Une trajectoire hors normes
D'abord médecin rhumatologue puis chercheuse jusqu'à devenir Docteur ès sciences en étant Bac + 19, Claudie Haigneré est à ce jour la seule femme astronaute européenne à avoir volé dans l'espace. Après avoir été Ministre de la recherche puis des affaires européennes, elle dirige aujourd'hui Universcience, la réunion du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l'industrie.
Depuis deux ans et demi, Claudie Haigneré s'est vue confier la mission de regrouper le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l'industrie de Paris, dans un même établissement public appelé Universcience. Elle en a été nommée présidente en février 2010, une évidence dans la continuité de son parcours. La science, la technologie, le partage des connaissances, la transmission ont toujours été ses principales motivations. Pouvoir agir en réunissant ces deux lieux prestigieux l'a incitée à relever le challenge : "On est dans une civilisation de l'information, à la fois complexe et accélérée avec des avancées scientifiques, des progrès technologiques. Il est important pour le public d'avoir des repères, Universcience a l'ambition d'accompagner chacun. Pour autant, cette réunion n'est pas facile, les deux maisons étant de taille, de culture et de statut différents, je dois penser à un avenir qui nous soit commun sans que chacune ne perde son âme et son identité."
Mettre la science à portée de tous
Cet ambitieux projet l'amène à rechercher des partenaires en région et des moyens financiers pour le mettre en place. Outre les subventions des ministères de la culture et de la recherche, Universcience a obtenu dans le cadre du grand emprunt 2010, une enveloppe dédiée à des investissements d'avenir, notamment dans le domaine de l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire. A ce sujet le 1er forum territorial de la culture scientifique et technique qui s'est tenu en septembre 2010, a réuni l'ensemble des acteurs nationaux et régionaux pour définir la meilleure gouvernance possible à la mise en place de cet enjeu majeur du XXIe siècle irrigant aussi les territoires ruraux.
Comme le précise Claudie Haigneré : "Mon rôle est d'organiser la meilleure médiation entre les savoirs des scientifiques et la connaissance de chacun. Être un passeur entre les cahiers des chercheurs et ce que le public peut s'approprier de manière à comprendre la science et la technologie. Autant dans l'éducation des plus jeunes en suscitant des vocations que dans la formation à la responsabilité de citoyen, pour préparer l'avenir avec audace et créativité."
La politique pour servir la science
Femme d'engagement sur des sujets qui lui sont chers plutôt que femme politique, elle n'a toujours accepté des missions que dans des domaines où elle se sentait légitime. Lorsque Jean-Pierre Raffarin lui propose de devenir Ministre de la recherche en 2002, puis Ministre des affaires européennes en 2004, elle témoigne d'un cursus scientifique impressionnant et d'une collaboration de travail avec l'agence spatiale européenne de plusieurs années. Cette période au gouvernement, malgré un contexte difficile de guerre contre "l'intelligence" et de "non" au référendum du traité européen, a permis à Claudie Haigneré de porter certaines de ses convictions jusqu'au bout.
En premier lieu, elle a reconstruit la politique spatiale française et européenne après l'explosion en plein vol d'Ariane 5 en 2002, et depuis, plus aucun échec pour la fusée européenne sur les 38 lancements effectués. Une autre grande fierté pour la ministre de la recherche est l'attribution à la France, du lieu de construction et d'exploitation du démonstrateur du réacteur de fusion nucléaire ITER. Grand projet de production d'énergie par une fusion comme au cœur des étoiles, en collaboration avec l'Europe, les Etats-Unis, la Russie, le Japon, la Chine et l'Inde. Claudie Haigneré et son équipe ont aussi eu l'idée d'une agence nationale de la recherche, qui sera créée juste après son départ du gouvernement. Elle ajoute : "Je suis heureuse qu'entre 2004 et aujourd'hui, il y ait eu une prise de conscience concernant l'importance du développement de la recherche et des technologies innovantes. En 2004, ma voix a commencé à porter, la rue m'a aidée à la diffuser et aujourd'hui la recherche est une priorité reconnue et mise en œuvre."
