour du magasin de vente directe, l’Ayotte, qu’elle a créé il y a 3 ans avec 47 producteurs proposant 1200 références. Ils se relaient sur le lieu de vente, leur dégageant ainsi du temps pour leur exploitation tout en générant un chiffre d’affaires conséquent. Pour aller plus loin, la chambre d’agriculture de Moselle réfléchit à la création d’une plateforme de producteurs pour fournir une alimentation de proximité à des cantines, hospices et autres collectivités.
La difficulté d’être agriculteur
Dans « Vaches à lait », la situation est beaucoup plus compliquée pour la famille d’un petit céréalier de la Sarthe qui a fait quelques années plus tôt une tentative de suicide, et ne parvient toujours pas à s’en sortir avec un prêt à rembourser de 160 000 €. Emouvant témoignage des enfants, admiratifs devant le courage de leurs parents qui travaillent plus et produisent plus mais se heurtent au prix des céréales qui ne leur permet pas de gagner correctement leur vie. A un degré moindre, même problème pour cette famille et leurs 75 vaches dans le Cantal, avec un prix du lait qui n’est pas assez rémunérateur. Comme le dit cet agriculteur qui a repris l’exploitation familiale : « Avant on travaillait et on y arrivait, aujourd’hui on travaille mais on n’y arrive pas forcément, il faut être intelligent, innovant. » A trois fermes de là justement, deux frères agriculteurs et 26 autres ont créé en 2010 leur propre marque de lait « Vallée du Lot », avec des vaches nourries uniquement d’une herbe riche en biodiversité. Résultat, 10 millions de litres vendus en direct par an, cette petite coopérative ne connaît pas la crise.
Paysan boulanger en périurbain
En obtenant le 2ème prix du jury pour « Les agronautes », Honorine Perino se voit récompenser à la fois pour la démarche avec son mari de devenir agriculteurs aux portes de Lyon, mais aussi pour la manière très touchante de filmer cette aventure familiale. A 40 ans, cette biologiste de formation qui a appris le métier de réalisatrice sur le tas en est à son 7ème film, tous sur l’agriculture. C’est elle, en réalisant un documentaire sur les paysans boulangers, qui a donné l’envie à son mari de se reconvertir. Depuis 7 ans, il s’est formé à ce nouveau métier en étant à la fois au four, au moulin, à la vente et dans les champs où il cultive des blés anciens. Le problème est qu’ils ont besoin de construire une ferme pour habiter sur place, vu qu’ils produisent, stockent, transforment et ont 3 enfants.
Le film pointe la complexité et l'incohérence des règles administratives et usages qui régissent le foncier agricole en zone périurbaine, où il est plus rentable de vendre ses terres à la construction qu’à des projets agricoles innovants. Le nombre d’agriculteurs continue de diminuer dans le périurbain mais rien n’est fait pour favoriser leur installation. Malgré les difficultés, le mari est comme un poisson dans l’eau avec son nouveau métier, il ne lui manque plus qu’à gagner le procès pour obtenir ce fameux certificat d’urbanisme qui débloquerait tout. Quant à Honorine Perino, elle attend la même chose bien évidemment, mais à coté de cela elle va continuer à filmer le monde agricole : « Il y a des moments magiques où les gens que je filme me servent sur un plateau ce que je veux sans leur avoir demandé quoi que ce soit. Parfois il suffit de sortir la caméra pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, avec des instants de sincérité que l’on n’a pas dans la vraie vie. »
Une compétition de qualité
Parmi les autres films, « Un paese di Calabria », qui a obtenu le 1er prix, redonne un peu d’espoir dans le genre humain. Riace, un village du sud de l’Italie, victime de l’exode rural, renaît grâce à l’arrivée de migrants depuis une vingtaine d’années. Le 3ème prix a été attribué à « La colère dans le vent » qui se déroule à Arlit dans le nord du Niger, où depuis 40 ans Areva exploite l’uranium en provoquant pollution, maladies et en défigurant les paysages. Un prix d’encouragement et le prix du public sont revenus à « Une poule sur un piano » qui raconte l’histoire d’hommes que tout semble opposer mais qui se sont mobilisés pour reconstruire le château de Goutelas au cœur du Forez dans les années 1960, et où Duke Ellington est venu passer 3 jours. Le prix du jury lycéen a récompensé « Sur le rebord du monde », peut-être le plus beau visuellement, qui nous emmène à Penmarc’h à la pointe du Finistère, soumis au risque de submersion dû aux fortes tempêtes et où les marins pêcheurs font face au naufrage économique. Pour clore ce beau festival, laissons à son directeur le dernier mot : « Dans les premiers temps de Caméras des champs, les documentaires agissaient comme des lanceurs d’alerte, et depuis quelques années tout en continuant à dénoncer les causes des désarrois, ils mettent en avant des solutions locales et des alternatives qui peuvent nous rendre plus optimistes. »