Fondateur en 1991 et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal
Boniface, également enseignant à l’Université Paris 8 et passionné de sport, intervient régulièrement dans les médias et publie des ouvrages pour nous éclairer sur les enjeux stratégiques
européens et mondiaux.
Pouvez-vous nous présenter l’Iris ?
Pascal Boniface - L’Iris est un centre de recherches qui intervient à la fois dans le débat public et en
tant que conseil pour des décideurs économiques ou politiques, dans le domaine des relations internationales et de la géopolitique. Nous réalisons des études pour les gouvernements, les
entreprises et les organismes internationaux. Parallèlement, nous organisons des séminaires et des colloques, publions une revue trimestrielle, proposons une formation tant professionnelle
qu’initiale pour près de 300 étudiants. Nous avons un budget annuel de 2,8 millions d’euros, une trentaine de permanents répartis dans les différentes activités de l’Iris, et une quarantaine de
chercheurs extérieurs qui collaborent régulièrement avec nous. Notre conseil d’administration est composé de personnalités politiques de gauche et de droite, de dirigeants économiques et de hauts
fonctionnaires. L’Iris a contribué depuis plus de 20 ans à faire admettre que les questions géopolitiques ne sont pas réservées à une élite, mais qu’elles concernent tout le monde. Nos travaux
servent à nourrir la réflexion qui précède la décision politique.
Pourquoi avoir été l’un des premiers à mettre en avant le rôle du sport dans les relations
internationales ?
P.B. - Depuis plus de 15 ans, j’essaie de faire reconnaître le sport comme une réalité géopolitique, on
me riait au nez à l’époque, aujourd’hui c’est reconnu. Les JO de Sotchi, la coupe du monde de football au Qatar et la nomination par Laurent Fabius d’un ambassadeur du sport en sont quelques
preuves. Dans les relations internationales il y a le « hard power », le pouvoir de contrainte économique ou militaire, et le « soft power », le pouvoir d’influence, d’être
attractif. Le sport est devenu un nouveau terrain d’affrontement symbolique entre les états, c’est une façon de rayonner. Tout le monde connaît Usain Bolt ou Cristiano Ronaldo alors que très peu
de gens pourraient citer le nom du Premier Ministre jamaïquain ou portugais. Au moment où la mondialisation fait perdre les repères, où les identités nationales sont un peu remises en cause, le
sport vient les susciter au travers de nations qui se réunissent autour de leur champion, au-delà des querelles idéologiques et culturelles.
Un coût exorbitant, de nombreux scandales, est-ce que les Jeux devaient avoir lieu à
Sotchi ?
P.B. - Les grandes compétitions sportives internationales ne peuvent pas avoir lieu uniquement dans les
pays occidentaux. Cependant, on ne peut être que partagé pour Sotchi. Il y a des dépenses somptuaires qui ont été faites, un non-respect des normes écologiques, des appropriations de terrains à
la légalité douteuse, des malversations. C’est un triomphe pour Poutine, qui a réussi avec ces Jeux à mettre de nouveau la Russie au centre de la carte du monde, même s’il a dû faire quelques
concessions et devra rendre des comptes à sa société civile. Cela dit, ce ne sont pas uniquement les Jeux de Poutine, les russes sont fiers d’accueillir cette grande fête du sport. On oublie trop
souvent que ce peuple a été profondément humilié dans les années 1990, quand l’URSS, cette super puissance trop imposante, s’est transformée en pays trop faibles qui ont été méprisés par le monde
entier. Il y a aujourd’hui une sorte de réflexe patriotique très fort chez les russes. Le boycott était impensable. Pourquoi le sport serait-il le seul domaine où l’on imposerait le boycott alors
que l’on commerce avec la Russie dans tous les autres domaines, y compris intellectuel ? Maintenant, que certains chefs d’états n’aient pas voulu s’y rendre pour ne pas accorder un
blanc-seing à Poutine, c’est autre chose.
Pourquoi vous intéresser dans votre dernier livre aux idées reçues sur l’état du monde, et comment va-t-il en
2014 ?
