Réhabilitation d'un génie oublié
Le cinéaste tchèque Petr Vaclav signe un biopic remarquable sur Joseph Myslivecek, un musicien aujourd'hui oublié. Au cœur du XVIIIe siècle, Josef Myslivecek, un jeune homme timide né en Bohême, est devenu l'un des musiciens et compositeurs les plus en vue d'Italie, idolâtré à Venise comme à Naples, sollicité par les plus grandes interprètes de l'époque et même applaudi par un certain Wolfgang Amadeus Mozart, qui admirait ses opéras et sa créativité hors norme. Encore méconnu en France, le cinéaste tchèque Petr Vaclav tourne depuis un quart de siècle des films plébiscités dans son pays natal et qui sont souvent sélectionnés dans les festivals internationaux. Aux antipodes des us et coutumes académiques et hagiographiques du biopic, Petr Vaclav dresse le portrait d'un personnage ambigu, insaisissable, et donne à voir une époque et un environnement culturel sans pitié. Au plus près de son héros, avec une caméra parfois portée à l'épaule, le cinéaste, dans des lumières en clair-obscur admirables, met en scène les aventures de ce compositeur dans les salons où les réputations se font et se défont, auprès de ses maîtresses qui sont parfois ses cantatrices, avec ses prétendus protecteurs qui ne respectent qu'en apparence cet étranger sans attache. Petr Vaclav suit à la trace un protagoniste énigmatique, à la fois ambitieux et naïf, et qui semble toujours chercher sa place en ce bas monde. Après le triomphe d'Amadeus, le grand Milos Forman avait souhaité consacrer un film à Josef Myslivecek, mais il n'y était pas parvenu. Petr Vaclav, l'a fait et son film, d'une grande beauté visuelle et musicale, nous captive de la première à la dernière scène. Il Boemo ne s’intéresse pas au génie mais à la vie besogneuse, amoureuse, précaire et fugace. Ce n'est pas un biopic d’apprentissage du «grand homme», mais une chronique de la condition la plus prosaïque de l’artiste, qui est également identifiée à la condition de la femme à cette époque. Le compositeur se laisse guider dans la carrière par des femmes d’influence, qui pour elles-mêmes ne peuvent prétendre à aucune existence remarquable hors de la sphère d’un père ou d’un mari, à aucune renommée, à l'exception d'une diva qui semble davantage maîtriser sa vie mais sans paraître vraiment heureuse pour autant. Les comédiens, inconnus en France, composent parfaitement une galerie de personnages hauts en couleurs et représentatifs de l'Italie du XVIIIe siècle à la fois libertine et corsetée. Dans le rôle principal, Vojtech Dyk fait penser à Ryan O’Neal dans Barry Lyndon. Il Boemo a du souffle, de l'ambition, évite les effusions de lyrisme et préfère une certaine sobriété pour servir et magnifier la musique de ce musicien, qui grâce à ce très beau film n'est plus un inconnu.