A la tête d’une des entreprises qui fait la fierté de la Bretagne, et qui symbolise le « made in
France » depuis la fameuse photo d’Arnaud Montebourg en marinière, l’ancien numéro 2 du groupe Bolloré, Jean-Guy Le Floch, n’en finit pas depuis 20 ans d’innover avec succès afin
qu’Armor-Lux ne connaisse pas la crise.
En fournissant quelques dizaines de milliers de bonnets rouges au mouvement de protestation breton, qui a tiré la
sonnette d’alarme en novembre 2013 contre l’écotaxe et une situation économique délicate, Jean-Guy Le Floch et son entreprise sont fiers d’en avoir été solidaires. Parmi les autres événements
marquants de ces derniers mois, le patron d’Armor-Lux ne décolère pas d’avoir perdu le très gros marché de la police nationale, après avoir habillé 110 000 policiers durant 5 ans avec un
taux de satisfaction de plus de 90 %. Il a d’ailleurs intenté un procès au ministère de l’intérieur afin de comprendre ce qui s’est passé. Pour compenser ces pertes qui ont coûté leur emploi à 25
personnes dans l’usine de Quimper, l’entreprise s’est dotée de trois nouveaux magasins grand public, dont un très grand à Plaisir en région parisienne. Le dirigeant a eu le nez creux
il y a trois ans en décidant de construire ces nouveaux points de vente, pour palier l’éventuelle perte du marché de la police. En tout, 60 magasins sont répartis en France plus un à New-York, où
l’on trouve dans ceux qui dépassent 300 m², en plus de la collection de vêtements, des produits d’épicerie fine bretonne et des crêpes fabriquées sur place.
Entre grand public et marchés publics
Pour 2014, outre l’ouverture en avril d’un magasin à Deauville, Jean-Guy Le Floch attend impatiemment la
concrétisation d’un marché avec la SNCF pour habiller 35 000 agents et un autre avec la gendarmerie et ses 120 000 gendarmes. Depuis 2004 et le contrat obtenu avec la Poste, il passe
beaucoup de son temps sur ces appels d’offres très complexes et concurrentiels, mais aussi dans la mise en place des contrats une fois remportés, puisque l’entreprise livre les agents
individuellement. Avec cette double activité, 60% de ventes au grand public et 40 % en contrats nationaux, Armor-Lux assure ainsi sa pérennité. Pour obtenir les marchés publics européens,
l’entreprise est obligée de sous-traiter pour être compétitive, comme tous les pays de l’Union d’ailleurs : « Nous nous limitons à une production proche dans le pourtour méditerranéen
et une collaboration en Inde avec des partenaires sérieux, fiables et traçables. Toute notre collection grand public de sportswear à l’esprit marin et de sous-vêtements est fabriquée à Quimper, à
l‘exception des grosses pièces. » Armor-Lux emploie 600 personnes en France et a un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros qui progresse de 5 à10% chaque année.
Un rêve de gosse
Lorsque Jean-Guy Le Floch a su qu’Armor-Lux était à vendre, son sang n’a fait qu’un tour : « C’est une marque
mythique, synonyme de qualité, ancré dans le cœur de tous les bretons. Elle a bercé mon enfance, je revois encore leur camion qui venait régulièrement dans la cour de notre petite ferme. »
Comme ils s’étaient promis avec un ami à la fin de leurs études secondaires qu’ils seraient entrepreneurs ensemble, ils ont donc racheté la société à deux en 1993. « Le retour aux valeurs
sûres en ces temps de crise et aux entreprises qui font travailler des gens en France, explique Jean-Guy Le Floch, sont les raisons du succès d’Armor-Lux que l’on constate aujourd’hui bien
au-delà de la Bretagne. L’effet Montebourg avec le Made in France continue de jouer dans l’acte d’achat des français. En ce moment, Renault fait gagner 40 000 marinières fabriquées chez
nous. » Cet extraordinaire coup de pub, lorsque le Ministre du redressement productif a posé en marinière à la une du Parisien magazine, le PDG d’Armor-Lux l’a découvert en même temps que
tout le monde et s’en félicite encore aujourd’hui.
