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interviews politiques et societales

« La France mène une diplomatie globale »

Publié le par Michel Monsay

« La France mène une diplomatie globale »

Avec l’élargissement de son portefeuille ministériel, Laurent Fabius est aujourd’hui sur tous les fronts, des conflits internationaux à la préparation du sommet mondial pour le climat à Paris, en passant par la promotion de la gastronomie française et plus largement du « made in France ».

 

Comment se porte la gastronomie française et quelle place a-t-elle dans la diplomatie que vous menez ?

Laurent Fabius – La gastronomie française est la première au monde par sa réputation. Elle participe à notre identité. Le très haut de gamme se porte bien avec des chefs étoilés présents au plan international. Mais la concurrence est de plus en plus vive et il y a une tendance – infondée mais qui existe – chez certains à penser que la gastronomie française serait un peu passéiste – une variante culinaire du « french bashing »... Nous devons réagir, encourager l’ensemble de la filière, des producteurs aux restaurateurs : ils doivent sentir que le pays est derrière eux. La promotion de notre gastronomie passe notamment par la création d’événements marquants, comme la présentation cette année du Guide Michelin au Quai d’Orsay ou le dîner à la française qui sera servi le 19 mars dans près de 1 500 restaurants sur les cinq continents, dans les ambassades de France des 150 pays participant à cette soirée, et au château de Versailles où tous les ambassadeurs étrangers seront invités.

La France mène une diplomatie globale, en s’occupant aussi bien des problèmes stratégiques, du développement, de la culture, de notre présence économique, de la recherche scientifique, des exportations agro-alimentaires, mais aussi de la gastronomie et de l’œnologie : le rayonnement de la France constitue un tout. De la même manière, je vais mettre en place prochainement une mission sur les croisières fluviales et maritimes, secteur en pleine expansion. N’oublions pas que le tourisme représente plus de deux millions d’emplois non-délocalisables, avec une perspective considérable de développement. Aujourd’hui, un milliard de personnes voyagent dans le monde, en 2030 il y en aura le double : si nous captons une partie de ce nouveau public, notre situation économique se présentera bien mieux.

 

Vous serez président de la conférence mondiale sur le climat en décembre prochain à Paris, comment parvenir à un accord ?

L.F. - La lutte contre le dérèglement climatique est un sujet essentiel et complexe. Il faut parvenir à mettre d’accord 195 pays, c’est donc un défi extrêmement difficile. Il existe cependant des raisons d’être confiants. Ce phénomène scientifique était contesté il y a quelques années, aujourd’hui il ne l’est plus : les « climato-sceptiques » sont devenus une petite minorité. Par ailleurs, de nombreuses entreprises commencent à prendre en compte ce problème majeur car elles y trouvent une occasion de croissance : la croissance verte est l’un des piliers de l’économie de demain. Enfin, beaucoup de responsables politiques ont pris conscience que la survie de la planète est menacée. Comme le dit Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unies : « Il n’y a pas de plan B, puisqu’il n’y a pas de planète B. » Il y a quelques mois, un accord a été signé sur ce sujet entre les Chinois et les Américains, ce qui était impensable il n’y a pas si longtemps. De son côté, l’Europe a pris en octobre une série d’engagements ambitieux. Je reviens d’Inde, où le problème du dérèglement climatique est également de mieux en mieux compris.

L’accord, qui doit être juridiquement contraignant tout en impliquant des obligations différentes selon la richesse des pays, doit conduire à ne pas dépasser 2°C de réchauffement d’ici la fin du siècle. Les gros émetteurs de gaz à effet de serre que sont les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, souhaiteront, je l’espère, un accord. Ce sera difficile pour les pays producteurs de pétrole, puisqu’il s’agit de moins utiliser les énergies fossiles. Cela pourrait l’être également pour certains pays pauvres, malgré leur bonne volonté. La France, quant à elle, a fourni une contribution financière importante au Fonds vert pour le climat, et la loi sur la transition énergétique qui a été votée est très novatrice. Nous avons encore des progrès à faire mais aux yeux de beaucoup de pays, nous faisons figure d’exemple.

 

Pourquoi la situation en Ukraine a-t-elle dégénéré à ce point et quel est le rôle de la France ?

L.F. - Il y a d’abord eu l’annexion de la Crimée par la Russie, puis l’apparition des mouvements séparatistes dans l’Est de l’Ukraine, et les réactions du reste du pays avec des affrontements très violents. Pour mettre fin à cette escalade, qui est passée d’un désaccord à une guerre, la France et l’Allemagne ont fait le maximum pour parvenir à un accord. Pour cela, il était nécessaire que les séparatistes et les Russes renoncent à certaines positions qu’ils avaient prises, et que, de l’autre côté, les Ukrainiens acceptent un statut particulier pour les provinces de l’Est. C’est l’accord récent de Minsk, dont on ne sait pas, au moment où vous m’interrogez, s’il sera respecté. Notre objectif est que l’Ukraine soit en bons termes à la fois avec l’Union européenne et avec la Russie. Les sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie pèsent sur la situation de ce pays. Il s’agit d’un travail de dialogue et de fermeté. Les conflits aujourd’hui sont de moins en moins localisés, il suffit de voir ce qui se passe en Syrie avec plus de 200 000 morts, des millions de personnes déplacées et la contagion à toute la région avec le phénomène terroriste de Daech. Le rôle de la France, puissance de paix, est de travailler à limiter les conflits et d’y proposer des solutions.

 

Que va faire la France pour éviter que des terroristes tuent à nouveau sur son sol ?

L.F. – D’abord, renforcer nos actions sécuritaires pour repérer, en coopération avec les autres pays européens, les terroristes actuels ou en puissance, les identifier, les bloquer et les sanctionner. Ensuite, un travail en amont pour éviter sur notre sol la contagion dans les prisons, sur Internet, et parallèlement un travail de sensibilisation aux valeurs de la République à travers l’éducation, les associations, les parents. Ces jeunes qui deviennent djihadistes ont le sentiment d’être en dehors de la société. Ils entretiennent une espèce d’héroïsme malsain dans l’affrontement supposé entre l’Occident et l’Islam. Les autorités religieuses doivent dénoncer fermement cette perversion qui consiste à tuer au nom de Dieu. Personne n’est à l’abri de cette menace terroriste, regardez les Japonais qui viennent d’avoir deux otages assassinés, alors qu’a priori ils sont très éloignés de ce qui se passe au Moyen-Orient, de même tout récemment les Danois. Le phénomène est désormais international, la réponse doit être internationale. Ces terroristes sont des criminels, ils accomplissent leurs actes théoriquement au nom de la religion, mais c’est une escroquerie et ce sont les musulmans qui sont les premières victimes, notamment en Syrie, en Irak, au Sahel et en Afrique centrale avec Boko Haram.

 

Comment la France choisit-elle ses interventions sur les conflits qui embrasent le monde ?

L.F. -  Certains disent que ce serait la présence de la France au Mali ou en Irak qui provoque des attentats. C’est l’inverse ! Si nous sommes intervenus au Mali, c’est que ce pays était sur le point de tomber sous le joug des terroristes. L’idée que pour être protégé il faudrait vivre calfeutré est totalement fausse, c’est un contresens.

De même en Irak, nous ne pouvons pas laisser sans réagir le développement criminel de Daech qui a comme objectif de tuer tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Pour les vaincre, il faut s’attaquer à leur financement, à leur armement, organiser une très bonne connexion de tous les services de renseignement. C’est un travail de longue haleine. La France est très sollicitée pour intervenir sur de multiples conflits, mais elle ne peut évidemment pas le faire seule ni partout. Les pays européens, les Etats-Unis, les grands pays émergents doivent s’engager et prendre leurs responsabilités.

