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interviews politiques et societales

"Un fossé est creusé entre le monde du commun et le politique, nos propositions comblent ce vide"

Publié le par michelmonsay

Jean-Luc Mélenchon 001

Cette interview réalisée en octobre 2010 révèle les bases de l'irrésistible ascension de Jean-Luc Mélenchon, qui grâce à un talent oratoire évident, une grande lucidité, une simplicité naturelle, est devenu en quelques mois la belle surprise de cette élection présidentielle.

 

Personnalité incontournable de la gauche d'aujourd'hui, l'ancien socialiste Jean-Luc Mélenchon a réveillé le paysage politique avec son franc-parler en créant il y a 2 ans, le Parti de Gauche. A 59 ans, ce député européen après avoir été sénateur et ministre de l'enseignement professionnel sous Jospin, invite à une révolution citoyenne par les urnes en nous livrant une analyse cinglante et fouillée de la situation actuelle.

 

Quel est le rôle du Parti de Gauche dans l'échiquier politique ?

Jean-Luc Mélenchon - Le parti de gauche est le résultat d'une crise de la gauche institutionnelle. Le déclencheur a été la rupture de parlementaires socialistes avec le PS. C'est un parti républicain, socialiste et écologiste et en aucun cas gauchiste, fondé sur le modèle allemand "Die Linke". Notre idée est d'incarner la suite du socialisme historique. Le risque de disparition pure et simple était fort. Comme en Italie où la gauche s’est elle-même dissoute. Nous sommes à la fois traditionnels en étant liés à l'histoire du mouvement ouvrier, et novateurs en ayant opéré une jonction avec l'écologie politique et une rupture avec le social libéralisme. Nous essayons d'être catalyseurs de l'autre gauche en formant avec le parti communiste, le Front de gauche, rejoint par une scission du nouveau parti anticapitaliste (NPA). Pour nos premières élections, les européennes puis les régionales, nous avons eu un score de 6 à 7% des suffrages. C’est un bon début.

 

N'y a-t-il pas trop de dispersions au sein de la gauche dans la perspective d'une alternative en 2012 ?

J-L.M. - On ne peut pas dissocier la stratégie de reconquête du pouvoir par la gauche d’avec son contenu. Le PS pense que si la locomotive capitaliste fonctionne, il y aura des retombées en acquis sociaux pour les travailleurs. C'est une vision du 19ème siècle qui méconnaît la réalité de notre temps. Faute d’être capable de proposer une synthèse crédible à toute la gauche, le parti majoritaire est en train de la diviser en profondeur. En se contentant d’accompagner le système elle voudrait pousser une aile qui se radicalise vers l’isolement. La complaisance pour le patron du FMI est une adhésion à ses thèses. On voit pourtant comment sa politique aboutit à l'étranglement des économies européennes qui ont le malheur de tomber sous sa coupe.

Aujourd’hui, la scène politique et médiatique est un décor en carton-pâte. Des gens s'y agitent sans se rendre compte qu'un grand nombre de français s’en détourne absolument. Aussi bien à droite qu'à gauche, les gens ne comprennent plus. Ni  les comportements du président ni la politique d'opposition parfois ambiguë des socialistes, notamment à propos des retraites. Je suis consterné par le niveau d'abstention et par les larmes des dirigeants politiques au soir des élections, qui ne tirent aucunes conclusions pour la suite. Un fossé est creusé entre le monde du commun et le monde politique. Nos propositions comblent ce vide

 

Quelle est votre analyse de la situation économique tant au niveau international qu'en France ?

J-L.M. - Le gonflement de la masse monétaire américaine, purement spéculatif et déconnecté de la réalité économique, a nourri une bulle financière qui rend la situation mondiale gravissime. Pour autant, la France est loin d'être la plus mal lotie grâce à une immense capacité d'imagination, une réserve de matière grise considérable, et en étant la première dans toutes sortes de domaines dont l'agriculture. Malgré cela, les inégalités clouent la dynamique de notre pays au sol ! La France n'a jamais été aussi riche de son histoire en produisant près de 2000 milliards d'euros. Mais la répartition s’est brutalement déséquilibrée en faveur de la finance. Une mentalité du chacun pour soi s’est imposée, qui dévaste toutes les catégories. L'agriculture n'y coupe pas, où les écarts de revenus sont considérables, ce qui mine la profession pour penser son avenir.

