Solaire, bienveillante et passionnée

Publié le par Michel Monsay

Solaire, bienveillante et passionnée

Alternant théâtre, cinéma et télévision depuis 40 ans, Ariane Ascaride qui a obtenu le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Marius et Jeannette, a été l’héroïne de tous les films de son mari, Robert Guédiguian, excepté celui qu’il a consacré à la fin de vie de François Mitterrand.

 

Ces derniers mois, Ariane Ascaride a joué en tournée deux pièces, d’abord Le silence de Molière, dans laquelle elle interprétait avec un grand bonheur la seule des trois enfants du grand dramaturge à avoir survécu, ses deux fils étant décédés avant leur première année. Cette fille a rejeté dès son plus jeune âge le monde du théâtre dans lequel elle a grandi et a ensuite vécu en partie recluse. L’autre pièce était un spectacle autobiographique écrit par Marie Desplechin, intitulé Touchée par les fées, racontant le parcours familial et artistique d’Ariane Ascaride, qui à l’inverse de la fille de Molière a choisi ce théâtre qu’elle a aussi connu très tôt, avec son père jouant et montant des pièces en amateur, et sa mère qui l’emmenait voir un spectacle chaque semaine. Avec Touchée par les fées, elle s’est en quelque sorte affranchie de son père, de ses frères et de son mari, qui lui ont toujours dit ce qu’elle devait faire, en démontrant qu’elle pouvait mener à bien un projet toute seule.

 

Le plaisir d’être en scène

Le théâtre au même titre que le cinéma ont toujours été indispensables et complémentaires dans la carrière de la comédienne : « Le théâtre, c’est l’instant, le partage immédiat avec les spectateurs, une mise en danger beaucoup plus grande, et j’aime avoir peur. Le cinéma permet de jouer en murmures, en nuances, c’est accepter d’être volée. » Elle garde un souvenir ému du théâtre d’appartement qu’elle a créé à ses débuts avec son frère Pierre en 1978, où ils allaient jouer notamment dans des tours à Bobigny sans connaître les gens, en amenant des costumes, un décor, des lumières et des histoires d’Italo Calvino. Parmi les auteurs qu’elle a interprétés ensuite sur scène, Ariane Ascaride a une grande tendresse pour Bertolt Brecht et particulièrement, La bonne âme du Se-Tchouan, pièce avec laquelle elle est entrée au Conservatoire et dont le personnage de cette femme, qui veut faire le bien dans un monde mauvais, l’a toujours accompagnée.

 

L’actrice et le cinéaste

Sorti le 29 novembre dernier, « La villa », le vingtième film de Robert Guédiguian, dont le scénario a beaucoup touché sa femme, est l’histoire d’une fratrie de deux frères et une sœur, tout comme les trois jeunes migrants qu’ils recueillent dans la villa, mais aussi la famille Ascaride avec les deux frères d’Ariane. Dans le film, au-delà des retrouvailles des trois enfants autour de leur père mourant, avec des non-dits et des rancœurs, l’amour peu à peu va renaître entre eux, ils se remémorent les valeurs et les idéaux auxquels ils croyaient, dressent un bilan de leur vies et retrouvent un nouveau souffle grâce à ces jeunes réfugiés. La comédienne ne participe jamais à l’écriture des films de son mari, mais leurs propos l’interpellent toujours : « Ce que je j’aime par-dessus tout est de me glisser dans l’enveloppe qu’un auteur a écrite et de lui donner vie. Cela ne m’empêche pas d’être critique à l’égard du travail de Robert, notamment pendant le montage, à propos du rythme d’un film en lui proposant d’inverser l’ordre des séquences ou en favorisant certains plans, mails il ne m’écoute pas toujours. » Dans son panthéon de la filmographie de son mari, il y a « A la vie, à la mort », qu’elle considère comme un magnifique hymne à l’humanité, « La ville est tranquille », un constat noir d’une certaine réalité sociale qui lui a donné son plus beau rôle selon elle, un personnage âpre et difficile à jouer, puis le très beau « Marie-Jo et ses deux amours », et enfin « La villa », qui est à son sens le film où Robert Guédiguian se découvre le plus.

 

La belle équipe

La collaboration entre l’actrice et le cinéaste est unique au monde, 19 films ensemble, de même que celle avec Gérard Meylan 18 films et Jean-Pierre Darroussin 16 : « Il y a quelque chose à voir avec la peinture chez Robert, il retravaille avec les mêmes couleurs, autrement dit ses acteurs, y compris pour les rôles secondaires. Au-delà de leur talent, il a énormément de respect pour eux dans la vie et a besoin de cette alchimie sur un plateau de tournage, où il demande aux comédiens d’apporter ce qu’ils sont, de proposer des pistes. » La grande confiance et l’amitié indéfectible qui existe entre Robert Guédiguian et ses trois comédiens principaux leur permet de se comprendre sans même se parler, d’avoir une liberté et une exigence de jeu dès le premier jour de tournage sans avoir à prouver sa valeur aux autres. Elle ajoute : « Les acteurs sont capables de tout donner s’ils ont confiance dans le metteur en scène. Un bon acteur a toujours tout dans sa besace, c’est au cinéaste d’arriver à indiquer le sens de l’histoire et avoir un propos très précis sur ce qu’il veut faire pour obtenir une véritable création des acteurs. »