 

Est-ce que l’élection de M. Tsipras et la baisse de l’euro vont nous apporter de la croissance ?

L.F. - Les Grecs ont voté pour M. Tsipras parce qu’ils n’en pouvaient plus de l’austérité : beaucoup d’entre eux ont perdu de 25 à 50 % de leur revenu ! L’austérité généralisée pour des années n’est pas acceptable. Mais, d’un autre côté, la Grèce a pris des engagements et ils ne peuvent pas être rayés d’un trait de plume. Il faut donc trouver un équilibre entre une réorientation de la politique européenne vers la croissance et le respect indispensable du sérieux budgétaire. Concernant l’euro, nous répétons depuis près de trois ans qu’il est trop cher et pénalise nos entreprises à l’exportation. Le fait qu’il soit revenu à un niveau plus raisonnable est une bonne chose, de même pour les taux d’intérêts faibles et pour la baisse du prix du pétrole. Les données macroéconomiques sont donc positives, il reste maintenant à redonner davantage de confiance.

 

                                                                                   

Quelques repères

Originaire de Paris, après de brillantes études à l’Ecole normale supérieure, Sciences-Po et l’ENA, Laurent Fabius devient directeur de cabinet de François Mitterrand. Il sera dès 1981 son Ministre du budget, puis de l’industrie avant de devenir à 37 ans le plus jeune Premier Ministre. A deux reprises, il sera Président de l’Assemblée Nationale avant d’être nommé Ministre de l’économie du gouvernement Jospin. Depuis l’élection de François Hollande en mai 2012, il est Ministre des affaires étrangères, ainsi que du développement international depuis avril 2014.

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"Tous les dessinateurs humoristiques que je connais ne croient en rien"

Publié le par Michel Monsay

"Tous les dessinateurs humoristiques que je connais ne croient en rien"

Il y a une semaine nous découvrions avec stupeur, l'horreur du carnage perpétré au coeur de la rédaction de Charlie hebdo. Une semaine plus tard, nous sommes toujours aussi bouleversés par ces attentats barbares démarrés avec l'assassinat de dessinateurs que nous aimions tant, et dont l'humour empreint de liberté nous faisait si souvent rire. Voici une petite interview de Wolinski réalisée en 2012, un an après le portrait publié précédemment sur ce blog.

En ayant publié une centaine de livres et travaillé pour plus de 40 journaux, Georges Wolinski est l’un des dessinateurs de presse les plus demandés et les plus prolifiques. A 78 ans, il continue d’être au cœur de l’actualité avec une grande expo rétrospective à la BNF, deux livres qui retracent sa carrière riche et diversifiée, et chaque semaine ses dessins dans Paris-Match, Charlie hebdo et le JDD.

 

Pouvez-vous nous parler du métier de dessinateur humoristique ?

Georges Wolinski - La passion du dessin commence très jeune, il y a des gosses qui courent derrière un ballon, d’autres comme moi préfèrent crayonner ou lire. Très tôt, j’ai aimé dessiner ce que je voyais dans les livres que l’on m’offrait, et à 11 ans je me suis acheté mon 1er livre du grand dessinateur Dubout. Tous les dessinateurs humoristiques que je connais ne croient en rien, ne respectent rien à part l’intelligence, et de ce fait nous n’avons pas le même regard que les autres sur le monde. Le moment que je préfère est celui toujours inattendu, où je m’aperçois que j’ai trouvé l’idée que je cherchais depuis des heures, pour illustrer le thème du dessin que je dois faire. Tout d’un coup, je me dis tiens voilà c’est ça, le dessin est fait et ça me paraît évident. Lorsque je fais des dessins publicitaires, c’est plus facile, vu que c’est très bien payé, je prends un malin plaisir à le faire très vite.

 

Quel regard portez-vous sur le monde agricole ?

G.W. - Je suis avant tout un citadin, étant né à Tunis et vivant depuis longtemps à Paris, mais vers 13 ans, j’ai quitté la Tunisie pour rejoindre ma mère à Briançon à la fin des années 40. Du monde agricole, j’ai le souvenir de gens habillés très simplement, les femmes étaient en noir, ils cultivaient des pommes de terre dans la montagne avec les difficultés que posait la neige en hiver. Aujourd’hui, c’est un monde un peu lointain pour moi, mais j’ai toujours du plaisir à parler avec des paysans. Ils ont une sorte de sagesse, de façon d’être, une intelligence qui ne me déplaît pas, j’aime leur mentalité, leur simplicité. En tant que consommateur, je préfère acheter français quitte à attendre que les fruits et les légumes soient de saison et proviennent d’une région française. Il y a une sorte de rituel de l’honnêteté chez les paysans français. Par ailleurs, j’aime aussi lorsque je fais de la route voir la beauté de tous ces champs cultivés.

 

De quoi est faite votre actualité ?

G.W. - Une grande exposition retraçant 50 ans de dessins se tient du 28 juin au 2 septembre à la Bibliothèque Nationale de France. Il y aura 500 dessins allant des premiers que j’ai faits durant la guerre d’Algérie en étant sur place, jusqu’à aujourd’hui. Parallèlement sort un livre « Wolinski 50 ans de dessins » aux éditions Hoëbeke, qui est une sorte de catalogue amélioré de l’expo. Egalement, un livre de 900 pages, intitulé « Le pire a de l’avenir » aux éditions du Cherche Midi, où je raconte ma vie pour la 1ère fois en mots, mais aussi en dessins. Enfin, toutes les semaines je continue ma collaboration avec Paris-Match, Charlie Hebdo et le Journal du Dimanche.

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« Il faut apaiser, rassembler et engager des réformes de fond »

Publié le par Michel Monsay

« Il faut apaiser, rassembler et engager des réformes de fond »

Candidat à la primaire de la droite et du centre pour l’élection présidentielle, l’ancien Premier Ministre et Maire de Bordeaux, Alain Juppé, dont la côte de popularité ne cesse de grimper, devrait entamer ces jours-ci une longue campagne qui pourrait le mener à la fonction suprême.

 

Pourquoi vous être déclaré si tôt candidat à la primaire de l’UMP pour la présidentielle et comment vivez-vous votre popularité actuelle ?

Alain Juppé – J’ai annoncé ma candidature assez tôt pour avoir le temps d’aller à la rencontre des Français, afin de les écouter et de construire avec eux le projet que je leur proposerai le moment venu. Très souvent, les projets politiques viennent d’en haut, ils sont élaborés par quelques petits groupes de travail nationaux, alors que mon souhait est de faire émerger du terrain, des idées et des attentes. Durant toute l’année 2015, je vais sillonner le pays en organisant non pas des meetings mais des tables rondes avec des chefs d’entreprise, leurs salariés, des responsables associatifs, des jeunes, des élus locaux…

En termes de popularité, j’ai tout connu, le meilleur comme le pire, ce qui m’a appris à relativiser. Comme disait Jacques Chirac : il faut mépriser les hauts et repriser les bas. Cela étant, évidemment que ma popularité actuelle me fait plaisir. 

 

N’est-ce pas un désavantage de ne pas être à la tête de votre parti et à qui vous adresserez-vous pour faire passer vos idées ?

A.J. - J’ai été chef de parti pendant de longues années et je n’avais pas envie de le redevenir. Cela peut être un désavantage en vue des primaires, puisque l’appareil de l’UMP sera a priori au service de son Président, mais cela peut aussi être un avantage, avec une plus grande liberté de manœuvre, et davantage de recul. D’autant que l’on ne peut pas dire que les partis politiques aient une grande popularité en ce moment. 

