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Un drame puissant et vertigineux remarquablement filmé

Publié le par Michel Monsay

Un drame puissant et vertigineux remarquablement filmé

C’est un sujet inacceptable pour la Russie : l’homosexualité de Tchaïkovski y reste encore taboue. On ne s’étonne donc guère que Kirill Serebrennikov, le réalisateur de l'excellent Leto et metteur en scène de théâtre, dissident russe aujourd’hui exilé à Berlin, s’en soit emparé. Incroyable destin que celui de Kirill Serebrennikov. Un cocktail explosif à lui tout seul, à l'image de son cinéma. Père juif russe. Mère polono-ukrainienne. Né à Rostov-sur-le-Don (Russie), voici cinquante-trois ans. Ajoutez, avec le temps, physicien viré saltimbanque, artiste polymorphe (théâtre, cinéma, opéra), agitateur invétéré, homosexuel et démocrate revendiqué. Avec La Femme de Tchaïkovski, il décline la passion tragique d’Antonina Miliukova, pour le compositeur, homme froid et cupide qui, en l’épousant, cherche d’abord à étouffer les rumeurs. Cette femme passionnée, humiliée, rejetée est admirablement interprétée par Alyona Mikhailova, scandaleusement ignorée par le jury du Festival de Cannes, de même que le film. Choc esthétique, beauté du drame, Kirill Serebrennikov ravive avec raffinement une certaine idée de la décadence de la fin du XIXe siècle. Ce temps où l’on préférait se perdre plutôt que d’affronter la vérité. Le film se vit comme une longue descente aux enfers sentimentale et sociale que le réalisateur russe tisse plan après plan, tous d’une minutie visuelle prodigieuse. Des plans en plongée pour se noyer dans cette tragédie de l’intime, cette fable sur le mensonge. La virtuosité technique et le bouillonnement narratif sont en cohérence parfaite avec la destinée de l'héroïne. C’est à travers le regard de cette femme naïve et éperdue, aux prises avec ses sentiments brûlants pour le compositeur, que le cinéaste choisit de raconter cette histoire, rappelant en exergue du film l’archaïsme réservé à la condition féminine de l’époque. Kirill Serebrennikov rassemble ici les codes de sa filmographie et ses acquis du côté du théâtre et de l'opéra, pour proposer un dynamitage en règle de la biographie filmée. En se tenant du côté de son héroïne et en usant de plans-séquences splendides, Serebrennikov dépeint avec force les ravages de l’hypocrisie sociale et une Russie mortifère. La façon dont le cinéaste travaille le plan-séquence, un point commun aux gens qui viennent du théâtre comme Orson Welles, Max Ophuls… est passionnante et impressionnante. Le plan-séquence restitue l'ensemble de l'espace. Il englobe tout, et donne une fluidité à la scène. Tout se passe dans les mouvements de caméra qui ne sont jamais fragmentés, et c'est magistral. La femme de Tchaïkovsky est un film fiévreux, qui résume bien cette espèce de folie russe, son débordement dont on parle tout le temps et qui là, existe vraiment et nous fascine sous l'oeil de ce grand cinéaste.

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Comédie pétillante où triomphe une réjouissante solidarité féminine

Publié le par Michel Monsay

Comédie pétillante où triomphe une réjouissante solidarité féminine

Après quelques superbes drames comme Été 85, Grâce à Dieu ou Frantz, François Ozon revient à la légèreté très théâtrale de 8 femmes et Potiche, qui sont ses plus gros succès publics. En adaptant à l’air du temps post MeToo une pièce de boulevard de 1935, il signe une comédie policière malicieuse où la parole des femmes fait vaciller le patriarcat à coups de manigances amorales. C’est rythmé et riche de bons mots portés par un séduisant casting à la tête duquel Nadia Terezkiewicz et Rebecca Marder sont irrésistibles. Le cinéaste le plus prolifique de l'hexagone met en scène une comédie spirituelle qui confirme, s'il en était besoin, son étonnante faculté à aborder tous les genres du cinéma, et qui témoigne une nouvelle fois de son exceptionnel talent de directeur d'acteurs. Ces derniers sont de toute évidence ravis de servir les intérêts de cette farce qui, loin des académismes coutumiers du cinéma populaire français, se distingue par son originalité, son audace et son incorrection. Une sorte de rareté. François Ozon observe chacun de ses personnages le sourire en coin, dans le sillage des maîtres Ernst Lubitsch, Sacha Guitry ou Billy Wilder, qui savaient regarder les paradoxes et travers humains dans un mélange d’acuité et de joyeuse désinvolture. Dans ce petit monde, où l’on règle aisément les conflits les plus sombres, l’artifice est de mise, et il faut saluer le talent de l’équipe technique qui, des décors aux costumes, en soigne chaque détail avec inventivité. Il y a derrière cette histoire a priori légère un plaidoyer profond en faveur des femmes, dont on continue aujourd'hui de constater les crimes commis par des conjoints violents. Finalement, le témoignage de l'héroïne du film, qui se déroule il y a près d'un siècle, résonne comme un avertissement contre la bêtise masculine et la nécessité de veiller à préserver le droit et l'intégrité des femmes. Mais ne nous trompons pas. Mon crime n’est pas un film militant mais bien une comédie baroque et joyeuse, où le fait d’être dans les années 30 a permis à François Ozon d’avoir une distance pour faire rire d’une situation qui peut s'avérer dramatique : la condition féminine. Il le fait remarquablement.

