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interviews politiques et societales

« On ne fait pas assez pour l’agriculture alors que c’est quand même l’essentiel »

Publié le par michelmonsay

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Lui qui vient de fêter ses 40 ans de scène, n’a pas finit de réinventer l’humour à chaque spectacle, voire même à chaque représentation. Son ton décalé, poétique, flirtant avec l’absurde, et son engagement écologique ont contribué à faire de Marc Jolivet un humoriste à part. A 62 ans, après avoir proposé un spectacle symphonique, un autour des présidentielles, il s’attaquera en 2013 aux coulisses du déclenchement de la 1ère guerre mondiale.

 

Pouvez-vous nous parler du métier d’humoriste ?

Marc Jolivet - Je suis d’un tempérament joyeux, déconneur et je n’ai pas la sensation de faire un métier, je suis moi-même. Humoriste ce n’est pas un métier mais une façon d’être, de vivre, et j’ai la chance merveilleuse que des gens payent pour venir m’écouter raconter les histoires que j’ai écrites. Rire est indispensable pour vivre. J’ai commencé par écrire des pièces, des chansons, des films et assez naturellement je suis passé au one-man-show. La vie est tellement courte que l’on a intérêt à avoir un maximum de rêves et essayer d’en réaliser le plus possible. En écrivant, on n’est jamais sûr de l’effet sur le public. Il m’arrive quelquefois d’être content et penser que telle idée est vachement bien et va marcher très fort, mais il s’avère que ce n’est pas le cas. Inversement, on est parfois étonné par le rire provoqué par un passage dans un sketch, où l’on ne s’attend pas vraiment à ce qu’il fonctionne autant. C’est là un des aspects passionnants de l’humour, qui démontre les limites d’une éventuelle technique, à laquelle je ne crois absolument pas. Le moment que je préfère est d’entendre rire les gens et les voir repartir heureux, avec en point d’orgue l’improvisation, lorsque notamment j’arrive à trouver des mots qui correspondent uniquement au public de telle ville et pas un autre. Un rire local en somme.

 

Quel regard portez-vous sur le monde agricole et y avez-vous des liens ?

M.J. - J’ai un bon ami vigneron, Jean Luc Isnard, qui fabrique un Cotes du Ventoux biologique, Terres de Solence, avec lequel j’espère un jour faire du vin.  Par ailleurs, j’ai été à un moment parrain des amis de la Confédération paysanne, et lorsque José Bové a rejoint les communistes, j’ai arrêté. Je souhaite que l’agriculture intensive devienne une agriculture plus responsable. J’ai vu les drames provoqués par les pesticides, c’est scandaleux, et j’espère que les agriculteurs vont en prendre conscience et se révolter, en tout cas je suis à leurs côtés. Je trouve que l’on ne fait pas assez pour l’agriculture alors que c’est quand même l’essentiel. Il faudrait que la FNSEA se rapproche de la Confédération paysanne, et que tous les agriculteurs se mettent ensemble pour faire une agriculture raisonnée, naturelle. Sans parler de nos estomacs, il faut que les agriculteurs qui s’empoisonnent eux-mêmes, comprennent qu’ils ne doivent pas rester entre les mains de Monsanto, pour cela nous devons lutter ensemble au niveau européen. Pour manger sainement et d’une façon naturelle, je suis très favorable aux AMAP ou aux démarches similaires. Il faut vraiment être taré lorsqu’on a le choix, pour préférer une nourriture avec des pesticides à une qui n’en a pas.

 

De quoi est faite votre actualité ?

M.J. - Durant un an et demi, je vais écrire un nouveau spectacle qui deviendra un film et s’appellera « Moi, Guitry, De Gaulle et les autres ». C’est une comédie dans le style de Feydeau autour des raisons du déclenchement de la guerre 14-18, que nous jouerons à partir de novembre 2013 au Théâtre du Rond-point. A côté de cela, je vais finir mon 2ème roman, peut-être faire un spectacle pour enfants et continuer à jouer mes précédents spectacles. Pour le « Comic symphonic », je serai à Toulon le 6 juillet, à Toulouse le 13, puis 3 dates en octobre que vous trouverez sur mon site. Pour « Marc Jolivet fête ses 40 ans de scène », je serai le 25 juillet à Roquebrune-Cap-Martin, puis toujours sur le site vous aurez les dates pour la rentrée.

 

Avez-vous un sketch sur le monde agricole ?

M.J. - J’ai un sketch qui a 15 ans et que j’actualise au fur et à mesure, dont la durée peut aller jusqu’à 45 minutes selon l’improvisation, mais je vais essayer de vous le faire court : C’est François Hollande qui va rejoindre son ex-compagne Ségolène Royal et il ne veut pas que ça se sache. Il part dans la campagne déguisé en José Bové, et sa voiture crève au milieu de nulle part à 3 heures du matin. Il voit une ferme, va demander si on peut l’aider. Le paysan appelle alors Emilio, arrive un cochon avec une jambe de bois. Le paysan lui demande d’aller réparer la roue de François Hollande. Le Président dit au paysan : Mais monsieur, c’est un cochon ! L’autre lui répond : Vous voulez qu’on vous aide ou pas ? Le président : Bon d’accord. Le cochon prend les clés dans son groin, part réparer la roue de la Ferrari, revient et rend les clés à François Hollande. Le paysan lui dit : Voilà monsieur, bonne nuit on va se recoucher. François Hollande lui répond : Excusez-moi, encore merci mais pourquoi ce cochon a une jambe de bois ? Le paysan conclut : Monsieur, un cochon avec des qualités pareilles, vous n’imaginez tout de même pas qu’on va tout manger d’un seul coup !

 

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« Le Sénat est un lieu pertinent pour des esprits modérés aimant le dialogue »

Publié le par michelmonsay

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L’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin est resté une personnalité écoutée et estimée de l’échiquier politique, par son humanisme, sa modération, et sa connaissance du terrain avec plus de 13 ans à la tête de la région Poitou-Charentes. A près de 64 ans, le vice-président de l’UMP entend jouer un rôle de rassembleur au sein de son parti pour éviter un éventuel éclatement.

 

Quel est le rôle et le pouvoir du Sénat et des sénateurs ?

Jean-Pierre Raffarin - Le Sénat est une assemblée de sagesse moins soumise aux pressions de l’actualité que ne l’est l’Assemblée Nationale. Les sénateurs élus au suffrage universel indirect par  les élus locaux, sont moins exposés aux humeurs du temps. Le débat y est moins systématique, moins manichéen et plus ouvert vis à vis du clivage droite-gauche. Pour les textes concernant les territoires, le Sénat est saisi en premier et impose de ce fait un premier regard sur le travail législatif. Pour les lois générales, le dernier mot reste à l’Assemblée Nationale.

Il y a des progrès dans la lisibilité de notre travail parlementaire, notamment grâce à la chaîne Public Sénat. Le Sénat est un lieu pertinent pour des esprits modérés aimant le dialogue, qui ne font pas de la bagarre, l’alpha et l’oméga de la vie politique. La Haute Assemblée des communes de France ressemble bien au tempérament des élus enracinés, qui comme moi, sont passionnés par la décentralisation, la vie des territoires, la diversité française. Un sénateur est un médiateur entre le maire et l’administration locale et nationale, pour faire aboutir les projets des collectivités locales de son territoire, tant sur le plan du financement que sur le plan législatif.

 

Comment analysez-vous l’élection présidentielle et les premiers jours du nouvel exécutif ?

J.-P.R. - Les adversaires de Nicolas Sarkozy ont concentré les attaques plus sur la personne que sur le projet. L’antisarkozysme de la gauche a fragilisé le candidat, néanmoins le score est extrêmement serré. Cet antisarkozysme s’est appuyé sur des comportements maladroits en début de campagne, que le Président lui-même avait reconnus. La stratégie retenue a posé aussi un certain nombre de problèmes et n’a pas séduit sur des territoires politiques, au centre, et sur des territoires géographiques, à l’Ouest. Pour autant, Nicolas Sarkozy a fait une campagne extraordinaire et très mobilisatrice, avec des innovations politiques formidables comme ces grands rassemblements de la place de la Concorde ou du Trocadéro, dont nous n’avions pas la culture.

Concernant François Hollande et Jean-Marc Ayrault, je respecte les personnes, et le 1er Ministre a besoin de temps pour mettre en place ses équipes et ses projets. Attendons le discours de politique générale, un certain nombre de textes et la première session parlementaire, pour voir si les socialistes sont dans la réalité ou dans le rêve. Je pense cependant que ceux qui ont cru au changement dès maintenant vont vite devenir impatients. Les équations économiques notamment européennes que le Président et le 1er Ministre devront résoudre, leur imposeront une distance vis-à-vis de leurs promesses, qui pourrait augurer des temps difficiles pour le nouvel exécutif.

 

Pour les législatives, une cohabitation est-elle souhaitable pour le pays et l’UMP va-t’il se rapprocher du FN sur certaines circonscriptions ?

J.-P.R. - L’un des devoirs de l’opposition est d’empêcher la majorité socialiste de blesser durablement notre pays. Les 35 heures coûtent encore en 2012, 14 milliards d’euros au budget de l’Etat et 6 milliards d’euros au budget de la Sécurité Sociale. Même 10 ans après, ce genre d’erreur coûte très cher, d’autant qu’il est quasiment impossible de la corriger. Il nous faut donc empêcher que de nouvelles décisions irréversibles soient prises, telles que le droit de vote des étrangers, le recrutement des fonctionnaires ou l’arrêt de réacteurs nucléaires, en ayant le plus de députés possible à l’Assemblée Nationale. Dans les circonstances actuelles, l’idée d’une cohabitation n’est pas incohérente puisqu’il s’agit de faire face au cœur des institutions au Président Hollande, pour empêcher des décisions que nous pensons mauvaises pour la France.