Au-delà des partis, je souhaite m’adresser à tous les Français, en commençant par tous ceux qui se réclament de la droite et du centre, tous ceux qui se désolent de la manière dont notre pays est gouverné aujourd’hui, et tous ceux qui sont convaincus que les idées du FN sont pernicieuses pour la France. Il faut apaiser les conflits inutiles et ne pas faire ressurgir un certain nombre de débats clivants, qui ne correspondent pas à des attentes prioritaires, comme le vote des étrangers. Cela dit, il n’est pas question de renoncer à engager de profondes réformes pour notre économie, notre éducation, notre fiscalité et notre modèle social.

 

Qu’est-ce qui vous différencie de Nicolas Sarkozy, votre principal concurrent pour la primaire ?

A.J. – Nous appartenons à la même famille politique. Beaucoup de choses nous rapprochent et il y aura probablement un large accord sur des sujets fondamentaux comme la compétitivité de nos entreprises, ou les missions régaliennes de l’Etat. Il y aura aussi des différences, que nous verrons émerger petit à petit dans les projets présentés par les uns et les autres. Par exemple, j’ai eu l’occasion de dire clairement qu’à mon sens, le mariage de personnes de même sexe était largement accepté par la société et qu’il ne serait pas de bonne politique de provoquer un conflit en abrogeant des lois antérieures. Par ailleurs, si l’on diminue le nombre de parlementaires, comme il faudra le faire, en leur donnant des circonscriptions plus larges, et si l’on veut qu’ils jouent davantage leur rôle de contrôle du Gouvernement, le cumul des mandats est aujourd’hui dépassé. Je ne suis pas certain que Nicolas Sarkozy soit sur la même ligne. Une élection présidentielle, c’est une relation de confiance entre un peuple et un homme ou une femme, celui ou celle qui sera, aux yeux des Français, le plus à même de conduire le pays dans le contexte national et international de 2017.

 

Quel est votre sentiment sur la politique de François Hollande et en particulier sur la réforme territoriale ?

A.J. - Je suis en désaccord sur bien des points, sur la méthode et sur le fond. Avec tous ces changements de direction permanents, les Français sont perdus : où va-t-on ? Quel est le cap ? Ensuite, les réformes sont souvent mal ficelées, et mal expliquées. Sur la réforme territoriale, à Bordeaux, la communauté urbaine est devenue métropole le 1er janvier, et sous cet aspect la réforme a du sens. En revanche, c’est un cafouillage entre régions et départements. Nous allons élire des conseillers départementaux en mars prochain sans savoir quelles seront les compétences des uns et des autres. Nous avions engagé une bonne réforme avec le conseiller territorial, pour diminuer le nombre d’élus et rapprocher le département et la région, cela a été annulé, c’est absurde. Je ne suis pas sûr que le fait de regrouper le Limousin, le Poitou-Charentes et l’Aquitaine rapproche le pouvoir de décision du terrain, notamment dans le monde rural qui va se sentir encore plus éloigné des centres de décision.

Plus grave, les signaux envoyés au monde de l’entreprise ont été très négatifs, et le mal est loin d’être corrigé. Et surtout, dans les choix de fond qui nous différencient, les efforts nécessaires pour maîtriser durablement la dépense publique ne sont pas faits.

 

Où se situe l’UMP aujourd’hui et que pouvez-vous faire pour contrer la montée du FN ?

A.J. - L’UMP doit clarifier sa ligne politique dans les mois qui viennent en œuvrant au rapprochement de la droite et du centre pour éviter de s’enfermer sur un segment de l’opinion publique. Un rapprochement avec le FN est exclu, les différences sont majeures. Il faut quand même expliquer aux Français que le FN est un mélange de démagogie de gauche, comme la retraite à 60 ans, et une vision de l’Europe cataclysmique. Sortir de l’Euro et de Schengen reviendrait à faire exploser la construction européenne, et dans l’état du Monde aujourd’hui, ce serait un drame. On voit bien par ailleurs qu’il y a toujours au fond de l’idéologie du FN un sentiment de racisme et de xénophobie. Une étude récente démontre que les actes antisémites, qui sont repartis à la hausse, trouvent leur origine prioritairement à l’extrême-droite, et ce malgré le charme qu’essaie de déployer Marine Le Pen vis-à-vis de l’électorat juif. Je vais m’employer à démontrer aux Français tentés par le vote FN, que ce parti les trompe et n’améliorera en aucun cas leur situation personnelle, bien au contraire. Le pays doit être solidaire et responsable, c’est uniquement si l’on retrouve de la croissance, si les entreprises fonctionnent que l’on pourra améliorer le sort du plus grand nombre, ce n’est pas en montant les Français les uns contre les autres.

 

Pourquoi le rôle de l’opposition est-il de contrer systématiquement les projets de loi du gouvernement et n’est-ce pas une des raisons de l’agacement des français vis-à-vis des politiques ?

A.J. - Le Sénat essaie d’avoir une opposition constructive, parfois il amende les textes sans s’y opposer systématiquement. Par contre, à l’Assemblée, c’est une opposition plus frontale. La loi Macron, par exemple, n’est pas à la hauteur des enjeux mais il y a un certain nombre d’orientations qui ne sont pas étrangères à ce que nous voulons faire. Je suis pour une libéralisation du temps de travail, et dans la mesure où l’on franchit un petit pas dans ce sens, pourquoi s’y opposer ? Nicolas Sarkozy estime que ce n’est pas assez. C’est une question de tempérament, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Cela dit, il faut bien mesurer l’état de l’opinion, une partie d’entre elle est tellement exaspéré du pouvoir en place, que cela pousse un certain nombre d’entre nous à pratiquer une opposition systématique. Une autre fraction de l’opinion en a effectivement assez de ces conflits radicaux, même si parfois le conflit peut faire surgir des initiatives ou des vérités. Pour ma part, je suis plutôt porté vers la modération… ce qui n’est pas la voie de la facilité.

 

L’agriculture fait-elle partie de vos priorités ?

A.J. - L’agriculture et la filière agroalimentaire sont des atouts majeurs de notre pays et il ne faut à aucun prix les laisser s’affaiblir. Nous sommes l’une des toutes premières puissances agricoles du monde et c’est une chance pour tous les Français. Le monde agricole est très contrasté, la viticulture par exemple se porte mieux, la vendange a été bonne, mais certains secteurs se portent très mal et des efforts doivent être faits pour les aider. Plus généralement, l’agriculture a besoin, comme l’économie toute entière, d’une cure de liberté. Aujourd’hui, elle étouffe de la multiplication des normes et des réglementations. Il faut certes évoluer vers une agriculture durable mais en redonnant un peu d’air à nos agriculteurs. J’aurai l’occasion, dans le courant de l’année 2015, de formuler des propositions précises dans ce domaine.

 

                                                                                 

Quelques repères

Originaire de Mont-de-Marsan, après de brillantes études à l’Ecole normale supérieure, Sciences-Po et l’ENA, il devient assez rapidement un proche collaborateur de Jacques Chirac. Durant sa carrière, Alain Juppé sera président du RPR puis de l’UMP et occupera plusieurs postes ministériels aux Affaires étrangères, à la Défense, à l’Ecologie et au Budget. En 1995, il est durant deux ans le Premier Ministre de Jacques Chirac. Aujourd’hui à 69 ans, avec une image d’homme sage et modéré, il semble avoir de réelles chances de conquérir l’Elysée.

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« Ma volonté est de rendre visible la France des invisibles »

Publié le par Michel Monsay

« Ma volonté est de rendre visible la France des invisibles »

Géographe social, Christophe Guilluy est consultant pour des collectivités territoriales et des ministères. Avec son dernier essai choc dont on parle énormément, « La France périphérique », il explique comment les classes populaires ont été sacrifiées sur l’autel de la mondialisation.