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Fabuleux récit initiatique humaniste, drôle et bouleversant

Publié le par Michel Monsay

Fabuleux récit initiatique humaniste, drôle et bouleversant

Peu de cinéastes peuvent prétendre à une popularité comme celle dont jouit Steven Spielberg. Du Nouvel Hollywood aux premiers pas du blockbuster, des trucages bricolés à la révolution des effets numériques, du grand spectacle à l’introspection, il infuse notre imaginaire depuis cinquante ans. Que l’on préfère une période de sa filmographie à une autre, il demeure un raconteur d'histoire de génie et une figure majeure du septième art. Au fil d'une filmographie exceptionnelle, il est parvenu à concilier la plupart des cinéphiles exigeants et le grand public, et chacun de ses nouveaux projets continue de provoquer l’excitation. Coécrit par le cinéaste lui-même et son fidèle scénariste Tony Kushner (Munich, Lincoln, West Side Story), The Fabelmans narre la découverte par le jeune Sammy Fabelman, double fictionnel de Spielberg, de sa passion pour le cinéma et à quel point celle-ci va influer sur sa famille dysfonctionnelle. A 76 ans, Steven Spielberg affronte son passé en bousculant sa réserve légendaire, et filme ses premiers émois cinématographiques dans un récit initiatique avec une générosité, une délicatesse et une virtuosité qui n'appartiennent qu'à lui. À des kilomètres de l’exercice nombriliste d’un artiste regardant dans le rétro les raisons de sa légende, The Fabelmans ressemble davantage à un exercice réflexif, et parfois douloureux, sur les manières dont l’artiste peut fédérer, diviser, bouleverser la perception de soi et des autres au travers d’un mouvement de caméra a priori insignifiant ou du parti pris d'un montage . Alors que Spielberg dédiait West Side Story à son père, The Fabelmans semble a contrario vouloir offrir le fin mot de l'histoire à sa mère, avec les multiples dilemmes qui ont jalonné son existence et son insatiable recherche de liberté. Avec ce nouveau chef-d'œuvre,  en plus d'honorer les êtres aimés et disparus, il parvient à se délester de tous les simplismes et manichéismes pour délivrer un jeu de miroirs aussi jubilatoire qu'émouvant, grâce à une narration d’une fluidité absolue, une interprétation toute en subtilité, une mise en scène qui tutoie l’excellence, composant des plans sublimes pour déclarer son amour à sa famille, et nous montrer de manière lumineuse le pouvoir du cinéma. Ce film très personnel, qui nous touche profondément, permet de mieux comprendre comment le petit Steven est devenu l'immense Spielberg.

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Un bouleversant chant d’amour, de poésie et d’humanité