Notre ligne politique à l’UMP est claire : il ne faut ni accord ni alliance avec le FN. Ceux qui choisiront une autre logique se mettront en marge du parti.

 

Au cas où l’UMP perdrait les législatives, quel sera son rôle et son positionnement entre le FN et le centre ?

J.-P.R. - Si nous ne gagnons pas, l’UMP doit préparer l’alternance en renouvelant sa pensée politique. Il faut ajouter à notre patrimoine les acquis de la pensée de Nicolas Sarkozy, sur des sujets comme le travail et la régulation mondiale, mais aussi ajouter des idées nouvelles en inventant des solutions à notre problème de cohésion sociale. Pour cela, il faudra faire émerger une nouvelle génération. La question du FN peut fracturer l’UMP, celle des egos et du combat des chefs peut aussi avoir un impact, mais je ne pense pas qu’il y ait un risque majeur de division. Mon rôle est d’essayer de convaincre que l’UMP doit vivre avec ses deux cultures pour être forte, une droite d’autorité, républicaine et populaire, et une droite humaniste. Quand l’UMP est déséquilibrée, elle ne gagne pas. Si nous avons rassemblé le RPR et l’UDF en créant l’UMP en 2002, c’est pour qualifier nos candidats devant le FN. L’éclatement de l’UMP aboutirait à une prédominance du FN pour le 2ème tour quelle que soit l’élection. Affaiblir l’UMP, c’est renforcer le FN.

Nous avons choisi de faire un grand parti qui vit de sa diversité, et non une alliance de partis pour obtenir une majorité, comme M. Hollande avec un rassemblement de contraires et de paradoxes entre M. Bayrou et M. Mélenchon. Pour avoir une majorité en France, il faut que 50% des gens soient d’accord avec vous mais pas nécessairement entre eux.

 

La situation de la Grèce vous inquiète-t’elle pour l’avenir de l’Europe ?

J.-P.R. – Un processus de désintégration de la zone euro serait mortel pour l’Europe toute entière. La Grèce doit impérativement rester dans la zone euro, même si cela nous coûtera énergie et argent. Les pays les plus fragiles ne peuvent pas avoir comme seule issue de quitter la zone euro, d’où une indispensable solidarité entre tous les membres et une solide relation franco-allemande. Si la Grèce par malheur quittait la zone euro, non seulement il y aurait de sérieux risques de guerre civile dans ce pays, mais en plus tous ceux qui ont spéculé contre la Grèce se retourneraient vers le nouveau pays le plus faible. Le jour où l’on coupera l’attache du dernier wagon, c’est l’avant-dernier qui deviendra la cible des marchés pour un jour atteindre même la France.

On ne parviendra pas à être solidaire de la zone euro et augmenter les dépenses publiques en France. Le Président devra renoncer à certaines de ses promesses pour participer à cet effort de solidarité, cela déclenchera des mécontentements, des déceptions et de possibles tensions dans le pays.

 

Il aura fallu attendre qu’il y ait plus de 13 000 morts pour commencer à parler d’une intervention en Syrie, y êtes-vous favorable ?

J.-P.R. - C’est un sujet d’une extrême difficulté à conséquence grave avec des risques d’extension du conflit, notamment au Liban. La position française est la bonne, elle exige le départ du dirigeant sanguinaire, dont le comportement contre son peuple est inacceptable pour les valeurs de la France. Il faut absolument convaincre la Russie et la Chine pour faire bouger les responsables syriens. Les pressions diplomatiques et les sanctions politiques ne suffisent pas, il faudra peut-être rétablir la paix par la force. Mais une intervention militaire est risquée. Une telle décision ne peut se prendre que dans le cadre du droit international avec une résolution de l’ONU. 

 

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« Nous devons arrêter cette loi de la jungle où on laisse importer à tout va contre nos producteurs »

Publié le par michelmonsay

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Paysan breton devenu urbain, Patrick Le Hyaric est un homme de convictions qu’il défend avec passion, autant dans les journaux L’Humanité et La Terre qu’il dirige, que dans son engagement politique. Député européen depuis 2009, à 55 ans il est aujourd’hui candidat pour le Front de gauche aux législatives, dans la circonscription d’Aubervilliers et Pantin en région parisienne.

 

Quelles premières mesures attendez-vous du Président Hollande ?

Patrick Le Hyaric - L’urgence est de répondre aux attentes de nos concitoyens en créant les conditions pour accroître leur pouvoir d’achat, avec une augmentation des rémunérations par un nouveau partage des richesses, et une diminution d’un certain nombre de coûts énergétiques et alimentaires. Pour ces derniers, il faut aller à la fois vers une meilleure rémunération du travail agricole, et contenir un certain nombre de prix alimentaires à la consommation en inventant de nouveaux mécanismes.

Par ailleurs, il faut entreprendre une réforme du secteur bancaire avec une modification du système de crédit, pour réduire l’endettement des agriculteurs, des artisans, des commerçants et des PME, afin de ne plus les asphyxier et maintenir l’emploi dans ces entreprises. Autre réforme structurelle à mettre en place, il est impératif d’arrêter de fermer les services publics, surtout dans nos campagnes si l’on veut stopper la désertification. Pour cela, nous devons sortir de la règle de la RGPP (révision générale des politiques publiques) en se dégageant des marges de manœuvres financières, avec une autre politique fiscale dont les recettes proviendraient plus du capital et moins du travail.

 

Le résultat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle est-il satisfaisant et que peut-il augurer pour la suite, notamment aux législatives ?

P.L.H. - Le score de 11% réalisé par Jean-Luc Mélenchon dans le contexte actuel est un exploit considérable. En proposant le partage des richesses, une transformation du système démocratique, l’engagement dans une mutation écologique profonde, un changement des orientations des politiques européennes, il a rassemblé 4 millions d’électeurs et sans ces voix, François Hollande n’aurait pas été élu. Il serait bien qu’il y ait des représentants du Front de gauche à la direction des affaires du pays, cela signifierait un engagement vers une politique luttant résolument contre l’austérité et la crise, pour une réorientation de la construction européenne et qui sortirait du cadre actuel dans lequel se discute la réforme de la PAC.

Pour les législatives, il faut une majorité de gauche au parlement avec un pluralisme politique, comprenant des députés du Front de gauche qui garantiraient un vrai changement. S’il y a un risque d’élimination de la gauche dans une circonscription ou une possible élection d’un candidat du FN, l’ensemble des forces progressistes doivent se mettre d’accord dès le 1er tour pour éviter cela. Notre mouvement politique est en progression constante depuis que nous l’avons créé en 2009 aux élections européennes, et nous comptons bien continuer pour les législatives. A ce propos ma candidature a pour but de combattre notamment la perte de souveraineté des peuples et des parlements que nous subissons, en renforçant les rangs des députés qui feront tout pour que notre budget national ne soit pas décidé par le Président de la Commission de Bruxelles mais par nous-mêmes.

 

Que souhaitez-vous que la gauche mette en œuvre pour le monde agricole ?

P.L.H. - Nous devons arrêter cette loi de la jungle où on laisse importer à tout va, contre nos producteurs de fruits et légumes et de viande bovine. Il faut d’une part les protéger par un mécanisme de préférence communautaire contre la concurrence mondiale. D’autre part, rechercher des coopérations entre états voire continents et non entre multinationales, pour un respect des souverainetés alimentaires de tous les peuples dans le monde. Pour cela, l’OMC doit être beaucoup plus vigilante. Ensuite, des prix minima intra-communautaires à l’intérieur de l’UE doivent être mis en œuvre en réinventant les mécanismes de soutien public. En même temps sur le plan national, on pourrait mettre à l’étude un système de coefficient multiplicateur, qui interdirait aux intermédiaires comme les centrales d’achats de s’accaparer toute la valeur ajoutée de la production agricole, et de faire pression sur les prix à la production en important exagérément. On doit aussi favoriser l’installation des jeunes agriculteurs tant par les fonds structurels européens que par une politique nationale, dans une perspective de mutation environnementale de notre agriculture.

 

Quelles sont pour vous les priorités à l’échelle de la planète ?

P.L.H. - L’alimentation et l’eau sont les principales questions pour l’avenir de l’humanité. On ne règlera pas la question des migrations si on ne s’attaque pas aux questions de suffisance alimentaire. Certains peuvent faire des discours à courte vue sur les sans-papiers, mais ces gens-là ne viennent pas ici par plaisir mais parce qu’ils n’ont rien à manger. Il suffit de voir ce qui se passe au Sahel où les gens continuent de mourir de faim. Il faudrait de l’argent pour les sauver, mais au regard des dépenses militaires ou des sommes colossales que l’on a utilisées pour sauver les banques ce ne serait pas extravagant, et pourtant on ne le fait pas. Humainement on ne peut pas tolérer cela, pas plus que l’on peut accepter en France qu’un paysan avec un quota laitier de 900 000 litres soit au RSA. Pour l’un et l’autre, c’est le monde qui marche sur la tête.

 

Que représente aujourd’hui les journaux que vous dirigez et quel regard portez-vous sur le monde médiatique ?

P.L.H. - La Terre reste un journal de référence dans le monde rural avec une mission de médiation et de fédération pour faire revivre nos campagnes. L’Humanité porte aujourd’hui des choix de transformation structurelle de la société. Le journal est le confluent des débats d’idées de toute la gauche qu’elle soit politique, associative, syndicale ou des personnalités intellectuelles. Tous les journaux ont une orientation éditoriale, du Figaro à Libération en passant par La Croix ou Le Monde. Ils participent ainsi au débat démocratique et il faut les féliciter pour cela. A l’inverse, le système médiatique avilit le débat en découpant les phrases et les images en rondelles et en les passant en boucle, ce qui brouille totalement le message des politiques et fait perdre les repères. L’idée que les citoyens ne s’intéressent plus à la politique a été démentie durant cette campagne présidentielle, autant lors des primaires socialistes que lors des émissions de France 2 où les audiences ont été très fortes, ce qui est formidable pour la démocratie.

