Cette interview réalisée plus de 8 mois avant son accession à la présidence de la République confirme la cohérence des
propos de François Hollande, qui me confiait déjà les mêmes orientations qu'il a mises en avant ces jours-ci.
J'étais ressorti emballé par cette rencontre avec un homme simple, déterminé, disponible, qui faisait preuve autant de qualités humaines que de grande compétence et d'un sens de l'analyse très
pointu.
L’ancien dirigeant du PS, favori des primaires socialistes où tous les français peuvent voter les 9 et 16
octobre, n’en finit plus d’étonner son monde par la métamorphose qu’il a opérée depuis plusieurs mois. A 57 ans, il a indéniablement pris une nouvelle dimension, qui pourrait le mener à devenir
le leader que la gauche attend depuis François Mitterrand.
Comment vous situez-vous par rapport au projet du Parti Socialiste ?
François Hollande - Ce projet m’engage, je l’ai voté, j’aurai donc à le traduire, mais il y a aussi une
crise, une conjoncture et des marges de manœuvre limitées. Si j’en ai la responsabilité, le choix que j’aurai à faire sera de fixer un ordre de priorités, et d’organiser un agenda pour que nous
puissions faire ce que nous avons présenté aux français, avec la cohérence et la crédibilité nécessaires. D’ores et déjà, je mets l’accent sur la jeunesse, considérant que ce doit être la grande
cause du prochain mandat présidentiel, et une réforme fiscale d’ampleur sans laquelle il ne peut y avoir de progrès économique, de justice sociale, de modernisation du pays.
Nous avons la démographie la plus dynamique d’Europe et une population active qui continue d’augmenter, c’est un atout et
non une charge. La jeunesse doit être un levier pour permettre au pays de se développer par la réussite de cette nouvelle génération. Avec une progression du chômage aux deux extrêmes de l’âge
actif, je propose un contrat de génération permettant à un employeur de garder un salarié de plus de 55 ans tout en embauchant un jeune de moins de 25 ans en CDI, avec une exonération de charges
sociales sur les deux emplois. L’agriculture est peut-être le meilleur exemple de ce contrat de génération, avec des parents qui cèdent leur exploitation à leur enfant tout en continuant à y
travailler et à transmettre le savoir.
Quelles mesures pourriez-vous prendre pour que le monde agricole aille mieux ?
F.H. - La réforme fiscale que je préconise aura son volet agricole avec un double objectif :
favoriser l’emploi, l’investissement dans l’innovation, et l’environnement. Il y aura aussi un volet nouveau sur les mécanismes assurantiels pour faire face aux crises et aux aléas du marché.
Deuxièmement : la jeunesse sera aussi une priorité pour l’agriculture avec une politique d’entrée dans le métier et d’installation qui devra être renouvelée et rénovée, en soutenant
financièrement les jeunes qui souhaitent s’engager dans la carrière d’agriculteur, avec le maintien de prêts bonifiés.
J’entends aussi favoriser avec l’aide de l’Etat, des régions et de l’ensemble des partenaires, des politiques
structurelles qui permettront de lier sur un même territoire plusieurs exploitations, comme cela a été fait pour l’achat du matériel agricole avec les Cuma. L’objectif sera de mettre en œuvre des
mesures à la fois économiques et environnementales. Mais je n’oublie pas que la 1ère tâche qui m’incombera sera aussi de préserver le budget agricole au niveau européen, veiller à ce
que la PAC permette la diversité des productions, la redistribution des aides, et un lien entre production et protection de l’environnement.
L’agriculture est un secteur à multiples enjeux. Enjeu territorial bien sur, enjeu environnemental je l’ai dit, enjeu
alimentaire essentiel aujourd'hui pour l’Europe et la France. Et enfin un enjeu économique car c’est un des seuls secteurs excédentaires en terme de balance commerciale pour la France, en
produits de base agricoles, en produits de qualité et en produits transformés industriels. C’est un atout essentiel. C’est pourquoi j’ai toujours considéré l’agriculture comme un enjeu global,
celui d’une profession que je respecte mais aussi celui des consommateurs et de tous les citoyens.
Comment êtes-vous devenu le favori des primaires et de l’élection présidentielle en elle-même
?
F.H. - Une élection présidentielle est une alchimie, une rencontre entre un homme ou une femme, une
circonstance et l’aspiration d’un pays. Sans préjuger des qualités, il faut correspondre à la période et il me semble qu’aujourd’hui plus qu’hier, je suis celui-là. Nicolas Sarkozy a
décrédibilisé son modèle idéologique, la réussite individuelle, sans prendre conscience que l’organisation collective, la solidarité pouvaient être des leviers de progrès. Il a beaucoup choqué
par son comportement personnel. Les inégalités qui sont apparues insupportables sur le plan social, ont été un frein à notre développement économique. Cela a créé une attente d’une réponse
politique différente, plus stable, cohérente et précise.
De là est née mon ambition pour incarner un président qui aurait à la fois la force nécessaire, la hauteur de vue et le
respect de tous ses concitoyens, en n’étant pas simplement le chef d’une majorité. Il faut être capable d’avoir cette empathie à l’égard de la population, pour qu’elle vous reconnaisse autant
comme une autorité qu’un semblable, dans une conjugaison de responsabilité et de simplicité. Le verbe fait partie de ce lien, et même si j’ai été marqué par François Mitterrand, il faudra en 2012
faire du neuf. Pour les primaires, au-delà de l’ordre des priorités qui nous différencient, de l’insistance et la précision sur un certain nombre de choix, nos concitoyens choisiront la
personnalité qui pourra rassembler le plus largement les français en leur redonnant confiance. C’est la condition pour battre Nicolas Sarkozy.