Publié le par Michel Monsay

Un bouleversant chant d’amour, de poésie et d’humanité

Pourquoi diable avoir soustrait aux yeux de la population chinoise ce film contemplatif et admirablement réalisé, l'histoire d'amour déchirante de deux laissés-pour-compte malmenés par la vie ? Pourtant la censure chinoise était déjà passée par là en faisant modifier la fin du film pour livrer un happy end plus politiquement correcte, qui heureusement n'est pas la version diffusée en France. Le cinéaste Liu Ruijun y met en scène sa terre d'origine, la province rurale du Gansu, proche du Xinjiang et de la Mongolie intérieure. Il filme au rythme des saisons, en suivant le cycle des cultures et des migrations d'oiseau. Ce réalisme est justement le premier grief du pouvoir contre Le Retour des hirondelles. En 2021, le Parti communiste chinois annonçait, triomphant, « la fin de la pauvreté absolue ». Or ce que l'on voit, dans le film, c'est justement cette même pauvreté absolue… Les deux principaux protagonistes, que leurs familles décident de marier au début du film, vivent l'existence miséreuse des paysans d'aujourd'hui dans une campagne que les habitants ont désertée. Le village compte une seule famille riche : celle d'un membre du parti. Le fils parade dans sa BMW tandis que le couple se déplacent à dos d'âne. Ce regard sans complaisance sur le système chinois se fait plus acéré à mesure que l'histoire progresse. Liu Ruijun accompagne avec amour ses deux personnages dans la lutte sans merci que devient leur vie. Il montre aussi, sans le moindre sentimentalisme, la tendresse qui les unit, mais le sort que réserve une société très dure à ces deux êtres fragiles paraît scellé d'avance. Le Retour des hirondelles apparaît comme une œuvre majeure, dont la maîtrise de la mise en scène, de l’écriture et de la photographie est stupéfiante. Autant le récit refuse l’esbroufe et se contente de regarder un couple d’une magnifique simplicité, autant le film touche quasiment la perfection. Il y a dans ce récit simple et beau, une âme romanesque. Et pourtant, le réalisateur refuse de céder au misérabilisme bien-pensant ou au drame romantique. Il montre, dans une langue débarrassée de toute fioriture inutile, la vérité de l’amour à travers un couple qui se contente d’être ce qu’ils sont au lieu de rêver ce qu’ils ne possèdent pas. D’abord censuré puis interdit par le pouvoir à la suite de son triomphe en salles, ce beau film est une élégie aux oubliés de la Chine moderne. Tourné dans les conditions d’un documentaire, il s’incarne magnifiquement dans les visages, les gestes et les regards de ses deux acteurs remarquables, l’un amateur, Wu Renlin, vrai fermier dans la vie et oncle du réalisateur, l’autre, Hai-Qing, une actrice très populaire, filmés par un cinéaste en symbiose avec la nature et ces existences rurales qu'il dépeint avec une vérité rare. Nous ne sommes pas prêts d’oublier ce couple d’amoureux bancals d’une rectitude déchirante.

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Une symphonie en Cate majeure

Publié le par Michel Monsay

Une symphonie en Cate majeure

Réalisateur rare à qui l'on doit deux très bons films, In the bedroom et Little children, Todd Field signe avec TÁR un grand film symphonique, inclassable et inquiétant, porté par une composition magistrale de Cate Blanchett. Nulle autre n’aurait pu incarner avec cette prestance, ce niveau de précision et de férocité un tel personnage. Elle interprète une cheffe d’orchestre, tout autant magnétique, fascinante, admirable qu’orgueilleuse, manipulatrice et méprisable. Elle habite son rôle avec une grâce et une force immenses, jouant autant sur la voix, les costumes, le pas, les mimiques du visage et du corps, que les dialogues où se mêlent subtilement les non-dits et la cruauté. Elle incarne une sorte de monstre de génie et de détestation qui n’a jamais peur d’humilier ses élèves et de réduire à rien ceux qu’elle cherche à écarter de son destin hors norme. En même temps, Lydia TÁR est aussi une femme perturbée, touchante, qui ne parvient pas à se départir de sa sensibilité et de la lutte qu’elle mène depuis toujours pour parvenir à un art pur, immense, profondément inscrit dans sa chair et sa vie. La puissance naturelle et sidérante de son interprétation lui a déjà valu le Prix d'interprétation à la Mostra de Venise et un Golden Globe, en attendant peut-être le troisième Oscar de sa carrière. TÁR est un film impitoyable, incommode mais heureusement exigeant. De cette exigence que l’on a vu disparaître dans le cinéma d’auteur américain, égaré en postures morales et manichéisme facile. Le film commence à la façon d'un documentaire sur le monde de la musique classique, l'exigence, la quête de perfection. Puis, doucement, il se laisse contaminer par un venin plus inquiétant, et à l'impressionnante lumière crépusculaire du directeur de la photo Florian Hoffmeister, s'ajoute un fascinant travail sonore. D’emblée, ce qui frappe, c’est la singularité de la mise en scène, sa rigueur, son austérité, sa composition en longs plans d’une netteté chirurgicale, dans une palette glaçante, mortuaire, entre le noir et le gris. On comprend que Todd Field va nous emmener loin, très loin. C'est aussi un film qui montre comment la création et le talent, le pouvoir et ses abus n’ont ni sexe ni genre. Remarquable sur bien des plans, TÁR est un film froid et contrôlé à l’image de son héroïne, avec une cohérence entre le fond et la forme, propre aux très grandes œuvres.