 

Quels sont les principaux constats que vous mettez en lumière dans votre ouvrage ?

Christophe Guilluy - Je suis géographe mais paradoxalement ce ne sont pas les territoires qui m’intéressent mais plutôt les gens, et particulièrement les catégories modestes de la population. Nous avons constaté que les ¾ de ces gens modestes vivent très loin des zones d’emploi les plus actives, autrement dit les grandes métropoles, et se retrouvent sur des territoires ruraux ou des petites et moyennes villes, ce que j’appelle la France périphérique. Les grandes métropoles représentent aujourd’hui 2/3 du PIB avec une concentration des richesses, du dynamisme et de l’emploi. Ce système économique marche, mais le problème est que 60% de la population vit dans la France périphérique. Compte-tenu des logiques foncières, il n’y aura pas de retour en arrière. Pour ceux qui vivent en zone rurale aujourd’hui, il est très compliqué de vendre son bien immobilier pour aller s’installer dans une grande métropole, où ils auront une quasi impossibilité d’accès au logement. C’est la première fois dans notre Histoire que les catégories modestes ne vivent pas là où se crée la richesse. Jusqu’à présent la classe ouvrière était intégrée dans des villes industrielles, donc au rouage économique et politique.

 

Pourquoi avez-vous inventé le concept de France périphérique ?

C.G. - Notre volonté est de rendre visible la France des invisibles, et pour cela il faut déjà s’affranchir de la définition du rural et de l’urbain. Non pas que le découpage typologique de l’INSEE soit faux, mais nous constatons que l’urbain d’une petite ville est plus proche d’un habitant rural que d’un urbain d’une grande métropole. Ils ont la même réalité économique, sociale et culturelle mais ils ne se parlent pas. Nous avons donc imaginé un ensemble cohérent que nous avons appelé la France périphérique afin de lui redonner de la visibilité. Mon diagnostic a été validé par des élus locaux, et ces idées sont reprises dans des ministères. Je travaille beaucoup avec la mission Nouvelles ruralités, un groupe rassemblant 40 départements ruraux, avec l’idée que le modèle économique des grandes métropoles ne viendra pas jusqu’à eux. Qu’il faut donc repenser les territoires à partir de leurs faiblesses mais aussi de leurs atouts, de leurs richesses, avec des questions autour du développement et de la relocalisation.

 

Comment est-on arrivé à cette situation et quelles sont les pistes pour sortir de cette France à deux vitesses ?

C.G. - Il n’y a pas de complot, pas d’idée de mettre à l’écart certains par rapport à d’autres, c’est vraiment la logique de marché qui a conduit à cela. Globalement, les grandes métropoles font tourner la machine économique française, et de quoi a-t-on besoin pour faire tourner les grandes métropoles ? Des catégories supérieures très qualifiées et des emplois sous-qualifiés ou très peu qualifiés où vous allez retrouver beaucoup de population précaire d’origine immigrée. Du coup, ont été mécaniquement délaissés toutes les autres catégories et tous les autres territoires. La question aujourd’hui n’est pas d’abattre un système pour en faire émerger un autre, elle est plus de réfléchir à un modèle complémentaire sur ces territoires de la France périphérique. Il faut partir de la réalité de chaque territoire et non pas plaquer un modèle pensé en haut. Beaucoup d’élus locaux sont prêts à avancer dans cette direction mais la question est politique. Nous avons là en réalité une France sans aucun pouvoir politique. D’un côté, on nous dit que cette France des invisibles est importante, et d’un autre on parle de supprimer les départements, alors qu’ils restent la seule collectivité visible de cette France périphérique.

 

Justement, quel est votre sentiment sur la réforme territoriale ?

C.G. - La chose la plus importante à prendre en compte est que nous avons avec la France périphérique des territoires prioritaires. Ces territoires sont très importants pour l’avenir du pays, non seulement 60% des français y vivent, mais en plus ce sont les populations les plus fragiles. C’est un vrai projet politique, et si l’on ne s’y attèle pas, on a l’effet boomerang avec des résultats chocs aux élections, notamment en zone rurale. Pour la réforme territoriale, on peut tout à fait imaginer une adaptation du projet. Faire disparaître le département du Rhône pour le remplacer par la métropole lyonnaise ne me choque pas du tout, que tous les départements franciliens disparaissent pour laisser la place à Paris métropole, pourquoi pas. En revanche, il ne faut pas toucher aux départements ruraux, plutôt les renforcer en leur donnant plus de pouvoir politique afin qu’ils puissent porter des projets économiques. Le problème est que ce qui se dessine dans le projet actuel est une organisation autour de grandes métropoles et de grandes régions. Tous les cadors de la politique vont se battre pour avoir les grandes métropoles, on va les entendre encore plus et à contrario on entendra encore moins les autres territoires. Pourtant il y des possibilités de rebondir dans cette France périphérique, mais il faut pour cela un contrepoids politique. Les initiatives locales pour trouver des solutions foisonnent mais cela ne suffit pas, il y a des gros sujets comme l’industrialisation, le protectionnisme qui ne peuvent être posés qu’à l’Assemblée Nationale par des élus porteurs d’un gros projet politique.

 

Comment voyez-vous l’avenir politique de la France et sentez-vous une radicalité sociale émerger ?

C.G. - Je suis assez sceptique sur la capacité de bouger de la classe politique dirigeante, par contre les élus locaux ont vraiment envie de passer à autre chose, d’inventer de nouvelles solutions, ils ne croient plus à une France de redistribution et de péréquation. Il faudrait une forme d’implosion, une recomposition à l’intérieur des partis, mais je ne suis pas très optimiste. La radicalité sociale viendra plus de la France périphérique que des banlieues, où il y a des violences urbaines, du communautarisme mais aucune remise en cause d’un système économique. En revanche sur les territoires dits tranquilles, on sent une France qui gronde. Il y a des radicalités sociales à chaque fermeture d’entreprise, il y a le vote FN, une désaffiliation aux grands partis et une désyndicalisation qui signifient une contestation des corps intermédiaires, et des mouvements qui émergent comme celui des bonnets rouges.

 

Quelles sont vos conclusions sur la question de l’immigration ?

C.G. - D’après les sondages, 70% des français considèrent qu’il y a trop d’immigrés, mais ce chiffre est valable partout dans le monde. Cette perception de l’immigration repose sur le fait que dans notre société multiculturelle d’aujourd’hui, contrairement à la société assimilatrice qui l’a précédée, l’autre ne devient pas soi. Il garde ses valeurs, sa religion. Du coup, il est très important pour les gens de savoir combien va être l’autre dans son immeuble, son village, son département, et il y a un décalage énorme entre cette peur légitime et le discours des politiques tendant à dire qu’il n’y a pas de problèmes. Tout le monde est d’accord sur la question de régulation de l’immigration, mais comme cela est très marqué politiquement, le FN étant le seul à porter ce discours, personne ne veut l’appliquer. Mais je pense que ça va évoluer notamment au niveau européen. Arrêtons l’hypocrisie, pour moi il n’y a pas de différence entre le bobo parisien qui contourne la carte scolaire et l’électeur de Hénin-Beaumont qui vote FN. L’un comme l’autre veut des frontières avec l’immigré, l’un en a les moyens et l’autre pas.