Il y a aujourd'hui une confrontation entre le capital productif et le spéculatif. Un trader qui est capable de faire aller à la hausse le cours d'une céréale, l'est tout autant pour le faire aller à la baisse sans aucun rapport avec la production réelle. Ces deux modèles s'incarnent à travers les deux grandes puissances mondiales, la Chine et les Etats-Unis. L'Europe, pendue au dollar, est à la remorque des américains. Nous devrions être plutôt dans des accords de coopération privilégiée avec les chinois, les brésiliens et les indiens qui eux au moins produisent quelque chose et pas seulement du papier monnaie.

 

Comment la gauche pourrait inverser la tendance sur le plan économique et dans le domaine agricole particulièrement ?

J-L.M. - Il faut pour sortir de l'impasse, couper tous les circuits qui alimentent la bulle financière. Cela concerne les grands circuits économiques autant que les individus. Le temps des grands patrons hors de prix dont les salaires sont sans rapport avec les résultats de leurs entreprises doit finir. De même, les ultras riches investissent de manière irresponsable dans des consommations ostentatoires anti-écologiques et alimentent la bulle en spéculant. Je propose donc un revenu maximum annuel de 360 000 euros et plus globalement, réduire de manière drastique les inégalités. Autre point primordial, se donner un axe de planification écologique en organisant la transition vers un autre modèle productif et de consommation.

La France doit rester une nation souveraine sur le plan alimentaire en contribuant à un modèle d'agriculture souveraine pour l'Europe. Nous ne pouvons pas accepter que le jeu du marché détruise des pans entiers de l'économie agricole, il faut revenir à un système qui garantisse la stabilité des prix.  Cela veut dire qu'un certain modèle tourné exclusivement vers l'exportation doit prendre fin, il tue l'agriculture paysanne et dévaste celle des pays du Sud. Le productivisme a atteint ses limites.

 

Pourquoi la réforme des retraites vous parait inacceptable et que proposez-vous pour interrompre ce bras de fer ?

J-L.M. – Cette réforme est une vision étroitement comptable, mais elle ne permettra pas le rétablissement de l'équilibre des comptes. Ce qui éventuellement serait réparé par l'allongement des durées de cotisations et le report de l'âge légal, sera instantanément creusé en trou dans les caisses d'assurance chômage et maladie. Si l'on travaille plus vieux, on s'abîme plus vite et pour le coup on vivra moins longtemps. Ce sont aussi les petits bonheurs de la vie qui sont en cause. Il faudrait pour financer les retraites, un niveau de création d'emploi comme sous le  gouvernement Jospin : 2 millions d'emplois créés en 5 ans. Mais aussi, l'élargissement de l'assiette des cotisations aux revenus financiers. Si l'on taxait les revenus du capital comme ceux du travail, et ce n'est quand même pas du bolchevisme de dire cela, le problème des retraites serait résolu.

Le président joue volontairement l'incendie en étant dans la logique des grands libéraux comme Thatcher ou Reagan qui affrontaient une catégorie sociale. Puisque le pays ne veut pas de cette réforme et que le président pense qu'elle est indispensable, rendons le peuple arbitre de la question en organisant un référendum.

 

Vous êtes sans illusions envers la presse d'aujourd'hui mais néanmoins un bon client, que pensez-vous de cette situation ?

J-L.M. - La presse en général et le traitement de l'information en particulier fonctionnent sur le mode sensationnaliste, tout simplement parce que cela est plus facile et prend moins de temps. Ce n'est pas l'intelligence de ceux qui travaillent dans les médias qui est en cause, mais la réduction des effectifs et l'insécurité sociale. Une poignée de journalistes doit faire le travail que faisaient tous les autres, sans jamais pouvoir approfondir. Il y a de plus en plus de CDD, de stagiaires voire de gens qui travaillent gratuitement autant dans la presse écrite qu'audiovisuelle. Résultat, l’insécurité sociale des journalistes bride leur esprit critique. Mais quelques stars sont très bien payées, c’est vrai.

Je me suis rendu compte dans la pratique de l'interview que la forme compte au moins autant que le fond. Cela ne m'empêche pas de continuer à écrire énormément de textes pour alimenter mon blog et publier des livres. Parallèlement, je prépare chaque passage devant la presse très méthodiquement. Mais le plus souvent on m'interroge sur des sujets dérisoires. L'industrie du spectacle et de l'information y trouve son compte. Mais de mon côté j'arrive à faire passer mes messages. Nous profitons mutuellement l'un de l'autre.