Réussir en Bretagne
Venant de chez Vincent Bolloré, où il s’occupait entre autre des finances, Jean-Guy Le Floch n’a jamais eu de problèmes
de prêts avec les banquiers pour développer Armor-Lux. En prenant les rennes de l’entreprise, il opère un changement radical de l’encadrement en s’entourant d’une équipe plus consciente des
enjeux de la mondialisation. Mis à part cela, il est fier d’avoir pu garder tout le personnel avec notamment 200 opératrices de confection, et l’usine en Bretagne. Ce visionnaire obstiné, fidèle
en amitié, qui admet parfois se laisser emporter par des petites colères lorsque tout n’est pas parfait, a un sens prononcé du social et une devise : vivre et travailler sereinement en
Bretagne. Son attachement à sa région est selon lui, concomitant à tous les bretons : « Nous venons de loin, déjà dans ma famille où mes grands-parents agriculteurs et sabotiers
vivaient dans une grande pauvreté, mais aussi à l’échelle de la région où nous avons souvent été traités comme des enfants de Bécassine. Cela nous est resté en travers de la gorge, et tous les
bretons sont fiers de leurs origines et de créer lorsqu’ils le peuvent de la richesse pour la Bretagne. C’est une vraie nation bretonne que l’on a ici dans ce pays un peu lointain. »
Derrière le mouvement de protestation
Cette solidarité revendiquée de Jean-Guy Le Floch pour sa région et plus particulièrement pour le Finistère, s’exerce
notamment auprès de la chambre de commerce et d’industrie de Quimper, dont il est trésorier : « Je suis à l’écoute des problèmes qui peuvent se poser ici et j’essaie d’aider quand je
trouve un peu de temps. » De par ses origines, il est assez proche du monde agricole et de la FDSEA, qui lui commande des marinières à chaque salon de l’agriculture pour promouvoir
Armor-Lux. L’idée des bonnets rouges comme symbole de la protestation bretonne vient d’ailleurs de son copain Thierry Merret le président de la FDSEA, et de son équipe. Ils lui ont d’abord
demandé 900 bonnets, puis devant l’ampleur du mouvement des milliers ont suivi. A tel point que Jean-Guy Le Floch ne pouvait plus fournir et a dû se tourner vers un fabriquant en Ecosse. Le
patron breton n’a pas compris les critiques de certains médias parisiens à ce sujet, alors qu’Armor-Lux produit 45% de sa production en France depuis plus de 15 ans, et possède la première usine
de tricotage et de teinture du pays.
Se donner tous les atouts
De son enfance, même s’il n’a manqué de rien, il garde le souvenir d’une vie pauvre et rude dans le Nord du Cap Sizun au
fin fond de la Bretagne, où il comprend assez vite qu’il faut beaucoup d’énergie pour sortir de la torpeur ambiante. Il s’y emploie dès sa scolarité en étant un élève studieux et acharné, attiré
par les maths, ce qui le mène à l’Ecole Centrale de Paris dont il sort ingénieur, avant de partir en Californie pour un master de sciences à l’université de Stanford. Ces années américaines où il
apprend beaucoup, lui apportent du pragmatisme, et il finit ses études en devenant expert-comptable et commissaire aux comptes : « Depuis mon enfance j’avais l’ambition de devenir
entrepreneur, et je voulais disposer d’armes solides pour pouvoir revenir en Bretagne sans risquer l’échec. »
Après deux années chez Bull à Angers, il répond à une annonce sur Ouest-France dans laquelle Vincent Bolloré recherche un
contrôleur de gestion en Bretagne pour l’entreprise familiale qu’il vient de reprendre. Jean-Guy Le Floch avec sa formation très complète est choisi parmi cent candidatures, et durant 15 années
au fur et à mesure que l’entreprise prend de l’ampleur, il devient directeur financier puis numéro deux du groupe Bolloré à Paris : « J’ai eu la chance de travailler avec Vincent
Bolloré tous les jours, il m’a inculqué beaucoup de réflexes de management que je n’aurais pas acquis si j’avais commencé ma vie d’entrepreneur tout seul. Mais aussi le côté visionnaire, le sens
des finances, et il m’a fait prendre conscience du pouvoir de la communication lorsqu’elle est bien menée. »
Ne pas s’arrêter en si bon chemin
Aujourd’hui à 60 ans lorsqu’il a un peu de temps à lui, il aime retourner dans son pays de solitude, comme il l’appelle,
au Cap Sizun pour aller pêcher, ou bien partir se balader en mer aux Glénan avec Michel Gueguen, son ami et associé. Son souhait le plus cher pour les années à venir est de doubler le chiffre
d’affaires d’Armor-Lux, afin de pouvoir le moment venu lâcher les rênes dans la sérénité. Pour y arriver, il veut développer l’export et la vente par Internet. En tout cas, Jean-Guy Le Floch est
un entrepreneur heureux qui prend toujours autant de plaisir dans son métier avec, comparativement à 20 ans auparavant, le stress en moins.