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Magistral, cruel, flamboyant

Publié le par Michel Monsay

Magistral, cruel, flamboyant

Babylon est un film jouissif, excessif, énorme, féroce, constitué d’une multitude de références et d’une mise en abyme perpétuelle. Sexe et amour, drogue et sobriété, égo et altruisme, créativité et trahison sont au cœur de Babylon, mais c'est est avant tout un film sur l’image, sur le son, sur la musique, et sur son rapport à ces éléments. En situant son film au passage du cinéma muet au parlant, le génial Damien Chazelle continue à explorer son obsession pour la relation entre l’image et le son, et la nature du jazz. En huit ans, ce cinéaste franco-américain nous a époustouflé en quatre films : Whiplash, La La Land, First man - Le premier homme sur la lune, et maintenant Babylon. On ne peut qu’être fasciné et transporté par ce qui explose à l’écran, cette frénésie contrôlée au millimètre près, et par la maîtrise du montage. Le sens du rythme de Damien Chazelle, et son sens du silence, sont tout simplement stupéfiants et démontrent, minute après minute, séquence après séquence, le pouvoir de l’image et du son, à travers leur présence, leur absence, leur décalage. Babylon en met plein la vue, plein les oreilles, plein le cerveau, plein le cœur et l’âme. Damien Chazelle y explore la place du cinéma dans une société à la dérive, qui en découvre les balbutiements et la magie. Il fait merveille en jouant avec les méthodes utilisées à l’époque : peu d’effets spéciaux, beaucoup de figurants, un tournage en 35 mm et en Cinémascope, et de la déraison à revendre. Le cinéaste entraîne le spectateur dans une folle sarabande où, avec une créativité sidérante, il reconstitue les tournages homériques de l'époque, les fêtes démentes où des éléphants sont conviés sur la piste de danse, et les coulisses mal famées d'une industrie où les coups bas et les drames sanglants sont légion. Babylon est aussi un film flamboyant sur les oubliés de l’histoire, ceux qui ont essuyé les plâtres pour que d’autres récoltent les lauriers. On y retrouve toute l’ambiguïté déchirante du cinéma de Damien Chazelle, qui reproduit dans un mouvement nostalgique une sorte d’émoi de la première fois, mais pour mieux capturer un désenchantement. Dans des superbes plan-séquences, il chorégraphie ses acteurs, tous épatants, et sa caméra avec virtuosité, et confirme qu'il est bien actuellement l'un des cinéastes les plus passionnants et les plus doués. Ce film dément et courageux, qui regarde Hollywood droit dans les yeux pour en scruter les abîmes et la lumière, est une superbe déclaration d'amour au cinéma.

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Une très belle histoire de famille doublée d'une lettre d'amour pour l'animation en volume par un génial artisan

Publié le par Michel Monsay

Une très belle histoire de famille doublée d'une lettre d'amour pour l'animation en volume par un génial artisan