 

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« Le sport professionnel ne se justifie que s’il est vecteur de lien et d’exemplarité »

Publié le par michelmonsay

Claude Onesta - Handball-Teamchef France (2)    

Le faux-pas en Serbie n’enlève rien au prestigieux palmarès de l’entraîneur le plus titré du sport collectif français, champion olympique, deux fois champion du monde et deux fois champion d’Europe. Tourné désormais vers les Jeux de Londres, Claude Onesta élu manageur de l’année 2011, nous parle de sport, de ses valeurs, de la société, de la crise avec la lucidité et la générosité qui le caractérisent.

 

Qu’a-t’il manqué à l’équipe de France pour continuer sur sa lancée lors de cet Euro en Serbie ?

Claude Onesta - Vous avez l’impression que tout le monde est bien en place, chacun exprime sa volonté de réussir une fois de plus, mais au-delà des discours, les joueurs sont peut-être un peu moins déterminés qu’il le faudrait, pas suffisamment inquiets. Tout cela relève de réglages infimes, je n’avais pas en face de moi des joueurs qui avaient perdu le sens de leur engagement. En cours de préparation, j’ai relevé un manque d’intensité dans le travail mais chacun pensait que ça irait quand même. Puis on rate le début de la compétition, on commence à se crisper, à douter, et avec un match tous les deux jours, le dérapage continue sans que l’on puisse retrouver la bonne direction. Cet échec comportait le risque de fracture pour la suite, et dans notre malheur nous avons réussi à éviter que le groupe se disloque et que les joueurs se renvoient la responsabilité. Autrement dit nous avons réussi à vivre cette défaite de manière solidaire et digne. Il appartient aujourd’hui à chacun de faire le tour de ce qui lui a manqué ou de ce qu’il n’a pas fait, et dresser un bilan qui servira à la construction de la préparation aux Jeux Olympiques.

 

Mis à part l’Euro, quelle est la recette du succès de l’équipe de France et de votre méthode en particulier ?

C.O. - Il ne suffit pas d’additionner des joueurs de talent pour que cela fonctionne, manager une équipe ou un groupe d’individus quelle que soit leur activité, c’est arriver à les rendre solidaires, à ce que l’intérêt général soit une priorité pour chacun, en faisant le pari que la réussite collective générera des réussites individuelles conséquentes. L’équipe de France est passée d’une gestion directive à une gestion participative où les joueurs élaborent le projet avec moi. Je reste l’autorité, celui qui décide mais aussi celui qui écoute, met en relation, trouve des équilibres qui sont le support de la confiance réciproque qui règne dans le groupe. Je dois être capable de comprendre le fonctionnement de chacun, de les associer autour d’un objectif commun, et d’anticiper les problèmes pour essayer de les résoudre ensemble. La responsabilisation d’une prise de décision permet au joueur de l’assumer de manière plus cohérente.

 

Votre réussite est l’objet de très nombreuses sollicitations, qui fait appel à vous et dans quel but ?

C.O. - Le monde sportif bien sûr, mais aussi le monde associatif, caritatif, politique, économique. J’étais porteur, un peu moins avec la défaite en Serbie…, d’une image de réussite avec une connotation sociale et humaine. Aujourd’hui tout le monde a envie de réussir et en plus d’être aimé des autres. J’ai eu la sensation de servir d’exemple et d’être utilisé à toutes les sauces, mais j’ai toujours essayé de garder beaucoup de distance. Aujourd’hui malheureusement, le monde du travail repose sur un modèle hiérarchique où l’on a isolé les individus du projet global en les encourageant à être meilleur que son voisin. Les entreprises ont de ce fait beaucoup de mal à faire travailler les gens ensemble. J’essaie de faire passer le message qu’en se faisant confiance, en se parlant, on comprend pourquoi l’autre va être utile et on peut arriver ainsi à des performances durables et plus conséquentes. Cette méthode n’est pas rêvée, il faut lui donner du sens, vivre avec ces idées sur le long terme, on ne peut pas juste se contenter de le dire, puis ensuite ne pas le faire.

 

Quel regard portez-vous sur le handball par rapport aux sports plus médiatisés ?