 

Quel pouvoir a le Parlement européen aujourd’hui et quel est votre sentiment sur l’austérité, la crise grecque et la croissance ?

P.L.H. - Le traité de Lisbonne donne au Parlement européen un pouvoir de codécision mais pas d’initiative. Par exemple pour la réforme de la PAC, nous avons un commissaire à l’agriculture avec lequel nous avons beaucoup travaillé, mais je sais qu’au bout du compte ce sera la Commission européenne et le Conseil européen qui imposeront leur vue. Il faut donc trouver un système plus démocratique. On sent bien au Parlement européen et un peu partout en Europe que l’on n’est plus dans une ligne d’austérité à tout prix. Tous les partis la prônant ont été rejetés lors d’élections locales et la victoire de François Hollande a contribué à débloquer la situation. Concernant la crise grecque, il faut arrêter le mémorandum de la Troïka (UE, BCE et FMI), donner de l’air à la Grèce, permettre à la banque centrale de prêter à 1% et congeler une partie de la dette, je pense que c’est une voie de sortie pour ne pas laisser la Grèce de côté.

Pour la croissance, il y a un débat intellectuel à avoir autour du terme de croissance pour définir comment on la conçoit. Si l’on fait de la croissance en augmentant la productivité du travail et la compétitivité, ce n’est pas positif, je préfère pour ma part le développement humain, social et écologique. Autant il est intéressant que l’on ait fait un pas sur le projet de croissance, autant on doit rester vigilant pour qu’elle se traduise par de l’emploi stable correctement rémunéré, et une forte réduction de la pauvreté que nous avons aujourd’hui dans l’Union européenne. Je ne remets pas en cause le fait que l’Allemagne et la France soient les fers de lance de l’UE, mais je préfèrerai que l’on ne discute pas uniquement de ce côté-là, et que l’on cherche à élargir la discussion avec d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou même le Royaume-Uni pour voir comment générer du développement humain.

 

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Interview de François Hollande réalisée le 29 août 2011

Publié le par michelmonsay

Cette interview réalisée plus de 8 mois avant son accession à la présidence de la République confirme la cohérence des propos de François Hollande, qui me confiait déjà les mêmes orientations qu'il a mises en avant ces jours-ci. J'étais ressorti emballé par cette rencontre avec un homme simple, déterminé, disponible, qui faisait preuve autant de qualités humaines que de grande compétence et d'un sens de l'analyse très pointu.

 

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L’ancien dirigeant du PS, favori des primaires socialistes où tous les français peuvent voter les 9 et 16 octobre, n’en finit plus d’étonner son monde par la métamorphose qu’il a opérée depuis plusieurs mois. A 57 ans, il a indéniablement pris une nouvelle dimension, qui pourrait le mener à devenir le leader que la gauche attend depuis François Mitterrand.

 

Comment vous situez-vous par rapport au projet du Parti Socialiste ?

François Hollande - Ce projet m’engage, je l’ai voté, j’aurai donc à le traduire, mais il y a aussi une crise, une conjoncture et des marges de manœuvre limitées. Si j’en ai la responsabilité, le choix que j’aurai à faire sera de fixer un ordre de priorités, et d’organiser un agenda pour que nous puissions faire ce que nous avons présenté aux français, avec la cohérence et la crédibilité nécessaires. D’ores et déjà, je mets l’accent sur la jeunesse, considérant que ce doit être la grande cause du prochain mandat présidentiel, et une réforme fiscale d’ampleur sans laquelle il ne peut y avoir de progrès économique, de justice sociale, de modernisation du pays.

Nous avons la démographie la plus dynamique d’Europe et une population active qui continue d’augmenter, c’est un atout et non une charge. La jeunesse doit être un levier pour permettre au pays de se développer par la réussite de cette nouvelle génération. Avec une progression du chômage aux deux extrêmes de l’âge actif, je propose un contrat de génération permettant à un employeur de garder un salarié de plus de 55 ans tout en embauchant un jeune de moins de 25 ans en CDI, avec une exonération de charges sociales sur les deux emplois. L’agriculture est peut-être le meilleur exemple de ce contrat de génération, avec des parents qui cèdent leur exploitation à leur enfant tout en continuant à y travailler et à transmettre le savoir.

 

Quelles mesures pourriez-vous prendre pour que le monde agricole aille mieux ?

F.H. - La réforme fiscale que je préconise aura son volet agricole avec un double objectif : favoriser l’emploi, l’investissement dans l’innovation, et l’environnement. Il y aura aussi un volet nouveau sur les mécanismes assurantiels pour faire face aux crises et aux aléas du marché. Deuxièmement : la jeunesse sera aussi une priorité pour l’agriculture avec une politique d’entrée dans le métier et d’installation qui devra être renouvelée et rénovée, en soutenant financièrement les jeunes qui souhaitent s’engager dans la carrière d’agriculteur, avec le maintien de prêts bonifiés.

J’entends aussi favoriser avec l’aide de l’Etat, des régions et de l’ensemble des partenaires, des politiques structurelles qui permettront de lier sur un même territoire plusieurs exploitations, comme cela a été fait pour l’achat du matériel agricole avec les Cuma. L’objectif sera de mettre en œuvre des mesures à la fois économiques et environnementales. Mais je n’oublie pas que la 1ère tâche qui m’incombera sera aussi de préserver le budget agricole au niveau européen, veiller à ce que la PAC permette la diversité des productions, la redistribution des aides, et un lien entre production et protection de l’environnement.

L’agriculture est un secteur à multiples enjeux. Enjeu territorial bien sur, enjeu environnemental je l’ai dit, enjeu alimentaire essentiel aujourd'hui pour l’Europe et la France. Et enfin un enjeu économique car c’est un des seuls secteurs excédentaires en terme de balance commerciale pour la France, en produits de base agricoles, en produits de qualité et en produits transformés industriels. C’est un atout essentiel. C’est pourquoi j’ai toujours considéré l’agriculture comme un enjeu global, celui d’une profession que je respecte mais aussi celui des consommateurs et de tous les citoyens.

 

Comment êtes-vous devenu le favori des primaires et de l’élection présidentielle en elle-même ?

F.H. - Une élection présidentielle est une alchimie, une rencontre entre un homme ou une femme, une circonstance et l’aspiration d’un pays. Sans préjuger des qualités, il faut correspondre à la période et il me semble qu’aujourd’hui plus qu’hier, je suis celui-là. Nicolas Sarkozy a décrédibilisé son modèle idéologique, la réussite individuelle, sans prendre conscience que l’organisation collective, la solidarité pouvaient être des leviers de progrès. Il a beaucoup choqué par son comportement personnel. Les inégalités qui sont apparues insupportables sur le plan social, ont été un frein à notre développement économique. Cela a créé une attente d’une réponse politique différente, plus stable, cohérente et précise.

De là est née mon ambition pour incarner un président qui aurait à la fois la force nécessaire, la hauteur de vue et le respect de tous ses concitoyens, en n’étant pas simplement le chef d’une majorité. Il faut être capable d’avoir cette empathie à l’égard de la population, pour qu’elle vous reconnaisse autant comme une autorité qu’un semblable, dans une conjugaison de responsabilité et de simplicité. Le verbe fait partie de ce lien, et même si j’ai été marqué par François Mitterrand, il faudra en 2012 faire du neuf. Pour les primaires, au-delà de l’ordre des priorités qui nous différencient, de l’insistance et la précision sur un certain nombre de choix, nos concitoyens choisiront la personnalité qui pourra rassembler le plus largement les français en leur redonnant confiance. C’est la condition pour battre Nicolas Sarkozy.

 

La crise actuelle peut-elle favoriser l’extrême droite, et que faut-il faire pour en sortir et relancer la croissance ?

F.H. - Les crises favorisent toujours les replis ou les excès. Penser qu’en chassant les immigrés ou les marchandises nous irions mieux, l’Histoire a démontré que ces solutions conduisaient au pire ou au désastre économique. Il ne suffit pas de dire que nous sommes contre les marchés, les agences de notation, les spéculateurs, l’Europe, pour que d’un seul coup ils disparaissent. Il faut dans cette période de crise montrer de la volonté, de la capacité, de la crédibilité et de la lucidité pour nous donner le temps nécessaire afin d’arriver aux résultats escomptés. La crise actuelle avec une faible croissance, un chômage élevé, une instabilité des marchés et une vulnérabilité des états, valide davantage nos thèses que celles des libéraux ou des conservateurs.

Pour relancer la croissance, notre victoire peut à court terme, être un élément de confiance permettant aux français d’investir davantage, de consommer mieux et de mobiliser leurs forces pour la réussite commune. Parallèlement, il nous faudra mettre l’accent sur 3 grands enjeux : celui de la production et de notre compétitivité, de notre capacité à innover, celui de  l’éducation où nous ne devons pas considérer la formation de nos jeunes comme une dépense supplémentaire mais un investissement, et celui de l’environnement qui peut, si nous savons saisir des opportunités, nous ouvrir des perspectives de croissance. Les nouvelles activités se trouvent dans les économies d’énergie, les énergies renouvelables, des modes de transport différents, une production agricole plus environnementale et mieux valorisée. S’il n’y a pas de croissance, il n’y aura pas de rétablissement des comptes publics et inversement, nous devons faire les deux en même temps.

 

Que doit comporter la réforme fiscale que vous préconisez pour être réussie ?