Alain Ughetto redonne vie et éclat à des existences supposées minuscules parmi la masse des 25 millions d’Italiens émigrés en Europe au XXe siècle, ayant fui la misère et le fascisme, dont beaucoup ont construit nos infrastructures. Prix du Jury au Festival d'Annecy, l'équivalent de Cannes pour l'animation, Interdit aux chiens et aux Italiens est de ces films au charme inné, faits de bric et de broc, d’inspiration constante et d’intentions claires, loin des films d'animation américains aux images de synthèse lisses et souvent sans intérêt. A 72 ans, Alain Ughetto après s'être cherché en ayant été manœuvre, prothésiste dentaire et documentariste, s'est trouvé avec l'animation et a réalisé plusieurs courts-métrages, dont La Boule (récompensé en 1985 d’un César), et un long-métrage, Jasmine en 2013, qui racontait son histoire d’amour avec une Iranienne, à Téhéran, à la fin des années 1970. Après neuf ans de travail, Interdit aux chiens et aux Italiens, tourné image par image, retrace l’histoire de ses grands-parents italiens, partis du Piémont au début du XXe siècle pour s’installer en France. Il s’agit en fait de transmettre une double histoire : celle, individuelle, d’une famille pauvre, avec ses rares bonheurs et ses nombreuses épreuves intimes, et celle de l’Europe, avec ses deux guerres mondiales et les pérégrinations forcées de ses habitants. Le sens du devoir est omniprésent dans le récit, tandis que le jeu et la créativité sont des enjeux centraux de la mise en scène. L’amusement vient de la constitution du décor, recyclage d’aliments et objets ayant ponctué le quotidien des Ughetto. Dans Interdit aux chiens et aux Italiens, on grimpe dans des arbres en brocolis, on vit dans des maisons en cartons, en morceaux de sucre ou en courges. On se déplace dans des reproductions de trains et bateaux. Poétiser l’environnement et les actions de trois générations d’une même famille est certainement une manière pour Alain Ughetto de redonner à sa lignée l’innocence et la joie dont elle a été privée. Une main, celle d’Alain Ughetto, s’immisce régulièrement dans le champ, comme un personnage à part entière, pour tendre un outil à l’un de ses aïeuls, l’aider ou le questionner. Le film devient ainsi un témoignage rare sur l’art du cinéma d’animation, le geste bricoleur (hérité du grand-père) et le rapport intime entre la créature et son créateur. Pétri d’une poésie constante, traversé d’un humour italien qui donne à la tragédie une forme plus douce, le film offre une véritable matière aux souvenirs.

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Formidable tableau d'une paysannerie en voie de disparition

Publié le par Michel Monsay

Formidable tableau d'une paysannerie en voie de disparition

La cinéaste espagnole Carla Simon, dont on avait beaucoup aimé le premier film, Été 93, livre pour son second une œuvre solaire et vibrante qui a remporté l'Ours d'or du Festival de Berlin 2022. Un portrait choral, où l’amour de la famille, de la terre et du travail diffuse ses rayons nostalgiques et vivaces. On pense un peu à Tchekhov pour la cruelle mélancolie d’un monde en train de disparaître. A travers les yeux des plus jeunes dont l’insouciance des jeux d’été est menacée par la crise des adultes, Carla Simon saisit l’ampleur du drame qui est en train de se jouer. Comme dans Été 93, qui captait le bouleversement existentiel d’une gamine orpheline de six ans, en phase d’adaptation à son nouveau foyer, Nos soleils emballe par son ampleur émotionnelle. La caméra aime ces silhouettes et ces peaux d’interprètes non professionnels, qui offrent magnifiquement leur véracité et leur langue catalane au grand écran. Quelque chose du cinéma de Maurice Pialat irrigue les films de Carla Simon tant leur existence a à voir avec un sauvetage, un élan consistant autant à préserver, des gestes, des liens et des choses impalpables qui font le quotidien, qu’à capturer, dans sa plus vibrante vitalité, l’orée d’un crépuscule. Il y a une lucidité de regard rare, une recherche de la nuance, de l’ambivalence constante qui donne au film toute sa profondeur existentielle entre la comédie et le drame. Nos soleils connecte l'histoire personnelle de la cinéaste, qui a passé les étés de sa jeunesse dans l'exploitation familiale d'arbres fruitiers à Alcarràs, un petit village de Catalogne, à l'universel, en suivant le combat d'une famille pour continuer à exploiter une terre convoitée par des promoteurs de l'énergie solaire, et qui subissent aussi la guerre des prix menée par la grande distribution. Entre chronique familiale et défense d’un monde sacrifié, entre récits des anciens et insouciance des enfants, Carla Simon bâtit un récit dont la sincérité nous touche profondément. Avec une sensibilité aiguë et un réalisme âpre, elle met en scène la disparition progressive d'une certaine idée du monde agricole.

