Un sourd et déchirant témoignage de souffrance et d’injustice

Publié le par Michel Monsay

Un sourd et déchirant témoignage de souffrance et d’injustice

Les frères Dardenne, cinéastes essentiels depuis La Promesse en 1996, fidèles à la morale et à la rigueur qui gouvernent toutes leurs fictions, racontent cette histoire terrible avec un sens de l'épure et une sobriété qui servent au mieux un récit tragiquement exemplaire. Un récit qui échappe aux pièges du didactisme comme à ceux, non moins redoutables, de l'angélisme et du misérabilisme. Dans cet univers brutalement contemporain où l'humanisme et la générosité sont foulés aux pieds, seule l'amitié indéfectible entre les deux jeunes personnages dessine une lueur d'espoir. Les cinéastes, sans une image de trop, mettent en scène ce sentiment de fraternité qui unit leurs protagonistes et qui leur permet, malgré les abominations de toutes sortes, de croire en des lendemains meilleurs. Qu’est-ce qui émeut tant dans Tori et Lokita ? Il y a tout d’abord cette évidente simplicité de ton et de regards posés sur deux enfants, une fille et un garçon d’origine africaine, des migrants, autant dire des parias. L’économie des mots tirant à l’épure, les ellipses, la force du hors-champ sont toujours bien présents dans ce film, des marques de fabrique essentielles des cinéastes belges tel le renouvellement de leur confiance en l’intelligence du spectateur. Pas besoin de montrer par le menu l’abjection de violences sexuelles, inutile de raconter le passé tourmenté des protagonistes. Ce sont de petits détails qui parlent, un plan, un mot ici ou là, une gestuelle ou une posture, un étonnement ou une hésitation, les situations encore, qui toutes, précisément, appellent à mieux voir, mieux entendre, mieux comprendre une réalité souvent niée, cachée, voire ignorée. Mais davantage, les frères Dardenne traitent dans Tori et Lokita d’un sentiment magnifique qui existe entre ces deux mômes malmenés, courant à perdre raison après leur destinée, étranglés par leurs réalités désespérées : ce besoin, cette nécessité rarement racontée au cinéma aussi finement jusqu’à présent, c’est celui de faire famille, de s’inventer une vie en se rassemblant, pour se rassurer, s’épauler, survivre, se sauver. Cette dimension porte le film à un point d’émotion insoupçonnée. S’il y a des œuvres qui touchent en premier lieu l’esprit pour finalement atteindre le cœur, Tori et Lokita fait superbement partie de celles-là. La loi du plus fort et l’exploitation du plus faible ont éradiqué l’innocence, la tendresse. Lesquelles subsistent entre Tori et Lokita, comme un trésor de contrebande, une solidarité magnifique et cependant menacée dans une vie qui les expose au pire. Leur souffrance est montrée pudiquement, exprimée à mi-voix, parce qu’elle ne fait aucun bruit et demeure invisible dans un monde qui ne veut rien entendre ni voir. Les frères Dardenne signent une fois encore un  scénario original d'une puissance qui serre le cœur pour stigmatiser une réalité contemporaine : l’immigration économique africaine en Europe. Lucides et courageux, ils réalisent un de leurs films les plus forts, Prix spécial du 75e Festival de Cannes, une récompense de plus à leur impressionnant palmarès.

Tori et Lokita est à voir ici pour 4,99 € en location ou sur toutes les plateformes de VOD.

Publié dans replay

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article