F.H. – La réforme fiscale doit être simple dans ses principes, efficace dans ses effets et juste dans ses instruments. Simple avec des impôts qui ont une assiette large et des taux en nombre limité, efficace économiquement en encourageant l’investissement et l’emploi, mais aussi en supprimant et redéployant les niches fiscales. Enfin cette réforme devra être juste, en appelant davantage à contribuer ceux qui aujourd'hui, sont les plus favorisés. Je l’ai dit, les français sont prêts à faire des efforts, à condition qu’ils sentent que ces efforts sont partagés équitablement. Aujourd’hui l’Etat emprunte pour payer les intérêts de ses emprunts, nous entrons ainsi dans une spirale où nos enfants devront payer nos dépenses de fonctionnement. Je ne peux pas admettre qu’il y ait cette transmission d’un fardeau qui serait le fruit de nos propres lâchetés. Il y a donc une obligation, c’est d’être rigoureux, en maitrisant nos dépenses, tout en fixant des priorités claires et en s’assurant en même temps de meilleures recettes, c’’est l’objet de la réforme fiscale que je propose.

 

Peut-on échapper à l’austérité et au diktat des marchés pour revenir à une démocratie plus humaine ?

F.H. - Depuis 10 ans, la domination des libéraux et des conservateurs, a délégué aux marchés, les arbitrages que nous devions faire politiquement pour faire face aux difficultés et préparer notre avenir. A ce titre, la PAC avec le démantèlement méthodique des organisations de marché depuis quelques années, est un exemple et une preuve. Pour que l’intelligence de la démocratie triomphe de la force des marchés, il faut mettre en place des règles, des instruments, des taxes sur la spéculation pour dégager des recettes, et pour l’agriculture maintenir des fonds d’intervention, avoir une politique de stockage, à l’échelle de l’Europe voire du monde. La voix de la France compte toujours mais cela dépend beaucoup de celui qui assure la fonction de président. Il peut le faire de manière bavarde et provocatrice ou exercer une influence par la qualité de ses jugements, la force de ses propositions, l’habileté de sa diplomatie et une intelligence de la psychologie humaine. Les rapports entre chefs d’état obéissent certes à des rapports de force, mais aussi  de confiance.

 

Votre manque d’expérience ministérielle est-elle un handicap et si vous êtes élu président, qu’aimeriez-vous laissé comme bilan ?

F.H. - J’ai été davantage qu’un ministre en étant sans doute celui qui a été le plus associé aux décisions du gouvernement de Lionel Jospin. J’étais à la tête du Parti Socialiste et à l’Assemblée Nationale avec Jean-Marc Ayrault, j’avais la responsabilité de faire vivre la majorité plurielle de l’époque. J’ai donc une grande expérience de la responsabilité.

Quant à ce que je voudrais laisser : un pays qui a plus confiance en lui-même, plus harmonieux, plus juste et plus apaisé. Un pays réconcilié entre les générations et entre les catégories sociales. Il faut pour cela avoir des idées claires et être capable de les faire partager. Si l’on a raison tout seul, on finit par avoir tort tout seul. 

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« Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament »

Publié le par michelmonsay

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Brillante pneumologue de 48 ans exerçant à Brest, Irène Frachon s’est lancée depuis 2007 dans un combat exemplaire contre les très puissants laboratoires Servier, pour dénoncer le scandale sanitaire du Mediator. Grâce à sa détermination sans failles, cette affaire a engendré le retrait du Mediator, une loi sur la régulation des médicaments, et un fonds d’indemnisation des victimes en attendant les procès à venir pour une justice qu’elle souhaite exemplaire.

 

Comment est née l’affaire du Mediator ?

Irène Frachon - L’affaire commence pour moi dans les années 90 lorsque jeune médecin je découvre et j’accompagne le scandale sanitaire des coupe-faims dérivés d’amphétamines. Malgré de sérieuses mises en garde de chercheurs et médecins dès les années 70 sur la dangerosité de ces produits qui provoqueraient une maladie rare et mortelle, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), les laboratoires Servier ont mis sur le marché le Pondéral et l’Isoméride. A cette époque je travaillais à Paris dans un service spécialisé sur les HTAP et un certain nombre de femmes venaient mourir de cette maladie après avoir consommé ces coupe-faims. Evidemment Servier a nié le lien et a fait pression sur les autorités de santé. Il aura fallu une grande étude internationale pour le prouver et la découverte par les américains d’une autre complication grave, la valvulopathie. Ces médicaments sont interdits à l’échelon mondial et retirés en 1997.

J’apprends de façon incidente que Servier a laissé sur le marché une troisième molécule qui n’est pas présentée comme un coupe-faim mais un antidiabétique. Ce médicament en vente depuis 1976 s’appelle Mediator et aurait une ressemblance avec Isoméride. En 2007 au sein du service spécialisé dans les HTAP dont je m’occupe au CHU de Brest, arrive une dame obèse atteinte de cette maladie suite à une consommation durant plusieurs années du Mediator. Après avoir entendu et lu des suspicions sur ce médicament, je me lance dans une enquête très longue en alertant en vain dès 2007 l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), et le Médiator ne sera retiré du marché qu’en novembre 2009.

 

Qu’avez-vous appris durant toutes vos recherches ?

I.F. – Je découvre tout au long de mon enquête une AFSSAPS sous la coupe de Servier, le laboratoire influençant les nominations de certains experts de l’agence, faisant moduler des rapports de pharmacovigilance, et faisant pression sur les cardiologues s’inquiétant de valvulopathies causées par le Mediator. Je soupçonne alors l’existence d’une délinquance industrielle touchant à des intérêts de plusieurs milliards d’euros et influente dans le monde entier. L’AFSSAPS, tétanisée face à Servier, se contente de retirer le médicament en ne disant rien à personne, laissant ainsi des milliers de malades seuls, qui ne pouvaient même pas faire valoir leurs préjudices puisqu’ils n’étaient pas au courant des causes de leur maladie. Trouvant cette affaire inadmissible je décide de la porter sur la place publique, en écrivant « Mediator 150 mg : Combien de morts ? », un livre très factuel avec des documents accablants à l’appui. Servier saisit la justice et fait censurer le livre, je suis menacée par les experts de l’AFSSAPS dans une campagne de dénigrement et je dois mon salut au député socialiste Gérard Bapt, cardiologue de formation, qui reprend ce combat en juin 2010. S’appuyant sur une étude de la caisse nationale d’assurance maladie, il fait éclater le scandale et contraint l’AFSSAPS à reconnaître le nombre de morts. Aujourd’hui la dernière estimation fait état de 1300 à 2000 morts et des milliers de victimes atteintes de valvulopathies.

 

Où en sont les victimes et quelles sont les retombées de cette affaire ?

I.F. - Xavier Bertrand a été très efficace et engagé sur cette affaire en mettant en place depuis septembre 2011 un fonds d’indemnisation pour les victimes du Mediator, afin de traiter leur dossier de façon humaine et les aider à négocier avec Servier pour être indemnisé. Maintenant des procès vont avoir lieu dès le mois de mai avec je l’espère une justice exemplaire pour qu’on en finisse avec les mensonges de Servier, les victimes étant dans un désarroi inimaginable. Cette affaire m’a permis de me rendre compte que nos institutions censées nous protéger sont très sensibles à la pression des lobbys, à la corruption, avec une gestion calamiteuse des conflits d’intérêts. En allant voir un médecin, un patient n’est pas sûr d’avoir une information qui ne soit pas biaisée par les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Pour éviter de nouveaux scandales, une réforme importante vient d’être votée sur la transparence du médicament concernant tous les acteurs, des industriels au monde médical en passant par les autorités sanitaires.

C’est une étape mais il faut maintenant une vraie volonté politique pour assurer l’indépendance des uns par rapport aux autres. Il n’est pas normal que l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament dépende d’études financées exclusivement par l’industrie pharmaceutique. La nouvelle loi prévoit aussi un portail public d’informations sur les médicaments géré par les institutions sanitaires. Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament et de son réel apport, nous avons un effort pédagogique pour moduler sa consommation. La révolution majeure des médicaments au XXe siècle qui a transformé la vie des patients, a renforcé la foi dans ces produits, mais aujourd’hui le marketing prend le pas sur l’intérêt et la sécurité des consommateurs.

 

Quelle est votre opinion sur les risques sanitaires encourus par les agriculteurs et comment résoudre le problème des déserts médicaux ?

I.F. – J’ai passé mes étés dans la ferme familiale en Charente-Maritime où ma famille produit encore aujourd’hui de l’élevage, de la vigne et des céréales. Les agriculteurs ont payé lourdement l’absence de réelle sensibilisation aux risques encourus. En plus de mon service au CHU de Brest, je soigne aussi une population rurale à Carhaix où beaucoup d’agriculteurs bretons ont souffert physiquement d’une exposition très forte à des aérocontaminants et des pesticides, et il a fallu du temps avant que cela soit pris en compte. D’autre part, je réalise qu’il y a certainement dans le domaine agricole, concernant la protection de l’environnement, des pressions, des manipulations, des mensonges de la part de divers lobbys comme des autorités de régulation qui sont peut-être pires que dans le domaine de la santé.

Le concept du médecin de campagne disponible jour et nuit est fini, il faut maintenant des maisons médicales de proximité où des praticiens venant de villes plus importantes puissent se relayer pour assurer le tissu de soins médicaux. Il faut donner envie aux jeunes médecins de s’installer dans la ruralité mais on ne peut pas les abandonner dans des zones où il n’y a rien, par exemple au plan universitaire, pour leurs enfants.

 

Comment se porte le monde hospitalier et quelle est votre perception de la crise ?

I.F. - Les contraintes financières et budgétaires ont conduit petit à petit à assimiler l’hôpital à une entreprise qui devrait être rentable, c’est une absurdité. Les objectifs de rentabilité dans les hôpitaux publics comportent un grand nombre de travers délétères qu’il faut corriger d’urgence. Cela dit, nous avons de bons hôpitaux, une médecine performante mais qui doit être plus économe quitte à fâcher les industriels et autres acteurs de santé touchant aux intérêts privés. La crise n’affecte pas le domaine hospitalier, les problèmes existaient déjà auparavant. Mon expérience avec l’affaire du Mediator m’a montré les mécanismes en place qui sont partout les mêmes aujourd’hui, consistant à préserver pour une petite classe de dominants l’accaparement des richesses de notre société. J’espère que l’élection présidentielle va permettre de briser ce cycle infernal, qui favorise une entente entre « oligarques » pour préserver argent, richesses et pouvoir.