 

                                                                                  

Le géographe social

Diplômé de géographie urbaine de l’université Paris-Sorbonne, Christophe Guilluy, 50 ans, est consultant indépendant pour des collectivités dans les banlieues, le périurbain et la ruralité, auxquelles il fournit un diagnostic cartographique et qualitatif sur la dynamique sociale dans ces territoires. Il travaille également pour des ministères, comme récemment le cabinet du Premier Ministre. Ses ouvrages comme « Fractures françaises » et « La France périphérique » sont de vrais succès de librairie, font couler beaucoup d’encre et inspirent de très nombreux politiques de tous bords, de Nicolas Sarkozy en 2012 à Manuel Valls en septembre dernier.

 

A lire : La France périphérique – Editions Flammarion.

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« Nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion »

Publié le par Michel Monsay

« Nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion »

Alors qu’elle avait mené jusqu’à présent une carrière politique et associative dans l’action sociale, Véronique Fayet, 61 ans, est depuis juin dernier, la première femme élue Présidente du Secours Catholique. D’ATD Quart Monde à la Mairie de Bordeaux en tant qu’adjointe d’Alain Juppé, sa priorité a toujours été la lutte contre l’exclusion et la précarité.

 

En quoi consistent les actions du Secours Catholique en France ?

Véronique Fayet - Le Secours Catholique en France, c’est 1000 salariés, 62 000 bénévoles, entre 600 000 et 800 000 donateurs, pour accueillir 1 million et demi de personnes chaque année. Notre but est d’agir sur les causes de la pauvreté et de redonner à ces personnes le pouvoir d’être autonome. Nous sommes implantés sur la totalité du territoire avec des actions en faveur du logement, de l’emploi, des actions de soutien aux familles mais aussi des actions dans les prisons. Dans la ruralité, nous travaillons avec des personnes âgées, des agriculteurs en difficulté, des personnes isolées pour lesquelles nous allons inventer un moyen de transport. Autre exemple, à Calais nous nous occupons de migrants étrangers qui vivent dans une situation de dénuement extrême. Cette misère qui dure depuis une vingtaine d’années, bien avant Sangatte, a conduit nos bénévoles à se structurer pour répondre à ce besoin particulier, notamment en proposant encore un vestiaire, l’un des tous derniers que nous avons.

Autrefois nous avions des vestiaires où nous donnions les vêtements, aujourd’hui ce sont des boutiques où les gens choisissent ce qui leur convient en échange d’une somme modique. Nous avons aussi mis en place il y a 10 ans un réseau qui s’appelle « Tissons la solidarité », avec la création d’entreprises d’insertion pour récupérer, trier et revendre les vêtements. De même la distribution alimentaire, avec tout ce que cela comporte d’humiliant, s’est transformée en épicerie solidaire. C’est là une des évolutions du Secours Catholique, pour rendre aux personnes la capacité d’agir et choisir leur vie. Nous avons pris ainsi le chemin ouvert par le Père Wresinski et ATD Quart Monde qui n’ont jamais proposé de distribution.

 

Quel est votre rôle à travers les Caritas dans le monde, notamment au Moyen-Orient et en Afrique ?

V.F. - Tout d’abord, Secours Catholique – Caritas France est une seule association avec un double nom. Caritas étant une confédération d’organisations catholiques à but caritatif. Nous gardons le nom historique, mais nous sommes une Caritas parmi les 165 réparties dans le monde entier. Nous intervenons partout où il y a une Caritas ou une ONG que l’on connait bien. Nous n’avons pas de salariés ni de bénévoles à l’étranger, ce sont des équipes d’ici qui partent en mission. Actuellement nous finançons beaucoup la Caritas Irak qui est très menacée. En Afrique, nous aidons les Caritas sur des programmes d’agriculture paysanne, mais aussi à se former et à se structurer pour qu’elles aient une action plus efficace dans la construction et le financement de projets. Il y a des Caritas dans tous les pays du Moyen-Orient avec sur place un travail de longue haleine sur la paix, avec les communautés et avec les réfugiés. Récemment des jeunes de ces Caritas ont suivi une formation que nous avons organisée au Liban, et beaucoup nous ont dit qu’avant ils ne se parlaient pas entre égyptiens, jordaniens, palestiniens, libanais, … voire ils ne s’aimaient pas beaucoup, et cette formation les a fait devenir frères.

 

Qui sont les bénévoles du Secours Catholique et quel est votre sentiment sur le Prix Nobel de la paix ?

V.F. - Le profil des bénévoles est assez variable, certains sont en activité, d’autres à la retraite, beaucoup sont demandeurs d’emploi et à la faveur de cette période difficile, ils s’investissent dans le bénévolat et acquièrent des compétences qui pourront leur servir par la suite. Nous avons aussi beaucoup de jeunes, eux-mêmes souvent en précarité, et de fait il n’y a pas vraiment de frontière entre celui qui est accueilli dans une délégation du Secours Catholique et celui qui s’engage dans le bénévolat, généralement c’est le même. Cela conforte notre slogan « Tous acteurs », nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion, à partir du moment où quelqu’un nous dit j’ai besoin de toi pour cette mission.

L’attribution du Prix Nobel de la paix à une jeune pakistanaise et à un indien, qui se battent contre l’oppression des enfants et pour leur droits à l’éducation, est un symbole très fort. La meilleure façon de lutter contre la pauvreté est de combattre l’échec scolaire et l’illettrisme, la vraie racine de la pauvreté se trouve ici. La scolarisation dans tous les pays dans un premier temps et ensuite la réussite à l’école sont essentiels. L’éducation, c’est aussi la paix, lorsque l’on a les mots pour dire les choses, on a moins de violence en soi.

 

Au-delà du terrain, avez-vous une action politique pour faire changer les choses ?

V.F. - Ce que nous faisons auprès des migrants à Calais est une action d’urgence qui peut se comparer à celle des camps de réfugiés ailleurs dans le monde. L’hiver va être très dur, il n’y a pas d’hébergement prévu pour ne pas recommencer Sangatte, juste un point d’accueil pour l’alimentation et le vestiaire. Parallèlement à une action de terrain comme celle-ci, qui nous permet de prendre conscience d’une réalité et de déduire un certain nombre de pistes d’action, nous menons toujours un plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Depuis deux ans nous demandons la création d’une mission d’étude pour ne pas rester dans cette situation indigne. Finalement, le Ministre de l’intérieur a mandaté deux hauts fonctionnaires  pour trouver une solution avec les anglais et l’Union européenne, ce qui nous donne un peu d’espoir même si nous savons que cela va être très compliqué. Nous sommes de plus en plus écoutés grâce aux collectifs d’associations comme Alerte, mais la situation budgétaire du pays nécessite des choix qui ne vont pas toujours dans le sens que l’on voudrait.

 

Est-ce que la religion et la foi ont une importance dans les actions que vous menez ?

V.F. - Nous accueillons tout le monde quelque soit la religion, autant pour les salariés et bénévoles que pour les personnes qui font appel à nous, mais nous considérons aussi que le droit à la spiritualité est un droit pour tout être humain. Il est important de proposer en plus de la satisfaction des besoins élémentaires, la possibilité de vivre une spiritualité. Voilà pourquoi nous avons mis en place des voyages de l’espérance, où viennent des musulmans, des chrétiens, des athées et cela se passe formidablement bien, car au fond beaucoup ont une soif de transcendance. Il fut un temps où l’on n’avait pas le droit de parler de religion, de foi au nom de la sacro-sainte laïcité, aujourd’hui on ose davantage.

 

Avez-vous des solutions pour combattre le chômage ?

