A la tête de SOS, plus grand groupe d’économie sociale et solidaire avec 11 000 salariés, 330 établissements et 650 millions d’euros de chiffre d’affaires, Jean-Marc Borello prouve depuis 30 ans que le sens de l’intérêt général est compatible avec la logique entrepreneuriale.
Comment avez-vous fait d’une association de lutte contre la toxicomanie le plus grand groupe d’économie sociale et solidaire ?
Jean-Marc Borello - Nous avons essayé de répondre au fur et à mesure à tous les besoins fondamentaux d’abord des plus exclus, puis des gens en situation de précarité jusqu’à élargir le spectre à l’ensemble de la population. Au début, nous nous sommes occupés de toxicomanie, puis du sida, ensuite de l’accès aux soins et à l’emploi. Comme les solutions que nous avons crées fonctionnaient plutôt bien et coûtaient moins chers, nous les avons proposées petit à petit à tout un chacun, et c’est comme cela que le système s’est élargi. Nos 20% de croissance ces dernières années s’explique par notre modèle. Il est adapté à la fois à des finances publiques plus serrées et à des revenus moindres d’une plus grande partie de la population, qui se tourne de fait vers des dispositifs efficaces.
Que propose le groupe SOS ?
J.-M.B. - L’idée générale du groupe est de favoriser l’accès à l’éducation, aux soins, à un toit, à un travail, à travers 5 cœurs de métier qui sont : la jeunesse, l’emploi, les solidarités, la santé et les séniors. Nous gérons des hôpitaux, des centres de soins, des maisons de retraites médicalisées, des crèches, des maisons d’enfants à caractère social, différents dispositifs de placement de la protection judiciaire de la jeunesse, des établissements pour personnes handicapées, des centres d’hébergements pour les sans-abris, des entreprises d’insertion. En tout, 1 million de personnes bénéficient de nos actions chaque année.
Nous voulons d’une part avoir des établissements de qualité pour ne pas faire une médecine et une éducation à deux vitesses. D’autre part, qu’ils soient ouverts à tous, et nous faisons en sorte que dans chacun d’entre eux, même les personnes sans aucun revenu puissent quand même y avoir accès. Ceux qui peuvent payer le font, ceux qui ne le peuvent pas, la collectivité le fait pour eux, et enfin ceux qui ne le peuvent pas et pour lesquels la collectivité ne paie pas, c’est pour nous. Comme nous n’avons pas d’actionnaires, nous pouvons utiliser nos résultats pour développer nos activités sans se soucier de la distribution des dividendes.
En quoi avez-vous été précurseur dans l’économie sociale et solidaire (ESS) ?
J.-M.B. - Le secteur de l’ESS est en train de se professionnaliser, il représente 10% du PIB et 12% de l’emploi. Nous avons été dans les premiers il y a 15 ans à recruter des diplômés de grandes écoles pour nous aider à bien gérer l’aspect financier. Aujourd’hui tout le monde le fait dans l’ESS. Les hôpitaux, les crèches, les maisons de retraites, étant entrés dans le domaine concurrentiel, il nous fallait jouer la concurrence face à des entreprises privées lucratives, sinon nous aurions disparu. A l’image des mutuelles ou des banques coopératives, qui pour certaines ont survécues en se regroupant, nous avons toujours défendu le principe de concentration. Pour autant, nous n’avons jamais eu de politique impérialiste de développement en rachetant des associations gestionnaires, ce sont elles qui ont voulu nous rejoindre et nous avons aussi repris des structures en difficulté au tribunal, qui sans nous n’existeraient plus. La population dont nous nous occupons étant de plus en plus en difficulté avec peu de moyens, il nous fallait donc grandir et faire des économies d’échelle pour être opérationnel. Entreprendre, ce n’est pas simplement au profit des actionnaires, c’est aussi dans l’intérêt général. L’idée de l’ESS est de mettre une logique économique au service de l’intérêt général.
Comment voyez-vous l’avenir de l’ESS ?