 

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« Les campagnes électorales dépendent avant tout de leurs acteurs »

Publié le par michelmonsay

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Interview réalisée le 9 janvier 2012 avant qu'il n'abuse un peu trop de la moquette ...!

 

Après avoir dirigé la rédaction du Nouvel Observateur et du Figaro, Franz-Olivier Giesbert est depuis 11 ans directeur de l’hebdomadaire Le Point, qui a été désigné meilleur magazine de l’année 2011. Auteur de 12 romans et 7 portraits politiques, il a aussi animé de nombreuses émissions à la télévision, dont actuellement « 2012, les grandes questions » sur France 5. A 63 ans, son parcours fait de lui un incontournable témoin et fin connaisseur de la vie politique.

 

On parle de l’élection présidentielle en permanence depuis de nombreux mois, y a-t-il un risque qu’elle n’intéresse plus les français ?

Franz-Olivier Giesbert - Avec la réduction du mandat présidentiel à 5 ans, on est entré dans un système qui s’apparente à celui des Etats-Unis avec une campagne électorale quasi permanente. L’élection à peine passée que l’on s’intéresse déjà à la prochaine échéance. Ce raccourcissement du mandat a pour conséquence de donner moins de hauteur de vue au président. Cela dit, les campagnes électorales dépendent avant tout de leurs acteurs. En 2002, la campagne était plutôt atone et sans grand intérêt, alors qu’en 2007 elle était beaucoup plus vivante et forte, même si les enjeux n’étaient pas clairement définis et si des sujets importants comme la dette n’ont pas été abordés. Pour cette année, je pense qu’elle sera peut-être un peu plus ennuyeuse, moins vendeuse pour la presse, mais que l’on ira plus au fond des problèmes.


La presse a-t-elle une influence dans cette campagne et quels seront les grands thèmes abordés ?

F.-O.G. - Les journalistes ne font pas les campagnes présidentielles, contrairement à ce que croient certains d’entre eux, ils ne font que suivre le mouvement. Ils ont beau interpeller, questionner, de toute façon ils ne changeront pas le cours de l’Histoire, seuls les politiques décident d’aller où bon leur semble. Pour preuve, j’ai posé des questions sur l’endettement en 2007, et on ne peut pas dire que j’ai été très suivi. Autre preuve de l’influence limitée de la presse, les candidats qu’elle a soutenus ont été battus, Balladur en 1995 ou Jospin en 2002.

Si le problème de l’endettement a été occulté en 2007 avec des candidats qui nous expliquaient qu’on le règlerait par la croissance, le thème paraît incontournable dans cette campagne. La France vit au-dessus de ses moyens depuis longtemps, il faut qu’elle réduise les dépenses publiques et elle va finir par le faire. Autre débat important, celui de l’Education Nationale où il faut revaloriser la condition enseignante, en redonnant une fierté aux enseignants et un sens à l’éducation. En ces temps de difficultés, il y aura aussi la protection sociale et la fiscalité. Enfin dans une élection présidentielle, il y a beaucoup d’émotionnel et il est possible qu’à l’occasion d’un fait divers, on reparle de sécurité.


La crise peut-elle engendrer des surprises et démobiliser des électeurs qui sont de plus en plus incrédules ?

F.-O.G. - A priori la crise devrait profiter à François Bayrou, il était le seul en 2007 à dire qu’il y avait un problème alors que les autres avaient tendance à le nier. S’il a les capacités de créer la surprise, il n’est pas le seul. La crise ne peut que mettre du vent dans les voiles de Marine Le Pen, qui a des solutions extrêmement simplistes mais que toute une partie de l’électorat est prête à entendre. Les politiciens ne s’adressent plus aux classes populaires, ils ont laissé en friche ce terrain qui est devenu le territoire de chasse privilégié de Marine Le Pen.

Même si la classe politique serine un discours faussement positif en racontant des sornettes d’élection en élection sur le retour de la croissance, il y a une grande inquiétude, un sentiment général de déclin, et les français ont besoin qu’on leur propose quelque chose de positif, des solutions. La France est le pays le plus pessimiste au monde et pourtant elle a beaucoup d’atouts, certes on est tombé très bas mais on peut repartir. Une campagne électorale n’est pas prévisible, il y a des ruptures, des retournements et un moment donné, cela peut se coaliser autour d’un candidat, autour de propositions qui vont brusquement changer la donne.


Sur quoi va se jouer l’élection et que peuvent attendre les petits candidats ?

F.-O.G. - Les français veulent à la fois quelqu’un qui les rassure, les protège et les sorte de cette crise. Leur candidat idéal serait une sorte d’hydre à 3 têtes, Sarkozy pour l’énergie, il est aussi une machine à mouliner les idées, Hollande pour le calme, la mesure, il est très consensuel et écoute beaucoup, enfin Bayrou pour la force de caractère, lui est pragmatique et joue la carte prophétique. Une campagne électorale est toujours violente, la personnalité des candidats peut faire la différence. Rien n’est joué, d’autant que Hollande a la position la moins facile, celle du favori, qui essaie de garder son terrain en prenant le moins de risques possibles, pour ne pas perdre des voies en s’aventurant dans telle ou telle direction. L’homme politique en campagne recherche la dynamique, c’est ce que fait aujourd’hui Sarkozy pour rattraper son retard. Il est difficile de faire un pronostic, d’habitude 2 candidats se détachent, cette fois-ci ils sont 4 à pouvoir être présent au 2ème tour.

Pour un petit parti, l’élection présidentielle est fondamentale, elle représente beaucoup d’exposition et lui permet de vivre. Certains des petits candidats n’iront pas au bout soit à cause du manque de parrainages, soit qu’ils l’ont déjà décidé et sont dans une posture de négociation avec les grands partis. Le filtre des 500 signatures est une bonne règle même si elle est injuste, pour éviter d’avoir trop de candidats. La possibilité que Marine Le Pen ne les obtienne pas, poserait un problème de démocratie.


Toutes les dernières élections ont vu la gauche l’emporter et les Verts réaliser un bon score, est-ce une indication pour la présidentielle ?

F.-O.G. – Non, je ne pense pas que cela joue. Il y a chez les français un petit côté normand où l’on ne met pas tous les œufs dans le même panier, une volonté d’équilibre, que la droite commence à mettre en avant. Par contre, le maillage municipal des élus socialistes va énormément aider François Hollande dans sa campagne. Pour les Verts, il y a des scrutins qui leur sont plus profitables que d’autres, l’élection présidentielle ne leur a jamais réussi et je ne suis pas sûr que les législatives leur soient favorables non plus. De toute façon, ils n’ont pas le monopole de l’écologie, ils ne peuvent pas la confisquer, c’est un sujet trop important pour le confier à un seul parti, et aujourd’hui il y a des écologistes aussi bien à droite qu’à gauche.

N’oublions pas pour finir que la situation économique actuelle est extrêmement changeante, et il peut y avoir des bouleversements à tout moment. Les événements extérieurs peuvent soudainement troubler la donne de cette campagne électorale. 

 

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« L’écologie est le lieu de réorganisation des politiques et d’expression d’une vision d’avenir »

Publié le par michelmonsay

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Interview réalisée le 18 juillet 2011, quand NKM s'occupait encore d'écologie !

 

Numéro 3 du gouvernement à la tête d’un ministère de grande ampleur depuis près d’un an, Nathalie Kosciusko-Morizet œuvre à la transformation écologique de la société. A 38 ans, elle concrétise l’engagement environnemental qu’elle a toujours manifesté, en mettant en œuvre les 268 mesures du Grenelle, et en prenant des décisions transversales dans une logique de développement durable.

 

Quelle est la place de l’écologie dans l’action gouvernementale ?

Nathalie Kosciusko-Morizet - L’écologie est centrale dans l’action gouvernementale, elle est le lieu de réorganisation des politiques et d’expression d’une vision d’avenir. Pour moi l’écologie est avant tout une invitation à modifier en profondeur nos systèmes de production et de consommation pour tenir compte des enjeux environnementaux majeurs tels que le changement climatique ou l’épuisement des ressources naturelles. Seule une transition vers un modèle plus durable nous permettra de concilier nos exigences de confort et notre éthique. Pour moi l’écologie n’est pas enfermée dans une série de politiques sectorielles, c’est même tout le contraire. Notre ministère regroupe toutes les administrations en charge des infrastructures, ce qui est une façon de considérer que le territoire ou la biodiversité sont des infrastructures. Pour faire du logement, vous avez besoin de consommer du territoire, pour faire du transport, vous créez des discontinuités environnementales. Auparavant, il y avait de perpétuelles bagarres entre l’environnement, les transports, le logement et ça se terminait en arbitrage à Matignon. Le ministre de l’environnement avait très peu de pouvoir. Aujourd’hui, le fait d’avoir fusionné les trois nous donne les moyens de mener des vraies politiques de fond, en diminuant les tensions entre les différents secteurs pour avancer dans le même sens.

 

Pouvez-vous nous citer quelques mesures phares de votre action ?