V.F. - Beaucoup d’équipes locales ont des actions pour l’emploi, notamment en constituant des groupes de soutien aux demandeurs d’emploi qui sont au chômage depuis longtemps et parfois peu qualifiés, dans lesquels ils ont la parole, ce qui crée une dynamique collective. Le chômage, c’est souvent la solitude, la dévalorisation de soi-même, la perte de confiance, et ces groupes les aident à continuer à travailler avec Pôle-emploi ou la mission locale jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi. Nous avons aussi le réseau « Tissons la solidarité » avec 75 entreprises d’insertion, qui travaillent en partenariat avec de grandes maisons de couture pour qualifier les personnes et augmenter ainsi leurs chances d’un retour à l’emploi. Pour certains qui cumulent les difficultés, la durée de deux ans du contrat d’insertion n’est pas suffisante, nous avons donc mis sur pied une expérimentation en Rhône-Alpes qui prolonge d’un an ce contrat. Nous allons évaluer sa pertinence avant la fin de l’année et voir s’il faut porter une demande de changement de règlementation auprès du Ministère. Avec le collectif Alerte, nous avons obtenu d’être présents à la conférence sociale, réservée normalement aux partenaires sociaux, pour évoquer la question de ceux qui sont en dehors de l’emploi et envisager des négociations sur ce sujet.

 

Quel bilan tirez-vous du récent sommet sur le climat et pourquoi le Secours Catholique s’investit sur ce sujet ?

V.F. - Une déléguée du Secours Catholique était présente au sommet de New York, et nous en a fait un retour plutôt positif avec un certain nombre d’idées qui commencent à faire consensus : Accepter de réduire les énergies fossiles de manière substantielle et programmée sur plusieurs années, revenir à une agriculture familiale et non intensive, ne pas produire de l’énergie verte au détriment de systèmes agricoles locaux. Cela laisse espérer que le sommet sur le climat à Paris en décembre 2015 soit efficace et positif. Nous constatons tous les jours, notamment dans les pays du Sahel, à quel point les dérèglements climatiques causent des dégâts sur l’agriculture et aggravent la pauvreté. L’Eglise va vraiment se positionner sur ce sujet avec une encyclique du Pape François début 2015 sur l’écologie humaine.

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« Beaucoup de familles musulmanes s’investissent dans le monde agricole »

Publié le par Michel Monsay

« Beaucoup de familles musulmanes s’investissent dans le monde agricole »

Nommé Président du Rassemblement des musulmans de France en 2007, Anouar Kbibech, 53 ans, est aussi vice-président du Conseil français du culte musulman. Ingénieur des ponts et chaussés, titulaire d’un mastère en aménagement et maîtrise d’ouvrage urbaine, il est également directeur de systèmes d’information chez SFR.

 

Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture et l’environnement ?

Anouar Kbibech - Cette relation considère que la nature est la création de Dieu, au même titre que l’Etre-humain. L’Islam nous incite à respecter la nature sous toutes ses formes : animaux, eau, plantes, … .

Du coup, l’adoration envers Dieu ne s’arrête pas au fait de s’acquitter des œuvres spirituelles telles que la Prière ou le Jeûne. Mais elle englobe aussi les prescriptions qui protègent la vie et la nature.

Cette relation considère également que la nature a été créée par Dieu pour être au service de l’Homme.

 « Que l’Homme considère donc sa nourriture : c’est Nous qui versons l’eau abondante, puis Nous fendons la terre par fissures, et y faisons pousser grains, vignobles et légumes, oliviers et palmiers, jardins touffus, fruits et herbages, pour votre  jouissance vous et vos bestiaux.»

Le monde agricole est très fortement ancré dans la tradition française. L’agriculture est très représentative du terroir français. 

Beaucoup de familles musulmanes s’investissent dans le monde agricole, notamment dans le Sud de la France.

Aujourd’hui, le monde agricole est confronté à plusieurs problématiques qui peuvent nous interpeller.

L’agriculture est un acteur majeur dans la politique de la « sécurité alimentaire » pour préserver l’avenir de l’humanité.

L’agriculture doit également relever le défi de la productivité !

Cette productivité doit-elle se faire à tout prix …  même au détriment du bien-être animal ?

La réponse est clairement non ! En la matière, la faim ne peut justifier les moyens.

 

Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et en quoi consistent-elles ? Sont-elles respectées par l’ensemble de la communauté ? Ont-elles évolué avec le temps ?

A.K. - Les pratiques alimentaires correspondent à des prescriptions bien identifiées dans le Coran. Les musulmans sont très attachés à l’accès à des produits alimentaires Halal.

Halal est un terme arabe qui signifie permis ou licite pour les musulmans.

Le contraire de Halal est Haram qui signifie interdit ou illicite.

Pour que la viande soit Halal, le sacrifice doit être rapide pour être le moins douloureux possible. Le sang doit être évacué et le sacrificateur musulman doit prononcer la formule religieuse en égorgeant l’animal, la tête tournée vers la Mecque.

Il faut bien noter que dans l’abattage rituel, l’Islam est très attentif à la non-souffrance de l’animal. Toutes les dispositions doivent être prises pour soulager l’animal.

Face à l’utilisation parfois abusive du terme Halal, le consommateur musulman s’inquiète du manque de rigueur et exige plus de transparence.

Le nombre d’intervenants et la multiplication des manipulations augmentent le risque d’erreurs voire de fraudes.

Le Conseil Français du Culte Musulman a recommandé aux acteurs concernés de rationaliser l’organisation de l’Abattage rituel et de fiabiliser les engagements pris.

 

Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique (santé, OGM) ?

A.K. - L’Islam est ouvert au progrès scientifique qui permet à l’Humanité d’ouvrir de nouveaux  horizons.

Cependant, certaines manipulations génétiques, et leur application dans le monde de l’agriculture, nous interpellent.

Ainsi, rejetant toute notion de doute, notamment sur les effets à long terme sur l’espèce humaine, l’Islam rejette toute utilisation des OGM.

Plus globalement, la jurisprudence islamique (Fiqh) est amenée à répondre à des questions posées par certaines avancées technologiques (don des organes, clonage, …).

Il est alors proposé de créer des Comités pluridisciplinaires regroupant plusieurs spécialistes dans le domaine de la biotechnologie, de l’environnement ainsi que des responsables religieux pour étudier ces nouvelles technologies et leurs impacts sur l’être humain et sur l’environnement.

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« À Lampedusa, le Pape avait dénoncé la "mondialisation de l'indifférence »

Publié le par Michel Monsay

« À Lampedusa, le Pape avait dénoncé la "mondialisation  de l'indifférence »

Diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, licencié en sciences religieuses et en théologie, Bernard Podvin est ordonné prêtre en 1986 pour le diocèse de Lille. A 54 ans, il porte la voix de l’Eglise catholique de France depuis 2008, lorsqu’il a été nommé secrétaire général adjoint, porte-parole et directeur du service information-communication de la Conférence des évêques de France.

 

Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture, la ruralité et l’environnement ?

Mgr Bernard Podvin - L'Eglise catholique et le monde agricole ont des siècles de proximité. Les paroisses se sont constituées au rythme de la vie rurale. Avant qu'un état civil existe en France, faisait foi le recensement de l'état religieux d’une population sédentaire. La Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) a suscité un syndicalisme agricole abondant. L'enseignement catholique agricole a formé des générations. Aujourd'hui, les mutations sont évidemment considérables. La mobilité sociale, la mondialisation, la crise européenne, les défis environnementaux ont transformé les mentalités. L'Eglise catholique, marquée en Occident par le manque de vocations, a réorganisé son réseau paroissial. Pour la religion chrétienne, Dieu Créateur confie la terre à l'homme  "afin de la rendre habitable". Il n'est donc pas surprenant que la spiritualité catholique ait toujours insisté sur les points suivants : respecter la création parce qu'elle vient de plus grand que soi.  Produire ? Oui, mais dans le respect des valeurs humaines et environnementales. On devine donc aisément les préoccupations des chrétiens  aujourd'hui : citons notamment la désertification du monde rural, le rythme de vie des actifs agricoles, l'éclatement familial, la disparité des revenus, les menaces sur l'équilibre écologique. Tous les sujets d'actualité sont sensibles aux yeux de  l'Eglise catholique : la crise sans précédent de filières, la paupérisation d'un monde rural, l'aventurisme d'une urbanisation, les bouleversements climatiques, les incohérences de réformes territoriales, l'individualisme croissant sont des clignotants majeurs. En positif, l'Eglise catholique encourage la vie associative, la lutte contre les précarités, la préservation par les communes du patrimoine religieux, la recherche nouvelle de modes de vie respectueuse de la biodiversité, ... Inutile de dire que le Dimanche est essentiel à nos yeux comme point d'équilibre de la société !