La crise actuelle peut-elle favoriser l’extrême droite, et que faut-il faire pour en sortir et relancer la
croissance ?
F.H. - Les crises favorisent toujours les replis ou les excès. Penser qu’en chassant les immigrés ou les
marchandises nous irions mieux, l’Histoire a démontré que ces solutions conduisaient au pire ou au désastre économique. Il ne suffit pas de dire que nous sommes contre les marchés, les agences de
notation, les spéculateurs, l’Europe, pour que d’un seul coup ils disparaissent. Il faut dans cette période de crise montrer de la volonté, de la capacité, de la crédibilité et de la lucidité
pour nous donner le temps nécessaire afin d’arriver aux résultats escomptés. La crise actuelle avec une faible croissance, un chômage élevé, une instabilité des marchés et une vulnérabilité des
états, valide davantage nos thèses que celles des libéraux ou des conservateurs.
Pour relancer la croissance, notre victoire peut à court terme, être un élément de confiance permettant aux français
d’investir davantage, de consommer mieux et de mobiliser leurs forces pour la réussite commune. Parallèlement, il nous faudra mettre l’accent sur 3 grands enjeux : celui de la production et
de notre compétitivité, de notre capacité à innover, celui de l’éducation où nous ne devons pas considérer la formation de nos jeunes comme une dépense supplémentaire mais un
investissement, et celui de l’environnement qui peut, si nous savons saisir des opportunités, nous ouvrir des perspectives de croissance. Les nouvelles activités se trouvent dans les économies
d’énergie, les énergies renouvelables, des modes de transport différents, une production agricole plus environnementale et mieux valorisée. S’il n’y a pas de croissance, il n’y aura pas de
rétablissement des comptes publics et inversement, nous devons faire les deux en même temps.
Que doit comporter la réforme fiscale que vous préconisez pour être réussie ?
F.H. – La réforme fiscale doit être simple dans ses principes, efficace dans ses effets et juste dans
ses instruments. Simple avec des impôts qui ont une assiette large et des taux en nombre limité, efficace économiquement en encourageant l’investissement et l’emploi, mais aussi en supprimant et
redéployant les niches fiscales. Enfin cette réforme devra être juste, en appelant davantage à contribuer ceux qui aujourd'hui, sont les plus favorisés. Je l’ai dit, les français sont prêts à
faire des efforts, à condition qu’ils sentent que ces efforts sont partagés équitablement. Aujourd’hui l’Etat emprunte pour payer les intérêts de ses emprunts, nous entrons ainsi dans une spirale
où nos enfants devront payer nos dépenses de fonctionnement. Je ne peux pas admettre qu’il y ait cette transmission d’un fardeau qui serait le fruit de nos propres lâchetés. Il y a donc une
obligation, c’est d’être rigoureux, en maitrisant nos dépenses, tout en fixant des priorités claires et en s’assurant en même temps de meilleures recettes, c’’est l’objet de la réforme fiscale
que je propose.
Peut-on échapper à l’austérité et au diktat des marchés pour revenir à une démocratie plus
humaine ?
F.H. - Depuis 10 ans, la domination des libéraux et des conservateurs, a délégué aux marchés, les
arbitrages que nous devions faire politiquement pour faire face aux difficultés et préparer notre avenir. A ce titre, la PAC avec le démantèlement méthodique des organisations de marché depuis
quelques années, est un exemple et une preuve. Pour que l’intelligence de la démocratie triomphe de la force des marchés, il faut mettre en place des règles, des instruments, des taxes sur la
spéculation pour dégager des recettes, et pour l’agriculture maintenir des fonds d’intervention, avoir une politique de stockage, à l’échelle de l’Europe voire du monde. La voix de la France
compte toujours mais cela dépend beaucoup de celui qui assure la fonction de président. Il peut le faire de manière bavarde et provocatrice ou exercer une influence par la qualité de ses
jugements, la force de ses propositions, l’habileté de sa diplomatie et une intelligence de la psychologie humaine. Les rapports entre chefs d’état obéissent certes à des rapports de force, mais
aussi de confiance.
Votre manque d’expérience ministérielle est-elle un handicap et si vous êtes élu président, qu’aimeriez-vous
laissé comme bilan ?
F.H. - J’ai été davantage qu’un ministre en étant sans doute celui qui a été le plus associé aux
décisions du gouvernement de Lionel Jospin. J’étais à la tête du Parti Socialiste et à l’Assemblée Nationale avec Jean-Marc Ayrault, j’avais la responsabilité de faire vivre la majorité plurielle
de l’époque. J’ai donc une grande expérience de la responsabilité.
Quant à ce que je voudrais laisser : un pays qui a plus confiance en lui-même, plus harmonieux, plus juste et plus
apaisé. Un pays réconcilié entre les générations et entre les catégories sociales. Il faut pour cela avoir des idées claires et être capable de les faire partager. Si l’on a raison tout seul, on
finit par avoir tort tout seul.