Un huis clos puissant et fascinant

Publié le par Michel Monsay

Un huis clos puissant et fascinant

En réveillant ce moment important de l’histoire juridique française, Cédric Kahn, qui est depuis une trentaine d'années l'un des cinéastes français les plus intéressants, citons notamment La prière ou Roberto Succo,  signe ici un très grand film de procès et le passionnant portrait d’une époque. Dans son implacable mise en scène, il fait de Pierre Goldman une illustration parfaite du bouc émissaire. En effet, n’est-il pas le coupable idéal ? Braqueur, militant d’extrême gauche, Pierre Goldman a le sang chaud, s’énerve facilement et ne tarde pas à transformer son procès en spectacle, bien qu’il dise ne vouloir s’en tenir qu’aux faits et éviter toute théâtralisation. Avec ce film, construit sans flash-back ni musique, avec une exigence qui ne laisse aucune place à la fioriture, Cédric Kahn respecte les codes du genre à la lettre, l’action se déroulant quasi intégralement dans un tribunal. Grâce à une impressionnante maîtrise du montage et de l’écriture, la reconstitution est aussi sérieuse qu’haletante, en prenant quelques libertés mais en restant fidèle le plus possible au procès qui eut lieu en 1976. En cherchant la vérité plutôt que l’imitation, le film nous parle de la France des années 1970. Une France dont les blessures, de l’Occupation comme de la Guerre d’Algérie, ne sont pas tout à fait refermées et où le racisme et l'antisémitisme sont encore bien présents. Mais une France aussi où un militant de gauche peut écrire un livre en prison et en faire un best-seller. Une France dont les figures médiatiques n’ont pas peur de s’engager, on reconnaît les personnages de Simone Signoret et Régis Debray dans la salle. Cédric Kahn nous plonge dans le procès d’un homme qui abhorre la société bourgeoise et la police, prône la révolution, justifie la violence. De scène en scène, de parole en parole, le cinéaste rend sans faillir toutes les complexités du personnage : orateur éclatant, militant enragé, âme torturée. Son éloquence impressionne jusque dans les rangs de ses plus farouches adversaires. Son tempérament ingérable inquiète jusque dans les rangs de ses plus fidèles supporteurs. Son charisme, cette arme à double tranchant, est un atout majeur, mais il se retourne parfois contre lui qui, enivré par sa propre logorrhée, ne supporte pas la contradiction. Arieh Worthalter, dans le rôle de Pierre Goldman, est un interprète intense dont on ne peut se détourner, et l'ensemble de la distribution est à la hauteur pour éviter le cabotinage et les effets de manche, propres à ce genre de film. Le procès Goldman impressionne par sa richesse thématique et son invention formelle transformant chaque scène en modèle de tension et de dramaturgie, qui se lit sur les visages admirablement filmés de tous les protagonistes y compris des figurants. Cédric Kahn décoche un film uppercut réussi dans ses trois dimensions : judiciaire, théâtrale, cinématographique.

Publié dans Films

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