 

Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et en quoi consistent-elles ?

Mgr B.P. - À la différence d'autres traditions religieuses, la foi catholique ne se bâtit pas sur de nombreux préceptes alimentaires. C'est la conception éthique et spirituelle  des choses qui compte : ne pas être aliénés par la société de consommation, lutter contre la faim dans le monde sont des points forts. L'insistance est plutôt sur le jeûne en Carême dans la préparation de Pâques et l'abstinence de viande le mercredi des cendres, les vendredis et le Vendredi saint. Jeûner est  le rappel que le bonheur ne vient pas que de cette société. Jeûner était tombé dans la pratique, mais est de retour aujourd'hui chez une génération soucieuse de réaffirmer sa foi. Le Carême redevient un "sujet médiatique". Il y a aussi une attente spirituelle très grande. Les monastères et la religion populaire sont des lieux très fréquentés.

 

Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique (santé, OGM) et de biodiversité ?

Mgr B.P. - Benoit XVI parle d’une "écologie humaine". Respecter l'environnement, c'est respecter toutes les dimensions de la vie : bioéthique et protection planétaire vont de pair. De la vie naissante à la vie finissante, en passant par le souci du chômage, des migrations, c'est toute la vie qu'il faut protéger. Le Pape François, premier Pape en provenance du Sud, et dont  la popularité dépasse largement la sphère catholique, s'inspire beaucoup de St François d'Assise, précurseur au 13e siècle d'une pensée écologique. À Lampedusa, le Pape avait dénoncé la "mondialisation  de l'indifférence". La phrase a fait le tour du monde. Elle résume bien la conception catholique devant les enjeux inédits de la planète ! 

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« Selon l'hindouisme, la nature rétablira l'équilibre tôt ou tard »

Publié le par Michel Monsay

« Selon l'hindouisme, la nature rétablira l'équilibre tôt ou tard »

Aujourd’hui un des référents dans le domaine de la spiritualité hindoue, surtout à La Réunion, le département français le plus hindou, Swami Advayananda, 61 ans, est un moine qui a fondé en 1985 un ashram au Port dans son île natale. Après des études en métropole, un début de carrière commerciale, il démissionne et part en Inde se former durant 3 ans. Il rentre à La Réunion en 1983 pour enseigner la religion hindoue et s’y consacrer pleinement.

 

Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture et l’environnement ?

Swami Advayananda - L'hindouisme qui n'a pas de fondateur unique est né par le culte des éléments naturels : le feu (agni), l'eau (varouna), la terre (bhoumi), le vent (vâyou), ... Les premiers livres sacrés de l'hindouisme sont les Védas – le mot "véda" voulant dire "le savoir". La première partie de ces livres est constituée d'hymnes déifiant les éléments naturels.

La société hindoue, ayant évolué, a vu l'apparition d'une culture mythologique importante au Moyen-Âge avec la construction de grands temples et le culte des symboles (statues, images, diagrammes, ...). Malgré cette évolution, le rite védique du feu a été intégré dans la nouvelle forme d'hindouisme, et certains personnages de cette nouvelle forme de religion hindoue ont rajouté d'autres éléments de l'agriculture tels le culte de la vache et du vacher. La vache est devenue sacrée car elle représente la mère qui donne le maximum et prend le minimum. Le vacher est symbolisé par Krishna, le dieu champêtre par excellence, puisqu'on l'appelle aussi Gopâla (protecteur des vaches).

La religion et la science étant inséparables, l'hindouisme a donné naissance aussi à la médecine âyurvédique qui utilise toujours d'innombrables plantes de la nature.

De plus le symbolisme des formes et les couleurs des fleurs sont très importants dans l'hindouisme. On n'offre que des fleurs épanouies qui symbolisent l'épanouissement de notre personnalité ou des pétales de fleurs qui symbolisent nos pensées positives. La couleur jaune représente la lumière, le rouge la vie, le bleu l'infini, …

L'eau est aussi très présente dans l'hindouisme. Il n'y a pas de rituel sans eau et tous les cours d'eau sont sacrés, les plus connus sont bien sûr la Gangâ et la Yamouna.

La Terre est considérée comme une Déesse dans l'hindouisme. Il y a une histoire mythologique qui raconte que le fils de la Terre a tellement abusé d'elle qu'elle est allée voir Brahma, le Créateur, pour rétablir l'équilibre. Mais Brahma est la fonction de création, c'est Vishnou qui est la fonction de préservation. Nous sommes les fils de la terre et par notre égoïsme, nous la détruisons. Mais la nature rétablira l'équilibre tôt ou tard, selon l'hindouisme.

Une grande majorité d'agriculteurs réunionnais est hindoue. Leur engagement dans l'agriculture et l'élevage ainsi que dans la transformation des produits est une réalité locale.

Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et en quoi consistent-elles ?

S.A. - La vache étant sacrée dans l'hindouisme, les Hindous ne consomment pas de viande bovine et bien souvent porcine aussi. Par contre, les sacrifices d'animaux (boucs et coqs) étant dans la tradition populaire hindoue locale, ces viandes sont bien sûr consommées avec un ensemble d'épices appelé "massalé".

Beaucoup de gens tendent à devenir végétariens mais ils ne constituent pas la majorité.

L'hindouisme s'adapte à son époque car il n'a jamais été une religion figée. En Inde, certains Hindous recommencent à manger du bœuf car à l'époque des Védas, les Hindous n'étaient pas forcément végétariens.

Comme dans beaucoup de traditions anciennes, un dicton déclare "si on coupe un arbre, il faut en planter trois !" Les rites hindous sont gourmands en fleurs, plantes et fruits variés. De ce fait, ils contribuent à la préservation des espèces. Le yoga, sous son aspect hindou, recommande le bio, bien sûr. Certains textes sacrés hindous, dont la Bhagavad-Gîtâ, recommandent certaines formes de nourriture, non seulement en qualité mais aussi en quantité. Ils préconisent de ne remplir l'estomac que d'un tiers, un autre tiers pour l'eau et un autre tiers d'espace pour la digestion.

 

Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique (santé, OGM) et de biodiversité ?

S.A. - Malheureusement, les principes et la réalité sont souvent différents. La surpopulation mondiale amène la destruction de masse des espèces de toute sorte. Le problème se situe à ce niveau principalement : l'homme toujours insatisfait, veut toujours quelque chose de neuf. Là où les traditions orientales parlent de plénitude "intérieure", l'homme ne la recherche que dans le monde matériel.  Le matériel et le spirituel ont chacun leur place respective, mais la disproportion de matériel amène l'humanité à la destruction de son environnement. 

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« Tout va trop vite et l’humain perturbe le cycle naturel de la vie »

Publié le par Michel Monsay

« Tout va trop vite et l’humain perturbe le cycle naturel de la vie »

Directeur depuis 25 ans de l’Institut européen de bouddhisme tibétain, Joseph Serra, 59 ans, a été aussi vice-président de l’Union bouddhiste européenne. Il s’est toujours employé à développer le dialogue interreligieux et celui entre la science et la spiritualité. Parallèlement, ingénieur diplômé et professeur agrégé en génie civil, il s’investit aujourd’hui dans l’éducation à l’environnement.

