Les blessures de l’abandon

Publié le par Michel Monsay

Les blessures de l’abandon

Après avoir reçu la Palme d’or en 2018 pour Une affaire de famille, le génial cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda avait tourné une minisérie magistrale, chroniquée dans ces colonnes : Makanai, dans la cuisine des maiko. Le voici en Corée du Sud pour y réaliser une nouvelle fois un film sur la famille, son thème de prédilection, cette fois une famille recomposée très extrême. Kore-eda n’est jamais aussi brillant que lorsqu’il agrège des solitudes, laissés pour compte, marginaux, petits voyous sans envergure, enfant oublié, et par la magie de sa mise en scène simple, humaine et généreuse, il leur redonne le goût du partage et de l’entraide. En se délocalisant en Corée, il n’a pas oublié les grandes lignes de son cinéma : une exploration des liens familiaux et, plus largement, de ce qui unit les êtres et rend la vie supportable. Le cinéaste n’a eu de cesse d’étudier ce qui fait de nous des animaux sociaux, de radiographier comment nos sociétés se forment ou se déchirent, un cinéma hautement politique au sens premier du terme, et qui par sa spécificité atteint toujours une universalité par l’émotion. Dans ce film, peu à peu, parce que Kore-eda reste ce maître de la comédie humaine, chaque personnage transcende la fonction trompeuse que le récit lui avait assignée au départ. Ils se révèlent dans les non-dits et les silences, les confessions à demi-mots et les regards tristes. Les discussions sur l’abandon, l’avortement, le désir ou non de parentalité se font de plus en plus graves, avec un réel souci de justesse. De la complexification des questionnements naît alors l’empathie. Cette manière de sonder les points de vue et les états d’âme sans les juger, mais en leur donnant un passif, reste l'une des grandes forces de Kore-eda. À mesure que l’on connaît ces personnages abîmés qui, ensemble, se font du bien, une mélancolie s’installe et une lame de fond d’émotions grandit sans que l’on s’en rende compte. Tandis que les blockbusters prônent de plus belle, à tort et à travers, leurs valeurs familiales qui sentent le renfermé, à son échelle, Hirokazu Kore-eda leur oppose sa vision de la famille : un refuge éphémère pour les laissés pour compte. Le cinéaste signe une chronique faussement légère, parfois burlesque et souvent émouvante qui questionne la filiation tout en donnant le sourire grâce à sa kyrielle de personnages débordant d’amour, tous remarquablement interprétés, notamment par Song Kang-ho, que l'on avait adoré dans Parasite, et qui a reçu le Prix d'interprétation au Festival de Cannes 2022 pour Les bonnes étoiles. Avec une finesse de trait et une empathie pour ses personnages sans équivalent, Kore-eda remet sur le métier ses thèmes favoris : la filiation, la transmission, les relations parents-enfants. Les enfants livrés à eux-mêmes dans Nobody Knows. La famille réunie chaque été pour commémorer la mort tragique du fils aîné dans Still Walking. La découverte de l’échange de deux nourrissons à la naissance dans Tel père, tel fils (prix du jury à Cannes en 2013). Les trois générations de marginaux se tenant chaud dans la maison d’Une affaire de famille… Kore-eda ne filme que la famille, soudée par les liens du sang ou non. Il la filme avec la grâce et l’âpreté qui constituent la grandeur de son cinéma, depuis son passage du documentaire à la fiction au milieu des années 1990.

Les bonnes étoiles est à voir ici pour 4,99 € en location ou sur toute plateforme de VOD.

Publié dans replay

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