La force de la littérature pour raconter l'innomable

Publié le par Michel Monsay

La force de la littérature pour raconter l'innomable

Lauréat du Prix Medicis 2021, le nouveau roman de Christine Angot revient sur le drame qu'elle a vécu adolescente et a déjà traité plusieurs fois : l'inceste, mais jamais avec une telle netteté. Beaucoup considèrent "Le voyage dans l'Est" comme son meilleur ouvrage, et c'est la première fois qu'elle remporte un des principaux prix littéraires. Christine Angot s’approche de son sujet un peu plus précisément chaque fois, met le cœur à nu plus profondément. Les lecteurs qui la découvriront avec ce roman y verront le fonctionnement de l’horreur dans un récit tiré au cordeau, à la fois précis et distancié. Le souci de vérité, justesse et justice, y est extraordinaire. Elle montre, dans des pages insupportables, les mécanismes extrêmement subtils et perturbants qui poussent une jeune fille à se taire, à tomber dans le piège émotionnel tendu par son agresseur et à céder au chantage affectif, tout en révélant les mots et les gestes d’un homme qui affirme sa domination sur l’enfant, et l’assujettit en lui faisant croire qu’il s’agit d’amour paternel. La romancière nous raconte aussi une autre horreur, l’autre visage de la monstruosité, impensable, insoutenable : le silence de l’entourage, son refus de voir, d’entendre, de savoir, de croire, d’intervenir. Le talent de Christine Angot éclate dans la diversité des tons : la voix détachée ou indignée se mêle à la pensée follement intelligente de l’enfant piégée, en quête de maîtrise et de sens, les paroles douces et insinuantes ou la suffisance du père font résonner la menace, on est au cœur même de la détresse. Pourtant, Le Voyage dans l’Est n’est pas animé par l’énergie du désespoir mais par la puissance de l’espoir, la volonté d’être entendue, comme la fille qui s’obstinait à réclamer à son père, lettre morte, une relation normale. Elle aimait, admirait alors cet homme beau et cultivé qui parlait tant de langues. Depuis longtemps déjà, la langue vivante, celle qui vous garde vivante, c’est elle qui la parle. Ce roman est un livre miroir de toute son œuvre avec un style qui a changé par rapport à ses débuts, une sobriété qui rend le récit encore plus implacable et une vraie ambition littéraire. Il était vraiment temps qu’un prix prestigieux vienne mettre en lumière la puissance et l’exigence de l’œuvre que construit Christine Angot depuis plus de trente ans.

Publié dans Livres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article