Somptueuse version de la célèbre marionnette

Publié le par Michel Monsay

Somptueuse version de la célèbre marionnette

Avec son adaptation du conte de Carlo Collodi, Guillermo Del Toro, le génial réalisateur de La Forme de L’Eau,  Oscar du meilleur film 2018, s’affranchit de l’imagerie largement imposée par Disney. Exit les balades musicales désuètes et les morales enfantines, l’aventure de Pinocchio se pare de noir pour raconter la difficulté de faire son deuil pour Geppetto. Dès les premières minutes, le récit explore la disparition de son fils de manière tout à fait inédite. Touchant, ce point de départ permettra à l’histoire racontée plus tard d’embrasser toute sa sensibilité. Guillermo Del Toro dresse un tableau sans concession d’un vieillard malmené par la vie, qui cède à ses penchants obscurs et qui pense trouver du réconfort dans le fond de sa bouteille. Le cinéaste s’amuse avec l’apparence enfantine du conte pour mieux s’en éloigner à mesure qu’avance l’histoire. Il multiplie les approches et réflexions métaphysiques et philosophiques pour faire grandir son personnage. On y retrouve aussi son appétence pour des sujets tels que la différence. Alors que l’œuvre originale était une invitation à l’obéissance, la version de Del Toro prend cette dynamique à contre-courant en nous plongeant dans l’Italie de Mussolini. Le réalisateur embrasse toute la portée onirique du récit pour lui donner des allures de conte fantastique. De l’ombre à l’obscurité, sa caméra filme avec brio et poésie toute l’étrangeté de cette aventure. Le concept de départ du conte original est qu' il faut obéir pour devenir un vrai petit garçon, mais dans la version de Guillermo Del Toro, cela devient l'inverse : pour devenir vraiment quelqu'un, il ne faut pas suivre les ordres, il faut se rebeller, commettre des erreurs. Le film devient donc un véritable éloge de la désobéissance, non seulement pour la construction de soi, mais pour échapper au destin des pantins de la dictature. Cette réflexion d'une grande richesse est magnifiée par la beauté esthétique de l'œuvre, très proche du Labyrinthe de Pan (2006), cette autre histoire d'enfance et de dictature. Les séquences situées dans un entre-deux entre la vie et la mort empruntent à De Chirico une esthétique surréaliste et inquiétante tandis que la grande séquence de la baleine puise dans un imaginaire à la Jules Verne. Si cette adaptation est peu-être la moins fidèle au texte original, elle est peut-être aussi la plus réussie. Épaulé à la réalisation par Mark Gustafson, Guillermo del Toro a façonné pour ce projet une esthétique artisanale de toute beauté. Ce Pinocchio paraît en effet réellement sculpté à la main, dans un modeste atelier de Toscane. Le petit héros traversera néanmoins des décors impressionnants de montagnes, d'océans, de villages, de champs de bataille, de chapiteaux de cirque… On retrouvera sur la route du pantin polisson plusieurs figures tirées du roman : le criquet qui parle, la fée, les saltimbanques, le monstre marin… Le scénario y ajoute les recrues des jeunesses mussoliniennes endoctrinées par leurs parents. Et le film de poser l'éternelle question de l'homme et de la marionnette : qui tire les ficelles, les dictatures ne font-elles pas des hommes, des pantins de l'histoire ? Pinocchio n'est peut-être pas si différent de tous ces personnages dansant sur la scène d'un monde livré au chaos. La tâche était immense : insuffler de l’originalité à l’histoire maintes fois adaptée de la marionnette qui voulait devenir un petit garçon. Avec un regard tendre, poétique et politique, le cinéaste mexicain, pour son premier long métrage d’animation, réussit l’exploit de retailler un pantin neuf et émouvant, et enrichit l’aventure de tous les motifs et thèmes favoris de son cinéma, entre fantaisie noire, cauchemar politique et candeur lumineuse. Grâce à lui, pour la première fois les marionnettes ont vraiment une âme.

Pinocchio par Guillermo Del Toro est à voir ici sur Netflix pour 8,99 €, un mois sans engagement.

Publié dans replay

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