 

Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture et l’environnement ?

Joseph Serra - Comme pour tout humain, être concerné par l’environnement n’est apparu qu’avec l’essor récent et sans précédent de l’industrie et de la technologie. Aujourd’hui l’humanité consomme près de 1,4 planète, plus que ce que la planète ne peut régénérer. Sa Sainteté Sakya Trizin, grand maître bouddhiste tibétain, a écrit une prière « La crise écologique : une prière souhait » dont voici quelques extraits :

« A cause d’une énorme quantité d’actions dégénérées, l’avidité extrême de certains convoite les ressources du monde. Les arbres et les forêts sont coupés, ce qui déséquilibre l’élément eau et les pluies. … D’innombrables usines produisent des nuages de fumées qui polluent l’air et causent des maladies sans précédent…. La protection naturelle de la couche d’ozone se perce et des maladies de peau incurables apparaissent. Les conséquences de puissants désirs inassouvis risquent de transformer rapidement ce monde en désert… »

L’une des menaces des plus sérieuses est celle de l’alimentation. L’agriculture et l’élevage y sont liés. Avec l’arrivée de la chimie dans l’histoire récente de l’agriculture conventionnelle, les engrais ou fertilisants ont fait leur apparition. La poussée des blés et des herbes a conduit à l’apparition des désherbants. Or sans oligo éléments, le sol est déséquilibré et le champignon progresse plus vite vers la graine avec des blés plus courts. Les fongicides font leur apparition. Les insectes se retrouvent dans un environnement dévitalisé et se rabattent sur le blé, d’où les insecticides. De plus, dévitalisés à 90%, les sols se mettent à mourir. Aujourd’hui, 40% des sols arables de la planète sont ainsi dégradés.

L’élevage industriel présente pour les bouddhistes une double difficulté. D’une part on en a besoin biologiquement pour notre santé, et d’autre part un être vivant nous donne sa vie créant un lien karmique (une sorte de dette).

La transformation des produits rend l’humain malade. Comment en effet rester en bonne santé sans vitamines, antioxydants etc. ? Sans compter tous les poisons, adjuvants et même nanoparticules, inconnues du grand public, que nous ingérons sans cesse.

                                                              

Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et en quoi consistent-elles ?

J.S. - Nous recommandons le régime végétarien. Mais chacun est libre. Pour certains jours du mois ou durant certaines cérémonies, nous avons également des pratiques de jeûne. Il s’agit par exemple de ne plus manger après le déclin du soleil jusqu’au lendemain. Bien entendu, il ne faut pas en profiter pour se gaver à midi en prévision !

 

Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique (santé, OGM) et de biodiversité ?

J.S. - Il est très difficile d’être informé de la réalité. Le grand public ne sait pas que les OGM récents sont de deux sortes : ceux qui produisent leur propre insecticide comme les BT et ceux qui y résistent et donc les absorbent. Ces poisons se retrouvent dans notre alimentation.

Il y a plutôt consensus pour considérer que les manipulations génétiques sur les végétaux et les animaux ne sont pas suffisamment empreintes de raison et de sagesse. Tout va trop vite et l’humain perturbe le cycle naturel de la vie. Aujourd’hui le rythme de disparition des espèces est multiplié par près de 1000 ! L’humain, au sommet de la pyramide, est donc menacé.

Je doute que les prières pour la nature, pour la paix, même si elles sont nécessaires, restent suffisantes, puisque les dégradations se poursuivent.

Si la prise de conscience mondiale est une excellente chose, n’est-ce pas à ceux qui ont produit ces problèmes d’en trouver aussi les remèdes ?

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« Le protestantisme porte une attention renouvelée à l’usage des aliments, au respect des animaux, au refus du gaspillage »

Publié le par Michel Monsay

« Le protestantisme porte une attention renouvelée à l’usage des aliments, au respect des animaux, au refus du gaspillage »

Nommé depuis un an à la présidence de la Fédération protestante de France, le pasteur François Clavairoly, 57 ans, est un des artisans de l’union en 2012 des églises réformées et luthériennes en France. Théologien de formation, il est très attaché à l’œcuménisme et au dialogue interreligieux.

 

Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture et le monde rural ?

François Clavairoly - Le protestantisme en Europe comme en France a été très longtemps lié au monde rural. Son implantation géographique dans notre pays, même en dehors de ses régions de prédilection comme les Cévennes, le Poitou, la Thiérache, la Drôme ou le Vivarais, a cependant considérablement évolué ces 60 dernières années. L’exode rural, l’apparition de grandes agglomérations autour des métropoles, et surtout les mutations des modes de production de l’agriculture elle-même ont bouleversé le paysage. Le Mouvement d’Action rurale (MAR), un mouvement de réflexion économique et théologique porté par des agriculteurs et des spécialistes membres des Eglises protestantes, a accompagné durant toute cette période la réflexion des Eglises et du monde paysan protestant.

 

Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et le regard sur les modes de production et de consommation ?

F.C. - Le message de l’évangile ouvre tous les possibles en matière de recherche, d’innovation, de production et de consommation. Les premiers mots adressés à l’être humain, en forme de vocation, à savoir ces deux impératifs « croissez et multipliez », appellent à la responsabilité et tracent les perspectives d’un avenir fait de richesse et de partage. L’interprétation exclusivement quantitative de ce que peut être la croissance a cependant conduit à une productivité néfaste, à bien des égards. Et la conscience dans le monde protestant de la difficile réconciliation entre agriculture et environnement oblige à opérer encore aujourd’hui des modifications dans les modes de production mais aussi de consommation. Tous les citoyens sont donc concernés par l’agriculture et pas seulement les agriculteurs. « La clef des problèmes écologiques (qu’il faut désormais regarder au plan mondial) est dans les mains des consommateurs. Se soucier positivement de l’alimentation, c’est donner une chance à une agriculture moins intensive, moins paradoxale. Pour respecter l’environnement naturel et culturel, l’’essor d’une agriculture régionale, plus paysanne, à mi-chemin entre le productivisme et le biologique est plus que jamais nécessaire », comme le note un document du MAR.

Sur un autre plan, il faut remarquer que s’’il n’y a aucun interdit alimentaire en protestantisme, il n’en demeure pas moins qu’une attention renouvelée est à porter :

- à l’usage des aliments au plan de leur production et de leur fabrication comme au plan de leur consommation

- au respect des animaux pour ce qui concerne l’élevage et le soin, de la naissance à la mort,

- au refus des gaspillages et, depuis quelques années déjà à une vision du monde portée par ce qu’on pourrait appeler une frugalité joyeuse, renonçant aux excès de consommation en tous genres qui mettent en cause les équilibres de la nature. L’engagement de la Fédération protestante de France à l’occasion de la conférence de l’ONU Paris Climat 2015 en témoigne. (cf. www.protestant.org).

 

Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique ?

F.C. - La recherche scientifique s’inscrit dans le paysage juridique, politique, économique et éthique du pays. Les enjeux financiers de cette recherche engagent de nombreux secteurs d’activité.

La question posée est donc complexe. Il s’agit de tenir à la fois les exigences de la santé publique et de la liberté de recherche, d’encourager les innovations sans mettre en danger des secteurs d’activité directement impactés par ces innovations. Il s’agit surtout de ne pas laisser l’hubris humaine l’emporter, au nom des intérêts financiers, sur l’intérêt général. Dans une économie et donc une agriculture mondialisées, la régulation politique et l’engagement citoyen sont ici en première ligne.

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