Un polar romanesque et comique

Publié le par Michel Monsay

Un polar romanesque et comique

De livre en livre depuis quarante ans, et de nouveau dans son dix-huitième paru en 2020, Vie de Gérard Fulmard, Jean Echenoz a l'art de s’amuser avec des genres et leurs codes, polar, roman d’aventure, d’espionnage, etc. sans tomber dans la parodie. De jouer les nonchalants avec des phrases à l’admirable rigueur rythmique, de se faire le héraut d’une littérature ludique mais qui ne renonce pas au romanesque, et qui ne traite son intrigue ni ses personnages par-dessus la jambe. Mais aussi d’appartenir à la catégorie des écrivains minimalistes, tout en alignant les phrases dont la sobriété se refuse rarement une cabriole stylistique, une blague ou une description surprenante. D’avoir, enfin, fait de la distance, qui tient le trop-plein et le pathos à l’écart, la condition même de sa proximité avec les lecteurs. Au-delà de l'enchaînement rocambolesque autant qu’implacable de rencontres et de circonstances dont est victime l'antihéros de ce roman noir, il y a la phrase de Jean Echenoz, sa minutie désinvolte, ses télescopages entre le soutenu et le trivial, son sens comique, qui sanctionne et célèbre dans un éclat de rire l’absurdité du monde à travers les déboires de son pauvre héros. Vie de Gérard Fulmard est une histoire d’échecs successifs, accomplis par un homme qui n’a pas le choix. Sur le chemin de son personnage, le romancier place des ­politiciens sans convictions ni scrupules, des femmes plus ou moins fatales, un psychiatre douteux, des menteurs et manipulateurs de tous poils,... L'écriture est riche. Echenoz se balade dans le style comme un sportif de haut niveau. De l'encyclopédie commentée au roman noir stylisé, en passant par le burlesque bien maîtrisé, il ose tout, semant ici et là des clins d'œil sous forme d'adresses directes au lecteur, le faisant se sentir délicieusement complice. L'air de rien, il balance une peinture de notre société sans presque rien omettre : les réseaux sociaux, la vaine mécanique de la machine politique montée en boucle sur elle-même, les dérèglements climatiques, la solitude des hommes, la misère sexuelle … Un monde essentiellement aspiré par le vide. Ce très bon dix-huitième roman du lauréat du Goncourt 1999 pour Je m'en vais, navigue avec souplesse entre drôlerie et mélancolie. 

Publié dans Livres

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