Un bouleversant docu-fiction qui dénoue les fils de l’oppression

Publié le par Michel Monsay

Un bouleversant docu-fiction qui dénoue les fils de l’oppression

Par un procédé original, entre documentaire et fiction, la cinéaste tunisienne, Kaouther Ben Hania invente une forme : celle du documentaire impossible, et qui n’a d’autre moyen pour déterrer la vérité et libérer la parole qu’un faux projet de fiction. Si elle mêle ici les deux, le parcours de la cinéaste de 45 ans oscille du documentaire à la fiction depuis le début de sa carrière. Dans la deuxième catégorie, on avait été impressionné par le puissant thriller féministe en 2017, La belle et la meute autour de l'impunité du viol. Les filles d'Olfa était en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, une première depuis 1970 pour un film tunisien. La cinéaste aborde le sujet de l'engagement de deux jeunes femmes au sein du groupe islamiste Daesh, qui va bouleverser une famille monoparentale unie, au sein de la Tunisie post-Ben Ali. Dès les premières minutes du film, la caméra traduit cette absence comme un tabou à exorciser. Pour ce faire, Kaouther Ben Hania a demandé l’aide d’actrices professionnelles pour incarner les deux jeunes femmes, et ainsi recréer des souvenirs. Olfa, la mère, a même droit à sa propre doublure, dans le cadre de scènes trop douloureuses à revivre. S'installe alors entre la réalisatrice, ses actrices et la famille, un dispositif hors du commun, où le manque des disparues le dispute à la rébellion et à l'espoir, tout en interrogeant une société tunisienne partagée entre islam et laïcité. D’emblée une catharsis se met en place, et l’objectif que s’est fixé Kaouther Ben Hania de faire de l’acte filmique une thérapie, voire un salut, prend corps. Dans ce sixième long métrage, elle démontre de plus un art du cadre et des harmonies colorées d’une élégance et d'une beauté visuelle remarquables. Entre dispositif théâtral, thérapie de groupe et psychanalyse familiale, Les filles d’Olfa, ausculte deux générations de Tunisiennes, leurs silences coupables et non-dits douloureux, le machisme délétère, qu’Olfa reproduit en croyant protéger ses filles, les vertus et effets pervers de la révolution arabe, les ravages de l’islamisme radical. Le film raconte à la fois les jeans déchirés et les voiles, mais c'est surtout une réflexion bouleversante sur les relations mère filles au sein d’une société patriarcale réprimant chaque forme de liberté. Derrière son indépendance revendiquée, Olfa reste le produit d’un système oppressif, qui semble synthétiser les paradoxes de la société tunisienne. De quoi rendre cette magnifique introspection familiale encore plus troublante et sublime.

Publié dans Films

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