C.O. - Le handball, tout en étant sur le devant de la scène, est sur des niveaux de gains et de rétributions bien moindres que d’autres sports, donc avec des enjeux moins conséquents. Pour autant, mes joueurs gagnent entre 10 000 et 30 000 € mensuels, ce qui n’est pas neutre. On est aussi porteur d’une image d’exemplarité dans les comportements, on essaie d’éviter toutes les indécences que l’on peut voir chez d’autres, qui ne se rendent pas compte des dégâts générés par leur attitude sur la jeunesse. Notre modèle est très basé sur les valeurs éducatives à l’inverse de nombreux sports professionnels, on nous a souvent d’ailleurs reproché d’être un sport d’enseignant ou de prof de gym. Aujourd’hui avec la notoriété et la médiatisation de nos joueurs, il pourrait y avoir un dérapage mais l’encadrement veille au grain. Le sport professionnel ne se justifie que s’il est vecteur de lien et d’exemplarité, tout en étant une vitrine qui va donner envie aux jeunes de pratiquer une discipline. D’autant que nous avons en France la chance d’avoir le système des pôles espoirs dans chaque région.

 

Le sport est-il touché par la crise et vous-même comment la percevez-vous ?

C.O. - Les tous meilleurs joueurs ne sont pas touchés par la crise, vu qu’ils ont un caractère unique, par contre le budget des clubs professionnels est en baisse. Les collectivités qui contribuent à ces budgets ont aujourd’hui d’autres priorités, de même les entreprises ont diminué le sponsoring et la publicité. Les clubs étant moins solides, il y a moins de contrats professionnels ou alors ils sont plus précaires. De son côté, la pratique sportive de loisir continue d’augmenter, c’est un équilibre de vie et elle permet d’évacuer une partie des inquiétudes. Le milieu associatif contribue aussi à partager avec d’autres les difficultés, à trouver des notions de solidarité, de projets communs qui permettent de se mobiliser et se sentir moins seul.

Moi qui suis quelqu’un de construit sur le partage, l’échange et la participation, j’ai la sensation que ce monde est devenu fou, et malgré les alertes successives il ne se régule jamais. Cette course absolue à une rentabilité permanente et immédiate est complètement ridicule, mais malheureusement les états n’ont plus la maîtrise de leur politique, ce sont les marchés qui régulent tout, générant des situations inquiétantes pour le plus grand nombre. En matière de santé par exemple où les évolutions profitent toujours aux mêmes. Quand on peut aujourd’hui découvrir des médicaments qui devraient résoudre des problèmes de mortalité dans certains endroits, et que l’on ne les développe pas à cause du manque d’argent de ces pays, le cynisme de cette logique économique est insupportable.

 

Qu’attendez-vous de cette période électorale et vers quels changements doit-on aller, notamment dans le domaine agricole ?

C.O. - L’ultralibéralisme a montré qu’il était destructeur, il faudrait revenir à un système mieux équilibré où l’Etat devienne l’élément de régulation qui permette la protection du plus grand nombre. Il va certainement falloir passer par des périodes plus difficiles pour absorber une partie de nos excès. J’espère que ce seront ceux qui ont le mieux profité de la situation qui seront les plus sollicités pour faire des efforts. Cela dit, celui qui est devenu riche en générant du travail et un environnement social prolifique, ne mérite pas d’être puni. Par contre, celui qui ne vise que la spéculation doit être mis à contribution.

Par ailleurs en faisant des économies dans des secteurs comme l’éducation, on va peut-être résoudre des problèmes financiers sur le court terme, mais sûrement provoquer des problèmes conséquents sur l’avenir et en particulier pour la jeunesse. Le sport est souvent présenté comme le remède à tous les maux liés à cette jeunesse, drogue, addictions, insertion, violence, mais il ne représente que 0,1% du budget de l’Etat et ne peut pas de ce fait résoudre toutes les difficultés. Il va donc falloir se donner plus de moyens, à la fois pour le sport de masse mais aussi pour celui de haut-niveau, où il faut aussi une meilleure répartition avec les sports dits amateurs. Il n’est pas normal, qu’un athlète qui s’entraîne 5 heures par jour à un niveau international et qui est capable de devenir champion du monde, gagne à peine le SMIC, comparé au train de vie indécent du football.

Les agriculteurs, dont souvent le travail ne suffit plus pour vivre dignement de leur activité, sont peut-être au 1er plan des difficultés de nos sociétés modernes, au regard de ce qu’est la concurrence venant d’ailleurs. L’exemple des produits espagnols est frappant, ils arrivent dans le Sud de la France à un prix qui n’est même pas le prix de revient d’un kilo de fruits produit en France. On a construit une Europe marchande, en négligeant l’aspect fiscal et social mais aussi en oubliant d’uniformiser les problématiques.

 

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