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Une tragicomédie cruelle et déchirante

Publié le par Michel Monsay

Une tragicomédie cruelle et déchirante

Pour son quatrième film, Martin McDonagh, à qui l'on doit la délirante comédie noire Bons baisers de Bruges et plus récemment l'excellent 3 billboards : les panneaux de la vengeance, vient d'être récompensé aux Gloden globes en remportant trois prix : Meilleure comédie, classification bizarre vu que Les Banshees d'Inisherin est plus proche du drame que de la comédie, meilleur scénario et meilleur acteur pour Colin Farrell, ces deux derniers prix ont aussi été attribués au film à la Mostra de Venise. Drôle, tragique, absurde, grinçant, pathétique, tendre, ce récit d’une amitié dévorée par le temps est un blues celte au cœur de paysages magnifiques sur une île irlandaise. Après avoir tourné en Belgique puis aux États-Unis, le cinéaste et dramaturge revient sur les terres de ses ancêtres pour nous raconter cette histoire d'amitié brisée du jour au lendemain, qui se déroule en 1923, comme un écho à la guerre civile en Irlande que l'on entend gronder ponctuellement en arrière-plan. On est au pays des songes, avec des collines d’une grande beauté, des visages crevassés par le vent, une mer qui ressemble à un chaudron de cuivre en fusion. C’est gai, c’est triste, c’est humain, profondément. Martin McDonagh interroge le mythe des artistes torturés qui utilisent la création comme excuse pour justifier leur tyrannie, tout en sondant l'orgueil, la culpabilité, la solitude, et l'ambition. Par souci d’authenticité, le cinéaste a opté pour un casting 100 % irlandais, avec à sa tête le duo de Bons baisers de Bruges, Colin Farrell et Brendan Gleeson, qui se montrent, chacun dans son registre, exceptionnels dans leur voyage absurde de la tendresse à la haine. Cette fable étonnante nous raconte la pulsion de destruction qui traverse parfois les hommes, l'angoisse du temps qui s'écoule, mais aussi d'une vie qui passe sans laisser de trace. Le cinéaste nous emmène loin dans l’exploration de la nature humaine sur cette île hors du temps.

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Formidable et bouleversant pied de nez aux autorités iraniennes

Publié le par Michel Monsay

Formidable et bouleversant pied de nez aux autorités iraniennes

Le grand cinéaste iranien Jafar Panahi n'a plus l'autorisation de tourner depuis 2010. Tous ses films se font désormais de manière clandestine, en équipe réduite. Pour Aucun ours, il a effectué un long travail de repérage pendant trois mois et a trouvé le décor de son film dans un village près de Tabriz, à proximité des frontières de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie. Mais la présence de l'équipe a été dénoncée auprès des autorités, la forçant à fuir pour poursuivre le tournage dans d’autres villages alentour. Jafar Panahi, en prison à Téhéran depuis juillet dernier, agite avec la métaphore du titre sur la peur engendrée par l'ours, le chiffon des traditions manipulatrices et du pouvoir répressif. Aucun ours est d’une richesse thématique et formelle inépuisable, une mise en abyme imparable. Le cinéaste filme ses propres moyens de production, tout en dénonçant les raisons qui l’obligent à tourner par écran interposé. A l'époque du tournage, encore libre de mouvement dans son pays mais interdit de filmer, il effectue ce choix pour démontrer qu'il est capable de faire des films en usant d'une parade avant même qu'on la lui impose. C'est lui qui décide. Les traditions, sur lesquelles repose pour beaucoup le discours religieux en Iran, et la politique coercitive exercée dans le pays, sont fondées sur la peur. Jafar Panahi démontre comment il la surmonte dans la créativité. Pour le réalisateur, le cinéma est une arme contre le pouvoir. La preuve est que l’État iranien le combat. Le génie de Panahi vient de l’élégance et de l'humour avec lesquels il réplique à ces attaques. Il articule un récit d’une puissance réflexive inouïe sur son pays et sa place de cinéaste tout en s’interrogeant, avec une exigence admirable, sur la responsabilité de celui qui fait naître les images sans ne jamais se complaire dans un rôle victimaire. La colère a pris le pas sur l’humour malicieux habituel, toujours présent malgré tout. Le niveau d’urgence, de douleur et de frustration crie dans chaque plan du film et plus particulièrement dans un fragment saisissant où il ne parvient pas à enjamber la ligne invisible pour quitter son pays. Récompensé, par le Prix spécial du jury à la dernière Mostra de Venise, comme quasiment tous les films du cinéaste que ce soit à Cannes, Venise ou Berlin, Aucun ours joue à nouveau, après Taxi Téhéran (2015) et Trois Visages (2018), avec la limite floue entre documentaire et fiction. Jafar Panahi continue d'inventer un petit théâtre avec les moyens du bord mais qui nous passionne à chaque fois, pour mieux exprimer sa détresse d’auteur en quête de personnages, dénoncer l'insupportable condition féminine et capter l’essence inquisitrice d’un pays aux citoyens effrayés par leur propre ombre.

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