Une déclaration d’amour au jazz et à la bossa nova

Publié le par Michel Monsay

Une déclaration d’amour au jazz et à la bossa nova

Ce très beau film d'animation est à la fois une ode à la bossa nova, une enquête sur la disparition d'un grand pianiste brésilien, et un hommage à une Amérique latine laminée par les dictatures militaires. C'est aussi un passionnant voyage musical, historique et nostalgique où l'on croise d'immenses légendes de la musique, de Vinícius de Moraes à Chico Buarque, de Jobim à Caetano Veloso, mais aussi Ella Fitzgerald, Bill Evans et Bebo Valdés... Le titre They Shot the Piano Player est un clin d'œil au film de François Truffaut Tirez sur le pianiste  (1960). Il rappelle que deux mouvements artistiques d'ampleur, la bossa nova au Brésil et la Nouvelle Vague en France, ont surgi au même moment, et que Truffaut a marqué fortement certains artistes brésiliens. Le duo de réalisateurs à la baguette de ce film est composé de Fernando Trueba, cinéaste, scénariste et producteur musical, et Javier Mariscal, illustrateur, auteur de BD, graphiste et peintre, qui avaient déjà coréalisé le film d'animation Chico et Rita  (2011), une immersion euphorisante et mélancolique dans le milieu du jazz cubain. Les voilà de nouveau réunis autour d’un long-métrage animé, pour célébrer le continent latino-américain et la musique, à travers l’enquête d’un journaliste américain sur la disparition à Buenos Aires d’un prodige brésilien du piano, à la veille du coup d’État militaire argentin. Francisco Tenorio Jr s’est évaporé une nuit de mars 1976. Entre fiction et réalité, ce film crée son univers en assemblant les pièces accumulées par Fernando Trueba, qui a initialement voulu réaliser un documentaire en prises de vues réelles sur ce mystère. Il a sillonné le monde et la capitale argentine, et filmé plus de cent cinquante interviews, jusqu’à l’épouse de Tenorio, qui s’est confiée pour la première fois. La création par l’animation permet de ressusciter judicieusement le disparu, artiste épatant et violemment éliminé, le berceau carioca de la bossa nova, et la propagation de la dictature argentine, tout en s’autorisant la fiction à travers un guide extérieur, journaliste musical contemporain, inventé pour faciliter la narration. L’équilibre était périlleux à trouver entre l’hommage musical et le thriller politique. Les auteurs y parviennent parfaitement à force de tissage ingénieux et de beauté plastique. Le travail de Javier Mariscal et de ses équipes sur la couleur est captivant de nuances, de la luxuriance à la noirceur, et le trait n’est jamais forcé. C’est donc la joie et la douleur, la lumière et l’ombre, la vie et la mort, qui s’entrelacent sur l’écran. Ces sensations gagnent aussi le spectateur, car le tour de force des réalisateurs repose sur l’expérience sensorielle d’un univers enfui, sur l’invincibilité de la musique, et sur le témoignage historique et politique d’un monde dominé par le totalitarisme. Un regard au présent, où il fait bon de rappeler les horreurs du passé. They Shot the Piano Player rappelle enfin combien les artistes demeurent des symboles de liberté, envers et contre toutes les dérives. Une vérité brûlante d’actualité, partout où violence et ségrégation sévissent. Au final, un passionnant thriller documentaire animé, politique et musical.

Publié dans Films

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