 

Ce qui la constitue

Parmi les rencontres qui ont marqué Ariane Ascaride, il y a bien évidemment ses deux professeurs au Conservatoire, Antoine Vitez, une référence du théâtre, et Marcel Bluwal, l’un des plus grands réalisateurs de télévision, avec lequel elle a travaillé ensuite notamment sur un téléfilm où la toute jeune comédienne regardait jouer Simone Signoret sans en perdre une miette. Mais c’est à l’université d’Aix en Provence qu’elle fait la connaissance de l’homme de sa vie, elle représentante d’un syndicat étudiant, lui qui la félicite pour le discours qu’elle vient de faire. Il la suit à Paris et grâce à elle, il va devenir cinéaste et abandonner ses études en sciences sociales. Sa vocation, Ariane Ascaride n’a même pas eu le temps de la ressentir puisque son père l’a mise à 8 ans sur un plateau de théâtre amateur, c’est devenu ensuite pour ainsi dire sa manière de respirer, elle ne pouvait plus envisager autre chose.

De son enfance marseillaise, elle garde un souvenir lumineux : « J’ai toujours adoré cette ville contrastée, cosmopolite, avec un rapport particulier à la mer, aux collines que j’ai gardé toute ma vie. » Arrivée à Paris à l’âge de 20 ans, même si elle retourne régulièrement dans le Sud, elle s’installe définitivement dans cette ville élégante, sublime selon ses mots, mais qui aujourd’hui exclut de plus en plus : « Ca me grignote l’âme de voir des hommes et des femmes dans la rue, je suis mal à l’aise devant cette misère alors que moi je rentre dans ma maison. » Marraine du Secours populaire, elle a toujours été du côté des faibles et ne comprend pas qu’il y ait une telle différence entre deux humains.

 

Lauriers ou pas

Pour expliquer le succès de Marius et Jeannette, elle pense que cet hymne à la joie est arrivé à un moment où les gens en avaient besoin : « J’ai eu l’impression d’avoir rempli mon rôle, je fais ce métier pour provoquer des émotions et donner à réfléchir. » Ce film a transformé la vie d’Ariane Ascaride avec le César qu’elle remporte en 1998 : « Je suis arrivée à la cérémonie, personne ne savait qui j’étais et je suis ressortie avec des gardes du corps autour de moi, c’était un gag. » Cette reconnaissance est l’un des plus beaux moments de sa carrière, mais il y en a d’autres plus discrets qui l’ont touchée tout autant, comme la présentation avec Robert Guédiguian du « Voyage en Arménie » dans les villages où le film a été tourné et l’échange bouleversant avec la population. Ses deux plus gros succès en dehors des films de son mari sont Brodeuses en 2004 et Les héritiers en 2014. Si l’on peut s’étonner de l’absence de récompenses majeures comme un César, un prix à Cannes, Venise ou Berlin pour Robert Guédiguian malgré la collection de très beaux films qu’il a réalisés, sa femme trouve une explication : « Il est trop politique, pas assez consensuel et a trop l’accent marseillais, c’est un homme qui dit toujours très fort ce qu’il pense et il le paye. »

 

Une femme authentique

Il existe un moment privilégié qu’Ariane Ascaride aime toujours autant au fil des années : « Les 30 secondes qui suivent la sortie de scène sont toujours un instant de complète plénitude. J’ai toujours rêvé de faire des portraits d’acteur sortant de scène, les visages sont incroyables. » A l’inverse, étant très traqueuse elle vit un véritable enfer avant d’entrée en scène. Si son jeu était assez volontaire à ses débuts, comme pour prouver sa valeur, aujourd’hui elle se laisse traverser par les émotions et les montre davantage, sans en faire trop non plus. Elle ne se prépare pas spécialement en amont d’un tournage comme certains acteurs, et ne sait pas ce qu’elle va faire une seconde avant que la caméra ne tourne. Attentive aux autres et foncièrement sympathique, mère envahissante, elle aime aussi avoir des moments de solitude notamment pour lire, activité qui lui est indispensable.

A 63 ans, en attendant d’avoir des petits-enfants, elle rêve de paix dans le monde et que l’on prenne davantage soin de la planète, afin que la nouvelle génération ainsi que la suivante puisse respirer et s’épanouir et non pas vivre dans le monde épouvantable qui résulterait de notre inaction. Pour le reste, elle va continuer à prendre ce que le hasard lui apportera ou que son mari lui proposera : « Je crois que nous avons fait quelque chose de formidable avec Robert sans l’avoir préméditée, on s’est vraiment battu lorsque les gens ne nous connaissaient pas, et aujourd’hui que l’on plaise ou pas en France comme à l’international, on est là depuis 1981 et on va essayer de continuer à faire des films. »

Publié dans Portraits

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