P.B. - On a trop tendance à penser que le monde doit être à l’image de la France. Alors que si les
anglais, les japonais, les brésiliens ne pensent pas comme nous, ce n’est pas pour autant qu’ils sont idiots ou pervers mais ils n’ont pas la même histoire. Il faut toujours se mettre à la place
de l’autre pour comprendre son point de vue, cela dynamiterait beaucoup d’idées reçues qui s’imposent à force d’être répétées et non pour leur bien-fondé. Sur l’état du monde, on assiste à deux
changements fondamentaux : la fin de 5 siècles de monopole occidental sur la puissance, non pas à cause d’un déclin mais parce que les brésiliens, les sud-africains, les chinois progressent
et n’entendent plus se laisser dicter leur conduite. Autre grande évolution, c’en est fini du monopole des gouvernements sur l’information, avec le développement des nouvelles technologies. Il y
a toujours des différences entre démocratie et régime autoritaire, mais il n’y a plus de régime totalitaire, mis à part la Corée du Nord.
Comment peuvent évoluer les conflits ou situations délicates dans les mois à venir ?
P.B. - Le conflit syrien est le plus sanglant de ce début de siècle et l’on voit mal comment il pourrait
prendre fin rapidement. Bachar el-Assad a réussi son pari de militariser une révolution pacifique pour la transformer en guerre civile et ethnique particulièrement cruelle et violente. La
solution passe par le départ de Bachar el-Assad, et on ne pourra pas l’obtenir sans un changement d’attitude de la Russie et de l’Iran à son égard. Pour cela, ces deux pays doivent être sûrs que
leurs intérêts seront préservés.
Il y a aussi des inquiétudes sur ce qui se passe au Sud Soudan et en Centrafrique, où cela peut dégénérer rapidement. Le
grand motif d’espoir est l’Iran, où l’on a l’impression que le conflit larvé avec l’Occident qui dure depuis 34 ans est en train de prendre fin. Enfin, l’opposition entre la Chine et le Japon à
propos d’ilots inhabités est apparemment contrôlée, mais si la situation dérapait entre ces deux géants asiatiques, cela aurait des conséquences mondiales.
Comment jugez-vous la politique internationale de François Hollande ?
P.B. - Lui qui n’était pas considéré comme un spécialiste des questions internationales, a réussi à
calmer les relations avec le Mexique, la Turquie et le Japon, mais on attend encore un grand discours fondateur sur ce que doit être la France dans le monde. A son crédit, alors qu’il était
accusé de procrastination, il y a l’intervention au Mali qui a eu un gros impact à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Pouvoir décider une intervention en 24 heures avec 3000 hommes a
impressionné, d’autant qu’elle a été couronnée de succès. En ce qui concerne la Centrafrique, l’opération était nécessaire pour éviter un nouveau Rwanda, mais plus compliquée puisqu’il s’agit
d’une guerre civile. Il faudrait que les autres pays européens et africains assument leur part de responsabilité.
Pourquoi le peuple ukrainien se bat pour intégrer l’Union Européenne, alors que les français s’en désintéressent
complètement ?
P.B. - L’Ukraine a toujours été partagée entre l’option russe et l’option européenne. Alors que les
russes aujourd’hui leur promettent une aide de 15 milliards de dollars, les ukrainiens préfèrent l’Europe qui pourtant n’est pas en mesure de leur apporter cette aide. Ce peuple fait preuve d’une
grande maturité politique et démocratique en voyant son intérêt sur le long terme. Aller vers l’Europe signifie pour eux, la lutte contre la corruption et les oligarchies, une gouvernance
différente. Il y a actuellement un rejet du régime de Ianoukovitch et de ses liens avec la Russie qui favorisent un immobilisme politique. Souhaitons la mise en place d’élections anticipées et le
départ du président ukrainien pour éviter une guerre civile.
On s’aperçoit qu’il y a un désir d’Europe en dehors de l’Europe et une fatigue de l’Europe au sein de l’Union. Les
français sont très facilement critiques vis-à-vis de l’Europe et on peut craindre aux élections européennes, un fort taux d’abstention et un important vote protestataire sur la politique
nationale et non européenne. Les citoyens européens se détournent de plus en plus des élections alors que le Parlement européen n’a jamais eu autant de pouvoir. Même les partis politiques
constituent leurs listes en recasant ceux qui ont été battu au suffrage universel. Il y a un paradoxe incompréhensible.
Repères biographiques
Docteur en droit international, à près de 58 ans Pascal Boniface enseigne les sciences-politiques spécialisées en
relations internationales à l’université Paris 8, dirige l’Iris qu’il a fondé en 1991, et se déplace une semaine par mois à l’étranger. Il intervient régulièrement dans l’émission C dans l’air
sur France 5 et dans d’autres médias. Il fait également partie du Conseil de l’éthique de la Fédération française de football.