N.K.-M. - Quand je relance le dispositif d’accession à la propriété avec la rénovation du prêt à taux zéro + (PTZ+), je m’organise pour que toutes les politiques convergent. Le PTZ+ est sous conditionnalité environnementale, vous pouvez obtenir plus d’argent si vous achetez meilleure qualité environnementale. C’est un dispositif qui marche très bien, il permet d’aider les familles qui en ont le plus besoin dans des zones tendues. D’autant qu’en achetant de la bonne qualité environnementale, on a moins de charges qu’avec des logements de mauvaise qualité énergétique. Je suis heureuse également que l’on fasse avancer tous les dispositifs d’étiquetage environnemental. Ils nous permettent d’aider les consommateurs à choisir de manière cohérente avec leurs exigences éthiques, tout en valorisant les circuits courts et une production de qualité. Dans les années 1990, les étiquettes énergétiques pour les produits d’électroménagers ont complètement chamboulé le marché. Les appareils étaient notés de A à G, ceux qui ont obtenu E, F et G ont disparu de la vente, et on a été obligé de créer la catégorie A+ voire A++.  On vient de commencer un test d’affichage environnemental qui va durer un an sur plusieurs centaines de produits de grande consommation, pour choisir le support et le type d’informations les mieux adaptés en faisant participer le consommateur. A terme, l’idée est d’avoir une généralisation sur toutes sortes de produits en France et en Europe.

 

Que va apporter le plan national d’adaptation au changement climatique ?

N.K.-M. - On essaie de se mobiliser au maximum pour lutter contre le changement climatique dont on ne sait pas encore quel en sera l’ampleur, et pour y préparer les français.  La France est parmi les très bons élèves avec l’Europe même s’il y a une disparité à l’intérieur du continent, mais on a beaucoup de mal à entraîner la communauté internationale. Ce changement qui est en cours aura pour conséquences une multiplication d’événements extrêmes avec une augmentation des risques naturels de toutes sortes, une baisse de la disponibilité en eau, une modification des aires de répartition géographique de certains types de végétaux, d’animaux, de maladies, mais aussi des modifications importantes pour l’agriculture sur les possibilités des territoires et des variétés à cultiver. C’est un plan très vaste sans catastrophisme mais avec responsabilité comprenant de nombreuses mesures, comme celles sur l’aménagement de l’urbanisme côtier face aux prévisions de montée des eaux, pour éviter de nouveaux Xynthia.

 

Quelle est la position de la France sur le nucléaire après Fukushima ?

N.K.-M. - En matière d’énergie, la France a 3 piliers sur lesquels elle s’appuie et qu’elle est en train de conforter : La sureté nucléaire, qui n’est pas négociable et ne doit pas être soumise à des contingences financières. Le Premier Ministre a lancé après Fukushima un audit de toutes nos installations, et aucune décision ne sera prise notamment sur Fessenheim avant son rendu en novembre. Parallèlement, plusieurs dizaines de millions d’euros seront investis sur la recherche en matière de sureté nucléaire. Le 2ème pilier est l’efficacité énergétique, nous travaillons actuellement pour l’augmenter de plus de 20% à l’horizon de 2020. Le 3ème étant les énergies renouvelables, que nous voulons développer sans abandonner le nucléaire qui restera majoritaire et durablement installé dans le bouquet énergétique mondial, il suffit de regarder ce que préparent l’Inde et la Chine

 

Justement où en est la France avec les énergies renouvelables et de manière plus générale sur l’environnement est-elle un bon élève ?

N.K.-M. - Sur l’éolien offshore, comme c’est tout nouveau pour nous on veut tout de suite aller vers la création d’un point industriel. Par contre sur le photovoltaïque, il y a eu un premier dispositif de soutien trop tiré par des bas prix et orienté vers des technologies standard, qui amenait à l’importation de produits. Grenelle doit rimer avec création d’emploi. Je viens de lancer les appels d’offre pour l’éolien offshore et le photovoltaïque, en organisant ces dispositifs afin d’avoir une vraie politique industrielle en France et créer de l’emploi sur notre territoire. En 2020, on aura 5% de notre facture d’électricité en photovoltaïque et 3% en éolien offshore. Ces énergies renouvelables coûtent plus cher aujourd’hui que l’énergie nucléaire, pour les lancer, on fait peser une contribution sur la facture d’électricité. La légitimité de cette politique passe par la création de filières industrielles en France, et non par l’importation de panneaux chinois.

La France est bonne sur son émission moyenne en CO2 par habitant, ses politiques de protection de l’environnement et de prévention des risques naturels. On va prendre de l’avance sur l’éolien offshore, on est en phase de rattrapage sur la méthanisation, sur les déchets en matière de tri et de recyclage. Pour la gestion de l’eau, nous avons un dispositif d’organisation par bassin avec les agences de l’eau qui a été copié en Europe, ce qui ne veut pas dire que tout va bien dans ce domaine, la fuite des réseaux d’eau potable est un gâchis scandaleux.

 

Où en sont les relations entre le monde environnemental et le monde agricole ?

N.K.-M. – Avec mon collègue Bruno Lemaire, nous avons beaucoup de sujets communs, notamment des sujets de fonds comme avoir un urbanisme suffisamment dense pour préserver la terre agricole en zone périurbaine, garder des continuités écologiques qui permettent d’éviter les inondations récurrentes de terres agricoles en cas de catastrophe naturelle, mais aussi les produits phytosanitaires et les pratiques agricoles. Le Grenelle a aidé à surmonter un certain nombre de barrières entre les deux mondes, ce qui ne veut pas dire que tout est idéal mais il y a des points importants de convergence : La préservation de la terre agricole, on fait très attention par exemple pour le photovoltaïque à utiliser des friches industrielles, des anciennes carrières et pas de terres agricoles. Les cycles courts pour favoriser des produits nationaux de qualité, pas forcément bio, notamment dans les collectivités. Du côté des pratiques, le monde agricole est beaucoup plus sensibilisé aujourd’hui aux questions de santé environnementale. Enfin concernant les problèmes, comme celui des algues vertes, on les résoudra ensemble. Il est dommage que l’on ait laissé se développer un modèle agricole qui n’est pas tenable sur la durée dans un certain nombre de baies fermées, où la concentration de nitrates aboutit automatiquement aux algues vertes. On a en ce moment des dispositifs pilotes sur 8 baies, qui commencent à donner des résultats.

 

Faut-il être plus radical dans les mesures, notamment celles concernant la circulation en ville ?

N.K.-M. - Une politique environnementale bouscule forcément des intérêts, des habitudes mais chacun sait de plus en plus les limites, les contraintes, les impasses dans lesquels on est. Même si on râle on sait qu’il faut le faire et on demande à être bousculé. On a lancé dans le Grenelle un dispositif de restriction de circulation des voitures les plus anciennes dans les centres-villes, c’est loin d’être gagné. Pourtant plusieurs capitales européennes l’ont mis en œuvre et c’est le seul moyen de réduire les émissions de particules si nocives pour la santé en ville. Notre ministère passe beaucoup de temps à concerter tous les acteurs, c’est le principe du Grenelle, plus on change les choses plus on doit être à l’écoute.

 

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« La démocratie n’est pas l’état naturel des sociétés, c’est une construction »

Publié le par michelmonsay

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Cette interview réalisée le 31 mars 2011 montre si besoin est, la lucidité d'analyse d'Hubert Védrine.

 

 

Sans doute, l’un des tous meilleurs ministres des affaires étrangères de la Ve République, Hubert Védrine proche de François Mitterrand, dont il a été entre autre Secrétaire général de l’Elysée, reste à 63 ans au cœur de la géopolitique. Ce remarquable acteur et observateur des relations internationales, décrypte ce début d’année pas comme les autres.

 

Que faites-vous depuis que vous n’êtes plus Ministre des affaires étrangères ?

Hubert Védrine - En 2002, après la fin du gouvernement Jospin, j’ai créé une société de conseil spécialisé dans l’analyse des risques géopolitiques. Je travaille pour des grandes entreprises françaises en leur apportant des éléments d’appréciation sur l’évolution notamment de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou des pays arabes aujourd’hui avec ce mouvement de révolte démocratique. Le reste de mon temps est réparti entre la présidence de l’institut François Mitterrand, les cours que je donne à Sciences-Po, l’écriture de livres, beaucoup de colloques dans le monde entier et les différentes sollicitations médiatiques. Il n’y a pas de ma part, le moindre retrait par rapport aux échéances politiques importantes, où tout reste ouvert. J’ai gardé tous mes contacts et je passe mon temps à parler politique étrangère, industrielle ou européenne pour la France, mais je ne m’exprime jamais sur la vie politicienne.

 

Comment analysez-vous la décision d’intervenir en Libye au niveau international et au niveau français ?

H.V. - Face au risque d’un vrai massacre à Benghazi par les forces de Kadhafi, j’ai trouvé important qu’il y ait eu une réaction internationale pas seulement occidentale, aboutissant au vote par le conseil de sécurité, de l’emploi légal de la force. Il est très rare que l’on parvienne à ce type d’accord où il faut au moins 9 voix et aucun veto, la guerre en Irak de Bush ne l’avait pas obtenu. Ce vote très important a été possible grâce au rejet de Kadhafi par l’ensemble des pays arabes mêmes les plus autoritaires. Mais aussi par la position de la ligue arabe demandant une zone d’exclusion aérienne, ce qui a convaincu Obama, dissuadé les russes et les chinois de mettre leur veto comme ils le font habituellement, et a donné un débouché à l’action française menée depuis le début par Sarkozy et très bien conduite ensuite par Juppé. Sans être de leur famille, je n’hésite pas à dire que leur politique a été courageuse et bonne dans cette affaire. Même si on peut penser que par cette crise et la présidence du G20, Nicolas Sarkozy essaie de redorer son blason, à l’image de tous les autres dirigeants politiques, c’est inhérent à la fonction.

Tous ces critères constituent une spécificité de la situation libyenne, ce n’est pas un tournant dans les relations internationales qui en aucun cas ne seront fondés à l’avenir uniquement sur les droits de l’homme. Il s’agit ici de responsabilité de protéger une population, et non un droit d’ingérence qui intervient en dehors du droit international en étant proche de la colonisation. L’intervention met tous les régimes autoritaires sous pression et il est fort probable que d’ici 5 ans, ils soient modifiés d’une façon ou d’une autre.

 

Que pouvez-vous dire de la situation aujourd’hui et comment voyez la suite autant en Libye, qu’en Tunisie et en Egypte ?