J.-M.B. - L’ESS n’est pas du tout un sujet national, ce qui est toujours rassurant, c’est un mouvement mondial en plein développement appelé « social business ». Il y a un renouvellement générationnel avec des jeunes mieux formés que nous l’étions, au sein des entreprises de l’ESS, qui à l’image du groupe SOS ont l’ambition de se développer. Cela représente une véritable alternative économique, ce qui est plutôt une bonne chose compte tenu des résultats de l’économie classique ces dernières années. Ce système est innovant en termes de management, de valeurs, et je suis très confiant sur son avenir. Le projet de loi sur l’ESS devrait être voté en mai à l’Assemblée Nationale, et apportera un statut légal à ce domaine en pleine transformation. Ce qui pourrait changer d’ici le vote est le côté inclusif de la loi, que souhaitait Benoit Hamon et que je trouve intéressant, où l’on admettrait dans l’ESS des sociétés commerciales avec des distributions limitées de dividendes et une démocratie participative entre autres règles internes. Rester coincés derrière des statuts, comme certains le veulent, empêchera de s’internationaliser, et ces statuts ne sont pas toujours garants d’une vertu sans reproche. On a déjà vu des associations lucratives sans but. L’analyse des pratiques et des résultats est une garantie plus grande que celle des statuts. Avec cette loi, la Banque publique d’investissement devrait accorder aux entreprises de l’ESS, des facilités qui prennent en compte les particularités juridiques de ce secteur. Enfin, les politiques de droite comme de gauche ont compris que miser sur l’ESS était aussi le moyen de faire des économies de finances publiques.
Que pensez-vous du pacte de responsabilité et du plan d’économies proposé par Manuel Valls ?
J.-M.B. – Sur le pacte, je n’en pense que du bien sous réserve que le non-lucratif bénéficie dans les mêmes proportions, de cette baisse des charges patronales. Il est indispensable de faire de la relance par l’activité mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faut aussi sauvegarder la situation des plus démunis. J’ai du mal à comprendre l’attitude du Medef qui est systématiquement dans la caricature et la provocation, je ne sais si c’est de la maladresse ou une stratégie. La raison doit revenir tant du côté patronal que syndical pour arriver à travailler ensemble. Une des explications de la réussite allemande dont tout le monde parle, est que les entreprises sont cogérées par les syndicats et les employeurs.
Quant aux mesures d’économies, elles vont dans le bon sens. Il faut se désendetter, c’est le seul moyen d’avoir une économie plus saine et moins dépendante des marchés. Cela dit, je reste sur ma fin en matière de réforme structurelle de l’Etat. On devrait faire un inventaire des missions publiques, pour qu’un certain nombre d’entre elles ne soient plus gérées par le secteur public. Renforçons la situation des fonctionnaires qui exercent les missions régaliennes, et abandonnons toute une série de missions qui coûtent extrêmement cher et ne sont pas rendues de manière optimale par les services publics. Il faut arrêter les coups de rabot sur la fonction publique et plutôt être sélectif. Autre réforme que l’on attend toujours est celle de la fiscalité, où il faudrait notamment un échelonnement un peu plus fin pour éviter les effets de seuil sur le paiement de l’impôt.
Quels sont les remèdes pour inverser durablement la courbe du chômage ?
J.-M.B. - Il faut impérativement que l’on retrouve 3% de croissance, on sait qu’en deçà il est très difficile de créer de l’emploi. Les emplois d’avenir sont une excellente idée, il faut continuer à avoir un traitement social du chômage, mais en même temps on doit se demander comment activer les dépenses passives. Autrement dit, comment transformer le versement d’une allocation en la capacité de créer un emploi. Au-delà de l’aspect revenu, l’activité est extrêmement importante pour un jeune, afin qu’il ne se dise pas que personne n’a besoin de lui ou qu’il n’est bon à rien. Il vaut mieux un emploi d’avenir que de percevoir une indemnité à la maison. Par ailleurs, il faudrait peut-être assouplir un certain nombre de règles en matière de législation sociale, avec cette fameuse flexisécurité que d’autres ont mis en place : la possibilité d’une plus grande flexibilité pour l’employeur et d’une plus grande sécurité pour le salarié. Il serait temps de sortir d’une logique où tout est bloqué depuis des années. Le code du travail est devenu une jungle inextricable où les meilleures volontés s’épuisent pour trouver des solutions. On ne peut pas continuer à reculer chaque fois que 4 taxis bloquent le périphérique, il faut que l’on réussisse à réformer même si c’est un peu douloureux. Ce pays adore les révolutions mais déteste les réformes.
Un parcours très atypique
Natif d’Aix en Provence dont il a gardé l’accent, Jean-Marc Borello démarre sa carrière en tant qu’éducateur spécialisé pour jeunes délinquants. En 1981, il est nommé conseiller à la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, puis il occupe différents postes dans des cabinets ministériels jusqu’en 1987. Entre-temps, il crée en 1984 les premières associations du futur groupe SOS avant de s’y consacrer à plein-temps en 1997, et après avoir dirigé le groupe de la chanteuse et femme d’affaires Régine. En 2010, il crée le Mouvement des entrepreneurs sociaux, et aujourd’hui à 56 ans il est la plus belle réussite de l’ESS.