Une élève surdouée
Au commencement de ce parcours, il y a une petite fille de 12 ans qui voit à la télé les premiers pas de l'homme sur la lune : "Ce qui appartenait au domaine du rêve est devenu possible. Je n'ai pas décidé cette nuit-là de devenir astronaute mais quelque chose s'est allumée dans ma tête, j'ai lu des revues, regardé des reportages." Claudie Haigneré est une brillante élève qui arrive au Bac avec 2 ans d'avance, ce qui l'empêche d'intégrer l'INSEP pour devenir prof de gym. Elle choisit alors médecine pour étudier la physiologie et l'anatomie afin de bien préparer le concours de l'INSEP l'année suivante. En finissant major cette première année si difficile, il lui paraît évident qu'elle doit continuer, tout en ne s'éloignant pas trop de sa première passion.
Elle devient médecin rhumatologue, spécialiste en traumatologie du sport, puis développera ensuite un programme de recherche en vol sur le fonctionnement du corps qu'elle présentera lors de sa candidature pour devenir astronaute. De sa pratique médicale, elle retient : "J'ai choisi d'exercer en équipe à l'hôpital Cochin la rhumatologie, qui n'est pas une spécialité d'urgence, où l'on s'occupe du fonctionnement du corps en prenant le temps d'expliquer au patient." Sa soif d'apprendre toujours plus, la pousse à aller jusqu'à Bac + 19 en accumulant les diplômes et en devenant étudiante chercheuse au CNRS, ce qui lui permet d'obtenir le titre de Docteur ès sciences.
L'aventure spatiale
L'appel à candidatures du Centre national d'études spatiales en 1985 pour recruter des astronautes, recueille 1000 dossiers, seulement 7 sont retenus dont une femme, Claudie Haigneré. Elle analyse ainsi sa sélection : "Des compétences, la détermination, une bonne santé, des bons critères physiques, physiologiques, psychologiques, une bonne structuration, des capacités à s'adapter, à communiquer, à apprendre les langues, et une part de chance." Après ses années de recherche en neurosciences sur le rôle de la gravité dans la coordination des mouvements, elle est choisie pour être astronaute doublure sur des vols franco-russes et part s'entraîner en 1992 à la cité des étoiles près de Moscou. Elle y passe près de 10 ans où malgré des entraînements difficiles durant lesquels elle se donne à 200%, être la seule femme ne lui pose pas de problèmes.
Elle devient la première et unique femme astronaute européenne à avoir volé, et ce à 2 reprises en 1996 (station orbitale russe MIR) et 2001 (Station Spatiale Internationale) où elle séjourne en tout 25 jours dans l'espace : "D'un seul coup tout se met en œuvre, vous êtes installé tout en haut de la fusée et c'est la mise à feu. Ce que vous aviez répété en simulateur s'avère bien différent de la réalité. En 8 min les 3 étages de propulsion de la fusée mettent en orbite le vaisseau Soyouz à 200 km de la terre, puis s'ensuivent 48h de manœuvres pour s'amarrer à la station spatiale qui se trouve à 400 km. La station se déplace à 28 000 km/h, on fait donc 16 fois le tour de la terre par jour. C'est magique d'ouvrir la porte de l'écoutille, d'être en microgravité, de regarder par le hublot… avec cette responsabilité de mener à bien le programme scientifique à bord de la station. Le retour est plus viril que le décollage qui se fait par poussées progressives. Ca bouge énormément et c'est tellement au-delà de ce que notre système vestibulaire est capable de comprendre, que j'ai eu l'impression la 1ère fois de m'écraser contre le pupitre de bord. J'ai donc fermé les yeux pendant une minute, le second vol, je ne les ai pas fermés."
Une reconnaissance à double sens
En tant que médecin et scientifique, Claudie Haigneré a particulièrement apprécié durant ses 2 vols, de découvrir les possibilités qu'a le corps d'utiliser les 3 dimensions de l'espace. Le spectacle vu par le hublot lui a fait prendre encore davantage conscience, de la responsabilité des humains face à la beauté et la fragilité de la terre porteuse de vie au milieu du cosmos noir. Toutes ces années passées en coopération internationale au cours des missions au sol et dans l'espace ou en travaillant pour l'Agence spatiale européenne lui ont apporté beaucoup de bonheur et de nombreuses distinctions russes, allemandes et françaises en étant notamment Commandeur de la Légion d'honneur.
A 55 ans, lucide sur son incroyable parcours, elle conclue simplement : "Avec tout ce que l'on m'a donné, j'ai eu beaucoup de chance, et de part toute l'estime que l'on m'a témoignée, je suis redevable à beaucoup de gens. Voilà pourquoi je suis aujourd'hui dans la transmission, le partage et la promotion de la culture scientifique et technique. Avoir cette responsabilité est une fierté et un engagement total."