Mélancolique et ensorcelant hommage au cinéma

Publié le par Michel Monsay

Mélancolique et ensorcelant hommage au cinéma

On ferme les yeux des défunts. On les ferme aussi pour dormir. Pour se protéger. Ou pour mieux voir ce qu’il y a au fond de soi. Tout cet éventail des possibles s’offre à nous dans ce film dont la splendeur sombre n’a d’égale que sa simplicité, signant le grand retour, à 83 ans, de Victor Erice, cinéaste espagnol extrêmement rare, auteur de quatre films en 50 ans. Vertigineux exercice de funambule autour de la disparition et de la mémoire, d’une maîtrise formelle impressionnante, Fermer les yeux semble délivrer ce message : l’existence pourrait bien constituer un apprentissage de la disparition finale. Et le cinéma pourrait bien receler un fabuleux contre-pouvoir, celui de la faire apparaître et ré-apparaître à volonté. Bouclant la boucle magistralement initiée par Victor Erice avec L’Esprit de la ruche en 1973, l’un des plus grands films sur l’enfance, Fermer les yeux signe l’un des plus grands films sur la vieillesse et le temps. Ode magnifique au cinéma, il nous livre l’œuvre crépusculaire et testamentaire d’un artiste aussi discret que radical. Il y a dans ce film une sagesse, une mélancolie et une pureté du regard qui renvoient aux origines du 7e art, à son pouvoir et à une émotion primitive de spectateur. Ce superbe film interroge aussi en filigrane : que restera-t-il des époques que nous avons traversées, des amitiés que nous avons nouées, des amours que nous avons semées, des succès, des échecs… Il restera des images. Ces images que nous voyons sur les écrans, dans les albums... ou celles que nous imaginons en fermant les yeux. Or l'intrigue de Fermer les yeux se déroule en 2012, et malheureusement aujourd'hui les images sont appelées à devenir une denrée jetable bon marché. Les cadres qui leur servaient d'écrin disparaissent, on les trimballe au fond de nos poches, on les fait glisser du doigt machinalement sur des écrans de téléphone… Victor Erice, lui, aura mis trente ans à ciseler un film de cinéma, dont l'histoire apparaît comme une mise en abyme de la vie du cinéaste. Trois décennies pour nous dire combien toutes les images sont précieuses, qu'elles sont notre héritage et qu'il faut en prendre soin, avant de fermer les yeux.

Publié dans Films

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