Une immense cinéaste

Publié le par Michel Monsay

Une immense cinéaste

Première femme à avoir remporté la Palme d’or à Cannes, pour La leçon de piano, la réalisatrice Jane Campion a su en 40 ans se tailler une place unique dans le panthéon très masculin du cinéma. La réalisatrice Julie Bertuccelli célèbre sa consœur dans cet émouvant portrait où elle a su capter ce qui caractérise Jane Campion : un mélange de force et de sérieux que viennent sans cesse égayer une douceur, une fantaisie et une légèreté d’être. Au cours du documentaire, on entend aussi Jane Campion rappeler la misogynie crasse des techniciens sur les plateaux de ses débuts, mais ce n’est pas l’essentiel du propos de Julie Bertuccelli. Car il est surtout question de cinéma : des tout débuts de la néo-zélandaise dans des courts-métrages au ton d’une liberté singulière (dont Peel, récompensé en 1986, à Cannes, d’une Palme d’or du court-métrage), jusqu’à son opus le plus récent, l'excellent The Power of the Dog (2021), sans oublier Bright star ou la merveilleuse série télévisée Top of the Lake. Le film de Julie Bertuccelli, au montage finement tressé et d’une remarquable fluidité, circule entre entretiens accordés à toutes les époques de la carrière de Jane Campion, généreux extraits de films et de tournages. Une matière que la documentariste parvient à modeler de manière vivante et inspirée, à la manière, paradoxalement, d’un journal intime, en choisissant de laisser la néo-zélandaise se raconter elle-même quasiment de bout en bout. Peut-on entrer dans la tête d’une artiste sans la rencontrer ? Sonder au plus près son univers et sa personnalité ? Julie Bertucelli le démontre brillamment. En faisant dialoguer la vie et l'œuvre de Jane Campion, ce documentaire très personnel donne le sentiment de sonder au plus profond l’imaginaire fécond et les métamorphoses d’une anthropologue des mystères féminins, dont chaque film reflète une facette, entre élans romantiques et goût pour la marge. Et le tout donne envie de revoir une filmographie somme toute peu fournie malheureusement. Comme par exemple le très beau film, Un ange à ma table, qui raconte l'histoire d'une petite fille différente, rejetée par ses camarades à cause de son drôle de physique et son drôle de caractère. Elle connaîtra l'asile psychiatrique, les électrochocs et échappera de peu à la lobotomie grâce à l'écriture. En évoquant le destin de l’écrivaine néo-zélandaise Janet Frame, Jane Campion a renouvelé radicalement l’exercice, souvent académique, qui consiste à illustrer une vie d’artiste. À travers des scènes courtes, elle recompose le milieu modeste où la petite Janet, rousse et boulotte, fait ses débuts dans l’existence, protégée par la complicité qui la lie à ses sœurs et par celle qu’elle se découvre avec les mots. Jane Campion réussit à nous faire ressentir cette place vitale de l’écriture et l’attachement à la douceur perdue de l’enfance. Une affinité élective l’attache à Janet Frame, sa compatriote et son âme sœur, femme et artiste comme elle. Un ange à ma table, sorti en 1990, a permis à l’œuvre de la cinéaste de s’affirmer, et à celle de l’écrivaine d’avoir un nouveau rayonnement. Le langage des images se veut ici aussi intime et essentiel que celui des mots. Merci à Arte de nous permettre de plonger dans l'univers de cette femme exceptionnelle.

Jane Campion, la femme cinéma est à voir ici ou sur le replay d'Arte.

Un ange à ma table est à voir ici ou sur le replay d'Arte.

Publié dans replay

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