H.V. - Kadhafi peut tomber assez vite comme il peut s’enkyster quelques semaines en fonction de sa résistance militaire, mais il n’a plus d’avenir, les sanctions et les défections se multiplient. Les seuls soutiens qu’il lui reste sont des pays africains qu’il subventionne ou qui ont peur de lui. Après, la situation sera forcément chaotique. Pour bâtir une Libye moderne et démocratique, ils partent de zéro. On ne passe pas du despotisme à la démocratie. La démocratie n’est pas l’état naturel des sociétés, c’est une construction. D’ailleurs dans nos pays européens, alors même que nous adorons donner des leçons à la terre entière, cela a été parfois très compliqué. L’intervention de la coalition ne veut pas dire que l’on devient maître du destin de la Libye. Toutes ces révoltes sont des révoltes arabes démarrées par des arabes qui ont pris des vrais risques, à commencer par les jeunes tunisiens. Ils ont enclenché un processus considérable qui va durer des années et face à quoi il faut se positionner le moins mal possible.

Aussi bien en Tunisie, qu’en Egypte et même au Maroc où le roi a annoncé des réformes importantes, un débat est lancé pour savoir quelle doit être la nouvelle constitution, et mettre en place des élections. Sans connaître le rapport de forces qui n’a jamais été mesuré jusque-là, notamment avec les partis islamistes. Aucun expert du monde arabe ne s’attend à une vague islamiste à l’iranienne, qui avait pris par surprise à la chute du Shah d’Iran. Cependant, il peut y avoir un leader islamique malin qui arrive en tête si les démocrates se tirent dans les pattes. Pour éviter cela, la date des élections a été repoussée en Egypte afin que les partis aient le temps de s’organiser.

 

Que pensez-vous du problème des immigrants qui affluent vers l’Europe, et plus globalement des débats et déclarations de M. Sarkozy sur des sujets sensibles ?

H.V. - Il ne faut pas instrumentaliser le sujet ni exploiter la peur des gens, mais on ne peut pas dire que l’immigration est une chance pour l’Europe si elle n’est pas contrôlée, régulée et si on n’est pas capable d’intégrer les gens. Il ne s’agit pas de savoir si on aime les autres ou si on les déteste. Si l’immigration est brutale et massive, c’est entièrement déstabilisant. Il faudrait trouver un consensus en Europe et avec les pays du Maghreb et d’Afrique pour une cogestion des mouvements migratoires. Par ailleurs, il faut préserver le droit d’asile, qui est fondamental, et ne pas le mélanger par bon sentiment avec les migrations économiques.

Le niveau élevé des mouvements populistes en Europe y compris le FN, est en partie dû au fait que trop de débats ont été interdits. La mondialisation étant très perturbante, il est normal que les pays se posent des questions d’identité. On doit pouvoir aborder tous les sujets mais pas n’importe comment. Avec humanisme, sagesse, pédagogie et non de manière pyromane en excitant tout le monde, et surtout pas en période préélectorale en lançant les débats artificiellement à des fins politiciennes. Le calcul électoral de Nicolas Sarkozy, consistant à jongler avec certains thèmes, a marché en 2007 mais ne prend plus aujourd’hui malgré ses déclarations provocatrices. Les électeurs du FN sont une armée de gens perdus, désespérés que la machinerie démocratique ne serve plus à rien. Si on leur dit, vous êtes des salauds nauséabonds, les problèmes dont vous parlez n’existent pas, ils sont encore plus furieux et montent dans les sondages. Il faut essayer de les convaincre sur le fond et non par des manœuvres politiciennes.

 

Quelles réflexions vous inspirent l’Europe ?

H.V. - En Europe, les gouvernants de gauche comme de droite n’arrivent pas à convaincre les gens qu’ils ont des réponses à leurs problèmes. Au contraire, ils donnent le sentiment de n’avoir prise sur rien depuis l’abandon des souverainetés, qui ont d’ailleurs été récupérées par les marchés et non par la Commission de Bruxelles, ce qui favorise un vote extrémiste. On attend de l’Europe des choses imaginaires, illusoires, et la façon dont on raconte sa construction est trop angélique alors que cela a été laborieux. D’un autre côté, on regarde le monde extérieur avec des larmes de crocodile mais on est content d’être chez soi. Les sociétés européennes sont les moins dures de l’histoire de l’humanité, même s’il y a mille choses à perfectionner.

Le gouvernement de la zone euro doit rester démocratique et pas être abandonné à la banque centrale ou à la Commission. Par ailleurs, il ne faut pas appliquer simplement une politique de rigueur à l’allemande, on doit assainir les finances publiques, mais moins vite et avec une dimension de croissance. L’Europe doit mieux défendre ses intérêts, notamment face à la Chine et la Russie.

 

Que vous inspire le drame japonais et que préconisez-vous en matière nucléaire ?

H.V. - A la fois l’incroyable dignité de ce peuple mais aussi l’incroyable mauvais management de l’électricien japonais Tepco, qui a laissé des centrales anciennes, mal conçues et posant déjà des problèmes, sur des zones de failles au bord de la mer, dans un pays où il y a régulièrement des tsunamis.

Pour le nucléaire, on est incapable de s’en passer durant plusieurs dizaines d’années. Il ne faut pas mentir aux gens, si l’on veut en sortir avant, cela conduira à une relance importante des énergies non renouvelables et donc plus aucune chance d’atteindre les objectifs écologiques européens. Il faut réunir les conditions pour sortir du nucléaire le moment venu, en favorisant les économies d’énergie, notamment en réaménageant 95% des bâtiments du monde entier, et en développant les éoliennes, le solaire, … Entre-temps, les centrales d’un modèle dépassé doivent être fermées et remplacées par autre chose, et pour plus de sécurité, les pays vont arriver à la conclusion qu’il vaut mieux des systèmes super sécurisés même s’ils sont atrocement chers. Parallèlement, on doit créer une instance mondiale qui ait des pouvoirs d’inspection absolus auxquels personne ne puisse s’opposer, avec la possibilité d’arrêter une centrale dangereuse le cas échéant.

 

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« L’ignorance de l’ailleurs, de l’autre et de sa société engendre la peur »

Publié le par michelmonsay

Jean-Robert Pitte 010 

Homme aux nombreuses casquettes, Jean-Robert Pitte a été nommé par le Premier Ministre en juin 2010 pour améliorer le système d’orientation sur les formations et l’emploi. Cet académicien de 62 ans, ancien président de la Sorbonne, ardent défenseur de la gastronomie, est également président de la société de géographie et de la mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA).

 

A quoi sert la délégation à l’information et à l’orientation ?

Jean-Robert Pitte - Dans un paysage de l’orientation qui est très labyrinthique, notre mission est de permettre à tous nos compatriotes de trouver plus facilement l’information utile pour eux et l’aide à l’orientation. Si on est collégien ou lycéen décrocheur, étudiant en échec, demandeur d’emploi depuis un certain temps, on a besoin d’être aidé et aujourd’hui c’est très compliqué de trouver la bonne personne au bon endroit. On a accumulé comme un mille-feuille les organismes, et il y a actuellement 8500 lieux d’accueil pour l’information et l’orientation. À l’échelle de chaque bassin de vie, on essaie  d’avoir une coopération entre les différents organismes sous le label « Orientation pour tous », de manière à ce que lorsque les gens poussent la porte de n’importe lequel d’entre eux, on s’occupe réellement d’eux. Parallèlement, on est en train de mettre en place un numéro de téléphone gratuit et un site Internet. La philosophie derrière tout cela est d’essayer de supprimer cette hiérarchie absurde entre les métiers nobles et les autres. Le proverbe « Il n’y a pas de sot métier » n’est pas appliqué dans notre pays. D’ailleurs le mot « orientation » a une connotation plutôt négative, il intervient souvent pour les élèves en échec. Il faut faire connaître les métiers le plus tôt possible aux jeunes, y compris ceux de l’agriculture qui ne sont pas bien connus et ont encore une image un peu plouc, exceptées quelques niches comme la viticulture.

 

Quels constats faites-vous sur le monde du travail et celui de la formation ?

J.-R.P. - La moitié des français trouvent que leur travail n’est pas intéressant ou trop dur ou qu’il y a trop de pression ou qu’ils sont mal payés. Cela tient à un métier choisi par défaut, une formation choisie par défaut, et le fait qu’en France on se forme très peu en alternance. Il faut réconcilier le monde de l’école et celui de l’entreprise. Il commence à y avoir des mesures comme le parcours de découverte des métiers et des formations dans les collèges et lycées, mais il faut aller plus loin et plus vite. Tous les étudiants de l’enseignement supérieur devraient avoir une partie de leur formation en stage, en vue d’acquérir d’autres compétences que la discipline choisie. De même dans les PME, il faut mieux faire connaître tous les systèmes de formation continue et de validation des acquis de l’expérience.

Dans le monde de la formation que je connais bien, étant universitaire, il est très difficile de faire bouger les lignes. La réforme des universités est une grande réussite du gouvernement mais elle n’est pas allée assez loin. L’université reste encore trop sous la tutelle de l’Etat avec 95% de son financement. Il faudrait que les universités soient présidées par quelqu’un d’extérieur qui ne soit pas enseignant de la maison, pour avoir un vrai projet d’établissement. L’éducation nationale et plus encore le secteur orientation sont étouffés par le corporatisme. Du côté des entreprises, il faudrait mieux cibler les besoins, et faire de la prospective pour savoir quels sont les secteurs d’avenir.

 

Quels premiers remèdes proposeriez-vous contre l’échec scolaire et le chômage élevé ?

