Passionnant portrait d'un génie du bien et du mal

Publié le par Michel Monsay

Passionnant portrait d'un génie du bien et du mal

Plongée sans concessions dans la vie tourmentée du physicien américain Robert Oppenheimer, directeur du projet Manhattan qui a abouti à la fabrication de la bombe atomique en 1945, le film de Christopher Nolan se penche sur les questionnements moraux et politiques nés de l’entrée dans l’ère terrifiante du nucléaire. La véritable ambition du cinéaste n'est pas de représenter l'explosion de cette bombe, mais plutôt de décrire l'implosion intérieure de son créateur. Si Oppenheimer démarre comme un biopic possiblement classique, il se transforme assez rapidement. Derrière la fresque historique incroyablement riche, on jongle en permanence entre le film de guerre, le film d'aventure, voire le western lors des sublimes passages à chevaux dans les plaines du Nouveau-Mexique. Mais plus encore, Christopher Nolan fissure le genre du biopic en réalisant une course contre la montre intense dans la guerre contre les nazis, et surtout un thriller psychologique muant en véritable labyrinthe introspectif, à la fois cauchemardesque et lyrique. Dans une distribution de haute volée, y compris dans les rôles secondaires, le charismatique Cillian Murphy donne vie au cœur émotionnel et psychologique du film dans un jeu sans épate et loin des standards du biopic, préférant s'imprégner de la sensibilité, et des convictions intimes d'Oppenheimer plutôt que de simplement le singer. Citons également Robert Downey Jr. dans un rôle ambigu, voire machiavélique, enfin à la hauteur de son talent, lui que l'on n'a pas vu depuis très longtemps à l'affiche d'autre chose qu'un Marvel. Durant trois heures nous assistons à un spectacle d'une harmonie visuelle, sonore et musicale où Christopher Nolan joue avec le temps et les perspectives comme jamais auparavant. Si le cinéaste nous a habitués à des narrations non linéaires (Memento, Dunkerque), il trouve ici une nouvelle forme d'abstraction narrative. L'histoire d'Oppenheimer est complexe et riche en oscillant constamment entre les perspectives, la couleur et le noir et blanc, les époques (des années 20 aux années 60)... et pourtant, elle ne nous prend  jamais par la main. L'ensemble est tellement pensé, cohérent, lié à chaque instant, que le récit n'en a pas besoin, et conserve une remarquable fluidité. Christopher Nolan dresse assurément une fresque historique majeure, pamphlet à charge contre les États-Unis de l'époque. Son épopée dénonce avec hargne la violente paranoïa des autorités américaines et l'hystérie collective envers les communistes avec le Maccarthysme. Il s'agit peut-être de l’œuvre la plus pessimiste d'un Christopher Nolan de plus en plus préoccupé par l'avenir du monde. Dans Interstellar, la crise écologique venait sceller le sort de notre planète quand Tenet évoquait déjà la crainte de voir une arme nucléaire tomber entre de mauvaises mains et provoquer la fin du monde. Une peur évidente qui fait encore du chemin dans Oppenheimer, dont le pouvoir de résonance avec notre présent est manifeste. À l'heure de la guerre en Ukraine et de la menace atomique régulièrement agitée par Poutine, le monde semble bel et bien au bord du gouffre (en 2023, il reste 90 secondes avant l'apocalypse selon l'horloge de la fin du monde imaginée par le Bulletin of the Atomic Scientists fondé par un certain Albert Einstein). Un précipice dont les fondations se retrouvent englobées avec maestria dans ce film, qui nous procure une expérience de cinéma et d'Histoire intense.

Publié dans Chroniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article