Troublant conte de fées empoisonné

Publié le par Michel Monsay

Troublant conte de fées empoisonné

Avec son huitième long-métrage, Sofia Coppola retrouve ses thèmes favoris et met le féminin au centre de Priscilla. Le film dépeint minutieusement tous les épisodes d’un processus d’emprise, de l’admiration au désenchantement. Cailee Spaeny, Prix d’interprétation à la Mostra de Venise, interprète avec finesse cette jeune femme confinée, envoûtée, ignorée, humiliée et éprouvée, avant d’être menacée et même un peu brutalisée. La cinéaste se montre aujourd’hui plus en retenue qu'auparavant dans la forme de son cinéma tout en explorant toujours profondément la psychologie de son héroïne. On retrouve l’obsession de Sofia Coppola pour les jeunes filles s’ennuyant dans le luxe, de Lost in Translation à Marie-Antoinette, mais pour la première fois, elle aborde frontalement la domination masculine et la violence psychologique puis physique infligées, mais sans verser dans le drame. Elle injecte même une légèreté dans certaines situations, donnant lieu à des scènes de comédies conjugales, et a choisi de laisser Elvis, la star, à la marge de cette histoire. Comme Priscilla, nous n’avons pas accès à l’icône, mais plutôt aux coulisses de sa personnalité, à son immaturité et son égoïsme. En surface, Priscilla tient du conte de fées. L'histoire d'une fille ordinaire qui, endormie dans la morne Europe, se réveille en princesse dans un château de Memphis. A travers le regard de Priscilla, Sofia Coppola scrute l'endroit : la moquette moelleuse comme une guimauve, la déco kitsch, l'alcôve sombre de la chambre… Doucement le regard de la cinéaste va transformer la grille d'un parc en barreaux de prison. Pendant des années, Priscilla sera le canari d'Elvis Presley. Lui vogue de tournées en tournages, part affronter le public comme un seigneur part guerroyer, laissant sa mie en compagnie de ses valets. Sofia Coppola signe un nouveau grand portrait d’émancipation, où l'on retrouve le grand sujet de son cinéma : vouloir avoir une vie à soi en tant que jeune fille tout en n’y parvenant pas. Depuis bientôt un quart de siècle, elle filme comme personne la prime féminité coincée dans des cages dorées où le confort matériel n’a d’égal que l’inconfort d’une existence cadenassée par des figures patriarcales. Ces vies-là se mesurent à l’aune des désobéissances conquises et des servitudes endurées. Priscilla est avant tout un mélo très doux, un film chuchoté, faisant des confessions de la chambre conjugale le juste niveau sonore de cette histoire touchante et quelque peu dérangeante.

Publié dans Films

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