J.-R.P. – Déjà, il est à constater que les parents ne sont pas assez impliqués dans l’éducation de leurs enfants pour le secteur public. Il faut plus d’autonomie des établissements et une relation enseignants, enfant et parents qui doit être beaucoup plus forte. Concernant les demandeurs d’emploi, je suis contre une exagération de l’assistanat. C’est allé si loin qu’un certain nombre de gens profite du système et que parallèlement, il y a des secteurs entiers de l’emploi pour lesquels les entreprises ne trouvent pas d’employés. Des secteurs comme le bâtiment ou les métiers de bouche,  sont certes un peu durs mais on peut y gagner de l’argent, s’épanouir, voire créer son entreprise. Trop d’assistanat tue l’économie. Il faudrait pousser un peu les chômeurs vers l’emploi au lieu de les laisser dans l’attente de l’emploi idéal, qui souvent ne vient jamais.

 

Quel est votre regard sur la restauration universitaire et plus globalement collective ?

J.-R.P. – J’ai rendu un rapport à la Ministre de l’enseignement supérieur il y a près de 2 ans élaboré avec Jean-Pierre Coffe, sur la restauration universitaire. On y  montrait qu’à partir d’expériences de bonnes pratiques un peu partout en France, on peut arriver à faire de la bonne cuisine dans les restos universitaires malgré un coût très faible de 5 € par repas. Un certain nombre de chefs font un travail admirable d’approvisionnement local, et réactif lorsqu’il y a abondance d’un produit sur le marché avec un prix à la baisse. J’aimerai ouvrir une école de formation à destination des chefs de la restauration collective, pour leur montrer que l’on n’est pas obligé de faire de la cuisine d’assemblage avec des produis surgelés qui n’ont aucun intérêt gustatif, mais plutôt privilégier l’approvisionnement local. Cette dégradation existe aussi dans certains cafés restaurants notamment dans les lieux touristiques, mais il y a heureusement quelques initiatives intéressantes comme la mode bistrotière avec des chefs qui cuisinent des produits frais et de saison.

 

Comment voyez-vous l’avenir de la profession agricole ?

J.-R.P. - L’avenir de l’agriculture française est dans la qualité reconnaissable, pas dans des produits semblables à ceux venant de Californie, Israël et autres. Le temps des subventions permettant de produire à perte est fini, aujourd’hui un agriculteur doit trouver un modèle économique qui lui permette de vivre. Beaucoup de viticulteurs se sont pris en charge, ils mettent eux-mêmes leur vin en bouteille, participent à des salons, se créent un portefeuille de clients particuliers et s’en sortent plutôt bien. Quand je rencontre des agriculteurs en difficulté, je leur conseille de sortir de leur secteur si celui-ci n’a pas d’avenir et de profiter des aides pour la reconversion. Ou bien de diversifier leurs productions ou leurs activités notamment en se tournant vers le tourisme, la pluriactivité dans le monde rural est fondamentale. Il y a des zones magnifiques dans certaines régions où il n’y a pas de structures d’accueil. Par ailleurs, la grande distribution a pris la main sur tout le commerce. Il faut aujourd’hui éduquer le consommateur à faire des achats locaux et de saison, développer les AMAP, du coup la grande distribution s’adaptera. Les agriculteurs doivent faire des efforts de commercialisation de leur production, localement et pour l’exportation.

 

Où en est la gastronomie française aujourd’hui ?

J.-R.P. - Il y a un an, l’Unesco inscrivait le repas gastronomique des français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La MFPCA que je préside a porté ce dossier avec l’appui de l’Etat, et travaille maintenant à la création de la cité de la gastronomie. Celle-ci sera la vitrine du patrimoine gastronomique français, on pourra y apprendre, s’amuser, goûter, et avoir une représentation des métiers de toute la filière, de la production jusqu’à la mise en œuvre culinaire. Aujourd’hui la gastronomie a deux visages, un qui est flamboyant avec les grands chefs même s’il y a un bémol avec la mode de la gastronomie déstructurée, et l’autre bien plus inquiétant avec beaucoup de français qui ne font plus la cuisine et mangent très mal si ce n’est le week-end. Pour y remédier, il faut commencer dès l’école avec des repas de bonne qualité et un discours autour de ses repas, il y a déjà de nombreuses expériences formidables qui vont dans ce sens. On peut voir aussi de l’espoir dans le petit déjeuner servi chez McDonalds avec de la baguette fraîche, du beurre et de la confiture.

 

Comment le géographe que vous êtes voit-il la mondialisation et la crise que traverse l’Europe ?

J.-R.P. - Le savoir géographique est indispensable à toute activité, il permet de comprendre et connaître les réalités environnementales, physiques et humaines de la planète. Ceux qui redoutent la mondialisation aujourd’hui n’ont pas de culture géographique. L’ignorance de l’ailleurs, de l’autre et de sa société engendre la peur. L’avenir de l’économie est dans le renforcement des productions matérielles et intellectuelles à coloration géographique, et non pas en produisant tous la même chose. Concernant la crise, 95% des français ne savent pas ce qu’il y a derrière. On a laissé des techniciens de l’argent en liberté sans aucun contrôle politique. Il faut combattre aujourd’hui l’importance qu’a prise la finance virtuelle et non pas la finance en général. Je pense que la crise va renforcer l’Europe, et d’ailleurs un sondage montre que 73% des français veulent aller plus vite vers une Europe fédérale. Cela s’explique tant sur le plan économique que politique. La France s’enferme dans son modèle qu’elle juge excellent, alors qu’il y a plein d’idées à prendre à côté.

 

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Au cœur d’un triomphe sans précédent

Publié le par michelmonsay

 

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Un des acteurs majeurs du phénoménal succès de The Artist, Ludovic Bource, a reçu 24 récompenses pour la musique qu’il a composée, dont l’Oscar, le César et le Golden Globe. Du jamais vu dans sa catégorie, à l’image du raz de marée que le film a opéré dans les différentes remises de prix du cinéma à travers le monde, avec 131 récompenses. A l’occasion de la sortie en DVD, retour sur cette aventure hors normes qu’a vécue l’équipe du film.

 

Comment analysez-vous l’impressionnante collection de récompenses obtenues par le film ?

Ludovic Bource - Les gens ont été sincèrement touchés par le romantisme du film, l’élégance, la retenue, l’absence de violence, la simplicité qui s’en dégagent. C’est souvent ce qui ressort des témoignages de membres des différentes académies cinématographiques qui nous ont décerné des prix, ils ont reçu le film comme une sorte de bouffée d’air. Il faut dire qu’un film muet en noir et blanc, c’était plutôt inattendu. Il y a aussi peut-être ce côté cyclique de crise économique, l’histoire qui se passe au moment du krach boursier de 1929, participe à un phénomène d’air du temps avec les mêmes problématiques. Le réalisateur a mis toutes ses tripes dans ce projet de film muet en noir et blanc qui lui tenait à cœur depuis 10 ans. De plus comme il est fidèle, l’équipe a été quasiment la même pour ses 3 derniers films, et chacun dans son domaine, de Jean Dujardin et Bérénice Béjo à tous les techniciens, a voulu aller encore plus loin, se donner totalement.

 

La musique du film a été incroyablement plébiscitée, comment l’avez-vous conçue ?

L.B. - Il est vrai que c’est la 1ère fois qu’un compositeur français obtient toutes les récompenses majeures du cinéma mondial pour un même film. Pourtant ma musique est simple, pas virtuose comme celle de John Williams qui concourrait aussi pour les Oscars. Comme il n’y avait pas de dialogues et pour que le film soit prêt pour le festival de Cannes, j’ai travaillé sans repères en amont, uniquement sur le story-board avec les dessins du réalisateur qui précisaient les axes de caméra, les expressions des comédiens, les différentes situations. Autant  pour la 1ère partie où l’humour est très présent, j’ai assez facilement trouvé les thèmes musicaux qui habillent la star du muet jouée par Jean Dujardin. Pour la seconde, c’était un peu plus délicat, il fallait trouver le ton juste en étant sobre limite naïf. Je me suis inspiré d’un poème de Hans Schmidt mis en musique par Brahms, pour accompagner le déclin de la star avec une certaine élégance, un romantisme. Il y a aussi dans le film un hommage au jazz de Cole Porter et au music-hall. J’ai eu la liberté de pouvoir mélanger les genres à ma guise. Il est sûr que l’absence de dialogues, de bruitage, met la musique au premier plan.

 

Comment l’ensemble de l’équipe a vécu cette folle année ?

L.B. - Cette aventure nous a rapprochés et nous sommes restés soudés tout au long de la promotion du film et des nombreuses soirées de récompenses. Cela a commencé en mai 2011 à Cannes jusqu’au voyage au Japon il y a quelques jours où le film vient de sortir. Michel Hazanavicius le réalisateur, qui est quelqu’un de pudique, s’est ouvert un peu grâce à cette année incroyable. Au-delà de la notoriété et des projets qui pourraient en découler notamment aux Etats-Unis, tout cela nous a donné de la confiance, ça nous rend tous un peu plus fort. On a été dans une sorte d’euphorie permanente durant toute cette campagne, et on commence aujourd’hui à réaliser ce qui s’est passé. Quand je regarde les statuettes sur mon piano, je me dis que c’est quand même gonflé d’avoir eu tout ça.

 

Quelles récupérations engendrées par ce triomphe vous viennent à l’esprit ?

L.B. - Déjà pour les journalistes, la manière dont ils manipulent et réinterprètent les choses, dont ils considèrent les gens, et je ne fais pas de généralités en disant cela, ce sont des faits constatés à Los Angeles pour les Oscars, où ils se sont livrés une véritable guerre pour savoir qui aurait l’équipe du film en premier. Côté politiques, Nicolas Sarkozy nous avait invités à déjeuner à l’Elysée pour célébrer le film, Michel Hazanavicius ayant décrété qu’on irait ensuite voir François Hollande, le déjeuner a été annulé. Etant plutôt de gauche et comme nous sommes en période électorale, il ne voulait pas que The Artist soit récupéré par le candidat Sarkozy.

 

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